Gleditsia triacanthos

Le févier, originaire de l’Est des U.S.A., connaît un usage croissant comme arbre d’ornement ou d’ombrage jusque sur les parkings des supermarchés ; on le connaît le plus souvent soit pour ses épines remarquables (pour les variétés qui en ont conservé car beaucoup de cultivars sont inermes !), soit pour son feuillage composé très aéré (avec des cultivars jaune d’or) ou pour ses énormes fruits, de longues gousses plates brun sombre qui lui valent le surnom d’arbre à saucisses ou d’arbre à escargots (car elles ont souvent une forme un peu spiralée). Par contre, peu de gens remarquent la floraison discrète en fin de printemps, à partir de juin, après la poussée du feuillage.

Pères et mères séparés

A l’état sauvage, le févier d’Amérique est une espèce à sexes séparés avec des arbres pères à fleurs mâles ne produisant que du pollen (fleurs staminées) et des arbres mères à fleurs femelles avec un pistil fonctionnel contenant des ovules ; seuls les arbres mères produisent donc des fruits abritant des graines issues de la fécondation des ovules par les grains de pollen. Cependant, une petite proportion d’individus pères présentent aussi des fleurs bisexuées (hermaphrodites). C’est pourquoi on classe le févier parmi les espèces subdioïques (presque dioïques). Cette séparation des sexes offre la possibilité de suivre séparément le rôle des deux sexes dans le succès reproductif de cette espèce via la production de fruits et de graines.

Une floraison discrète

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Le févier fait partie de l’immense famille des Fabacées ou Légumineuses mais se positionne dans un sous-groupe particulier dit des Caesalpinioïdées avec d’autres arbres tels que le chicot du Canada ; leurs fleurs ne présentent pas l’aspect papilionacé associé à la majorité des membres du reste de la famille (voir chronique sur le pois vivace).

Les fleurs, verdâtres puis un peu crèmes, assez réduites, se présentent en grappes cylindriques, denses et un peu dressées qui apparaissent à l’aisselle des feuilles sur les rameaux d’au moins un an, solitaires ou par deux ou trois. Les mâles comme les femelles possèdent un calice réduit à 5 lobes et 4 à 5 pétales ovales courts.

Les grappes mâles ressemblent à des chatons de saule de 5 à 13cm de long, velus et comportant de nombreuses fleurs très serrées avec chacune jusqu’à dix étamines et un pistil rudimentaire ou absent.

Les grappes femelles comptent nettement moins de fleurs et ont de ce fait un aspect plus grêle, moins cylindrique et plus court ; très vite, on voit se développer le pistil velu qui prend une forme de petit haricot (la future gousse).

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Fleurs femelles fécondées.

Cette floraison discrète en couleur n’en attire pas moins toutes sortes d’insectes notamment via le parfum dégagé et aussi à cause de la facilité d’accès à ces fleurs assez ouvertes, ne nécessitant pas de traitement particulier pour accéder au nectar contrairement à leurs cousines papilionacées (voir la chronique sur le pois vivace et le xylocope). Elles sont visitées par des abeilles et des papillons diurnes ou nocturnes, pendant la brève période de floraison.

Des pères prodigues

Aux U.S.A., le févier se rencontre plutôt en arbres isolés au bord des cours d’eau ou en bosquets (grâce à son pouvoir de multiplication végétative par drageons souterrains) isolés les uns des autres mais pas en peuplements étendus et continus comme les chênes chez nous. La comparaison des marqueurs génétiques entre des populations sauvages isolées montre que celles qui sont séparées par une dizaine de kilomètres environ présentent de fortes similitudes alors que les populations plus éloignées (d’une centaine de kilomètres) présentent des différences génétiques plus marquées. En fait, 20 à 30% des graines produites chaque année par les arbres mères d’une population donnée résultent d’une fécondation par du pollen issu d’arbres pères non présents dans la population mais situés à plusieurs kilomètres de là. Ceci indique une circulation du pollen (un flux de pollen) à grande échelle, capable de se déplacer sur des zones de plus de cent hectares. Habituellement, un tel mode de reproduction signe des espèces anémophiles, i.e. au pollen transporté par le vent à grande distance. Or, nous avons vu que le févier était une espèce entomophile visitée par des insectes nombreux et variés. C’est sans doute ce caractère généraliste, très ouvert à tous types de pollinisateurs, qui explique cette capacité de circulation du pollen (voir la chronique sur la pollinisation du cormier qui relève du même processus) ainsi que l’abondance de fleurs mâles.

Des mères « tout ou rien »

Normalement, les féviers mères commencent à fructifier à partir de l’âge de dix ans mais, en situation naturelle, de nombreux arbres mères de plus de dix ans ne se reproduisent pas ou très peu. En fait, dans une population donnée, chaque année, seuls quelques individus (moins de la moitié des présents) se reproduisent vraiment même si tous font un minimum de fleurs pistillées et produisent quelques fruits. Ainsi dans une étude menée sur deux populations séparées au Kansas, 3 arbres mères ont produit près de 60 % des jeunes arbres nés l’année suivante alors que la moitié des arbres n’en ont produit que 1% ! Chaque arbre mère pris individuellement ne se reproduit en fait en moyenne qu’une fois tous les deux ou trois ans. La descendance pour une année ne provient donc que de quelques individus ce qui en terme d’adaptabilité peut poser des problèmes du fait d’un manque de diversité. Ceci explique qu’à l’échelle de la population, les individus diffèrent relativement peu entre eux au niveau génétique, malgré le flux de pollen venu de l’extérieur. Autrement dit, à moyen terme, cela peut conduire à la mise en place d’ilots avec un fort taux de consanguinité et donc plus sujets à des disparitions en cas de changements environnementaux.

BIBLIOGRAPHIE

Understanding the population genetic structure of Gleditsia triacanthos L.: seed dispersal and variation in female reproductive success. A. SCHNABEL, J. D. NASON, and J. L. HAMRICK. Molecular Ecology (1998) 7, 819–832

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le févier d'Amérique
Page(s) : 144-145 Guide des fruits sauvages : Fruits secs
Retrouvez le févier d'Amérique
Page(s) : 40 Le guide de la nature en ville