Welwitschia mirabilis

Dans la chronique « Un ornithorynque végétal », nous avons présenté le Welwitschia cette plante extraordinaire, unique en son genre dans le monde végétal, truffée de bizarreries biologiques et qui vit dans le désert du Namib en Afrique du Sud. Au delà de ses particularités anatomiques et de sa reproduction, il intrigue encore plus les botanistes par son mode de vie. Cette plante vit dans un environnement aride et très chaud où le sol nu peut atteindre 70°C ; pourtant Welwitschia se démarque des autres plantes qui partagent avec elle ce milieu très contraignant en affichant toute une série de caractères a priori « anti-adaptés » à la vie en milieu désertique. Et pourtant, elle y survit très bien avec des individus qui ont probablement plus de 2000 ans d’âge et avec de belles populations locales et des individus imposants. Alors, quels sont les secrets de cette plante décidément hors normes qui défie le bon sens, tout au moins tel que le perçoivent les humains ?

Paysage du Namib. (Roland Guillot)

Xérophytes

Une cucurbitacée xérophyte du Namib : Inara (Acanthosicyos horridus) ; les tiges ligneuses épineuses ne portent que quelques feuilles de petite taille (Roland Guillot)

Comme dans tous les milieux désertiques chauds, les espèces de la flore du Namib ont développé, dans différentes directions selon les genres ou familles, un certain nombre d’adaptations à la sécheresse et à l’excès de chaleur et/ou de lumière : on parle de plantes xérophytes capables de résister à de forts déficits en eau. On peut ainsi observer plusieurs types biologiques relevant de ce syndrome là où vit Welwitschia. Le type le plus médiatisé concerne les plantes « grasses » ou succulentes (voir la chronique consacrée à ces plantes) aux organes aériens dédiés au stockage d’eau tout en réduisant fortement les feuilles : ce sont, au Namib, des Aizoacées avec les plantes-cailloux bien connues en culture ornementale, des Asclépiadacées avec par exemple les Hoodia ou des Euphorbiacées succulentes arbustives qui sont des « faux » cactus, bel exemple de convergence évolutive (voir la chronique sur les cactus).

Une autre manière d’affronter la sécheresse se manifeste chez divers arbres ou arbustes par des feuilles très petites (éventuellement charnues en plus) pour limiter au maximum les pertes en eau par évapotranspiration ou en perdant le feuillage pendant la saison sèche. Un revêtement dense de poils laineux limitant l’échauffement et la transpiration représente une troisième voie. Il y a aussi la stratégie extrême de l’évitement : des plantes qui ne fleurissent que après des pluies et persistent ensuite dans le sol sous forme de graines ou de bulbes comme le superbe lis du Namib.

Lis du Namib (Hexacyrtis dickiana) (Roland Guillot)

Anti-cactus !

(Roland Guillot)

Et pourtant notre Welwitschia ne correspond à aucune de ces catégories de xérophytes types. Pire, il présente des caractères diamétralement opposés à ces solutions efficaces développées par le reste de la flore : il casse tous les codes !  Il offre aux brûlures du soleil de larges feuilles permanentes dont la surface atteint en moyenne un mètre carré ; il les étale sur le sol qui emmagasine la chaleur et ne les dresse pas à la verticale pour éviter cet effet. On ne trouve pas d’organes de stockage de l’eau ni de revêtement pileux protecteur. Les feuilles possèdent des stomates sur les deux faces (amphistomatiques) avec, donc, ceux du dessus directement exposés au soleil et au vent ; rappelons que ces stomates sont des micro-orifices dont l’ouverture est contrôlée par la plante et par lesquels elle prélève du dioxyde de carbone et rejette de la vapeur d’eau au cours de la photosynthèse.

Normalement, une plante ferme ses stomates dès que l’air est trop sec et chaud pour éviter les pertes en eau. Un grand nombre de xérophytes dont les plantes succulentes gèrent l’ouverture de leurs stomates  sur le mode dit CAM (Métabolisme Acide Crassuléen) : elles n’ouvrent leurs stomates que la nuit quand il fait plus frais et plus humide pour prélever le COde l’air ; le jour, elles ferment leurs stomates et traitent ce CO2 avec la lumière pour fabriquer leur nourriture carbonée. Le Welwitschia, lui, semble fonctionner uniquement comme une plante ordinaire en milieu tempéré : il ouvre ses stomates tôt le matin et les referme le soir. Ce faisant, une plante de taille moyenne perd chaque jour un bon litre d’eau par évaporation ! Bref, le Welwitschia est un fou furieux qui semble gaspiller l’eau dans un environnement des plus extrêmes ! Comment fait-il pour, malgré tout, bien survivre ?

Le mythe du brouillard

(Roland Guillot)

Le désert du Namib est très connu pour un phénomène climatique très particulier : la ceinture côtière de brouillards nocturnes (voir la chronique L’ornithorynque végétal). D’aucuns ont donc longtemps avancé que Welwitschia, à l’instar par exemple des nombreux lichens qui ornent les rochers côtiers du Namib, exploitait ces brouillards en récupérant l’eau condensée sur les feuilles et se trouvait ainsi affranchi de tout problème d’approvisionnement en eau. Sauf que l’aire de répartition de Welwitschia recouvre certes cette ceinture côtière (43% de son aire) mais déborde bien au delà vers l’intérieur, là où le phénomène ne se manifeste pas du tout !  L’idée avancée était que l’eau condensée entrait par les stomates ouverts. Or, nous avons vu que les dits stomates étaient fermés la nuit (au moment donc où ont lieu les brouillards) et ne s’ouvraient que tôt le matin : là, ils doivent sans doute prélever de l’air un peu plus humide mais qu’il y ait du brouillard ou pas. D’autre part, les stomates se trouvent dans des mini-creux enfoncés dans la feuille (1) et possèdent des cellules de garde en forme de rebord qui limitent l’entrée ; l’intérieur de ces creux étant de plus tapissé d’un revêtement cireux, les gouttelettes d’eau de condensation se trouvent arrêtées par les effets de tension de surface. Ce dispositif qui garde les stomates au sec viserait en fait à faciliter l’absorption du COqui diffuse très mal dans l’eau. Enfin, en plaçant un modèle en métal imitant une feuille au sol dans cet environnement, on récolte au plus 2,5 litres d’eau … sur une année ! Donc, l’hypothèse du brouillard… tombe à l’eau !

Interception

(Roland Guillot)

Cependant, on peut remarquer que l’eau condensée doit ruisseler sur les feuilles et rejoindre le dessous de la plante où règne un microclimat relativement tamponné (voir cet aspect dans l’autre chronique). Ceci nous conduit donc tout droit vers le sol et des racines. Une étude consacrée à cet aspect a été très récemment menée (2) dans une partie du Namib où il pleut environ 30mm par an avec des épisodes de brouillard 50 à 90 fois par an. La nappe d’eau souterraine se trouve entre 55 et 75m de profondeur dans le sol, hors de portée de la longue racine pivotante centrale de 1 à 3 m de long ! Par analyses de marqueurs isotopiques et des appareils racinaires, les chercheurs montrent que 55% des racines principales et petites racines occupent des couches de 10 à 66 cm de profondeur dans du substrat riche en gypse renfermant 10% d’humidité. 25% de ce même type de racines poussent un peu plus bas vers 90cm à 1,25m. 15% des racines très fines remontent vers la surface dans un rayon de 1 à 5m autour des plantes et doivent recueillir de temps en temps l’eau de condensation ou de l’eau de pluie qui s’écoule. Donc, Welwitschia s’appuie avant tout sur l’eau infiltrée dans les horizons supérieurs, en extrait une partie du gypse dans lequel il pousse et récupère un petit peu d’eau provenant du bouillard.

On a montré par ailleurs que dans les 50 heures qui suivent d’un épisode pluvieux de nombreuses racines fines se développent sous la couche de racines sèches proches de la surface : elles interceptent donc rapidement l’eau qui s’infiltre. De même, chez les plantules, la racine principale pivotante s’allonge très vite (1m en 8 mois) : la « vitesse souterraine » reste donc une arme clé dans la stratégie du Welwitschia !

L’arbre à carquois (Aloe dichotoma), arbuste xérophyte typique du Namib (Roland Guillot)

Economies

Malgré les apparences (voir le premier paragraphe), Welwitschia a développé des dispositifs limitant les pertes en eau par évapotranspiration (via les stomates ouverts). Une épaisse cuticule recouvre l’épiderme avec un revêtement cireux qui lui donne cette teinte vert bleutée : cette pellicule imperméable limite les pertes au niveau de la surface de la feuille et réfléchit la lumière diminuant l’échauffement des feuilles. Mais la botte secrète réside sans doute dans la consistance de la feuille ; en 1935, un botaniste américain C. J. Chamberlain écrivait «  Essayer de découper une feuille de Welwitschia revient à essayer de tailler en morceaux un épais plaid écossais ! ». Effectivement un double dispositif rend ces feuilles incroyablement coriaces : des paquets de fibres de soutien renforcent fortement l’intérieur de la feuille et une couche de cristaux d’oxalate de calcium imprègne les cellules proches de la surface et les cellules de garde des stomates. Cette couche cristalline, présente dès le plus jeune âge, joue un rôle majeur dans la réflexion de la lumière incidente ce qui permet de limiter l’échauffement et les dégâts potentiels des rayonnements sur les chloroplastes des cellules assimilatrices.  Les feuilles n’absorbent que 55% des radiations solaires et en renvoient jusqu’à 40% ; ceci pourrait poser problème (pour faire la photosynthèse) si la lumière était rare mais, ici, ce n’est pas vraiment le cas !

Réactivité

Welwitschia donne extérieurement l’apparence d’un « monstre fossile assoupi » dans le désert et pendant les longues périodes de sécheresse ou de chaleur intense, elle semble limiter fortement l’ouverture des stomates et vivre alors sur ses réserves, notamment en mobilisant les matières carbonées accumulées vers les pointes des feuilles et, peut être, en utilisant les cristaux d’oxalate de calcium comme source de carbone. Mais néanmoins, elle se montre aussi capable réagir presque au quart de tour dès que les conditions deviennent plus favorables, souvent de manière limitée dans le temps. Les cellules qui contrôlent l’ouverture des stomates (1) ont des parois très fines et donc très réactives aux changements d’humidité ; ce luxe absolu dans un tel environnement est permis par l’enfoncement des stomates dans des sortes de puits enduits de cire (voir ci-dessus) et la disposition des cellules de garde formant un rebord protecteur. Ce sont autant d’innovations originales que l’on ne retrouve pas chez les conifères, l’un des grands groupes parents des Gnétales auxquelles appartient Welwitschia. Les stomates s’ouvrent complètement deux heures après l’aube de manière répétée même chez des plantes âgées de plus de cent ans. Le soir, les stomates se ferment en moins d’une demi heure après le coucher du soleil. Expérimentalement, si on induit une période de sécheresse artificielle et qu’on arrose brutalement, en moins de cinq jours, la plante retrouve l’intégrité de fonctionnement de tous ses stomates et fonctionne à plein régime !

Priorité Carbone

Et l’on arrive à l’autre secret de Welwitschia : sa capacité à photosynthétiser au mieux dès que c’est possible et exploiter cette ressource illimitée qu’est le soleil dans son environnement. Elle possède une très forte densité de stomates sur les deux faces de ses feuilles (5,2% contre 0,3% chez une majorité de plantes) ce qui lui permet d’être ultra efficace dans la prise de COpendant les épisodes favorables. A l’intérieur, la disposition de paquets de fibres entre les rangées de stomates empêche que la feuille ne se rétrécisse en cas de dessèchement et laisse ainsi la possibilité au COde diffuser dans les espaces intercellulaires non écrasés entre cellules chlorophylliennes. Les chloroplastes à l’intérieur des cellules s’orientent de telle sorte qu’ils évitent l’exposition directe au rayonnement intense et potentiellement nocif. Ainsi, Welwitschia réussit à conserver son potentiel de photosynthèse entre 15 et 35°C avec un optimum autour de 20°C même sous sécheresse avancée. Même si l’activité des tissus verts décline avec l’âge, ils conservent une activité minimale jusqu’à atteindre l’extrémité des feuilles qui se nécrose (voir la chronique à propos de la croissance des feuilles). Ainsi, Welwitschia dispose de ressources en matières carbonées à sa « périphérie » en cas de période de sécheresse intense

Au final, il émane de ce portrait, une image de plante hautement adaptée à son environnement en dépit de son apparence paradoxale, truffée de dispositifs originaux qui sont autant d’innovations évolutives : on est loin, très loin, de l’image d’Epinal de fossile vivant qu’on lui colle régulièrement ! En fait au sein de son groupe les Gnétales, elle présente tout un ensemble de caractères dérivés originaux y compris dans sa reproduction (voir la chronique à venir sur les Gnétales).

(Roland Guillot)

BIBLIOGRAPHIE

  1. Opportunistic survival strategy of Welwitschia mirabilis: Recent anatomical and ecophysiological studies elucidating stomatal behaviour and photosynthetic potential.G. KRÜGER et al. 2017 ; https://mc06.manuscriptcentral.com/botany-pubs
  2. Roots point to water sources of Welwitschia mirabilis in a hyperarid desert. Joh R. Henschel et al. Ecohydrology. 2019;12:e2039.