Géotrupes affairés autour d’un amas de crottin de cheval dans une allé forestière

14/03/2022 Sans eux, l’élevage du bétail serait impossible en plein air : les bouses et crottins s’accumuleraient dans les pâtures et stériliseraient progressivement les surfaces en herbe ; les colons en Australie en ont fait l’expérience au 19ème siècle ! Le terme informel de bousiers désigne un ensemble de Coléoptères (voir la chronique générale) qui se nourrissent, autant les adultes que les larves, des excréments des herbivores, autrement dit les bouses des vaches, le crottin des chevaux ou les crottes des moutons et chèvres si on se limite aux seuls animaux domestiques d’élevage. Ils représentent une biodiversité très méconnue à part l’iconique scarabée rouleur de boules de crottin (mais qui n’est pas le plus courant ni le plus représentatif) : plus de 270 espèces sont ainsi connues en France et on peut trouver dans une seule bouse de vache plus de 15 espèces différentes ! Dans cette chronique, la première d’une série que nous allons leur consacrer compte tenu de leur extrême importance écologique, nous allons présenter les trois grandes « familles » de bousiers, leurs caractères généraux et leur mode de reproduction. D’autres chroniques détailleront leur alimentation et leur impact sur l’évolution des bouses et crottins. 

Géotrupe : une des trois catégories de bousiers

Scarabées coprophages 

On est reconnu comme bousier à deux conditions : être coprophage (copro = excrément et phage = se nourrir), i.e. se nourrir d’excréments animaux, et être un coléoptère « scarabée », i.e. appartenant à la super-famille des Scarabéoïdes. Celle-ci regroupe 13 familles : la plupart comptent peu d’espèces comme les lucanidés ou cerf-volants mais une famille majeure, les Scarabéidés, regroupe plus de 90% des espèces. Dans cette famille, on trouve par exemple les cétoines (voir la chronique) ou les hannetons pour notre faune ou les spectaculaires dynastes tropicaux. 

Les bousiers (les dung beetles des anglo-saxons ; dung = excréments)se répartissent pour une part dans la petite famille des Géotrupidés (150 espèces dans le monde) et pour le reste dans deux sous-familles des Scarabéidés : les Aphodiinés (3500 espèces) et les Scarabéinés (5800 espèces dont avec le célébrissime scarabée sacré). 

Tous partagent des adaptations au fouissage avec notamment des tibias portant des dents ou des expansions en « pelles ». Comme les autres Scarabéoides, leurs larves ressemblent aux « vers blancs » des hannetons : grosses et dodues, en forme de C avec des pattes bien développées mais pas d’appendices terminaux à l’abdomen (urogomphes ; voir la chronique sur les cardinaux). On qualifie donc ces larves de mélolonthoïdes (de Melolontha, hanneton). Tous volent très bien et circulent intensément au-dessus des prés à la recherche de bouses ou de crottins frais : ils hument avec leurs antennes et remontent à contre-courant vers la source encore toute fumante et très odorante ! Ils doivent les trouver très vite car ces excréments sèchent et durcissent et la compétition est féroce entre les nombreuses espèces. 

Le fait qu’ils soient ainsi répartis dans trois groupes différents, même apparentés (puisque tous dans la même super-famille) indique que l’évolution vers la coprophagie, mode de vie très spécialisé, a eu lieu à plusieurs reprises de manière indépendante au moins 3 fois donc. Au total, les seuls bousiers totalisent donc presque 9500 espèces connues … soit 3000 de plus que tous les mammifères connus ! L’émergence de ce mode vie remonte à l’époque des dinosaures : on connaît des fossiles d’excréments de dinosaures (coprolithes) avec à l’intérieur des tunnels creusés par des bousiers ! 

Trois guildes 

Tous les bousiers ont donc le même comportement alimentaire : ils (adultes et larves) se nourrissent d’excréments frais. Dans cette chronique, nous ne parlerons que des espèces se nourrissant des excréments des grands herbivores qui, chez nous, se résument presque uniquement au bétail. En effet, seuls les animaux domestiques élevés offrent cette ressource en grande quantité, de manière durable et sur tout le territoire ou presque. Ailleurs comme en Afrique, les bousiers exploitent les grands herbivores de la savane, ruminants (antilopes, gazelles, girafes, buffles, …) ou non-ruminants (éléphants, rhinocéros, hippopotames, zèbres). Ce continent est d’ailleurs un hotspot de biodiversité pour les bousiers.

Par contre la manière dont les bousiers exploitent bouses et crottins pour s’y reproduire varie ; on peut ainsi distinguer trois groupes fonctionnels selon les sites de développement des larves après la ponte. On parle de guildes écologiques, des ensembles d’espèces partageant la même niche écologique. Ce terme de guilde désignait au Moyen-âge une association confraternelle ou économique regroupant des personnes partageant des intérêts communs comme la guilde des marchands. 

Géotrupes entrain de fouir du crottin de cheval franchement déposé ; rapidement, ils vont en enterrer par en dessous.

La guilde des résidents (endocoprides = « coprophages de l’intérieur) inclut les espèces dont l’alimentation, la ponte et le développement larvaire entier se déroulent entièrement à l’intérieur des excréments ; chez nous, cette guilde se compose uniquement d’espèces de la sous-famille des Aphodiinés (voir ci-dessous) avec 93 espèces coprophages connues en France. Ce sont les seuls dont on peut trouver des larves à l’intérieur des bouses et crottins, en plus des adultes ; ces derniers pondent leurs œufs en petits paquets dans la bouse ou le crottin. Même la pupaison, i.e. la métamorphose en stade immobile (voir la chronique sur les coléoptères) avant l’éclosion des adultes, a lieu dans l’excrément ou, au plus, dans le sol juste en-dessous. Les adultes éclosent quelques jours à une à deux semaines plus tard. 

Deux géotrupes qui viennent de trouver un morceau de crottin de cheval

Les adultes de la guilde des fouisseurs (paracoprides = « à côté ») enterrent des morceaux de l’excrément investi dans un réseau de galeries creusées sous celui-ci ; là, ils amassent de la matière fécale dont ils se nourrissent et dans laquelle ils déposent leurs œufs. Les larves se développent donc « en dehors » de l’excrément, juste en-dessous. A cause de ces galeries complexes creusées, on les surnomme encore les tunneliers. Chez nous, ce sont les espèces de la famille des goétrupidés (des géotrupes et le minotaure typhée) et les coprinés, une tribu au sein de la sous-famille des scarabéinés comme le copris lunaire adepte des bouses de vache. Cette stratégie leur permet de mettre rapidement de côté des provisions d’excrément avant qu’il ne se dégrade et soit pris d’assaut par des compétiteurs. De plus, les larves seront à l’abri des prédateurs qui investissent aussi en nombre les excréments. Parmi ceux-ci figurent d’autres coléoptères spécialisés dans l’exploitation des excréments comme terrain de chasse ; ainsi, les histéridés, des parents des Hydrophiles, groupe d’insectes aquatiques, « nagent » dans la bouse liquide pour accéder aux larves ! Leur apparence proche (exemple de convergence)  peut les faire confondre avec des vrais bousiers.

Reste la guilde la plus célèbre, celle des rouleurs (téléocoprides) ou piluliers : les adultes prélèvent des morceaux d’excrément qu’ils façonnent en boulettes ou pilules et qu’ils roulent ensuite avec leurs pattes arrière afin de les entraîner à une certaine distance de l’excrément et de les enterrer plus loin dans des chambres d’élevage creusées dans le sol. Là, les œufs sont pondus sur les boulettes déposées et les larves vont se développer chacune dans leur boulette. Ils se rapprochent donc fortement des fouisseurs d-sauf qu’ils déplacent préalablement à l’horizontale une partie de l’excrément, là encore pour rapidement le mettre à l’abri. Ils sont tous membres de la tribu des scarabéinés et parmi eux figure le genre Scarabeus capable de transporter des boules de crottin pesant 80 fois leur poids corporel sur des distances allant de 1m à … 85m ! 

Scarabées préparant leur boulette

Passons maintenant en revue les trois « familles » de bousiers. 

Petits bousiers

Petit bousier (Aphodiiné) sur une crotte de mouton

Ce sont donc les Aphodiinés de loin les plus nombreux, tant en espèces qu’en populations, dans nos régions tempérées. On les surnomme globalement les « petits bousiers » même si tous ne sont pas coprophages. Effectivement, leur taille moyenne varie entre 3 et 10mm ce qui rend leur observation difficile en sus de leur milieu de vie … peu engageant. Autant dire qu’ils sont très largement méconnus ou inconnus du grand public et que leurs innombrables espèces n’ont pas de noms populaires !

Trapus, de forme ovale cylindrique, avec des bords presque parallèles, ils sont noirs ou bruns ou parfois rouges ou jaunâtres. Leurs élytres (ailes antérieures durcies) portent très souvent des lignes de ponctuations du plus bel effet … sous la loupe binoculaire ! La tête porte des mandibules assez réduites cachées par une sorte de plaque arrondie (le « visage ») le clypéus et des antennes à 9 segments et terminées par une petite massue. Les pattes adaptées au fouissage ont des tibias élargis fortement dentées et les postérieures portent deux éperons épineux. 

Ces petits bousiers arrivent généralement dans les quelques minutes qui suivent la « chute » d’une bouse toute chaude et odorante : ils arrivent en vol et affluent de partout, parfois en masses finissant par former des essaims bourdonnants qui survolent la « chose » si convoitée. Par une chaude journée d’été, si le cœur vous en dit, vous pouvez vivre ce spectacle en direct : il suffit, avec un bâton, de brasser une bouse de vache toute fraîche (attention aux vaches !) pour les voir arriver en quelques minutes ! D’ailleurs, pour les étudier, on installe des pièges avec une grille sur laquelle on dépose de la bouse fraîche sur un lit d’herbe ! Sinon, on peut aussi les trouver dans des bouses plus « âgées » et durcies en partie mais ils se faufilent très vite hors d’atteinte. Après leur survol, ils finissent par se poser sur la bouse ; soit ils attendent la venue d’un partenaire ou bien, derechef, en quelques secondes, ils plongent dans la matière fécale molle et presque liquide et commencent à se nourrir. En creusant des galeries à l’intérieur, ils participent ainsi activement à l’aération de cette matière en grande partie anaérobie au début (sans oxygène) en facilitant l’évacuation du méthane (gaz à effet de serre !) et de la chaleur qui s’accumule du fait de la fermentation. Leur empressement s’explique par le fait que très vite la bouse va sécher en surface et une membrane dure se forme et la coupe de l’extérieur. On peut trouver plus de dix espèces dans une même bouse ce qui en dit long sur la diversité de ce groupe qui gagne à être connu. Autant dire que l’identification des espèces très proches relève d’une grande expertise et ne peut se faire que sur des individus collectés et observés avec une puissante loupe ! 

Une partie de la galerie des Aphodiinés sur le site UK Beetles (voir bibliographie)

Les accouplements ont lieu sur la bouse ou au sol juste à côté. Les femelles fécondées pondent leurs œufs au cœur de la bouse et les larves vont se développer à l’intérieur (voir la guilde des résidents ci-dessus). Les différentes espèces montrent des périodes d’émergence différentes, certaines au printemps, d’autres en automne ce qui limite la compétition. Il y a aussi des préférences pour certains excréments avec de rares spécialistes. Sous nos climats, il n’y a en général qu’une génération par an ; ils peuvent estiver en s’enterrant un peu lors d’épisodes très chauds et hibernent sous forme adulte de même. 

Vrais bousiers 

On nomme ainsi parfois les Scarabéinés car pratiquement toutes les espèces de ce groupe sont effectivement coprophages contrairement aux petits bousiers ci-dessus. Les espèces de ce groupe sont bien plus grandes que les précédents avec des espèces dépassant les 2cm avec des couleurs sombres métalliques et un corps trapu très bombé sur le dos ; leurs puissantes pattes aux bords dentés leur permettent de fouir les excréments et le sol pour y creuser soit des chambres d’élevage à l’écart (piluliers) soit des galeries sous la bouse (tunneliers). Nous avons peu d’espèces dans notre faune et la majorité sont méridionales tels que les genres Scarabeus ou Sisyphes, petit scarabée aux longues pattes postérieures ; les Onthophagus, plus petits et arrondis comptent plus d’espèces répandues. Par contre, dans les régions tropicales, ces bousiers sont dominants avec des espèces de grande taille qui traitent les excréments « géants » des éléphants et autres grands mammifères herbivores. 

Les Onthophagus sur le site UK Beetles (voir bibliographie)

Dans ce groupe on observe des tendances au développement de comportements d’élevage des larves : les adultes restent dans les « nids » et montent la garde jusqu’au complet développement. Ainsi le Copris lunaire, un tunnelier, garde sa progéniture dans un nid sous une bouse dans lequel une femelle ne va déposer que déposer que cinq boulettes par saison avec un œuf dans chacune deux ans de suite ; autrement dit, dans sa vie, une femelle n’élèvera que dix larves ! 

Chez les piluliers, c’est en général le mâle qui roule la boulette ; les femelles, quant à elles, suivent ou bien montent et se font transporter sur la boule en transit. Enfin, dans plusieurs genres comme Onthophagus ou Copris on observe un fort dimorphisme sexuel avec les mâles porteurs d’une corne sur le dessus de la tête, signal sexuel plus ou moins développé selon les mâles individuels et utilisé notamment lors des combats pour accéder aux femelles. 

Onthophagus de passage dans la pelouse de mon jardin

Géotrupes 

On les classe dans une famille à part, les Géotrupidés ; on les distingue entre autres à leurs antennes à onze segments, avec des lamelles terminales. Massifs, très bombés, glabres dessus et velus dessous, ils portent de longues soies autour des antennes et des pièces buccales. La plupart ont une taille entre 1 et 2cm ce qui les rend faciles à observer. Ils présentent des reflets métalliques noirs, bleus ou violacés, surtout dessous. La tête et le thorax sont souvent fortement ponctués alors que les élytres sont lisses ou sillonnés en long. Les mandibules dépassent nettement en avant et ne sont pas cachées par un clypeus développé, ce qui les distingue bien des scarabées. Leurs grands yeux trahissent leurs mœurs souvent crépusculaires ; en plus ils sont partagés en deux zones distinctes. Là encore, ils ont des pattes fortes fouisseuses dentées ; leur nom vient d’ailleurs des racines geo (terre) et trypetes (creuser), allusion au fait qu’ils sont des tunneliers. 

Quatorze espèces sont connues en France dont plusieurs communes, y compris en milieu forestier où ils peuvent exploiter aussi bien des excréments d’animaux de passage que des champignons pourris. Ils volent bruyamment, et à faible hauteur, par temps chaud au-dessus des pâtures ou le long des allées forestières, tels des mini-drones ! Ce comportement leur a valu le surnom anglais de dor beetles ou dumbledors, un nom bien connu des fans d’H. Potter ! 

Le plus répandu est le géotrupe stercoraire qui affectionne le crottin de cheval. Les adultes creusent un terrier vertical à l’aplomb d’un tas de crottin et descendent jusqu’à 50cm de profondeur. Depuis ce puits vertical, ils aménagent des galeries horizontales en cul-de-sac servant de chambres d’élevage. Chaque tunnel reçoit une boule de crottin et un œuf avant d’être obturé par un peu de terre. On peut avoir deux générations par an : une printanière issue d’adultes ayant hiberné sous terre et une autre en automne. 

En forêt, les géotrupes peuvent se rabattre sur des champignons pourris

Le minotaure typhée au nom évocateur se démarque par l’incroyable armure des mâles dotés de trois cornes pointues dirigées à l’horizontale vers l’avant. Les adultes deux d’un couple, entassent des crottes de moutons ou de lapins dans des galeries latérales reliées à un puits vertical pouvant descendre à … 1,50m de profondeur ! Cette espèce recherche de ce fait des sols sablonneux meubles et émerge tôt en saison, dès février. Les adultes doivent souvent aller chercher des crottes (de petite taille) à une certaine distance, adoptant ainsi un comportement intermédiaire entre rouleur et pilulier. 

Mâle de Minotaure typée : impressionant !

Les géotrupes participent eux aussi à la dilacération des bouses et crottins lors de la fabrication de leurs boulettes et enfouissent la matière fécale en travaillant le sol en dessous. Ils facilitent ainsi l’activité de la faune du sol qui pourra remonter et achever la décomposition des excréments vieillis et desséchés. 

Bibliographie 

Dung beetles Frank-Thorsten Krell ; Allison R. Moon Current Biology 29, R551–R567, June 17, 2019 

Suivi des coléoptères coprophages – Projet ELEVE Girardin Charlotte Stage 2018 au sein de la LPO Auvergne Master 2 Gestion et Conservation de la Biodiversité Année universitaire 2017-2018 

Pastoralismes et entomofaune. J.P. Lumaret. Ed. Cardère. 2010

Site UK Beetles : excellent site très documenté notamment sur la biologie des espèces.