Quercus

06/09/2023 Cette chronique m’a été inspirée par la découverte heureuse d’un superbe livre de photos intitulé « L’arbre sur la Terre ; les 36 vues d’un chêne ». L’auteur, Alain Benoît à la Guillaume, apiculteur et organisateur du Festival annuel des Insectes de Viscomtat (63), a photographié un chêne particulier (le chêne du Vernet), dans un champ près de chez lui, au fil des saisons, sous tous les angles, de près, de loin, … Il a réussi ainsi à faire de cet être singulier un vrai personnage qui nous parle et nous raconte des tas d’histoires … naturelles.

Ce regard d’artiste aiguisé m’a fait saisir que j’avais un peu négligé les chênes dans les champs au point de ne plus y prêter guère attention. Il faut dire qu’étant originaire du Boischaut berrichon, région bocagère riche en vieux chênes, ils ont accompagné toute mon enfance et adolescence… au point de les considérer comme très banals. Inspiré par la démarche d’Alain, j’ai donc décidé de me recentrer sur ces êtres fabuleux en prenant le temps de les observer de très près chaque fois que les croise désormais. Dans la foulée, j’ai commencé à me documenter en profondeur sur leur vie. Je vais donc publier une série de chroniques pour partager mes découvertes. La présentation du cycle de vie va donc inaugurer ici cette série de rentrée sur les chênes.

Chatons mâles

Les chênes (genre Quercus) font partie de la famille des Fagacées (avec les hêtres et les châtaigniers) au sein de l’immense groupe des Plantes à fleurs ou Angiospermes. Le cycle de reproduction commence donc comme chez toutes ces plantes par les fleurs.

Tous les chênes sont monoïques, i.e. que chaque individu produit des fleurs mâles et femelles séparées sur le même arbre. Les fleurs mâles, très simplifiées, sont regroupées en grappes allongées : des chatons pendants. Ils apparaissent aux extrémités des rameaux à partir de bourgeons dits mixtes (feuilles et fleurs), à la base des pousses de l’année, au niveau des cicatrices des feuilles de l’année précédente. Dès la fin de l’hiver, ces bourgeons commencent à gonfler et le pollen se développe à l’intérieur des étamines des fleurs mâles en formation.

La floraison a lieu alors que les feuilles autour sortent à peine ce qui limite leur interférence avec la propagation du pollen. Chez le chêne sessile par exemple, la floraison a lieu entre fin avril et mi-mai, ce qui permet, en principe, aux fragiles chatons d’échapper aux gelées printanières.

L’éclosion de ces bourgeons libère les chatons, groupés en paquets. Chaque chaton est un pédoncule qui s’allonge et sur lequel s’insèrent de nombreuses fleurs mâles élémentaires. Chacune d’elles renferme plusieurs étamines qui, à maturité, se déploient et exposent leurs anthères chargées de grains de pollen : ainsi les chatons prennent une belle teinte jaune assez vif. A la base de chaque fleur on trouve un périanthe très réduit composé de quelques écailles fines (4 à 8), reliées entre elles.

La pollinisation se fait essentiellement par le vent (anémophilie) qui secoue les étamines saillantes sur les chatons pendants bien exposés. On observe des variations interannuelles dans la chronologie de la libération du pollen, lesquelles peuvent déterminer en retour la réussite ou pas des fécondations et donc la production ultérieure de glands.

Cependant, chez certaines espèces dont les fleurs produisent un peu de nectar, les abeilles domestiques peuvent les visiter et participer aussi à la pollinisation (entomophilie). Le pollen est exploité par une espèce d’abeille solitaire, rare et localisée, qui s’en nourrit presque exclusivement : l’andrène féroce.

Les chatons mâles sont consommés par les écureuils et de nombreux insectes dont les chenilles de deux papillons spécialisés : un diurne, le thécla du chêne et un nocturne, la fiancée. Ils peuvent aussi, comme les feuilles, être parasités par des insectes gallicoles comme les Cynips (voir la chronique sur la galle-lentille).  

Fleurs femelles

Si les chatons mâles s’observent très facilement même de loin alors qu’ils sont souvent en hauteur sur l’arbre, les fleurs femelles demandent un examen rapproché tant elles sont petites. Elles naissent depuis des bourgeons situés à l’aisselle d’une feuille sur les rameaux de l’année. Elles se trouvent sur les mêmes branches qui portent les chatons mâles : les sexes sont seulement « un peu » séparés.

Solitaire, chaque fleur femelle, souvent rougeâtre, est enchâssée dans un involucre fait de nombreuses petites feuilles transformées ou bractées , partiellement soudées et imbriquées. La fleur est portée sur un court pédoncule. Au centre, se trouve le pistil avec un ovaire à trois loges, renfermant chacune deux ovules, soit six ovules au total initialement.  Il est surmonté d’un cercle de six sépales verdâtres (périanthe) soudés qui entoure trois styles courts terminés chacun par un stigmate. Leur nombre trahit ainsi la structure triple de l’ovaire qui, extérieurement, est d’un seul bloc.

Les grains de pollen, donc transportés par le vent, sont captés au passage par les stigmates déployés collants. Les conditions météorologiques au moment de cet épisode crucial sont donc déterminantes sur le succès relatif de la reproduction des fleurs femelles.

Chaque grain de pollen capté germe en émettant un tube pollinique qui pénètre dans le style et va féconder l’ovule dans l’ovaire. Le premier tube pollinique qui atteint un ovule sera le plus souvent le seul à le féconder ; les cinq autres ovules dégénèrent dans la foulée si bien qu’au final chaque fleur femelle fécondée ne renferme qu’un seul ovule fécondé, la future graine.

Comme chez les autres plantes à fleurs, chaque grain de pollen envoie deux noyaux fécondants : un vers le noyau de l’ovule et l’autre qui s’unit à deux autres cellules et donne naissance par multiplication cellulaire à un tissu nourricier, chargé de réserves nutritives, l’endosperme.

Gland

Glands de chêne pédonculé

Après fécondation, la fleur femelle se transforme en un fruit sec ultra-connu, un gland. Selon les espèces, chaque gland est porté (gland pédonculé) ou pas (gland sessile) par un pédoncule plus ou moins long.

Le gland est emboîté dans une cupule dure, faite d’écailles imbriquées entièrement soudées, issue (en partie ?) de la transformation de l’involucre.

Cette cupule recouvre la base du gland sur une longueur plus ou moins grande de même que sa structure et sa forme varient aussi selon les espèces. A maturité, quand le gland a viré du vert au brun, il se détache de la cupule au fond de laquelle il était relié. En général, les glands bruns mûrs qui restent accrochés aux cupules sur l’arbre sont des glands « véreux » parasités par exemple par les larves des balanins des chênes, de superbes petits charançons. Si elle protège physiquement le gland, la cupule pourrait aussi participer à sa défense chimique en entretenant un gradient de substances chimiques répulsives dans le gland.

La paroi de l’ovaire de la fleur s’est durcie et forme comme une coque qui délimite le fruit (péricarpe). Celui-ci renferme donc une seule graine (voir ci-dessus) qui remplit complètement le fruit. Botaniquement, le gland est donc un fruit sec, qui ne s’ouvre pas à maturité (indéhiscent), à une seule graine soudée intérieurement à la paroi du fruit : un akène.

A l’intérieur de la graine, dans le gland, la fécondation du noyau de l’ovule donne naissance à un embryon assez grand et droit : placé vers la pointe du gland opposée à la cupule, il possède déjà une radicule, une mini-tige (hypocotyle) et deux cotylédons charnus qui occupent l’essentiel du volume. On voit donc que les chênes investissent toute leur énergie dans la production d’une seule graine avec de fortes réserves nutritives.

A noter que comme les chatons, les glands peuvent être parasités par des Cynips gallicoles : Andricus quercuscalicis provoque la formation de grosses galles spectaculaires sur les cupules des glands des chênes sessile, pédonculé et pubescent.

Ils servent par ailleurs de nourriture de base à plus d’une trentaine de mammifères en Europe tempérée : cerfs, sangliers, blaireaux, écureuils, mulots, … et divers oiseaux dont les geais, corbeaux freux, pics épeiches, sitelles.

Germination

Les glands arrivent au sol soit par chute directe soit transportés puis cachés par des animaux : leur dispersion constitue à elle seule une très longue histoire riche d’interactions complexes avec diverses espèces animales. Nous l’avons déjà évoquée dans la chronique Le geai des chênes : l’oiseau qui plante des arbres. Mais, ce processus de dispersion comporte de nombreuses autres facettes avec d’autres acteurs comme les écureuils, les mulots, …

Le péricarpe dur protège la grosse graine qu’il enveloppe. Au cours de l’hiver, l’humidité finit par l’imprégner et le traverse, rendant alors la germination possible. Elle commence par l’émergence de la radicule à la pointe du gland (là où se trouve l’embryon : voir ci-dessus). Elle s’allonge rapidement et s’enfonce dans le sol où elle est vite capable d’extraire eau et nutriments minéraux. Cette élongation express est permise par l’intense transfert d’énergie depuis les deux gros cotylédons gorgés de réserves. Elle permet au gland en germination de devenir autonome quant à l’alimentation en eau et d’éviter ainsi les risques de sécheresse au sol.

Les cotylédons, fixés à la jonction entre la mini-tige et les futures premières feuilles (épicotyle) restent dans la coque du péricarpe, dans le sol tandis que l’épicotyle s’allonge, émerge et déploie au-dessus du sol les premières feuilles. Aussitôt fonctionnelles, celles-ci commencent à photosynthétiser assurant désormais la nutrition de toute la plantule.

Contrairement à une idée reçue tenace, les importantes réserves dans les cotylédons ne serviraient pas spécialement à alimenter la croissance de la jeune plante pendant sa première année de vie. Ils n’interviendraient qu’au tout début, jusqu’à la sortie des feuilles. En fait, il semble que ces réserves conséquentes dans les glands soient des adaptations pour résister à des attaques partielles de prédateurs (rongeurs qui grignotent le gland prêt à germer) ou pour renforcer l’attraction vis-à-vis des agents disperseurs évoqués ci-dessus.

Plantules de l’année

Petit chêne …

Semis naturel de chênes pédonculés

Si la très jeune plantule réussit à survivre quelques années, elle va atteindre le stade de baliveau, jeune arbre avec une tige ligneuse et un début de ramification. La probabilité de mortalité baisse considérablement à partir de ce stade.

Le temps nécessaire avant qu’un jeune chêne atteigne l’âge de maturité sexuelle varie considérablement selon les espèces mais reste toujours au minimum d’une bonne quinzaine à une vingtaine d’années. Les conditions de milieu (notamment la lumière) influent énormément aussi sur cette capacité à produire à nouveau des glands et ainsi boucler le cycle de vie.

L’arbre sur la Terre. Les 36 vues d’un chêne. Alain Benoît à la Guillaume. Éditions La cité de l’Abeille

Ce livre fait suite au livre « Le paysan magnifique » paru en 2020. Il ne s’agit plus d’un paysan, mais d’un arbre paysan, autour duquel je tourne depuis quelques années.Il est situé à 25 encablures de la cité de l’abeille et j’ai aimé faire son portrait, un peu, beaucoup, passionnément… Tout comme pour Le paysan magnifique, les textes sont de Mariette Mercier et la préface de Marie-Hélène Lafon, …. Le format est de 22 cm x 22 cm, 120 pages et 59 photographies N & B, livrets cousus et couverture cartonnée. Son prix est de 24€, mais pour faire travailler nos facteurs, vous pouvez aussi le commander contre un chèque de 32€ à l’ordre de Alain Benoit.

Bibliographie

Oak seed dispersal. M. A. Steele. J. Hopkins University Press. 2021