Cette chronique rapporte quelques aspects de la biodiversité observée lors d’une mini-balade sur un espace naturel accessible au grand public ; il ne s’agit que d’un instantané très partiel pour une date donnée avec des informations complémentaires sur le site. Vous pouvez retrouver l’ensemble de ces chroniques-balades à la lettre Z, rubrique Zoom-balade

Montée au Puy de Jumes ; 29 juillet 2019 ; 13H-16H

Nous sommes dans la chaîne des Puys, célèbre pour son remarquable alignement de volcans éteints aux formes bien conservées à l’Ouest de Clermont-Ferrand et connus sous l’appellation de puys : au moins sept chroniques ont déjà été consacrées à cette région naturelle si particulière à la rubrique Chaîne des Puys. Ici, la forêt domine très largement sauf à la faveur des pâtures ou estives des plateaux de bordure ou, pour un certain nombre de puys donc celui de Jumes, à la faveur du sommet resté en herbe. Cette balade part du col de la Nugère (880m d’altitude) et monte en forêt  avant de déboucher à 1100m sur le sommet du Puy occupé par un beau cratère régulier occupé par de la lande à bruyère et une estive d’herbe. 

Forêt hantée ? 

Hêtraie en montant au puy de Jumes

Très rapidement, passé des boisements bas de noisetiers, des accrus de recolonisation (voir la chronique sur ce thème), le sentier atteint sur la gauche une belle futaie ancienne de hêtre typique de cette région.

D’emblée (point 1), on note des hêtres vénérables au port très branchu et d’autres aux formes plus ou moins tourmentées interpellent ; deux individus soudés à leur base ont leurs tronc couchés se redressant brusquement à angle droit ; une plus loin, deux grands fûts droits se retrouvent unis l’un à l’autre à mi-hauteur par deux branches qui se sont  soudées en se rencontrant !

Totem d’un dieu sanglier ?

Il faut quitter le chemin et flâner dans ce boisement pour y découvrir plein d’autres bizarreries du même style : soudures en tous genres, formes biscornues et suggestives, silhouettes tordues ou coudées, branches mortes, … autant de « défauts » sources de micro-habitats propices à la biodiversité animale et aux champignons (voir la chronique sur ce thème). 

Une telle galerie de « malformations », loin des fûts bien droits typiques des hêtraies classiques, indique qu’il s’agit d’un peuplement ayant connu une histoire mouvementée : il y a moins d’un siècle, ce devait être un taillis exploité pour le bois de chauffage ou la fabrication de charbon de bois (voir la chronique sur cet usage passé) dans lequel on coupait régulièrement les hêtres pour les inciter à rejeter de souche (recépage) et produire des troncs multiples ; leur croissance se trouvait souvent contrariée par les atteintes du bétail qui parcourait souvent ces bois clairs pour y pâturer et aussi les effets du gel et du vent car nous sommes ici dans l’étage montagnard. L’abandon de ces pratiques et le retour vers une exploitation forestière de type futaie a conduit à retenir certains arbres en cessant de les couper régulièrement ; ils ont grandi en conservant leurs innombrables défauts d’origine ! En tout cas, le photographe amateur d’images insolites et fortes se régalera dans cette forêt de gnomes, de monstres et autres êtres sylvestres imaginaires !

Vieux hêtre branchu au bord du sentier

Cortège de hêtraie 

Au fur et à mesure de la montée, on a une belle occasion de découvrir à petites touches le cortège floristique de la hêtraie en été, bien différent de celui du printemps avec ses tapis richement colorés complètement évanouis (voir la chronique Marée bleue sous les hêtres). La vue porte loin avec le sous-bois nu, tapissé d’un matelas de feuilles mortes très épais, sans strate arbustive intermédiaire et une strate herbacée très clairsemée. Une belle colonie de fougères mâles réussit à prospérer via la fraîcheur du substrat.  Pour trouver plus de diversité, il faut chercher les taches de lumière liées à de petites coupes ponctuelles ou à la chute d’un vielle arbre avec sa trouée associée dans la canopée : se côtoient les touffes d’euphorbe d’Irlande, indicatrice d’un climat arrosé de type atlantique, une petite colonie de sceau de Salomon verticillé, indicatrice de l’étage montagnard ; l’aspérule odorante et le muguet (voir la chronique sur cette espèce) ou la mélitte à feuilles de mélisse sont des classiques forestières d’humus assez riche. Au bord du chemin, des hampes dressées porteuses de fruits verts tout hérissés au bout de rayons écartés : la sanicle (voir la chronique sur cette espèce) et ses fruits accrocheurs, dispersés par les promeneurs et les animaux à leur insu selon le principe de l’épizoochorie (voir la chronique). Une vielle souche pourrie sur un tapis humide de feuilles mortes avec un beau polypore soufré en formation attire mon attention ; tiens, juste devant, quatre tiges sèches raides : les restes de la floraison d’une surprenante orchidée de sous-bois entièrement dépourvue de chlorophylle, la néottie nid d’oiseau ; elle vit aux dépens d’un champignon microscopique hébergé dans ses racines souterraines ! Vers 1000m, (point 4), une grande plaque de tiges raides vert foncé sans feuilles ni ramifications, signale une colonie de prêle d’hiver, une plante assez rare mais très abondante dans ses stations qu’elle colonise par des rhizomes souterrains.

Racines 

Racines de chêne sessile au bord du sentier

La montée (point 2) se fait par une piste très encaissée, régulièrement ravinée par les orages fréquents en été et qui dégage deux talus abrupts de chaque côté offrant de belles vues sur les systèmes racinaires des grands arbres installés juste au bord. Les occasions de découvrir cette face cachée des grands arbres ne sont pas légions et il faut en profiter quand on sait que l’appareil souterrain d’un grand arbre occupe sous terre un volume au moins égal à celui de sa couronne. Monde méconnu que celui des grandes et petites racines, l’assise vitale de ces êtres dont nous n’avons qu’une vue tronquée comme des icebergs ! 

Les racines enchevêtrées plongent en profondeur et s’étalent en surface pour assurer un support stable capable de contrebalancer la masse aérienne, pour capter l’eau et les sels minéraux puisés dans le sol. Ici, le substrat volcanique du sous-sol, en se dégradant lentement, fournit un sol riche en éléments minéraux, avec y compris du calcium ce qui donne des sols doux et riches. Mais, la biomasse issue des arbres eux-mêmes, celle composée des feuilles, branches, fruits, écorces, … qui tombent chaque année, la nécromasse comme on dit, ajoute une part essentielle à la formation de ces sols profonds et bruns.

Le bois mort au sol en décomposition constitue un élément clé dans cet enrichissement par décomposition de la matière organique du bois et héberge en passant une riche biodiversité ; là encore, les images fortes en manquent pas avec la diversité des formes du bois mort : troncs pourrissants au sol, troncs morts sur pied attaqués par les polypores, branches sèches sur arbres vivants, souches , … (voir la chronique sur les fossoyeurs du bois mort), témoins de la bonne santé écologique de ces milieux forestiers. 

Résineux 

Sur la gauche du sentier, (point 3) s’étendent de vastes plantations d’épicéas. Pour le naturaliste, un tel milieu reste souvent synonyme de grande pauvreté de la biodiversité et d’hyper uniformité. Mais ici, il s’agit de plantations anciennes d’au moins cinquante ans qui ont commencé à subir quelques aléas naturels liés notamment au changement climatique en cours, ce qui leur donne une physionomie nettement plus avenante. Là, des grands coups de vent ont culbuté des arbres en provoquant le décollement d’un bloc du système racinaire très superficiel (chablis) ; ils sont une source de perturbation par le sol arraché et l’ouverture de la canopée en créant un puits de lumière. De nouveaux micro-milieux se forment : sur la terre soulevée s’installent des pionniers comme les sureaux à grappes ou les digitales pourpres ; sous la souche soulevée peut se former un trou qui se remplit d’eau en hiver, une mini zone humide ; le tronc mort devient une source de nourriture pour les insectes mangeurs de bois et les pics, les sitelles, les grimpereaux, …. D’autres épicéas se sont cassés à quelques mètres de hauteur (volis) : la chandelle restante ainsi que le tronc tombé seront autant de nouvelles ressources en bois mort ! 

Localement, des taches d’arbres morts entièrement sur pieds, victimes de dépérissement, créent des trouées éclairées, colonisées par la flore pionnière. L’écorce qui se décolle en plaques révèle les traces des scolytes, minuscules coléoptères dont les adultes et les larves creusent des galeries en étoile sous l’écorce, dans la partie vivante du bois où circule la sève élaborée, provoquant à court terme la mort de l’arbre attaqué. Cependant, cela ne signifie pas forcément que les scolytes soient les auteurs directs de cette mort : souvent, ils attaquent des arbres affaiblis par des évènements climatiques comme la sécheresse qui s’accentue au fil des dernières décennies, surtout sur ces sols volcaniques très filtrants. 

Le cratère aux insectes 

La monté finale (point 5) devient raide, presque tout droit dans la pente.

Des fascines installées dans le haut pour limiter le ravinement par l’écoulement des orages rappellent l’impact du piétinement humain et le problème que peut poser la sur-fréquentation de nombreux sites de la chaîne des Puys, proche notamment de la grande agglomération clermontoise. Brusquement, on débouche en pleine lumière et aussitôt, le voici le cratère, clou de notre balade. Belle cuvette herbacée aux formes régulières : une oasis de lumière au milieu d’un océan forestier qui vient jusque sur le rebord supérieur et tend même à descendre vers la cuvette.

Un tel milieu de prairie ne peut exister que via le maintien du pâturage par les moutons qui, aujourd’hui, ne sont pas présents. De gros efforts sont entrepris par le Parc des Volcans d’Auvergne pour aider des éleveurs à exploiter ces estives et participer ainsi à l’ouverture du paysage, comme étouffé par le reboisement naturel très rapide.  Le brachypode penné, une graminée vert tendre, domine cet espace de lumière. Des massifs fleuris émergent et attirent des foules de papillons : là, des bétoines officinales avec des citrons ; ici, des centaurées noires et des nacrés, des tabacs d’Espagne, des demi-deuils, … gros contraste avec les sous-bois sombres dépourvus de papillons.

Dans l’herbe, des criquets sautent de partout. Deux espèces retiennent notre attention : des criquets vert fluo aux ailes très courtes avec une petite tache rouge,  les criquets des genévriers, une espèce nettement montagnarde en Auvergne ; d’autres, aux ailes sombres comme enfumées, s’envolent avec un bourdonnement crépitant typique : des criquets jacasseurs, une autre espèce typiquement montagnarde. Sans le pâturage, cet espace se reboiserait inexorablement avec les pins sylvestres et noisetiers déjà présents tout autour et les criquets disparaitraient ! 

Lecture de paysage 

Avant de redescendre (on peut aussi faire un grand circuit en poursuivant vers le puy « jumeau » de Coquille), je m’aventure sur un sentier dérobé non balisé très raide qui descend dans la pente nord du cône (vivement déconseillé car très érodé et dangereux). Quelques dizaines de mètres plus bas, à la faveur d’une immense coupe forestière ancienne, s’ouvre un superbe panorama paysager  vers le nord. Sur la gauche, la tache rouge de la carrière de pouzzolane du puy de Ténuzet encore en activité ; droit devant, les bosses sombre du puy de la Goulie à gauche et de la Nugère à droite ; pour le reste, on découvre une mosaïque forestière inattendue : le moutonnement des canopées de feuillus, les cimes pointues des grands résineux, une coupe récente en contrebas peuplée de bouleaux et une coupe plus ancienne au premier plan. Certes, il s’agit de milieux artificiels crées par la gestion forestière essentiellement privée mais ils apportent une relative diversité dans ce paysage forestier assez uniforme et ouvrent des niches nouvelles pour des espèces pionnières et qui ont besoin de lumière. En témoignent, à mes pieds, des massifs de framboisiers couverts de fruits délicieux et qui ont échappé à la cueillette généralisée du fait du site peu accessible. 

Dans ces coupes se développe une végétation foisonnante de jeunes arbres et d’arbustes dont le sureau à grappes aux baies rouge corail ; plus inattendue à cette altitude et en un site aussi reculé, une colonie de renouées du Japon prouve que rien n’arrête la progression de ces plantes invasives dès lors que l’homme intervient dans la gestion des paysages ! 

Cette balade, banale en apparence, nous montre qu’il n’est pas forcément besoin d’aller sur d’autres continents à bord d’avions voraces en énergie pour faire de belles rencontres paysagères et de biodiversité variée : nous avons, ici comme en de nombreux autres sites du pays, de très beaux exemples de forêts originales à découvrir ! 

Framboises sauvages à croquer !

Point de départ du col de la Nugère sur la D 943 reliant Riom-Volvic à Pontgibaud (parking à droite en montant près du panneau du col). Le sentier débute en face (attention : trafic routier dense et rapide !). Suivre le balisage du GR 441. Dénivelée de presque 250m.

Pour en savoir plus sur ces deux puys de Jumes et Coquille et les circuits associés : 

https://volcan.puy-de-dome.fr/volcans/puys-de-jumes-coquille.html