Quercus

07 09 2023 Ces deux espèces de chênes, les plus communes et les plus répandues en France, dominent de nombreux paysages : deux espèces incontournables que tout amoureux de la nature se doit de connaître. Sans être deux espèces jumelles quasi indiscernables, elles restent proches et pas si simples à différencier. Pourtant, elles divergent assez nettement dans leurs exigences écologiques en réagissant par exemple de manière assez différente aux aléas climatiques comme les sécheresses.

Nous allons ici passer en revue tout ce qui les sépare et les rapproche afin de savoir les identifier sans hésiter et, ainsi, de mieux comprendre ce qui se passe dans notre environnement proche avec le changement climatique en cours. Le chemin de la connaissance va être parsemé de quelques embûches liées au vocabulaire et, en fin de parcours, il nous faudra introduire un troisième larron.

Nous conseillons aux non-initiés de lire en préambule la chronique sur le cycle des chênes.

Sessile ? Pédonculé ?

Premier obstacle pour les non-initiés : le vocabulaire botanique parfois hermétique !

Commençons par le plus simple a priori : pédonculé, dérivé de pes, pied. On pourrait, en langage populaire, le traduire par « qui est porté par une queue ». Oui mais, en botanique, où l’on a à cœur d’être précis, « queue » est un terme vague. Les botanistes utilisent deux mots différents : pour la « queue » d’une feuille, on parle de pétiole, dérivé de petiolus, « petit pied » ; pour celle d’une fleur (et du fruit qui dérive de celle-ci), on parle alors de pédoncule ou pédicelle.

Dans le cas du chêne, le qualificatif pédonculé s’applique donc à ses fleurs et à ses fruits, i.e. aux seules fleurs femelles puisque les chênes sont monoïques (chronique) et aux glands. Donc, si vous êtes devant un chêne portant des glands portés sur de longs pédoncules (2 à 10cm de long), alors vous êtes sûr(e) et certain(e) qu’il s’agit bien du chêne pédonculé. Vous savez, les glands avec lesquels, enfant, on aime à dire que ce sont des pipes ! Et, en plus, il est le seul de nos chênes à feuilles caduques à posséder ce caractère très distinctif et sans ambiguïté.

Par contre, l’adjectif sessile ne relève pas du langage courant. Il a été introduit au 17ème en pathologie pour qualifier une verrue « non pédiculée », i.e. sans pédoncule ; transposé du latin sessilis, dérivé de sedere, s’asseoir, il signifiait « sur quoi l’on peut s’asseoir » !

Pour reprendre l’image populaire, sessile signifie « qui n’a pas de queue ». Oui mais, sessile s’applique aussi bien pour les feuilles que les fleurs/fruits puisque c’est un critère par défaut. Comme on a nommé le chêne sessile par opposition à son proche parent, le pédonculé, l’adjectif s’applique donc dans ce cas aux fruits.  Les glands du chêne sessile n’ont pas de pédoncule ou bien il est très court (moins de 2cm). En fait, pour être vraiment rigoureux, il faudrait l’appeler chêne à fleurs sessiles ou chêne à glands sessiles. D’ailleurs, par le passé, il a porté l’épithète latin sessiliflora dans son nom scientifique.

En tout cas, là aussi, c’est un critère facile à apprécier : les glands ont l’air d’être directement sur les rameaux. Sauf que ce caractère est partagé par au moins deux autres espèces de chênes à feuilles caduques (voir le dernier paragraphe) !

Pour les amateurs de critères subtils, signalons qu’en moyenne les glands du chêne pédonculé sont plus allongés que ceux du chêne sessile : le rapport moyen longueur/diamètre se situe autour de 1,9 chez le premier contre 1,6 pour le second.

Embrouille

Un second critère distinctif concerne les feuilles … mais il se « croise fâcheusement » avec le critère des glands ! Figurez-vous que le chêne pédonculé a des feuilles … sessiles et que le chêne sessile a des feuilles … pétiolées ! En même temps, ce côté diamétralement opposé rend la mémorisation plus facile !

Les feuilles du chêne sessile sont en effet nettement pétiolées avec un pétiole (voir ci-dessus) long de 0,5 à 2,5cm alors que celles du chêne pédonculé ont un pétiole très court ou nul (7mm de long au grand maximum). Voilà pour le critère le plus facile à observer mais les feuilles diffèrent encore par d’autres aspects plus subtils.

Les feuilles du chêne sessile sont bien réparties au long des rameaux et de ce fait bien visibles une par une ; la plus grande largeur se trouve toujours vers le milieu de la feuille et la surface de la feuille (le limbe) est plane. Chez le chêne pédonculé, les feuilles tendent à être agglomérées en bouquets au bout des rameaux et donc peu discernables entre elles ; la plus grande largeur se trouve vers le tiers supérieur ; elles ont une surface toujours un peu ondulée avec deux oreillettes à la base.

Cela dit, il existe comme chez tous les chênes, de très fortes variations au sein de chaque espèce tant dans la taille, dans la forme que dans la découpure des feuilles. Il faut notamment se méfier des feuilles des rejets sur souche, souvent « géantes » et difformes, mais qui conservent néanmoins le critère décisif du pétiole.  Il y a aussi le problème fréquent des feuillages attaqués par l’oïdium du chêne qui blanchissent et se déforment.

Attention : certains chênes conservent tout l’hiver leurs feuilles mortes et ne les rejettent qu’au printemps avec le débourrement des bourgeons ; on parle de feuillage marcescent (de marcus, fané). Cette particularité reste individuelle et très variable : certains arbres le font et pas d’autres juste à côté ; parfois de nombreux arbres proches et d’autres fois des arbres épars ; … En tout cas, ceci concerne aussi bien les deux espèces (et aussi le chêne pubescent : voir le dernier paragraphe) et ne constitue donc pas un critère.

Subtilités

En croisant les deux critères précédents (mais il n’y a pas toujours des glands !), on arrive sans problème à un diagnostic fiable sans encombre. Une fois que l’on a appris à savoir qui est qui, on peut alors commencer à considérer ces arbres dans leur globalité et les comparer au fil des rencontres. On pourra alors dégager quelques autres critères distinctifs moins tranchés et plus subtils.

L’écorce (arbre mature) du pédonculé se distingue par son épaisseur relative et son aspect plus grossier, profondément crevassé, laissant entrevoir souvent au fond des crevasses des surfaces un peu rosées. Celle du sessile est souvent plus mince, plus régulière et finement fissurée plutôt que crevassée.

Les bourgeons (en hiver), bruns avec le bord des écailles un peu poilu, diffèrent légèrement en forme : ils sont plus étroits et plus pointus chez le sessile versus plus larges et plus arrondis chez le pédonculé. Par contre, chez les deux, les bourgeons terminaux (au bout des rameaux, ceux qui assurent la croissance au printemps suivant) sont entourés de nombreux bourgeons axillaires agglomérés, très serrés. Ceci est un caractère général chez les chênes.

Dans de nombreux guides de terrain, on présente la silhouette des chênes comme un critère distinctif. Ceci prête à sourire et relève d’une approche essentialiste qui ne tient pas compte de la variabilité naturelle et de l’extrême plasticité de la plupart des arbres d’ailleurs. Comme les chênes ont depuis toujours attiré les convoitises humaines, ils ont été l’objet (et continuent à outrance) d’interventions humaines les plus variées, intentionnelles ou pas ; citons par exemple la pratique la plus « transformatrice »de silhouette, celle de la taille en têtard. Si on ajoute les variations liées aux aléas naturels qui s’accumulent chez ces arbres à grande longévité, celles liées à la nature des sols, aux changements d’environnement autour, … on a en fait des centaines de silhouettes possibles.

Tout au plus, peut-on donner des tendances générales : le chêne sessile tend à avoir un houppier ample mais assez clair sans les grosses branches tourmentées fréquentes chez le pédonculé ; le tronc a tendance à monter jusqu’à la cime alors que chez le pédonculé il se divise souvent à partir du milieu en très grosses branches. Mais insistons bien : ce ne sont que des tendances schématiques. Ainsi des chênes sessiles qui croissent dans des stations rocheuses sèches (çà existe) adoptent un port torturé sans aucune ressemblance avec le port altier et longiligne des chênes sessiles des futaies gérées en plaine. 

Sessilitude

Pour clore cette comparaison, nous allons présenter successivement les exigences écologiques de l’un et de l’autre. Là aussi, comme pour la silhouette, il y a beaucoup de moyennes ou de tendances générales vu l’adaptabilité des deux espèces.

Les deux espèces peuvent se trouver pratiquement partout en France de 0 à 1800m.

Commençons donc par le chêne sessile. Il est le moins répandu des deux, nettement plus dispersé sur l’ensemble du territoire. Comme il préfère plutôt les sols siliceux (voir ci-dessous), il est plus fréquent dans de telles régions (massifs montagneux aux bas étages) et plus rare dans les régions calcaires (Ouest et Sud).

Au niveau des sols, il affectionne volontiers des stations plus ou moins rocheuses ou caillouteuses d’où son épithète latine de petraea (petra = pierre). On le qualifie souvent de silicicole acidophile (aimant la silice et les sols acides) mais pour autant il est capable de peupler des milieux à pH allant de 3,5 (acide) à … 9 (au-delà de neutre !). Il tolère mieux les sols pauvres que le pédonculé et son optimum se trouve sur des sols filtrants, à humus épais.

Si tous les deux demandent de la lumière, notamment au stade jeune, le sessile se montre un peu moins héliophile (aimant la lumière) et plus proche d’une essence de demi-ombre.

La divergence écologique avec le pédonculé s’exprime surtout au niveau de son rapport à l’eau. Il peut coloniser des milieux allant de très secs (notamment des sites rocheux) à un peu humides. De ce fait, il fuit les fonds de vallées mais pousse plutôt sur les pentes ou les sommets de collines. Globalement, il tolère bien mieux les sécheresses que son homologue, une différence devenue criante avec la crise climatique en cours là où ils se côtoient.

Ces deux chênes ont un comportement de post-pionniers (arrivant après les vrais pionniers que sont les pins et bouleaux), notamment via la dispersion de leurs glands par des animaux (dont les geais ) qui peut se faire à grande distance. Mais le chêne sessile tend plutôt à s’installer en fin de succession végétale (recolonisation forestière après une coupe ou abandon des cultures : voir le réensauvagement).

Pédonculitude

Le chêne pédonculé arrive largement en tête de toutes les espèces de chênes du pays car il peuple aussi bien des milieux forestiers que des environnements ouverts. Il reste très rare en région méditerranéenne (voir ci-dessous son rapport à l’eau).

Il se montre très nettement héliophile ce qui recoupe la remarque ci-dessus sur sa capacité à s’installer dans des friches, des prés abandonnés, … Il est le chêne caractéristique des haies et des paysages bocagers où, justement, il profite à plein de la lumière. Là, près des cultures ou de l’élevage, il profite en plus des apports supplémentaires en nutriments dont il est gourmand.

Son appareil racinaire lui permet de supporter des sols renfermant un excès d’eau et de tolérer des épisodes d’inondations. Il affectionne ainsi les sols profonds bien alimentés en eau allant jusqu’à des sols gorgés d’eau sur des substrats imperméables ; le sessile ne supporte absolument pas ce genre de situation ! De ce fait, le pédonculé est le chêne typique des forêts des terrasses alluviales en bordure des fleuves et des forêts humides.

Le revers de cette « hygrophilie » est sa fragilité par rapport au manque d’eau : il craint les fortes sécheresses estivales. Il se montre très sensible au processus d’embolie et de cavitation qui interrompt définitivement la circulation de la sève. Depuis les grandes sécheresses de 1991 et 1996, le chêne pédonculé connaît ainsi un certain déclin dans de nombreuses régions et la situation s’aggrave au fil des décennies.

Enfin, il se comporte encore plus en pionnier que le sessile dans les milieux ouverts ; dans les zones humides, il arrive en fin de succession et un peu en marge de l’eau libre, pas les pieds dans l’eau comem saules et peupliers.

Pilositude

Comme annoncé ci-dessus, le chêne sessile n’est pas le seul chêne à feuilles caduques produisant des glands sessiles. Deux autres espèces assez communes partagent ce caractère du sessile : le chêne pubescent et le chêne tauzin.

Tous les deux se distinguent du sessile (et du pédonculé en l’absence de glands) par leurs jeunes rameaux et la face inférieure des feuilles couverts de poils étoilés plus ou moins denses qui persistent, au moins en partie, toute la saison.

Le chêne tauzin est une espèce assez rare en France limitée à la région Centre (Sologne, vallée de la Seine par exemple) et au Sud-Ouest au sens large. Ses feuilles assez grandes (souvent plus de 12 cm de long) sont velues sur les deux faces : c’est le seul chêne à avoir le dessus des feuilles velouté poilu. Il a en plus la particularité de drageonner, i.e. de faire des rejets depuis ses racines. Son feuillage démarre très tard en saison.

Le chêne pubescent est bien plus commun ; c’est le chêne truffier des régions méridionales encore surnommé chêne noir à cause de son tronc (souvent tortueux) à l’écorce très noire. Le dessous des feuilles est nettement pubescent, surtout à l’état jeune et conserve une part de cette pilosité au stade mature. Il affectionne les sites chauds, ensoleillés, et rocheux ; plus on va vers le nord, plus il se cantonne sur le calcaire mais au sud, il peuple tout autant les roches granitiques et métamorphiques.

La réalité du terrain s’avère pourtant plus complexe car le chêne pubescent s’hybride assez facilement avec le chêne sessile qui tend à habiter les mêmes milieux rocheux. Ainsi, certains chênes sessiles possèdent sous leurs feuilles jeunes des poils étoilés épars mais qui ne persistent pas ensuite ; c’est le signe d’une introgression, i.e. d’une hybridation partielle entre ces deux espèces.

Ajoutons que de la même manière, nos deux compères, le sessile et le pédonculé, s’hybrident joyeusement et assez facilement ; ainsi, par exemple certaines populations de pédonculés ont des feuilles avec un court pétiole, …

Chênitude …

Terminons ce parcours par un passage du côté des noms. Sessile et pédonculé sont les noms « scientifiques » officiels des deux chênes. Vous vous doutez bien qu’autrefois on ne les nommait certainement pas ainsi !

Les Anciens savaient très bien faire la distinction de ces deux espèces en dépit de leur proximité. Ainsi, à la campagne, le chêne sessile était le chêne mâle, tandis que le pédonculé était le chêne femelle, sans doute en lien avec leur silhouette différente ?

Parmi les noms locaux, le sessile a été nommé drille, drillard ou durelin tandis que le pédonculé était le gravelin.

Chêne lui-même s’écrivait jusqu’au 17ème chesne ; plus en amont (11ème), c’était chasne, dérivé du latin cassanus, repris dans le châtaignier (Castanea). Chasne a été croisé avec le frêne (fraisne) ce qui a donné chaisne puis chesne. A la campagne, on trouve ainsi châgne ou chassagne.

Reste un adjectif énigmatique de prime abord : rouvre que l’on a accolé officiellement au chêne sessile comme chêne rouvre. Les linguistes supposent qu’au haut Moyen-âge, on distinguait effectivement ces deux chênes : le sessile était robur (rouvre) et le pédonculé cassanus. Il est possible que le choix de cassanus (dérivé donc de châtaigne) ait à voir avec la silhouette massive des chênes pédonculés de bocage qui rappelle souvent celle des châtaigniers en plein champ ?

En latin robur qui désignait aussi le bois du chêne signifie sur, solide mais aussi force, cœur, noyau. On le retrouve dans divers toponymes come rouvre dans le Loiret ou Roveroit dans le Pas-de-Calais. Rouvre est resté longtemps cantonné en pays d’oc et adonné de nombreux surnoms locaux de ces chênes comme Rore, Rovere, Roure, Rove ou Roire.

Bibliographie

Flora Gallica Flore de France. J.M. Tison et B. de Foucault. Ed. Biotope 2014

Flore forestière française. J.C. Rameau et al. IDF. 2008

Quercus robur and Quercus petraea in Europe: distribution, habitat, usage and threats. Eaton, E., et al.  2016. In: European Atlas of Forest Tree Species.

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