Sur la plage, abandonnée … une rémige de Goéland argenté

05/01/2021 Nous les croisons régulièrement sous nos pas, au fil de nos promenades, au long des chemins, en forêt, sur la plage, au bord des étangs, des rivières, … : des plumes échouées, « perdues » par les oiseaux. Tant qu’elles sont sur les oiseaux, il est bien difficile de les détailler ; alors voilà une superbe occasion de se pencher sur elles pour mieux en découvrir la structure infiniment complexe et leur grande diversité. On peut aussi les collectionner (et pour une fois sans aucun dommage pour  la nature) ou les coller dans ses carnets de voyage ou de balades. De beaux sujets d’observation à partager aussi avec les enfants.  Cette chronique vise donc à fournir au non-initié l’essentiel de ce que l’on peut observer facilement sur le terrain et faire  de chacun d’entre vous un « plumologue » avisé. 

Leçon de plume 

Rémige de passereau : les deux vexilles très dissymétriques, le rachis et le calamus nu

Première étape incontournable : maîtriser le vocabulaire associé aux plumes. Chaque plume commence à sa base par un tube creux dénudé semi-transparent : le calamus ou hampe (mot latin qui désignait le roseau pour écrire) ouvert au bout par un orifice, l’ombilic inférieur. Ce dernier est souvent caché par des débris de « corne », de la kératine, la substance constitutive des plumes (comme de nos poils). Si on coupe en long ce calamus, on y trouve (pour une plume « adulte ») une série d’anneaux superposés, restes de la pulpe qui le remplissait et servait à nourrir la plume, organe vivant sur l’oiseau.  Le calamus porte souvent les restes d’une enveloppe cornée, l’étui par lequel elle était implantée dans une papille de la peau. Cet étui se termine au niveau d’un second orifice difficile à voir, l’ombilic supérieur et au-dessus duquel commence la « plume » proprement dite avec sa « tige » centrale dure : le « tuyau » ou rachis (du grec rakhis, épine dorsale), l’axe rigide de la plume. Sur les grandes plumes des ailes (voir ci-dessous), le rachis porte une gouttière distincte, de section carrée, en position ventrale qui renforce le rachis : un moyen pratique d’orienter la plume si on essaie de l’imaginer sur l’oiseau ! 

Rémige de rapace diurne : certaines barbes sont décrochées

Le rachis porte deux rangées de centaines de filaments aplatis, insérés en oblique et plus ou moins accrochées entre elles (voir ci-dessous) : les barbes. Chacune des deux rangées forme ainsi une surface plane ou vexille (d’un mot latin signifiant étendard).

Vexille externe étroit en haut ; vexille interne large en bas

Selon les plumes, ces deux vexilles sont soit symétriques, soit asymétriques comme sur la majorité des grandes plumes des ailes. Dans ce cas, on peut orienter la plume : le vexille externe (vers l’extrémité de l’aile) est toujours plus étroit que le vexille interne (vers l’intérieur de l’aile) ; sur une aile d’oiseau, le chevauchement des plumes cache le plus souvent le vexille interne. Pour orienter la plume dans le sens dessus-dessous, il faut examiner de plus près la surface des barbes qui composent les vexilles. Chacune d’elles a une section en forme de virgule : la partie arrondie de la virgule (la « tête ») se situe dessus (face dorsale) : elle donne à la surface du vexille un aspect lisse et brillant qui résiste à l’usure ; la face ventrale du vexille a un aspect plus texturé avec des lignes serrées. 

Calamus nu suivi du rachis qui porte les vexilles

Sur les plumes de contour, les barbes de la moitié inférieure sont souvent duveteuses et libres tandis que les supérieures sont accrochées entre elles. Même sur les grandes plumes des ailes, on peut observer quelques barbes basales ainsi « détachées ». Sur les plumes de certains oiseaux, on peut trouver à la hauteur de l’ombilic supérieur, une seconde plumule duveteuse de moindre taille, l’hyporachis. On l’observe très bien chez les gallinacés (perdrix, poules, faisans, tétras) où l’hyporachis est très développé mais aussi chez d’autres oiseaux comme les vanneaux ou certains rapaces. Il ne faut donc pas confondre l’hyporachis avec les barbes lâches et duveteuses basales !

Plume de couverture (usée !) d’un tétras-lyre (Vanoise) avec son hyporachis très développé, comme une seconde plume

Zoom avant 

Lisser une plume reste une activité simplissime et qui pourtant procure une sensation de magie incroyable. Comment ces centaines de filaments que l’on a « déchirés » arrivent ils en quelques secondes sous l’effet de ce seul geste à se recoller entre eux pour faire une surface unie, sans trous ? Une expérience simple en apporte la preuve : déposer des gouttes d’eau dessus et elles restent en surface. Pour comprendre, il faut écarter doucement deux barbes pour voir qu’elles se « dégrafent » un peu comme une fermeture éclair. Pour en savoir plus, même la loupe à main ne suffit pas : elle montre juste que la surface des barbes n’est pas lisse mais porte à son tour de minuscules filaments presque invisibles à l’œil nu : des barbules, elles aussi disposées sur deux rangs opposés.

Pour la suite, le microscope devient indispensable. Chaque barbule possède un axe central (le ramus) qui se termine par des dizaines de micro-filaments, les barbicelles, une fois de plus sur deux rangs !  Les unes ont une forme de bride et les autres une forme de crochet (hamuli) ; l’entremêlement des crochets et des brides entraîne l’accrochage des barbes entre elles comme les boucles et les crochets d’une attache velcro. En lissant la plume vers le haut, on réunit les crochets et les brides et on rétablit la cohésion des barbes entre elles. Simple et redoutablement efficace ! Avec surtout un avantage colossal : en cas de choc avec un obstacle (comme dans les branches d’un arbre), les barbes se décrochent  ce qui « troue » temporairement les vexilles ; mais, très rapidement, en quelques coups de bec bien orientés, l’oiseau pourra réparer l’incident et remettre les arbres en bon ordre de marche. En cela, les oiseaux disposent là d’un organe extraordinaire qui leur a conféré un avantage majeur dans la conquête des airs ; pensez aux chauves-souris (voir la chronique) avec leurs membranes alaires d’un seul tenant : si elle vient à être déchirée, c’en est fini ! 

Quelle plume ?

Rémige secondaire (?) de buse variable

Chaque plume trouvée dans la nature porte ses secrets dont celui de savoir de quelle partie du corps de l’oiseau vient-elle et quel était son rôle ? Question ardue quand on sait le nombre de plumes que peut porter un oiseau (plus de 25000 chez un cygne !) et la diversité de leurs formes et fonctions. Ainsi, on distingue au moins neuf types de plumes chez les oiseaux mais seulement trois d’entre elles se retrouvent dans la nature ; les six autres concernent des plumes petites, très fragiles, aux barbes libres et lâches réparties sur divers endroits du corps : le duvet sous trois formes, les semiplumes, les filoplumes et les vibrisses. 

Parmi les trois types qui vont nous intéresser, les plus nombreuses et réparties sur tout le corps y compris les ailes sont les plumes de couverture ou tectrices (de tectum, toit). On les reconnaît facilement à leur forme ovale, moins de deux fois plus longue que large, à leurs deux vexilles à peu près symétriques en étendue et en forme et à la présence vers leur base de barbes duveteuses (voir ci-dessus). Elles recouvrent l’essentiel du corps des oiseaux ; celles qui habillent le dessus de l’aile, en avant des rémiges dont elles cachant la base, sont nommées couvertures alaires. 

Rémige primaire avec le vexille externe bien plus étroit

Restent les « grandes » plumes des ailes et de la queue: les pennes (du latin pinna, plume que l’on retrouve dans empennage) ou plumes de vol. Bien moins nombreuses, elles n’en sont pas moins les plus intéressantes  par leur taille, leur forme ; surtout, ce sont elles qui le plus souvent permettent d’avancer une identification possible (quelle espèce d’oiseau : voir ci-dessous). 

Vautoure fauve en vol (photo J. Lombardy) : noter les grandes rémiges primaires en forme de doigts écartés puis les rémiges secondaires vers l’intérieur

Les grandes pennes des ailes sont appelées rémiges ; ce nom dérive du latin remigis pour rameur et renvoie l’image poétique de l’aile battant comme une rame. Virgile dans l’Enéide parle de remigium alarum, le mouvement de rame des ailes. Elles se trouvent sur le bord postérieur de l’aile, le bord de fuite. Outre leur robustesse et leur taille (mais relative selon l’espèce !), elles se démarquent le plus souvent par la forme asymétrie de leurs deux vexilles avec l’externe bien plus étroit. Sur l’oiseau, on différencie les rémiges primaires, les plus grandes fixées sur les os de la main, des rémiges secondaires, moins allongées, fixées sur l’os de l’avant-bras et des rémiges tertiaires peu nombreuses sur l’os du bras. Chez les grands oiseaux comme les rapaces, les rémiges primaires se voient bien en vol plané quand les ailes sont très étalées : elles ressemblent à des doigts écartés. Elles portent souvent une encoche marquée sur le bord interne.

Rectrice de pigeon ramier : noter la large barre noire terminale (mélanine)

Les pennes de la queue sont les rectrices, i.e. les plumes « qui dirigent » avec l’idée que la queue sert de gouvernail. Elles ressemblent passablement aux rémiges mais sont en général moins asymétriques et plus élargies en leur sommet. 

Sur ce milan noir, noter les encoches internes des rémiges primaires et les barres sombres qui les renforcent

Et la couleur fuse 

Rémige de geai des chênes : une des plumes les plus faciles à identifier !

Second secret d’une plume trouvée : à qui appartient-elle ? Autrement dit, de quelle espèce d’oiseau vient cette rémige ou cette rectrice ? La tâche n’est pas facile à part de rares cas très typiques (voir ci-dessous). Et il n’existe pas vraiment de clés d’identification : il faut avant tout au préalable connaître assez bien l’avifaune qui fréquente le lieu où on a trouvée une plume donnée, et notamment le type de milieu afin de cerner une liste de possibles. Il existe un site internet dédié à cette identification avec des galeries de photos (voir bibliographie) ; mais il faut parcourir ces galeries et chercher ce qui ressemble le plus, un jeu de pistes très fastidieux et réservé aux initiés ! 

Extrait d’une page du site alulawebsite.com consacrée au chardonneret élégant

Outre la taille et la forme évidemment déterminantes, il y a les couleurs, le point fort des oiseaux. Aussi, nous proposons plutôt au lecteur très amateur de surtout observer en détail la subtilité des couleurs, des nuances et des motifs qui ornent ces plumes : tant pis si on n’identifie pas l’espèce, au moins on entre ainsi « dans » l’oiseau.

La couleur blanche (plume de goéland) ne provient pas d’un pigment mais est une couleur physique sur les plumes des oiseaux.

Chez les oiseaux, les couleurs des plumes peuvent provenir de la présence de substances chimiques colorées : des pigments. Les noirs, bruns, gris, brun sombre, brun clair ou jaune terne proviennent des mélanines (deux sortes), les pigments les plus communs dans les plumes et souvent déclinés dans des motifs dispersés sur les plumes. Des barres sombres transversales marquent très souvent les rectrices et les rémiges : ceci correspond au pouvoir durcissant des mélanines qui rendent les plumes plus résistantes à l’usure.

Les barres brun sombre de cette penne de buse variable renforcent sa structure

Les jaunes vifs, oranges et rouge vif proviennent quant à eux des caroténoïdes : nous leur avons consacré une chronique entière à lire. Plus rares, les porphyrines donnent des teintes vertes, violacées ou brun rouge comme chez les pigeons par exemple. Ces différents pigments composent donc une palette déjà très variée à laquelle vient s’ajouter une seconde catégorie bien particulière, les couleurs structurales ou couleurs physiques : elles résultent de la modification ou de la séparation des différentes longueurs d’onde de la lumière qui éclaire la plume : ce sont les blancs, les bleus, les verts brillants et les iridescences. 

On peut citer quelques exemples frappants et que vous aurez le plus de chances de trouver : les couvertures blanches des cygnes ; les couvertures alaires et les rémiges tachées d’un bleu sublime du geai des chênes ; les rectrices nuancées de bleu et noir irisés de la pie bavarde ; les rectrices raides et pointues des pics qui leur servent de points d’appui dans leurs escalades des troncs ; les rémiges primaires des rapaces nocturnes dont l’effraie des clochers avec une surface au toucher duveteux et le bord externe avec des barbules disposées comme les dents d’un peigne, un dispositif anti-bruit ; les rémiges primaires avec une forte encoche des rapaces planeurs ; …

Les barbes du bord externe de cette plume de rapace nocturne forment des indentations (peigne) ; noter par ailleurs l’aspect duveteux de la partie blanche

Chute en silence

Il subsiste une dernière question : pourquoi trouve t’on des plumes isolées dans la nature ? Beaucoup pensent que les oiseaux les perdent accidentellement : cela peut arriver mais c’est rare. En fait, tous les oiseaux, au moins une fois par an, doivent tomber leurs plumes et les remplacer par des neuves car elles s’usent. On a du mal à le croire en touchant une plume tant elle paraît résistante et « éternelle » mais les frottements incessants avec l’air, notamment en vol, avec les feuillages et branchages ou le sol, provoquent une abrasion progressive des plumes surtout vers leurs pointes et sur leurs bords. Le plumage des oiseaux héberge par ailleurs une riche faune de poux particuliers, des mallophages aux pièces buccales capables de broyer les barbes des plumes mais aussi de sucer le sang. A cela vient s’ajouter l’action de bactéries et/ou des champignons capables de digérer la kératine, la substance cornée constitutive des plumes. Ceci explique notamment que les plumes ne persistent pas longtemps dans la nature. 

Sous nos climats, la majorité des oiseaux perdent leurs plumes de vol et de couverture sur une période assez courte en général en fin d’été : c’est la mue estivale. Pendant cette période, les oiseaux bougent peu étant handicapés par la chute des rémiges vitales pour voler. Souvent, il y a une seconde mue de printemps qui donne le plumage nuptial mais ne concerne généralement que les plumes de contour. Autrement dit, la chasse aux plumes n’est vraiment efficace que sur une courte période allant de fin juillet à septembre ! En somme, la chute des plumes précède la chute des feuilles ! 

On cherchera alors les plumes plutôt sous des arbres ou des perchoirs où se tiennent les oiseaux ou bien au bord de l’eau pour les oiseaux aquatiques.

Plumées 

Il reste une autre source de plumes nettement plus rare mais intéressante à observer : les plumées des prédateurs qui ont capturé un oiseau et l’ont plus ou moins déplumé pour le consommer. On en trouve surtout en forêt, en bocage mais aussi près des maisons qui sont l’œuvre de deux super-spécialistes de la capture des oiseaux : l’épervier d’Europe chasseur de passereaux et l’autour chasseur de pigeons, corneilles, pies, … Dans les zones rocheuses de falaises, le faucon pèlerin et le hibou grand-duc chassent aussi activement des oiseaux et laissent sur des promontoires rocheux de belles plumées. Dans les grandes plaines cultivées, on peut croiser les plumées d’alouettes ou autres passereaux des champs faites par les busards cendrés. 

On trouvera ces plumées de rapaces surtout en hiver car à la belle saison, les proies sont souvent emportées à l’aire pour y être traitées sur place et distribuées aux poussins. Souvent, le rapace choisit un endroit surélevé comme une souche, un poteau, un rocher, pour se poser avec sa proie et entreprendre son travail : il laisse souvent des traces de sang ou des lambeaux de chair arrachés ; comme il arrache les plumes en les tirant depuis leur base avec son bec crochu, le rachis est souvent fendu ou déchiqueté mais pas coupé. 

Plus rarement, il peut s’agir d’une capture par un mammifère carnivore comme un renard ou une martre ou fouine ; dans ce cas, on notera que les grandes plumes sont souvent sectionnées à leur base par les de mâchoires dentées. Parfois même, avant de partir, le renard dépose une crotte pour marquer son territoire : sa carte de visite ! 

Vous voilà donc armés pour partir à la cueillette des plumes et à leur observation rapprochée, une autre manière indirecte de découvrir le monde des oiseaux en jouant les détectives … avec la promesse de quelques moments forts comme ces deux exemples que j’ai vécus récemment ci-dessous.

Bibliographie 

Manual of ornithology. Noble S. Proctor et P.J. Lynch. Yale University Press. 1993. 

Site alulawebsite.com