Cardinal écarlate (tête noire)

14/01/2022 Au sein de l’immense groupe des coléoptères (voir la chronique sur leurs caractères généraux), les cardinaux ou pyrochres constituent une petite famille (Pyrochroidés) avec « seulement » 150 espèces connues dans le monde dont trois sont représentées en France. Ces trois espèces assez communes sont faciles à observer tant au stade adulte qu’au stade de larves qui vivent dans le bois mort ; ils font partie de la biodiversité ordinaire. Les cardinaux adultes présentent un aspect général dont une coloration rouge vif qui permet assez facilement de les reconnaître. Mais, comme trop souvent avec les insectes, les ouvrages de vulgarisation se contentent généralement d’informations succinctes avec très peu d’informations sur le mode de vie et l’écologie de ces espèces.  Explorons donc plus en détail le monde des cardinaux. 

Cardinal à tête rouge

Couleur de feu 

Cardinal écarlate : tête noire avec antennes un peu pectinées ; pronotum arrondi rouge ; élytres rouges s’élargissant vers l’extrémité ; pattes noires

Le premier critère frappant de ces coléoptères touche à leur coloration générale d’un beau rouge qui leur vaut ce nom populaire de cardinaux, (cardinal beetle pour les anglais) et leur nom latin de genre Pyrochroa construit sur les racines pyro pour le feu et chroa, proche de chroma pour la couleur. Cette couleur rouge couvre le dessus du corps, avec selon les espèces (voir ci-dessous) quelques taches noires tandis que le dessous du corps et les pattes et antennes sont noir brillant. Mais attention, il existe d’autres coléoptères, dans des familles différentes, qui présentent aussi une telle coloration typique (voir ci-dessous : Sosies). La couleur rouge ne suffit donc pas pour signer un cardinal. 

Antennes pectinées d’un mâle de cardinal écarlate ; les antennes sont le siège de l’olfaction chez les insectes

Pour le reste, les trois espèces de notre faune partagent des caractères communs qui permettent assez facilement de les identifier comme cardinaux. D’une taille moyenne (de 1,4 à 2cm en moyenne), leur corps surprend par son aspect relativement aplati et sa consistance plutôt molle, caractère surprenant pour un coléoptère (voir la chronique). Même les élytres (ailes antérieures durcies propres aux coléoptères) s’avèrent plutôt molles au toucher ; ovales et allongés, ils s’élargissent de manière typique vers leur extrémité. Le fin duvet qui les recouvre leur donne une belle apparence soyeuse. Comme la base du pronotum (voir la chronique) est bien moins large que les élytres et qu’il y a une constriction en arrière de la tête, ces insectes présentent un « cou » un peu inhabituel chez des coléoptères. Les antennes robustes avec onze segments articulés (structure classique) sont implantées en face des yeux sur un tubercule ; selon les espèces ou les sexes, elles sont soit en dents de peigne (pectinées), soit en dents de scie (serriformes). 

Le dessous est entièrement noir brillant. L’abdomen ne compte que cinq plaques ventrales visibles (sternites) chez les mâles et six chez les femelles ; les autres segments sont télescopés au bout avec les organes génitaux. Sur les pattes typiques d’insecte marcheur avec deux griffes terminales, on peut observer en vue rapprochée deux petits détails : chaque tibia (« jambe ») porte une petite pointe terminale et le quatrième segment de chaque tarse (« pied ») porte un lobe ventral.

Sur la patte arrière, on voit une petite épine qui prolonge le tibia et le 4ème article du tarse lobé

Identification 

Les 3 espèces de notre faune ; de gauche à droite : C. écarlate ; C. à tête rouge ; C. éméché. Extrait du site UK Beetles (voir bibliographie)

Trois espèces proches se trouvent assez communément en France et appartiennent à deux genres différents : Pyrochroa et Schizotus : le cardinal écarlate (P. coccinea), le cardinal à tête rouge ou « mazarin des écorces » (P. serraticornis) et le cardinal éméché (S. pectinicornis). On peut les distinguer assez facilement sur la base de critères morphologiques observables directement sur le terrain. Le tableau comparatif ci-dessous résume les critères distinctifs. 

Chez le cardinal à tête rouge, on peut distinguer les mâles des femelles d’après la structure des antennes : pectinées et sensiblement plus longues chez les mâles, elles sont en dents de scie (serriforme) chez les femelles. Ce dimorphisme sexuel (différence morphologique entre sexes) traduit des capacités olfactives plus développées chez les mâles : ceci doit les aider dans la localisation des femelles au moment de la reproduction. 

Le cardinal écarlate serait le moins rare des trois mais la situation varie selon les régions. Ces trois espèces sont moyennement communes et semblent en déclin du fait notamment de la raréfaction du bois mort indispensable au développement larvaire et de la transformation des habitats forestiers.

Mâle de cardinal à tête rouge sur une inflorescence d’anthrisque

Les adultes des trois espèces partagent grosso modo les mêmes mœurs. Ils volent dès le printemps (avril-mai) jusqu’au tout début de l’été : souvent, au-delà de la mi-juin, ils disparaissent. Ils fréquentent des sites boisés plutôt frais et en situation de semi-ombrage : chemins, clairières et lisières forestières, forêts riveraines des cours d’eau (ripisylves : voir la chronique), chemins bocagers avec des haies de vieux arbres, vieux parcs, … jamais très loin de secteurs où se trouve du bois mort nécessaire au développement larvaire (voir ci-dessous). Au printemps, ils affectionnent les hautes herbes dans les trouées de soleil : grandes feuilles de patiences, massifs d’orties.

Cardinal se chauffant sur une ortie

La saison avançant, ils recherchent les plantes fleuries avec de grandes inflorescences accessibles à toutes sortes de pollinisateurs généralistes comme celles des ombellifères dont la grande berce ou les angéliques (voir la chronique). Là, ils pratiquent la chasse à l’affût se précipitant sur des petits insectes venus butiner. Ils n’ont rien de prédateurs très actifs et pratiquent une chasse plutôt indolente ; ils complètent aussi leur régime en consommant du pollen. On peut aussi les observer sur des troncs d’arbres morts notamment peu après les éclosions ou au moment des accouplements. 

Sosies 

L’identification des espèces suppose au préalable de s’être assuré qu’il s’agit bien d’un cardinal car il existe d’autres espèces de coléoptères, dispersées dans diverses familles, et qui présentent le même aspect et peuvent prêter à confusion. De plus, beaucoup d’entre eux sont aussi des coléoptères forestiers liés au bois mort ! 

Lycie à bec (dans mon jardin) ; noter la bande noire sur le pronotum

Les lyces (famille des Lycidés) comptent plusieurs espèces proches (dans plusieurs genres) rouge écarlate elles aussi et avec des antennes en dents de scie ; mais le pronotum est noir ou rouge avec une tache noire et surtout les élytres portent de nombreuses stries en forme de côtes séparées par des creux. La taille moyenne se situe un peu en dessous de 10mm. La moins rare est la lyce à bec (Lygistopterus sanguineus) dont le pronotum porte une tache noire en long. 

Un capricorne (famille des cérambycidés) surnommé callidie sanguine ou cardinal imposteur (Pyrrhidium sanguineum) leur ressemble beaucoup. Assez gros et trapu (jusqu’à 15mm de long), il porte de longues antennes filiformes non dentées ni pectinées, un pronotum rougeâtre très duveteux velouté et les fémurs des pattes sont renflés.  Un autre capricorne, la lepture cardinale (Stictoleptura rubra) du même gabarit (10-20mm) a des antennes finement dentées, des élytres rouge orange avec une extrémité tronquée (comme coupée en travers) et des pattes avec des segments rougeâtres. 

Le bostryche moine (Bostrichus capucinus) (famille des bostrychidés) a des antennes courtes en massue, un pronotum très bombé granuleux débordant par-dessus la tête, des élytres rouge vif à surface vermiculée. 

Au moins trois espèces de taupins (famille des Élatéridés) de taille équivalente (9-15mm) aux cardinaux ont une coloration dominante rouge et portent des antennes en dents de scie ou nettement pectinées pouvant induire en erreur ; ces insectes ont un corps nettement allongé et étroit et des élytres très striés en long. Le taupin artiste (Denticollis rubens) est tout rouge orange (espèce rare) ; le taupin sanguinaire (Ampedus sanguinolentus) a le pronotum noir et les élytres rouge carmin mais avec une tache noire le long de la jonction au milieu du dos. Le taupin pourpre (Anostirus purpureus) est tout rouge velouté. 

Restent plusieurs espèces nettement plus petites (moins de 10mm) et avec un aspect vraiment différent. La malachie rouge (Anthocomus rufus) (famille des Malachilidés) ne dépasse pas 4mm de long : tête noire, pronotum rouge avec une large bande noire médiane, élytres rouges tendant à s’écarter au bout et tibias des pattes postérieures arqués. Elle fréquente aussi les fleurs. 

Criocère du lis

Le criocère du lis (Lilioceris lilii) (famille des Chrysomélidés) (voir la chronique) est tout rouge avec des antennes filiformes noires et des pattes toutes noires. 

Enfin, deux charançons (famille des Curculionidés) du groupe des cigariers rouleurs de feuilles (voir la chronique sur ces insectes) sont aussi tout rouges sauf la tête et les pattes noires : le cigarier du chêne (Attelabus nitens) et le cigarier du noisetier (Apoderus coryli). Bien plus petits (5-7mm), trapus et bombés, ils ont des antennes terminées en massue. 

On prend conscience avec ces exemples de l’incroyable diversité du groupe des Coléoptères ! 

S’afficher en rouge 

Cette avalanche d’espèces toutes rouges, très voyantes (et on peut en ajouter d’autres rouges avec des taches noires comme les coccinelles, …) laisse à penser que cet aspect doit avoir une fonction protectrice vis-à-vis des prédateurs : une forme d’avertissement pour signifier une toxicité (aposématisme) potentielle comme cela est très connu chez les punaises (voir la chronique sur cet exemple). Le cas des cardinaux est encore plus frappant compte tenu de la mollesse de leurs élytres alors qu’ils mènent une vie très exposée à la vue des prédateurs potentiels. 

Effectivement, les Pyrochroidés font partie des rares familles de coléoptères connues pour leur capacité de synthétiser ou véhiculer un poison violent, la cantharidine. Cette substance est un monoterpène présent dans l’hémolymphe, le liquide qui baigne l’intérieur du corps des insectes, issu de glandes particulières et sécrété via des pores dans les membranes entre les segments du corps quand l’animal est attaqué ou molesté. Quand on manipule un cardinal, il courbe la pointe de son abdomen vers le bas et émet immédiatement une odeur désagréable et pénétrante. La courbure étend les membranes entre segments et forme une surface d’évaporation par où s’échappe un liquide très volatile à odeur irritante. Les glandes défensives sécrétrices sont présentes chez les trois espèces mentionnées ci-dessus. 

Neopyrochroa (Amérique du Nord)

Chez des cardinaux nord-américains du genre Neopyrochroa, on a mis en évidence de curieux comportements en lien avec ce poison. Les mâles recherchent des espèces de la famille des Méloidés, gros scarabées qui fabriquent la cantharidine en grandes quantités (voir la chronique sur « l’enfle-bœuf ») et récupèrent sur eux cette substance qu’ils ingèrent ; on ne sait pas comment s’effectue cette collecte : peut-être sur des méloés trouvés morts ? En tout cas, on les qualifie de cantharidophiles !  Ensuite, ils affichent leur collecte lors de parades sexuelles pour attirer les femelles : par une fente située entre les deux yeux, ils exsudent une sécrétion enduite d’une certaine dose de la cantharidine ingérée auparavant ! Les femelles semblent capables d’apprécier la qualité du mâle à la dose de cantharidine qu’il propose. Lors de l’accouplement, le mâle injecte le reste de sa réserve de poison avec son paquet de sperme (spermatophore) et la femelle va en enduire ses œufs qui seront ensuite protégés des attaques de prédateurs dont celles de larves d’autres coléoptères ! Bel exemple de cadeau nuptial à l’instar des échanges de salive chez les mouches-scorpions (voir la chronique). 

Extrait de (1) (Biblio) : A) Mâle qui récolte la cantharide sur un autre insecte ; B) Mâle qui affiche sa charge en cantharide sur le front au moment de la parade ; C) Le mâle injecte le poison dans les voies de la femelle ; D) Ponte des oeufs enduits du poison

Bois mort 

Les accouplements suivent de près l’émergence des adultes au printemps (voir la chronique sur les coléoptères). Les femelles fécondées pondent sur ou sous l’écorce de bois tombé au sol, typiquement là où l’écorce adhère encore un peu au bois. Pondus en petits paquets, les œufs éclosent quelques semaines plus tard. En général, le choix se porte sur des feuillus morts, plus spécialement des chênes, des hêtres et des ormes parfois encore sur pied. La préférence des femelles va vers les zones ombragées situées sur les côtés ou sous les arbres tombés au sol. D’ailleurs, les futures larves ne supportent des températures au-delà de 44-48°C (t° létales) alors que des larves de buprestes supportent jusqu’à 50-54°C. 

Larve de cardinal dans son milieu

Les jeunes larves éclosent donc en groupes et restent ensemble sous l’écorce se nourrissant d’écorce en décomposition, d’insectes morts, d’excréments et de microorganismes vivant dans cet environnement. Contrairement à ce qui était souvent avancé, elles semblent plus végétariennes et détritivores que prédatrices : leur comportement alimentaire évolue avec l’âge et les éléments animaux seraient surtout des détritus ingérés en même temps que le bois en décomposition imprégné de matériel fongique. Les larves du cardinal écarlate seraient peut-être un peu plus carnassières que celles du cardinal éméché, plus petites et plus lentes.  Toutes font donc partie des insectes saproxylophages, i.e. qui consomment du bois mort en décomposition.  

Les larves se reconnaissent facilement à leur forme très aplatie dans le sens dorso-ventral, une adaptation à la vie sous l’écorce à peine décollée ; elles arborent une belle paire de mandibules pointées en avant et, au bout de l’abdomen, deux pointes (urogomphes) qui dépassent en arrière. D’un brun jaune, elles ont une tête durcie plus sombre. Le développement larvaire s’étale sur au moins deux ans. Au fil du temps, l’écorce sous laquelle elles vivent tend à s’écarter et à se dégrader : les larves âgées se concentrent vers ces zones plus riches en débris. On peut trouver des larves de plusieurs générations successives sur un même tronc mort. 

Quand elles sont suffisamment développées, elles se transforment en pupes (nymphose) tôt au printemps sous l’écorce en se ménageant une petite logette ovale. Les pupes ressemblent aux futurs adultes tout en étant d’un jaune crème avant de noircir progressivement. Les adultes éclosent sous l’écorce au bout de quelques semaines mais y restent encore deux semaines, le temps de durcir leur corps et ailes et d’acquérir leur couleur définitive. 

Bibliographie 

Coléoptères du Bassin Parisien. B. Mériguet. P. Zagatti. Ed. Delachaux et N. 2016. Un excellent guide d’identification de terrain. 

1)Chemical basis of courtship in a beetle (Neopyrochroa flabellata): Cantharidin as « nuptial gift ». T. eisner et al. Proc. Natl. Acad. Sci. USA Vol. 93, pp. 6499-6503, June 1996

Sharing the same space: foraging behaviour of saproxylic beetles in relation to dietary components of morphologically similar larvae. Z. B. Prikryl et al. Ecological Entomology (2012), 37, 117–123 

Site UK Beeetles