Coleoptera

Galerie de Coléoptères (Micropolis-La cité des Insectes)

15/01/2022 Être ou ne pas être un coléoptère : une question fondamentale quand on sait qu’une espèce animale sur quatre serait … un coléoptère ! D’après le nombre d’espèces connues *, les coléoptères représentent le plus grand ordre du monde animal en nombre d’espèces : pas moins de 350 000 espèces connues, soit 40% des insectes ! Pour appréhender un minimum le monde vivant, il convient donc de bien connaître ce groupe hors normes : à quoi reconnaît-on un coléoptère ou qu’est-ce qui les distingue des autres insectes ? Nous allons ici donc parcourir les grandes caractéristiques générales des coléoptères en nous appuyant essentiellement sur les espèces existant dans notre environnement, plus quelques espèces exotiques spectaculaires souvent médiatisées ou présentées dans les musées. 

*N.b. Cette affirmation souvent citée ne vaudrait que par rapport aux espèces actuellement répertoriées ; mais on sait que l’inventaire de la biodiversité des insectes est loin d’être accompli ! Or, une analyse récente (1) remet en cause cette vision en arguant qu’il existe un biais historique en faveur de l’étude des coléoptères du fait de leur attractivité. Le groupe le plus riche en espèces serait en fait les hyménoptères (abeilles, guêpes, …) à cause de la richesse extrême en espèces de guêpes parasitoïdes, très mal explorée ; les chercheurs estiment qu’il y aurait 2,5 à 3,2 fois plus d’espèces d’hyménoptères que de coléoptères ! 

Galerie de Coléoptères (Micropolis-La cité des Insectes)

Coléo …

En français, nous n’avons pas de véritable équivalent du très populaire beetle anglais ; on peut certes le traduire par scarabée mais ce nom désigne par ailleurs un sous-groupe au sein des coléoptères et ne donne ainsi qu’une image partielle de ce groupe si disparate. Nous devons donc utiliser le terme coléoptère pas vraiment populaire. Ce nom a été mis en avant par Linné et remonterait à Aristote (koleopteros) : il est construit sur les racines pteron pour ailes (voir hélicoptère !) et koleos pour étui ou fourreau. Et ma fois, ce nom résume formidablement bien l’un des caractères les plus typiques de ce groupe : au repos, la paire d’ailes antérieures fortement durcies ou élytres (nom masculin issu du grec qui signifie aussi enveloppe ou étui !) recouvre l’abdomen. Le durcissement provient du tannage de la chitine (protéine constitutive de la cuticule des insectes) par des quinones, processus appelé sclérotinisation ; on parle donc d’ailes sclérotinisées. Les deux marges internes de ces élytres s’emboîtent selon un dispositif de rainure/languette, assurant ainsi une couverture protectrice de l’abdomen qui renferme l’essentiel des organes vitaux en dehors de la tête. Ces transformations se sont accompagnées de la perte du réseau de nervures (vénation) typiques des ailes des insectes ; les rangées de ponctuations ou de stries souvent présentes sur les élytres seraient des vestiges de cette vénation disparue au cours de l’évolution du groupe.  

Tout laisse à penser que cette innovation expliquerait en grande partie l’extraordinaire succès évolutif des coléoptères : cet étui recouvrant les protège des stress environnementaux (dont les pertes d’eau par évaporation) et des prédateurs. Ces ailes durcies ne battent pas en vol sauf dans de rares cas mais alors très lentement et avec une faible contribution au vol.

Staphylin avec des élytres réduits

Dans certaines lignées comme par exemple les staphylins, les élytres se réduisent plus ou moins. 

Bupreste tropical (Micropolis)

Enfin, et c’est peut-être là le côté le plus spectaculaire des coléoptères qui les rend si attractifs, ces élytres peuvent se parer de pilosités chatoyantes et de couleurs vives métalliques époustouflantes comme chez les buprestes, les jewel beetles, les coléoptères bijoux ou les cétoines ! 

…ptère 

Aile postérieure déployée sous les élytres écartés d’une coccinelle à sept points

Le vol repose donc sur la seconde paire d’ailes postérieures membraneuses qui perdent elles aussi une bonne part de la vénation originelle. En vol, les coléoptères ont donc une propulsion par l’arrière.

Ailes postérieures soigneusement repliées sous les élytres (Cantharidé)

Primitivement plus longues que les antérieures devenues élytres, elles se replient au repos et se déplient au décollage via un mécanisme complexe de doubles plis selon des lignes de faiblesse, véritable modèle d’origami très perfectionné.

La tension créée par les muscles directs du vol situés dans le thorax provoque le repliement ; dès qu’ils se relâchent et que les élytres se lèvent et s’écartent, les ailes postérieures se déplient naturellement. Là aussi, on observe de nombreux cas de régression voire de disparition de cette seconde paire d’ailes et donc d’évolution vers l’aptérie, i.e. l’incapacité de voler. Les exemples classiques en sont les carabes, certains capricornes comme le morime (voir la chronique) ou des chrysomèles telles que les crache-sangs (voir la chronique). 

Cette redistribution des rôles moteurs entre les deux paires d’ailes s’est accompagnée d’un remodelage complet du thorax qui change fondamentalement la silhouette générale des coléoptères. Classiquement, le thorax se compose de trois segments successifs depuis la tête et de taille plus ou moins équivalente : le prothorax qui porte la première paire de pattes, le mésothorax porteur de la seconde paire de pattes et de la première paire d’ailes et le métathorax avec la troisième paire de pattes et la seconde paire d’ailes. Chacun de ces trois segments comporte des plaques articulées durcies : une dorsale, deux latérales et une ventrale.

Pour bien repérer les segments du thorax, il faut observer l’insertion des 3 paires de pattes (Cantharidé)

Chez les coléoptères, la plaque dorsale du prothorax ou pronotum devient très grande et occupe tout le dessus du thorax comme un bouclier protecteur supplémentaire ; avec les plaques latérales, il forme un corselet rigide. Les deux segments thoraciques suivants, porteurs des ailes, sont fortement transformés : le mésothorax (n°2) très réduit se soude au métathorax (n°3) et l’ensemble vient s’articuler étroitement avec l’abdomen. Ainsi, le corps des coléoptères se retrouve divisé en trois parties fonctionnelles différentes de celles de la majorité des autres insectes : au lieu du schéma classique tête/thorax (3 segments) /abdomen, on a une disposition en tête/prothorax (avec pronotum bouclier) /méso et métathorax + abdomen ! Ceci a des conséquences pratiques pour l’observateur non avisé : la base des pattes n’est pas visible de dessus ou de côté et quand on retourne un coléoptère, on a l’impression que le découpage du dessous ne colle pas avec celui du dessus ! C’est encore plus déroutant quand la tête est un peu rentrée dans le pronotum comme chez les coccinelles ! 

Vu de dessus, on croit que le pronotum correspond à tout le thorax alors qu’il s’étend en fait bien plus en arrière, caché sous les élytres

La réduction du mésothorax s’explique par la disparition de huit muscles thoraciques moteurs des élytres qui ne battent plus ; on n’observe plus ce segment que sous forme d’un un petit triangle sur le dos ou écusson. La réunion du thorax dédié au vol (ptérothorax) avec l’abdomen facilite la couverture au repos par les élytres. 

Le pronotum fait penser à un bouclier en avant des élytres et derrière la tête elle-même « blindée » : Procuste chagriné (Carabidé)

Cuirassés 

L’abdomen se retrouve donc lui aussi impacté par cette acquisition des élytres. Normalement, il compte onze segments, chacun avec une plaque dorsale (tergite) et une plaque ventrale (sternite). Chez les coléoptères, le dernier segment abdominal est rétracté et le nombre de segments visibles est en fait de neuf chez les mâles et dix chez les femelles, en lien avec les organes génitaux (genitalia) entièrement rentrés à l’intérieur ; ceux-ci ne sont extériorisés qu’au moment de l’accouplement.

Accouplement de cantharides

Pour ces segments, les plaques dorsales deviennent bien moins sclérotinisées du fait de la protection assurée par les élytres tandis que les plaques ventrales se renforcent. D’ailleurs, dans les lignées où les élytres ont régressé comme les staphylins, on note un redurcissement des plaques dorsales de l’abdomen. Au bout de l’abdomen des adultes, on ne trouve pas de cerques, i.e. deux appendices articulés, comme chez de nombreux autres insectes (voir l’exemple des orthoptères). 

Ce balanin des noisettes (charançon), en dépit de sa petite taille, fait penser à un cuirassé

Finalement, avec tous ces renforcements, les coléoptères apparaissent comme des cuirassés et figurent parmi les insectes les plus « durcis » avec, souvent, des ornementations en forme de pointes ou de cornes dures. La forme générale du corps reste relativement aplatie en lien avec un mode de vie souvent caché sous des pierres, dans du bois, sous des débris, dans le sol, …  ce qui semble être la niche principale que les coléoptères ont investi ; ils peuvent ainsi circuler dans ces microhabitats étroits sans risque de blessures. Par contre, dans les lignées qui ont secondairement adopté des modes de vie plus exposés comme herbivores ou prédateurs ou comme consommateurs de cadavres ou d’excréments, le corps prend une forme plus bombée. 

Peut-être grâce à cette évolution, les coléoptères offrent la plus large gamme de tailles connues chez les insectes. Ainsi, on trouve parmi eux les plus petits insectes connus, dans la famille des Ptiliidés spécialisée dans l’exploitation des spores des champignons mangeurs de bois. L’espèce la plus petite du genre Nanosella mesure … 0,25mm de long ! Les mâles sont si petits qu’ils ne produisent qu’un seul spermatozoïde et les femelles ne pondent qu’un seul œuf ; après l’accouplement, le flagelle du spermatozoïde dépasse du corps de la femelle !! A l’autre extrême, dans la catégorie des plus de 15cm de long, on trouve un énorme scarabée très connu, le dynaste hercule avec 17cm mais il triche un peu car une corne prolonge son prothorax en avant. Le titan d’Amérique du sud, un capricorne, est sans doute vraiment le plus grand avec 16,7cm de long et pas de corne cette fois. Quant au scarabée goliath adulte, il détient le record du poids le plus élevé avec 115 grammes. Mais si on inclut les larves, on atteint 140 grammes pour celles de certains scarabées se nourrissant de bois en décomposition ! 

Généralistes 

Pour l’essentiel du reste du corps, les coléoptères n’offrent par contre que peu d’originalités avec plutôt des structures très généralistes. 

Au niveau de la tête, on retrouve les deux yeux composés (sauf chez des espèces cavernicoles où ils disparaissent) mais pas d’ocelles, ces sortes d’yeux simples que l’on trouve dans de nombreux autres groupes comme chez les guêpes par exemple (voir la chronique). La paire d’antennes se compose classiquement de onze articles mais ce nombre peut varier. Dans diverses lignées, se sont développés des dispositifs de perfectionnement olfactif avec des renflements en massue ou des peignes ou des lamelles (comme chez les scarabées) souvent plus développés chez les mâles. 

Les pièces buccales restent remarquablement uniformes avec la paire de mandibules broyeuses très développées. D’ailleurs, le nom anglais de beetle dérive du verbe to bite, mordre. Chez des espèces prédatrices comme les cicindèles (les tiger beetles des anglais), elles prennent un aspect effrayant !

Les « cornes » du cerf-volant sont des mandibules hypertrophiées à fonction sexuelle

Des évolutions marquées ne s’observent que dans des groupes spécialisés dans l’exploitation de nourritures très particulières : soit pour l’aspiration de liquides chez les espèces nécrophages (cadavres) ou coprophages (excréments) ou prédatrices (comme les larves des dytiques), soit pour récolter du pollen ou des spores de champignons. 

Pattes marcheuses d’un procuste chagriné (Carabidé)

Les trois paires de pattes sont tout aussi classiques et adaptées à la course ou la marche ; les hanches ou coxas, le premier segment qui s’articule avec le thorax, sont parfois grandes et mobiles. Dans certaines lignées, se développent des adaptations au fouissage avec des tibias très renforcés comme chez les scarabées ou à la natation comme avec les pattes postérieures des dytiques.

Enfin, on observe aussi des formes sauteuses comme les altises ou puces des plantes ou chez des charançons avec un fémur (« cuisse ») élargi sur la paire de pattes postérieures ; la contraction lente des muscles internes du fémur stocke de l’énergie élastique : le relâchement brutal libère cette énergie et propulse l’insecte en avant.

Métamorphoses totales 

Au niveau du cycle de vie, les coléoptères s’inscrivent dans un vaste groupe qui a évolué assez récemment dans l’histoire évolutive des insectes : les holométaboles, i.e. les insectes à métamorphoses complètes. Le cycle de vie de ces insectes se caractérise par l’alternance de trois stades très différents à partir de l’éclosion des œufs : un stade larvaire radicalement différent du futur adulte ; un stade presque immobile au cours duquel la larve se réorganise complètement, la nymphe ; enfin, le stade adulte ou imago. L’exemple ci-dessous du « ver de farine » ou ténébrion molitor, très facile à élever, résume ces stades.

Autrement dit, ces insectes ont « trois vies en une ». Les larves et nymphes sont tellement différentes des imagos qu’on leur donne souvent un nom particulier : les chenilles et chrysalides des Lépidoptères ou papillons ou les asticots et pupes des mouches ou Diptères. Par opposition, les autres insectes sont des hémimétaboles, i.e. que de l’œuf éclot un jeune individu qui ressemble déjà a minima au futur imago et qui va grandir et se développer par mues sans passer par un stade immobile de pupe ; voir par exemple le cas des punaises. Ce cycle holométabole s’accompagne d’une nouveauté dans le développement : les ailes n’apparaissent plus progressivement depuis des bourgeons alaires externes (voir le cas des punaises ou des libellules) mais se développent à l’intérieur de la larve dans des cavités et ne vont apparaître extérieurement qu’au stade nymphal. On qualifie donc ces insectes d’endoptérygotes, i.e. à « ailes se développant à l’intérieur ». 

Larves 

La majorité des larves des coléoptères possèdent : une tête fortement durcie, souvent teintée de brun ; trois paires de pattes thoraciques avec cinq segments chacune ; une paire de mandibules opposables bien en avant (prognathe) ; deux yeux composés larvaires (différents de ceux du futur adulte qui seront recomposés de novo) ; des petites taches oculaires (différentes des ocelles) ou stemmates par groupes de six de chaque côté ; une paire d’appendices abdominaux terminaux raides, les urogomphes, secondairement perdus dans certaines lignées. 

Les larves des coléoptères relèvent de trois grandes catégories assez différentes d’aspect. Les larves dites apodes n’ont pas de pattes thoraciques comme chez celles des scolytes ou des charançons (qui appartiennent à la même famille !) : elles ressemblent fortement à des asticots mais avec une tête bien développée et visible. Les larves des carabes par contre ont des pattes développées et un mode de vie actif de prédatrices : on les qualifie de campodéiformes, mot tiré de Campodea, nom de genre d’arthropodes proches des insectes, les diploures de la litière du sol. Le « ver blanc » typique des cétoines et hannetons (voir la chronique sur les cétoines) est qualifié de scarabéiforme avec sa forme en C et ses pattes thoraciques moyennement développées. Les larves des coccinelles se situent entre les deux précédentes car elles sont capables de se déplacer activement. A noter que chez aucune de ces larves, on ne trouve de fausses pattes sous l’abdomen comme chez les larves des tenthrèdes ou les chenilles des papillons par exemple. Sous la peau, les larves des coléoptères possèdent des poches de cellules épidermiques dispersées en massifs : les disques imaginaux qui sont les ébauches des futurs organes de l’imago. Elles n’ont pas d’organes génitaux : la reproduction incombe aux imagos. 

Selon les espèces, leur durée de vie de la larve dans le cycle peut varier considérablement : de quelques jours chez les nécrophores spécialisés dans l’exploitation des petits cadavres à décomposition très rapide à plusieurs années comme divers insectes xylophages dont les larves se nourrissent de bois mort en décomposition très peu nourrissant (voir la chronique sur le lucane). 

Vers l’imago 

Après trois mues en général, la larve atteint son développement maximal. Elle va entrer dans le second stade nymphal que l’on qualifie de pupe (de pupa = poupée) chez les coléoptères. Ce stade se caractérise par une quasi immobilité même si de nombreuses pupes se tortillent un peu mais sans se déplacer. Souvent, ce stade est précédé d’une étape dite prénymphale : la larve s’immobilise, cesse de se nourrir, vide son tube digestif et commence à subir dans son corps les premiers remaniements internes. Elle devient une pupe dans laquelle les anciens organes larvaires vont subir une démolition (histolyse) et leurs constituants récupérés au profit du développement des disques imaginaux. Ainsi, voit-on apparaître à la faveur de cette métamorphose nymphale les organes du futur imago dont les ailes repliées et collées contre le corps. 

La pupaison s’effectue le plus souvent dans une loge spécialement construite sous terre ou dans l’environnement où a grandi la larve (par exemple dans le bois pourri) : la larve élabore soit des parois de terre mêlée de salive ou bien tisse une sorte de cocon mêlé à des débris. Mais ce dernier n’a rien à voir avec le cocon des papillons car les larves des coléoptères n’ont pas de glande à soie frontale comme les chenilles. La soie provient alors des organes excréteurs, les tubes de Malpighi, l’équivalent des reins. Rarement, la pupaison a lieu à l’air libre comme chez les coccinelles où la pupe se colle à une feuille. Chez les coléoptères aquatiques, la larve quitte l’eau pour effectuer sa pupaison en bordure, hors de l’eau. 

Après un temps d’immobilité plus ou moins long, souvent pendant la mauvaise saison, la pupe éclot et libère l’imago. 

Galerie de Carabes (Micropolis)

Vous pouvez retrouver tous les exemples de coléoptères déjà abordés dans des chroniques à cette page.

Bibliographie 

Evolution of the insects. D. Grimaldi. M.S. Engel. Ed. Cambridge U P 2005

The insects. An outline of entomology. P.J. Gullan ; P.S. Cranston. Ed. blackwell. 2005

Classification phylogénétique du vivant. Tome 2. 4ème édition. G. Lecointre. H Le Guyader. Ed. Belin. 2017

1)Quantifying the unquantifiable: why Hymenoptera, not Coleoptera, is the most speciose animal order. Andrew A. Forbes, Robin K. Bagley, Marc A. Beer, Alaine C. Hippee and Heather A. Widmayer. BMC Ecol (2018) 18:21