Une certaine naturalité

03/07/2022 La commune de Saint-Myon où je réside possède une superbe mare située au beau milieu du grand communal du hameau de Parret : la mare des Chavades. Depuis 2011, elle fait l’objet d’un accord de gestion entre la commune et le Conservatoire Espaces Naturels (CEN) Auvergne en vue de la restaurer et de la préserver. Depuis ce début d’été, j’ai été « nommé » conservateur bénévole de ce site auprès du CEN pour en assurer le suivi et assurer le rôle d’interface entre le CEN et la commune. Habitant non loin de cette mare, je passe très souvent à côté, lors de mes nombreuses balades sur la commune, et ne manque jamais de jeter un œil sur cette petite oasis de biodiversité. Avec cette nouvelle fonction officielle de conservateur, j’ai décidé de faire un suivi plus approfondi et régulier : je vous ferai partager mes découvertes et observations au fil des saisons par une série des chroniques à venir ; la première, sur le début de l’été, sera bientôt en ligne. Nous allons ici d’abord présenter le site et son histoire : cette chronique servira de référence pour les chroniques au fil des saisons. 

Mares des Combrailles 

Dans les années 2005-2006, le CEN avait tenté plusieurs actions sur des mares communales en Combrailles (voir le zoom-balade où cette région naturelle est présentée) mais sans pouvoir vraiment intervenir sur la conservation et la gestion. Néanmoins dès cette époque, la mare des Chavades avait déjà prise en compte pour protéger une espèce d’amphibien remarquable, le triton crêté. A partir des années 2010, a émergé une prise de conscience globale de l’importance écologique de ces milieux aquatiques, en dépit de leur dispersion et de leurs petites surfaces ; voir nos deux chroniques sur ce sujet : Les mares-étangs, des havres de biodiversité et De l’importance des mares pour les odonates. En 2012, la mare est devenue un milieu prioritaire d’intervention pour le CEN et ce statut a été confirmé en 2020 dans sa stratégie foncière.

En 2019, un projet Réhabilitation de mares bocagères dans les Combrailles soutenu par l’Agence de l’eau Loire-Bretagne visant à restaurer 20 mares communales dégradées a permis d’enclencher une démarche communale sur l’ensemble du territoire. Sur 44 projets proposés, 20 ont été retenus avec la mise en place de chantiers de réhabilitation, souvent sous forme de chantiers bénévoles, exécutés au cours des années suivantes.

Le CEN auvergne gère désormais pas moins de 17 sites intégrant 28 mares qui représentent plus de 1,3 hectares d’eau libre sur les Combrailles. Un plan de gestion très détaillé de l’ensemble de ces mares vient d’être élaboré grâce au soutien financier de la Région Auvergne Rhône-Alpes (voir bibliographie) : la mare des Chavades figure de fait dans ce plan de gestion et y fait l’objet d’une fiche descriptive, utilisée pour rédiger cette chronique.  

Les objectifs principaux et actions envisagées dans ce plan de gestion ambitieux se déclinent selon six thématiques :

  1. Prise en charge de la gestion et assistance technique 
  2. Préserver la fonctionnalité hydrologique des mares
  3. Entretenir la végétation de la mare et celle des environs
  4. Gérer écologiquement les sites autour des mares
  5. Évaluer les actions mises en place via un suivi de la biodiversité des sites 
  6. Sensibiliser le public via des animations nature et des chantiers bénévoles ou la mise en place de signalétiques. 

Ancienne 

Si elle ne figure pas sur le cadastre napoléonien de 1826, elle apparaît par contre sur des photos aériennes datant de 1945/50 ; elle doit donc bien avoir au moins un siècle. Comme la majorité des mares de village, elle a une origine artificielle attestée par sa situation « perchée » dans une cuvette en haut de la butte du communal de Parret ; elle occuperait l’emplacement d’une ancienne carrière d’extraction de pierre. En effet, le site se trouve sur un affleurement massif (un horst) de granite métamorphique ou migmatite rouge qui se prolonge vers la butte des Varennes Hautes et vers ls bords de Morges (falaises de Cacherat) ; les murs de nombre de maisons anciennes du hameau sont bâtis en grande partie avec cette pierre dure. On peut l’observer sous forme d’un micro-affleurement près du banc de pierre depuis lequel on domine la mare. 

Mur fait de blocs de migmatite à St Myon

Ses usages ont varié au cours du temps. Initialement, elle a dû être créée comme abreuvoir pour le bétail. Les riverains rapportent qu’elle a été utilisée pour le rouissage du chanvre cultivé alors comme plante textile : le rouissage consiste à faire macérer des bottes de tiges de chanvre dans l’eau de sorte qu’en pourrissant l’écorce filamenteuse (textile) se détache de la tige. Autant dire que si c’était le cas, l’état écologique de la mare devait alors être désastreux car cette pratique « naturelle » apporte une forte pollution organique et des tanins qui anéantissent la vie animale. 

Plus récemment, la mare qui avait alors encore un haut niveau servait de site de détente pour des pique-niques et parties de pêche avec les gens du village. Ainsi, ces photos récupérées par le CEN témoignent d’un concours de pêche organisé un 14 juillet à la mare des Chavades. Cette tradition se serait arrêtée au début des années 1980. Certains habitants se souviennent même d’une barque qui pouvait circuler sur la mare.

En baisse 

La flèche blanche indique la mare … à sec au moment de la prise de vue ; elle s’insère dans une zone avec de nombreuses constructions mais aussi des espaces verts

Cette mare est alimentée par les précipitations et le ruissellement du petit bassin versant qui l’entoure d’une superficie estimée à sept hectares : l’essentiel de l’eau captée par ce bassin versant rejoint un fossé en haut du hameau (Est de la mare), en parallèle de la route ; ensuite, une buse emmène l’eau vers la mare. Le sous-sol granitique et sablo-argileux très fracturé et perméable du bassin-versant est favorable aux infiltrations et à leur circulation dans la pente. Un fond argileux très mince tapisse le fond de la mare et retient l’eau. Il n’y a pas de digue avec la possibilité d’un écoulement en cas de trop-plein. 

Actuellement, on est très loin des images des années 1980 ci-dessus où la mare a presque l’apparence d’un petit étang : depuis deux décennies, les niveaux restent très bas avec même des périodes prolongées où la mare est entièrement à sec. Au plus haut, le plus souvent en hiver, la hauteur d’eau ne dépasse plus les 35cm. Plusieurs causes conjuguées expliquent cette évolution qui n’est pas forcément entièrement négative vis-à-vis de la biodiversité. 

La montée en puissance du changement climatique depuis les années 2000 impose désormais son tempo chaotique de périodes de canicules et de sécheresses estivales (et/ou hivernales) prolongées ; néanmoins, à la faveur d’épisodes orageux intenses, la mare peut se recharger très vite comme ce fut le cas tout récemment fin juin avec plus de 100mm tombés en une semaine.

Des interventions humaines diverses ont successivement limité son alimentation en eau. Il y a une trentaine d’années, on a curé la mare qui s’envasait avec des moyens mécaniques qui ont dû entraîné la perforation de la couche d’argile du fond, indispensable à la rétention de l’eau. Le bassin-versant s’est progressivement construit et les travaux d’assainissement ont coupé ou dévié les flux souterrains d’eau. La buse qui alimente la mare se bouche souvent suite à des accumulations de feuilles. L’imperméabilisation des surfaces associée aux constructions tend à réduire la surface où l’eau peut s’infiltrer. De gros travaux récents d’aménagement de la route qui passe en haut du bassin-versant ont encore plus coupé cette alimentation en eau. Tout ceci souligne, dans une logique de conservation à long terme, l’importance de prendre en compte la mare elle-même mais aussi son bassin-versant dont elle dépend étroitement : on parle de solidarité entre milieux écologiques. 

Algues vertes signes d’eutrophisation

Au printemps 2022, de algues vertes filamenteuses se sont développées signes d’une pollution diffuse liée l’enrichissement de l’eau en éléments minéraux ; le faible niveau d’eau et les épisodes chauds favorisent cette évolution qualifiée d’eutrophisation : les algues asphyxient progressivement le milieu en se décomposant. Pour assurer la survie de la mare à moyen terme, le maintien des pelouses semi-naturelles (communal, talus et bords de routes) qui occupent une part du bassin-versant et leur gestion plus écologique (fauches limitées et tardives) seront déterminantes pour freiner ces évolutions défavorables.  

Massettes 

Quand la mare est couverte de massettes

Un autre problème est venu se surimposer aux précédents à partir des années 2000 : la colonisation rapide et totale de l’eau libre par de grandes plantes aquatiques, les massettes à grandes feuilles ou roseaux à quenouille. Il ne s’agit pas d’une espace invasive introduite mais d’une espèce indigène spécialisée dans la colonisation des milieux aquatiques peu profonds avec un fonds vaseux.

Rhizome avec deux tiges et une jeune pousse charnue gorgée de réserves : la botte secrète de la massette pour coloniser

Normalement, elles s’installent naturellement via leurs innombrables graines cotonneuses qui se détachent de leurs gros épis en cigare mais restent normalement assez limitées. Ici, en fait, une intervention humaine a introduit « le loup dans la bergerie » : afin d’améliorer l’imperméabilisation du fond très mince et dégradée, on a rajouté de la terre extraite du curage des fossés de la plaine ; mais cette terre devait contenir des rhizomes (tiges souterraines horizontales chargées de réserves) de massettes. Cet apport augmente très fortement le potentiel invasif des massettes qui n’ont alors plus qu’à étendre leur réseau inextricable de rhizomes sur la vase du fond et à prospérer. 

Année après année, le réseau s’étale et gagne tout le fond, ajoutant des couches superposées imbriquées. Ainsi, en cinq six ans, la mare se retrouve entièrement colonisée. Certes, les peuplements de massettes hébergent une certaine biodiversité intéressante mais leur domination exclusive introduit un déséquilibre : elles éliminent toute autre végétation dont les espèces de l’eau libre ou celle des berges ; surtout, elles pompent et évaporent beaucoup d’eau participant ainsi activement à l’assèchement de la mare et à son comblement progressif par le fond. Pour désigner ce processus naturel (mais dans un milieu artificiel créé par l’Homme), on parle d’atterrissement : ce mot n’a rien à voir avec atterrissage et dérive d’un vieux verbe, s’atterrir, se remplir de terre. De plus, la décomposition des rhizomes anciens et des feuilles (elles sèchent chaque année) accentue l’appauvrissement en oxygène de l’eau libre et de la vase du fond. 

L’atterrissement nature décrit dans le Plan de gestion élaboré par le CEN Auvergne
Chantier de 2012 avec la participation d’étudiants du Lycée de Rochefort-Montagne (63)

Ainsi, depuis l’accord de gestion CEN/commune, plusieurs chantiers bénévoles ont été organisés avec la participation active d’habitants de la commune pour arracher les massettes et redonner de l’espace à l’eau libre, le dernier datant de 2021. 

Ceci n’est pas une mince affaire compte tenu de la vigueur de cette plante qui forme au fond des entrelacs de rhizomes sur plusieurs décimètres d’épaisseur qu’il faut décrocher de la vase à grand peine, fractionner, extraire de l’eau et tirer sur la berge ; ensuite, il faut évacuer cette biomasse considérable en tracteur. Après chaque chantier, les massettes reviennent car il reste toujours des morceaux de rhizomes au fond : pendant quelques années, elles restent dispersées et leur présence est alors même favorable pour la biodiversité. 

Après cette présentation historique, il nous reste à découvrir au fil des saisons la riche biodiversité associée à la mare des Chavades. Les chroniques seront annoncées au fur et à mesure de leur parution à venir  ci-dessous. 

Chantier de 2021 : une partie de l’énorme biomasse extraite de la mare

Bibliographie 

Le site de la commune de Saint-Myon 

Le site du CEN Auvergne 

Plan de gestion, Mares des Combrailles. Région Auvergne Rhône Alpes. Legrand R., Roig J. ; 2022. 194 pages. CEN Auvergne – Riom