Phoenicopterus/Podiceps

Longtemps, la position des flamants a constitué une énigme qui semblait impossible à résoudre tant ces oiseaux restent différents de tous les autres oiseaux aquatiques. Leur apparence a conduit très tôt à les rapprocher soit des Ansérifomes (oies et canards), soit des Ciconiiformes (Cigognes, Marabouts, Jabirus, …) . On les a aussi rapproché des Ibis ou plus récemment des Avocettes et des Echasses au sein des Charadriiformes (limicoles ou « petits échassiers » et mouettes et goélands).

L’avènement de l’utilisation généralisée de l’ADN comme outil pour déterminer les degrés de parentés entre groupes a d’abord démontré que les Ansériformes était proches parents des Galliformes (Poules, faisans, tétras, perdrix, ..) au sein d’un groupe (Galloansere) qui excluait les flamants. Et puis en 2001, une première analyse à partir de marqueurs génétiques nucléaires va dévoiler une parenté étroite, impensable auparavant, entre les Flamants d’une part et les Grèbes (Podicipédiformes) d’autre part : les grèbes actuels sont le groupe frère (le plus proche parent) des flamants et ils partagent donc un ancêtre commun. Evidemment, cette découverte incroyable va soulever de nombreuses questions, voire des polémiques et oppositions mais va se trouver confirmée à plusieurs reprises. Nous allons exposer ici ce qui unit ces deux groupes au niveau morphologique.

Tout les sépare

Comment concevoir que des oiseaux aussi différents puissent être « proches » parents ? A part le mode de vie aquatique, on ne trouve guère, a priori, de points communs entre grèbes et flamants. Les premiers sont des oiseaux plongeurs aux pattes courtes avec des palmures lobées et qui leur servent de propulseurs pour nager et chasser poissons et petits arthropodes ; les seconds sont de grands échassiers aux très longues pattes et au bec de canard filtreur mais très modifié par sa courbure et son mode d’emploi « à l’envers ».

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Flamants nains en train de rechercher leur nourriture en filtrant l’eau du lac Nakuru (Kenya) avec leur bec coudé et « renversé » lors de l’utilisation. Photo D. Bermudez

En fait, quand on compare des groupes pour les classer en terme de parentés (ce qu’on l’on appelle la phylogénie), on sait qu’il faut s’appuyer non pas sur des apparences (qui peuvent résulter d’adaptations convergentes à un même mode de vie) mais à des caractères anatomiques (ou aussi comportementaux) comparables et qui n’ont pu être hérités que d’un ancêtre commun. D’autre part, on ne compare ici que des espèces actuelles sans savoir a priori quand ces deux groupes ont divergé au cours de leur évolution à partir d’un ancêtre commun ; chacune des deux branches (celle des flamants et celle des grèbes) a du connaître de nombreuses ramifications successives avec des espèces disparues depuis qui se sont succédé au cours des temps géologiques. Il faut donc simplement supposer que la divergence s’est faite sur la base de stratégies alimentaires radicalement différentes ce qui, au fil du temps, a conduit à des morphologies très différentes.

Ce qui les unit

En 2004, G. Mayr publie une analyse basée sur les caractères osseux (70 caractères retenus) d’une collection réunissant une centaine d’espèces prises dans des groupes supposés auparavant apparentés (comme des gallinacés, des canards, des ibis, des cigognes, des hérons, des rapaces, des manchots, …) et bien sûr des grèbes et des flamants. L’analyse statistique confirme la relation de parenté étroite des flamants et des grèbes et permet de dégager un certain de caractères communs partagés spécifiques à ces deux groupes (des synapomorphies). Nous en présentons quelques unes (les plus « accessibles » pour des non-initiés !) (2) et (4) :

  • les vertèbres cervicales n° 4, 5, 6 et 7) possèdent un prolongement osseux formant une crête ventrale marquée tant chez les flamants que les grèbes. On retrouve ce caractère chez certains fous ou des oiseaux tels que le kagou ou le caurale-soleil mais ces derniers sont clairement apparentés à des espèces qui ne possèdent pas par ailleurs ce trait
  • il y a au moins 23 vertèbres présacrées (cervicales + thoraciques + lombaires) au lieu de 18 à 21 chez les autres oiseaux
  • 4 à 5 vertèbres thoraciques se retrouvent soudées en un os dorsal appelé notarium (qui renforce la rigidité de la colonne) ; le notarium existe chez d’autres groupes mais ni chez les oies et canards ou les cigognes, longtemps supposées parentes
  • un creux ovale particulier se trouve en dessous de la tête de l’humérus
  • les phalanges terminales des doigts sont nettement aplaties en forme d’ongle ; là aussi, les plongeons, cigognes, avocettes ou oies et canards (autrefois considérés comme parents proches) ont ces phalanges différentes, courbées et comprimées latéralement
  • les ailes portent 11 rémiges primaires alors que les autres oiseaux en ont 9 ou 10 (sauf les cigognes qui partagent ce caractère)
  • les œufs sont couverts d’une couche crayeuse faite de phosphate de calcium amorphe au lieu du carbonate de calcium chez les autres oiseaux (à l’exception des mégapodes qui sont apparentés clairement aux gallinacés et ansériformes).

Des oiseaux « merveilleux » !

En langage taxonomique, les deux groupes parents qui partagent un ancêtre commun forment un clade, un groupe de rang supérieur auquel on a donné un nom entièrement nouveau (3) : les Mirandornithes, composé à partir de miranda pour merveilleux et ornis pour oiseau. Le plus « merveilleux » chez ces oiseaux reste sans doute … leur parenté qui défie la rationalité.

Diverses analyses génétiques ont depuis cherché à affiner la position de ce nouveau clade par rapport aux autres. On le situe (mais avec des interrogations quant à sa position exacte) au sein d’un groupe nommé les Metaves et réunissant des oiseaux très hétéroclites comme le montre l’arbre de parentés joint.

D’autres données confirmant cette parenté grèbes/flamants liées aux parasites hébergés par ces oiseaux sont présentées dans une seconde chronique tandis que les données paléontologiques (le registre des fossiles) seront exposées dans une troisième chronique.

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Arbre de parentés des Metaves, groupe d’oiseaux qui inclut les Mirandornithes (en rouge). Modifié et simplifié d’après (6)

BIBLIOGRAPHIE

  1. Classification phylogénétique du vivant. Tome II. G. Lecointre. H. LE Guyader. Ed. Belin 2013
  2. Morphological evidence for sister group relationship between flamingos (Aves: Phoenicopteridae) and grebes (Podicipedidae). GERALD MAYR. Zoological Journal of the Linnean Society, 2004, 140, 157–169.
  3. A name for the flamingo–grebe clade. GEORGE SANGSTER. Ibis (2005), 147, 612–615
  4. Two additional synapomorphies of grebes Podicipedidae and flamingos Phoenicopteridae. Albrecht MANEGOLD. ACTA ORNITHOLOGICA Vol. 41 (2006) No. 1
  5. Metaves, Mirandornithes, Strisores and other novelties – a critical review of the higher-level phylogeny of neornithine birds. Gerald Mayr. J Zool Syst Evol Res (2011) 49(1), 58–76
  6. Handbook of the birds of the world. Special volume. Lynx edicions. 2013.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le flamant rose
Page(s) : 169 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez les grèbes
Page(s) : 103 à 106 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez les méthodes de la classification
Page(s) : 28 à 41 Comprendre et enseigner. La classification du vivant.