Cette chronique est dédiée à la biodiversité de la commune où je réside, Saint-Myon en Limagne auvergnate et sur la commune voisine d’Artonne. Vous pouvez retrouver toutes les chroniques sur la nature à Saint-Myon en cliquant ici

27 /07 /2020 Non, il ne sera pas question ici de la découverte d’une nouvelle espèce inconnue de la science à St Myon mais d’une plante sauvage judicieusement et soigneusement protégée par Jeanne T. qui habite le long de la rue des Varennes. Il s’agit d’un magnifique pied d’une plante « géante », la molène faux-phlomis (ou à épi dense) qui s’est développé spontanément au pied de la rocaille devant sa maison qui donne sur la rue. Au lieu, comme trop souvent, de s’empresser d’éradiquer cette herbe sauvage, Jeanne l’a au contraire « bichonnée » et protégée pour qu’elle se développe. Un bel exemple à suivre ! 

Mi-juillet : la molène de Jeanne déploie toute sa splendeur et sa prestance !

Bouillon-blanc 

Cette espèce se propage dans la nature grâce à ses innombrables et minuscules graines ; tombées au sol, elles germent à la faveur d’une mini-perturbation du sol : par exemple, un petit coup de pioche ou de bêche qui lui libère un espace nu. On en trouve un peu partout au long des routes, sur les tas de déblais, dans les friches, sur les tas de sables, … Celle-ci a du naître l’an passé sous forme d’une rosette de feuilles épaisses duveteuses et blanchâtres qui prend de l’ampleur en développant une puissante racine qui va chercher l’eau en profondeur. On la surnomme de ce fait, comme plusieurs autres espèces proches,  bouillon-blanc.

Elle passe l’hiver, protégée du froid par son important revêtement de poils protecteurs.  Au printemps, grâce aux réserves accumulées, elle se met à élaborer une puissante tige encadrée de rangées de feuilles qui se prolongent en « ailes » le long de celles-ci. Puis, apparait à partir de juin la tige fleurie avec de petites feuilles et une incroyable inflorescence ramifiée formée d’épis robustes et très fleuris, disposées en chandelles dressées superbes ; le tout culmine largement à plus d’un mètre cinquante et occupe un sacré volume avec ses feuilles. Une vraie plante ornementale bien plus belle que nombre des « horreurs » horticoles modifiées à fleurs doubles ou triples vendues dans le commerce !

Fleur à bourdons

Cinq étamines dont trois velues et le pistil vert ; noter les étamines du bas qui sont vidées de leur pollen

La floraison dure tout juillet avec une succession de belles fleurs d’un jaune intense à cinq pétales soudés ensemble à leur base d’où émergent les étamines aux anthères d’un orange foncé ; trois d’entre elles (celles du haut) portent des poils blancs. Au milieu, de profil, on voit une petite tige verte courbée terminée par un renflement : le pistil qui recueille le pollen. Ces fleurs très voyantes et largement ouvertes, attirent particulièrement les bourdons qui récoltent avec frénésie le pollen orange qui s’accumule en boulettes sur leurs pattes postérieures au fur et à mesure de la collecte. Une seule de ces plantes comme celle-ci dont la floraison s’échelonne sur plusieurs semaines doit assurer la nourriture de dizaines de bourdons à une période de l’année où l’offre en fleurs commence à décliner avec la sécheresse ; on peut aussi y observer de petites abeilles solitaires qui tournent en rond autour des étamines pour se barbouiller de pollen ! La sauvegarde d’un seul pied constitue donc une action significative en faveur de la conservation de la biodiversité locale. 

Chant du cygne 

Désolé pour les âmes sensibles, mais en cette fin juillet nous assistons aux derniers coups d’éclat de la molène de Jeanne. En effet, elle se comporte en plante dite bisannuelle qui meurt entièrement après la floraison, les feuilles et les racines y compris ! La grande inflorescence va donc devenir toute sèche et des capsules dures remplies de centaines de graines vont se former. Elles finissent par se déchirer et libèrent leur descendance innombrable, dispersée par le vent aux alentours. Cependant, il y a de fortes chances que l’an prochain, si Jeanne gratte un peu au pied cet automne, parmi les milliers de graines tombées au sol, l’une d’elles germera de nouveau et assurera la relève. Ou bien d’autres rosettes vont apparaître un peu plus loin à la faveur d’une fissure ou d’une plage de sol dénudé. Ces graines peuvent aussi rester enfouies dans le sol sans germer plusieurs années et, à la faveur de mini-travaux, revenir à la surface et se « faire réveiller » la lumière pour germer. La molène reste une plante sauvage imprévisible : il faut accepter ce principe du « libre jardin » où on laisse toute leur place aux plantes sauvages qui se sèment spontanément. De plus, elle supporte très bien la sécheresse là encore grâce à son revêtement de poils très dense et feutré qui limite les pertes en eau des feuilles et tiges. Pas besoin de l’arroser même par forte canicule : doublement écologique comme ornementale donc ! 

Vive les molènes 

La molène de Georges : une molène pulvérulente en juin ; splendide !

Jeanne n’est pas la seule dans St Myon à protéger ainsi les molènes. Toujours dans la rue des Varennes en face la rue de l’Egalité, plusieurs pieds de molène d’une autre espèce, la molène pulvérulente, prospèrent sur l’accotement. Là, c’est Georges P. qui les protège et veille à ce qu’elles ne soient pas coupées. Elles fleurissent plus tôt en juin et arborent des inflorescences très ramifiées en port de candélabre avec des fleurs nettement plus petites qui attirent surtout des abeilles solitaires, là encore pour leur pollen orange. Leurs feuilles nourrissent par ailleurs des chenilles très spécialisées de papillons nocturnes, les brèches : elles ne passent pas inaperçues avec leur coloration bigarrée de jaune, de bleu et de points noirs et rongent les feuilles.

Enfin, Tim R. m’a envoyé une photo d’une molène protégée dans son jardin : une troisième espèce, le petit bouillon-blanc ! 

Petit bouillon-blanc dans les rues de Besse-en-Chandesse

Combien d’autres espèces toutes aussi intéressantes et fort décoratives subissent une destruction généralisée au long de nos rues lors des opérations répétées de « nettoyage » des rues: elles y auraient toute leur place et apporteraient bien plus que le « fleurissement » à base de plantes exotiques commerciales souvent dépourvues de nectar ou de pollen car très transformées (c’est le cas des fleurs doubles !). Elles participeraient à maintenir les populations de bourdons, abeilles, papillons qui souffrent tellement de la disparition généralisée de la flore sauvage. En plus, elles ne demandent aucun entretien : si elles poussent c’est qu’elles trouvent les conditions adéquates.  Notre village pourrait devenir un vrai village fleuri au sens écologique du terme mais tout autant esthétique comme le montrent les molènes ! 

Ailleurs, dans le village, ces molènes pulvérulentes n’ont pas eu la chance d’avoir un ange gardien !! Dommage : elles auraient superbement mis en valeur les pavots de Californie sans les gêner !

Nature et culture 

Mais cette nouvelle relation avec la flore sauvage jusque dans nos jardins et nos rues pourrait aller bien plus loin. Dans le cas des molènes, leurs fleurs offrent un autre intérêt : on peut récolter les corolles jaunes (qui se détachent d’un bloc avec les étamines) pour préparer une tisane dite pectorale ; grâce à leur richesse en mucilage, elles apportent des propriétés adoucissantes contre les irritations digestives ou respiratoires : la plante idéale en cas de bronchite ou de refroidissement. Mais attention, les poils des feuilles, cassants comme du verre, peuvent se montrer de leur côté très irritants et le feuillage renferme des substances toxiques (saponosides) utilisées autrefois pour braconner les poissons dans les rivières ! 

Il y aurait aussi beaucoup à raconter sur les noms populaires associés à ces molènes, une manière de se rapprocher des plantes. Nous avons évoqué le surnom de bouillon-blanc qui dérive du vieux français bugillonem. Elles portent d’autres noms évocateurs : queue de loup, cierge de Notre-Dame, blanc de Mai, herbe à bonhomme, herbe de Saint-Fiacre, …. Quant au nom de molène, il remonte au 13ème sous la forme moleine et serait dérivé de mou, allusion au toucher très doux des feuilles. Il a même donné le nom anglais de muellein.

Et que dire de leurs multiples usages passés ? On a utilisé les feuilles desséchées pour fabriquer des mèches de lampes ; les hampes florales sèches servaient à chauffer les fours de boulanger ; enduites de graisse, ces mêmes hampes servaient à faire des torches ou des cierges dans les processions funéraires d’où  leur nom médiéval de herba luminaria. En ces temps où nous recherchons à redonner du sens à notre rapport tellement « dénaturé » à l’environnement, cette culture naturelle enracinée dans notre histoire ne serait-elle pas une belle opportunité à développer … au lieu de détruire et aseptiser ! 

La colonie de molènes pulvérulentes de la rue des Varennes : même sans fleurs, elles ont belle allure et tant de choses à nous raconter !

Pour en savoir plus sur les molènes, vous pouvez lire les chroniques dans la partie scientifique du site :