Gleditsia

Le févier d’Amérique est la seule espèce communément cultivée en Europe de ce genre d’arbres de la famille des Légumineuses. Les fruits du févier d’Amérique, ces grandes gousses sombres en forme de saucisses plates, présentent des traits qui plaident pour une dispersion originelle des graines par de très grands mammifères disparus récemment en Amérique du nord (mastodontes, paresseux géants et autres) : c’est le syndrome de dispersion par la mégafaune ; de ce fait, on peut parler à leur égard d’anachronisme de dispersion. Tous ces aspects et les arguments scientifiques qui plaident en faveur de cette hypothèse ont été développés dans une autre chronique. La structure des fruits ainsi que leur formation ont fait l’objet d’une troisième chronique.

Pour mieux saisir comment a pu s’instaurer une telle interaction entre cet arbre et ces mégamammifères, il faut examiner l’histoire du genre tout entier et analyser les contextes géographiques et écologiques dans lesquels, au cours du temps, ont pu se mettre en place de telles relations.

Un genre homogène

Les treize espèces du genre Févier (Gleditisia) forment un groupe très homogène au niveau du feuillage caduque composé très aéré, des fleurs réduites et regroupées en grappes et des fruits en gousses aplaties allongées plus ou moins grandes ; ils partagent aussi pour la plupart la présence d’épines à la fois sur les jeunes branches mais aussi en bouquets ramifiés sur le tronc, ce qui constitue un caractère original très facile à repérer.

La majorité des espèces (10 sur 13) se trouve en Asie orientale et méridionale avec une espèce très isolée au sud de la mer Caspienne (G. caspica) et une autre très peu connue et presque éteinte au nord-est de l’Inde (G. assamica). Dans cet ensemble asiatique, on trouve des espèces un peu originales comme le févier du père Delavay (G. delavayi) du sud-ouest de la Chine avec ses énormes gousses atteignant 70cm de long, contenant de 35 à 40 graines chacune et son inflorescence avec des axes ligneux durcis.  Puis viennent les deux espèces nord-américaines, le févier d’Amérique déjà mentionné et le févier des marais (G. aquatica) et une espèce isolée mais très commune dans le centre-est de l’Amérique du sud, l’épine du Christ (G. amorphoides).

Deux études à partir de marqueurs génétiques différents (1 et 2) permettent de dégager un arbre de parentés consensuel (avec 11 espèces).

Le genre Févier partage un ancêtre commun avec les deux espèces de chicots (Gymnocladus) et, ensemble avec les caroubiers par exemple, ils forment le sous-groupe des Caesalpinioidés au sein des Légumineuses. Ces deux genres seraient apparus au cours de l’Eocène soit entre – 55 et – 35 millions d’années (Ma). Le registre fossile des féviers reste assez faible et les premiers fossiles que l’on peut leur rattacher sans ambiguïté remontent à l’Oligocène entre – 35 et – 25 Ma. La diversification du genre se manifeste surtout du Miocène au Pliocène (de – 23 à – 5 Ma) alors que l’autre genre (Chicot) est resté très peu diversifié. Tout indique que le genre Févier est apparu en Asie orientale à partir d’un ancêtre proche du févier japonais actuel (G. japonica).

L’arbre de parentés apporte des éléments intéressants à propos des féviers non asiatiques.

Le févier qui a traversé le Pacifique

La position du févier épine du Christ, tout seul en Amérique du sud, reste ambiguë car selon les marqueurs génétiques sélectionnés, on n’obtient pas les mêmes résultats. Sur l’arbre proposé, il apparaît en position basale, comme le plus divergent (donc le plus ancien) tout en étant parent avec les groupes asiatiques ; dans l’autre scénario, il aurait divergé plus récemment. L’hypothèse la plus probable serait une colonisation de l’Amérique du sud depuis l’Asie orientale en traversant le Pacifique à la faveur d’un événement unique de dispersion à longue distance (du type « sur un radeau flottant »). L’Amérique du sud était alors une gigantesque île et on connaît d’autres exemples de colonisation transocéanique comme celle des singes américains venus d’Afrique. (Pour en savoir plus, voir d’une part la chronique sur la mégafaune d’Amérique du sud et d’autre part le dossier sur l’histoire de l’Amérique du sud : Ouvrages en bas de chronique).

Ce févier se démarque par ses remarquables épines très abondantes et ramifiées pouvant atteindre plus de 10 cm de long et ses grosses gousses trapues nutritives. De telles épines sur le tronc sont interprétées comme une défense envers les mégamammifères attirés par les fruits charnus dont ils dispersaient les graines (voir la chronique sur le févier d’Amérique et ses fruits anachroniques). Or, l’Amérique du sud a connu une mégafaune particulièrement diversifiée (voir chronique) : tout porte donc à penser qu’il y a eu ici aussi une coévolution févier/mégamammifères qui persiste depuis la disparition de ces derniers.

Evoluer en compagnie de géants

L’arbre de parentés indique sans ambiguïté une origine asiatique des deux espèces nord-américaines. La migration depuis l’Asie orientale aurait eu lieu entre – 20 et – 15 Ma via le détroit de Bering qui a fonctionné à plusieurs reprises comme pont terrestre à la faveur de baisse du niveau des mers. On exclut la voie via l’Europe car on n’y trouve pas de fossiles de féviers et, à cette époque, il n’y avait pas de pont continental entre Europe et Amérique du nord.

Or, entre – 20 Ma et – 10 000ans, l’Amérique du nord a connu une succession de mégafaunes avec des radiations évolutives remarquables de grands mammifères ongulés ; citons parmi les plus spectaculaires : des lignées de rhinocéros (la plupart sans cornes) ; les brontothères, proches des rhinocéros et des tapirs, avec des dizaines de genres dont certains dépassant les deux mètres de long ; les proboscidiens avec les mastodontes et les mammouths ; les chevaux qui y ont connu leur apogée avant de disparaître entièrement ; ou des camélidés comme Aepycamelus avec un cou de girafe … capable d’atteindre les branches des arbres. Bref, la lignée du févier d’Amérique a bien évolué dans un contexte faunistique marqué par la présence de très grands herbivores, amateurs de fruits nutritifs dont ils devaient disperser les graines !

Un proche cousin très divergent

L’arbre de parentés pointe aussi la proximité entre les deux espèces nord-américaines, confirmée par leur propension à s’hybrider là où elles coexistent. Le févier des marais aurait divergé très récemment (à l’échelle géologique) du févier d’Amérique au cours du Pliocène (moins de 5 Ma). Il se démarque par sa répartition (nettement méridionale), son habitat (forêts franchement marécageuses) mais surtout par des fruits très différents : ses gousses courtes et petites ne contiennent que 1 à 3 graines ovales de 9 à 11 mm de long, à tégument mince et fragile ; les gousses ont elles-mêmes une paroi claire, fine et ne contiennent pas de pulpe. Autrement dit, l’antithèse du syndrome de la mégafaune (voir chronique sur le févier d’Amérique) ce que les tenants de l’hypothèse des fruits anachroniques (3) interprètent comme une évolution guidée par la disparition progressive des mégamammifères ! Le févier des marécages aurait connu une évolution régressive (devolution en anglo-saxon) dans un contexte de défaunation.

Mais ceci ne clôt pas la polémique puisque d’autres chercheurs disent qu’il ne s’agit que d’une adaptation à un milieu très aquatique avec le développement de traits propices à un transport par l’eau !!! Il est décidément très dur (mais c’est somme toute rassurant !) d’être affirmatif quant aux scénarios évolutifs réels !

BIBLIOGRAPHIE

  1. CLADISTIC BIOGEOGRAPHY OF GLEDITSIA (LEGUMINOSAE) BASED ON NDHF AND RPL16 CHLOROPLAST GENE SEQUENCES. A. SCHNABEL ; J. F. WENDEL. American Journal of Botany 85(12): 1753–1765. 1998.
  2. PHYLOGENETIC RELATIONSHIPS IN GLEDITSIA (LEGUMINOSAE) BASED ON ITS SEQUENCES. A. SCHNABEL, P. E. MCDONEL ; J. F. WENDEL. American Journal of Botany 90(2): 310–320. 2003.
  3. The ghosts of evolution. Non sensical fruit, missing partners, and other ecological anchronisms. C. Barlow. Basic Books. 2000.

ILLUSTRATIONS (dessins fossiles reconstitués) A history of land mammals in the western hemisphere, by William B. Scott … illustrated by Bruce Horsfall. New York,The MacMillan Company,1913. Copyright Status: Public domain. The BHL considers that this work is no longer under copyright protection

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la mégafaune d'Amérique du nord
Page(s) : 444-454 Guide critique de l’évolution
Retrouvez la mégafaune d'Amérique du sud
Page(s) : 488-500 Guide critique de l’évolution
Retrouvez le févier d'Amérique
Page(s) : 144-145 Guide des fruits sauvages : Fruits secs