Cette chronique rapporte quelques aspects de la biodiversité observée lors d’une mini-balade sur un espace naturel accessible au grand public ; il ne s’agit que d’un instantané très partiel pour une date donnée avec des informations complémentaires sur le site. Vous pouvez retrouver l’ensemble de ces chroniques-balades à la lettre Z, rubrique Zoom-balade. 

Montée au sommet du Puy Loup (1481m) depuis le parking de la Banne d’Ordanche en passant par le col de Saint Laurent et par la Borne des quatre seigneurs ; 12 septembre 2019 13H30-16H. 

Le sommet de la Banne d’Ordanche depuis le point de départ ; noter au premier plan le pâturage à moutons envahi de touffes de nard

Nous sommes sur la bordure ouest du massif du Sancy avec la Banne d’Ordanche, ce neck volcanique de trachyandésite (roche gris clair) apparu il y a environ 2 millions d’années, qui domine le paysage de ses 1512m avec ses éboulis chaotiques. Mais, notre but n’est pas ce haut-lieu touristique où convergent presque tous les randonneurs : hier,  nous avons appris, Jacques un ami photographe et moi, que des pluviers guignards (voir ci-dessous), une espèce rare de passage, avaient été observés non loin de là, près d’un point de repère historique, la borne des Quatre Seigneurs. Notre objectif serait donc de rencontrer ces fameux pluviers guignards : pour ma part, cela fait près de … 45 ans que je n’ai pas revu cette espèce depuis une observation sur les hauteurs de Kariganiesmi en … pleine Laponie finlandaise ! Néanmoins, comme d’habitude, l’objectif (naturaliste et … photographique) ne se limite pas à ce seul but aléatoire mais concerne bien toute la biodiversité des lieux.  

Sécheresse automnale 

Ce début d’automne s’inscrit dans un contexte de grande sécheresse qui persiste depuis l’hiver dernier et marque profondément le paysage même si, ici, compte tenu de l’altitude et des épisodes orageux de cet été, les morsures terribles de celle-ci restent un peu atténuées. Elle marque néanmoins de son étau tous les espaces herbeux qui s’étendent à perte de vue : nous sommes à 100% dans un paysage d’estives « paillassons » à perte de vue, sans aucun arbre à l’horizon proche, où les troupeaux ont rasé toutes les fleurs. Les bords du large sentier qui monte depuis le parking vont d’ailleurs vite prendre à nos yeux l’apparence d’une oasis fleurie, abritée de la dent des bovins et ovins (voir ci-dessous). Au départ, de grosses touffes de matricaire inodore ourlent les bords du sentier et attirent une foule de mouches de toutes sortes et quelques papillons.

Deux fleurs typiques de la fin de l’été et du début de l’automne nous accueillent un peu plus haut : les pompons cylindriques rouge sang de la sanguisorbe officinale et les boutons bleu-mauve de la succise des prés : une note fleurie bienvenue ! La succise confirme sa réputation de bonne pourvoyeuse de nectar (voir la chronique sur cette espèce) si on en juge par l’abondance des visiteurs : des mouches surtout de la famille des syrphes et des petits bourdons ; un probable petit collier argenté, une espèce montagnarde liée aux landes et tourbières circule autour de cette oasis bleue. Ces fleurs ne peinent pas à attirer les clients tant, hors des bas côtés, c’est le désert floristique !

Quelques rares solidages verges d’or achèvent leur floraison dorée avec une guêpe proche des ammophiles comme visiteur mais la majorité sont déjà toutes cotonneuses de leurs fruits ; pour les serratules des teinturiers, la saison est carrément terminée et le feuillage dentelé commence à passer. Même dans les pires conditions, le botaniste trouve toujours de quoi s’occuper ! 

Poil de chien

A droite en montant, du côté de la Banne d’Ordanche, les pâturages frappent par leur aspect tondu à ras, comme écorchés, sauf d’innombrables touffes d’herbes fines qui donnent un paysage steppique : il s’agit du nard raide, une graminée surnommée poil-de-chien ou poil-de-bouc. En effet, il se distingue à ses feuilles filiformes raides presque piquantes, tendant à s’enrouler sur elles mêmes au sommet ; même les épis floraux, formés de deux rangs d’épillets prennent ce port raide surtout à cette saison où ils sont secs et étalés. Le nard forme de grosses touffes très serrées qui font pester le randonneur tant elles gênent la progression ; on dirait presque des touradons de laîches mais en plus petit. Cette herbe affectionne les sols  pauvres en nutriments, acides, dépourvus de calcium. Mais, ici, son abondance extrême , sa dominance absolue à perte de vue, indique un problème écologique : le surpâturage par les moutons qui évitent complètement les feuilles presque ligneuses et peu appétentes de cette herbe ; elle prend donc rapidement avantage de cette exclusion. Effectivement, ces estives hébergent un grand troupeau de moutons que nous verrons sur les flancs sud en repartant ; ce sont des Ravas, une race locale (voir la chronique). Ils tournent sur l’ensemble des espaces autour de la Banne d’Ordanche et entretiennent ainsi ce paysage uniforme mais en le transformant de manière peut-être excessive. Des expériences menées sur cinq ans montrent que le couvert en nard s’accroît de 58 à 86% avec un pâturage ovin ; par contre, si on met des bovins, la couverture chute de 55 à 30% ; les vaches réussissent à déchirer la base des touffes et donc à les limiter progressivement, permettant l’installation d’autres graminées (agrostis, flouve) entre les touffes dégarnies et maintenues basses. 

Le grand troupeau de moutons Ravas qui pâture autour de la Banne d’Ordanche (photo prise en 2016)

Intensification 

Arrivé au col de Saint-Laurent, il faut emprunter une petite sente tracée toute droite dans un immense pré fauché à ras qui interpelle par son aspect : une herbe drue très dense et presque verte alors qu’autour tout est sec et jaunâtre. Cependant, ici, aucune diversité : on a l’impression qu’il n’y a qu’une seule espèce d’herbe. Quel contraste avec les estives environnantes qui affichent des camaïeux de couleurs et de formes irrégulières. Eh oui, ça y est : l’intensification agricole gagne même les hauteurs de nos montagnes et transforme les pâturages et landes d’altitude en prés artificiels d’une uniformité consternante : pas de place ici pour les plantes odorantes telles que le fenouil des Alpes que nous avons vu en montant sur les bas côtés, réputé pour apporter au lait un parfum particulier (nous sommes dans l’aire du saint-Nectaire). Mais pire encore, vu leur productivité gagnée à coups d’amendements, ces prés fauchés à plusieurs reprises et de plus en plus tôt avec le réchauffement climatique, constituent de redoutables pièges ou puits pour les oiseaux qui nichent au sol tels que alouettes des champs, pipits farlouses ou tariers mais aussi pour tous les insectes qui ont commencé à s’y reproduire. Certes, ces aménagements améliorent la production en termes de rendements mais quid de la qualité et de l’avenir de ces paysages. Tout en montant, on peut commencer à « apprécier » ce processus déjà bien entamé en repérant d’autres parcelles d’un vert insolent et uniforme qui tranchent sur les estives.  

Touffe de fenouil des Alpes (feuilles très découpées) au milieu de myrtilles et genêt poilu : la diversité des landines

La borne des quatre seigneurs 

Nous y voilà : la fameuse borne se dresse devant nous ; elle se situe à la jonction de quatre communes actuelles du massif dont le nom apparaît sur chacune de ses quatre facettes : Perpezat, Murat-le- Quaire, Laqueuille et le Mont-Dore. Installée en 2005, elle remplace une très ancienne borne mentionnée autrefois et qui correspondait alors au point de rencontre de quatre seigneuries. L’observation du paysage largement ouvert révèle d’ailleurs une partie de ces limites administratives suivies par certaines parcelles ce qui donne un découpage au cordeau avec des contrastes parfois saisissants selon le mode de gestion des parcelles ainsi en contact. 

Nous entamons la montée au Puy Loup, coiffé d’une énigmatique construction circulaire* , à travers l’estive (il n’y a plus de chemin) : ici, après le pré artificiel, nous goutons aux joies de l’estive traditionnelle parsemée de taches de callune fausse-bruyère et de plaques de myrtilles et d’airelles des marais.

Quelques grandes plaques d’un vert foncé accrochent le regard : de très vieilles touffes de genévrier plaquées au sol ; en s’approchant, on découvre sous le couvert dense de leurs aiguilles, des troncs noueux et secs, tordus comme rongés d’arthrose, qui trahissent l’âge vénérable de ces bonsaïs étalés et leur persévérance à résister au froid, à la neige et au vent. Beaux refuges pour la faune : des abris sûrs pour nicher et des baies en automne pour se nourrir. D’ailleurs, un lézard vivipare qui se chauffe sur un rocher affleurant se faufile entre deux troncs et disparaît prestement. Mais, sacrilège absolu, ces genévriers étouffent tout sous eux soit autant d’herbage perdu ; leurs jours risquent donc d’être comptés désormais : un coup de gyrobroyeur effacera en quelques minutes des dizaines d’années de vie chèrement gagnée.  

Les premières gelées de la semaine dernière (déjà !) ont accéléré le rougeoiement si particulier des myrtilles ce qui apporte cette belle teinte reconnaissable entre toutes.

Le puy May tout bariolé de landines à airelles

Sur le puy May, de l’autre côté de l’immense vallée qui s’ouvre en contrebas, on peut admirer ainsi une mosaïque de couleurs vives qui signe ces landines d’altitude comme on les appelle, un marqueur de l’identité de ce paysage. 

Far-West 

Depuis ce belvédère du puy Loup, on dispose d’une vue à 360° : vers le nord-ouest, les roches Tuilière et Sanadoire, pains de sucre de phonolite,  émergent d’une vallée boisée avec en arrière plan le sommet du puy de l’Ouire.

Roches Tuilière et Sanadoire au premier plan ; Puy de l’Ouire au fond

En contrebas, vers le sud, on découvre la « ferme » du puy May : en fait de ferme, il s’agit de bâtiments en ruines devant d’une vaste étendue  à peine vallonnée dont on pressent qu’elle doit être, en temps normal, très humide !

Au fond, le puy May et son manteau bigarré de landines ferme le paysage parsemé de troupeaux épars de Salers et de vaches noires (qui font penser à des Camarguaises !) : un vrai paysage de l’Ouest des Etats-Unis mais sans cow-boys ! On note vite l’absence de toute station de traite mobile typique de la majorité des autres estives : ici, on élève des génisses jusqu’à ce qu’elles soient en âge de se reproduire et des veaux à l’engraissement d’où l’appellation locale de védalat pour désigner ces estives. Dès la fin septembre, tout ce cheptel va rejoindre la vallée. 

On perçoit la différence avec les pâturages à moutons longés en montant : ici, le nard est présent mais ne domine plus et l’herbe présente un aspect nettement moins ras. De facto, on trouve là une diversité floristique supérieure. Quelques touffes de gentianes jaunes émaillent ces étendues mais, en dépit de leur extrême amertume, nous trouvons des feuilles nettement broutées : peut-être que la sécheresse et la pénurie d’herbe y sont pour quelque chose ? Les lieux de stationnement préférés des troupeaux se repèrent de loin et subissent rapidement une dégradation de la végétation et des débuts d’érosion sous forme de creux plus ou moins grands. 

Il faudra revenir ici en fin de printemps prochain pour, sans aucun doute, trouver un paysage radicalement différent, très fleuri … s’il pleut en fin pour de bon cet automne et qu’il neige vraiment ! 

Dectiques 

Dectique mâle

Un faucon crécerelle fait le Saint-Esprit en vol sur place au-dessus sur la pente et pique au sol de temps en temps: image typique de la fin d’été et du début d’automne où ces petits faucons effectuent une sorte de transhumance inversée pour venir exploiter la manne inépuisable des innombrables criquets et sauterelles alors au pic de leurs populations.

Criquet jacasseur

A chaque pas, effectivement, nous levons plusieurs criquets dont les immanquables jacasseurs bruyants (voir la zoom-balade du puy de Jumes).

Autour d’une petite zone rocheuse avec une végétation rase, je lève une grosse « sauterelle » vert foncé très trapue, aux élytres marbrées de sombre : un mâle de dectique verrucivore. Belle bête imposante mais au corps très ramassé : une proie idéale pour notre faucon crécerelle ! . Il se laisse facilement observer car il se déplace surtout à la marche et ne saute guère en dépit de ses grandes pattes postérieures. Cette sauterelle se comporte en prédateur, chasseur d’insectes, tout en consommant quelques végétaux. Mieux vaut éviter de le saisir à pleines mains car il peut infliger une belle morsure avec ses puissantes mandibules ; d’ailleurs l’épithète de verrucivore fait allusion à un usage populaire ancien : pour éliminer une verrue, on prenait un dectique par les ailes et on l’incitait à mordre la verrue ; ensuite, on écrasait l’animal pour extraire le suc intestinal brun caustique pour brûler la verrue : personnes sensibles s’abstenir ! 

Echec 

Mais au fait, quid des pluviers guignards annoncés en début de chronique comme but ultime de cette balade ? Ratés : nous sommes venus trop tard dans la journée et des promeneurs circulent avec un chien en liberté (malgré l’interdiction clairement affichée par rapport aux troupeaux !) et des avions planeurs (aéromodélisme) sillonnent le ciel à basse altitude, projetant leur grande ombre inquiétante au sol. Peut-être sont ils partis dès l’aube pour poursuivre leur long périple ?

Pour autant peut-être aimeriez-vous quand même en savoir un peu plus à propos de cet oiseau méconnu ! De la taille d’un petit pigeon, un bec court, des pattes jaunâtres courtes et un corps rondelet avec des ailes courtes signent cette espèce cousine des gravelots et des vanneaux (famille des Charadriidés) ; un sourcil blanc et une tache blanche soulignée de noir à la poitrine complètent ce portrait express. Nicheur rare dans la toundra des hautes régions montagneuses d’Ecosse ou de Scandinavie en Europe, ce grand migrateur passe en France en automne entre mi-août et fin septembre et recherche alors les pelouses montagnardes proches de son habitat estival. Souvent, même en migration, ces oiseaux étonnent par leur extrême confiance envers les hommes se laissant parfois approcher très près. 

Bien sûr, nous sommes un peu déçus de ne pas les avoir vus, mais nous avons fait le plein d’images splendides de paysages grandioses à perte de vue ; ainsi va le quotidien des naturalistes : jamais bredouilles car la nature a toujours quelque chose à offrir pour peu que l’on ouvre les yeux et les oreilles ! 

Point de départ : grand parking (1325m) au bout de la D 609 qui démarre dans le village de Murat-le-Quaire (63) près de La Bourboule  ; de là, montée vers le col de Saint-Laurent (1450m) ; laisser à l’Ouest le sentier PR qui grimpe droit sur la Banne d’Ordanche : suivre la trace (fléchage) à travers une grande parcelle herbeuse qui monte en biais vers la Borne des quatre seigneurs (1455m) ; on peut ensuite accéder au sommet du Puy Loup en face mais hors sentier balisé.

* Suite à la parution de cette chronique, une lectrice, M.P. Gaulier, nous a apporté des précisions sur cette tour « énigmatique » : elle devait très certainement servir de tour de contrôle pour les planeurs qui partaient de là au début du siècle, lesquels ont ensuite été interdits par les Allemands.