La friche efface les anciennes constructions humaines : crime de lèse-majesté ; et pourtant, cette murette en cours d’engloutissement représente un formidable service rendu à la biodiversité qui continuera à assurer sa fonction : un legs pour le monde vivant

02/04/2023 La friche est très connotée socialement et soulève des passions et réactions parfois très violentes (voir l’introduction à la chronique Friches et enfrichement) dès qu’on l’évoque et elle cristallise une armée « d’antis » qui ne jurent que sa destruction, son contrôle (via la « gestion ») ou sa reprise agricole. Une des difficultés pour en débattre tient, entre autres, au flou de la définition de cet habitat naturel et les nombreux « presque synonymes » qui existent dans notre langue pour en parler. Il nous a donc paru essentiel, avant d’entrer dans le vif du sujet et de « marcher avec la friche », de d’abord expliciter tous les mots qui gravitent autour de la friche et de l’enfrichement, tant au niveau des définitions, de l’étymologie que des exemples.

La friche efface aussi des constructions peut-être moins regrettées …

Précisons d’emblée que nous ne parlerons ici que des seules friches agricoles, des anciennes terres agricoles abandonnées (en déprise agricole comme on dit), ; nous ne parlerons pas des friches industrielles (usines désaffectées, bâtiments en ruines, chantiers abandonnés) ou touristiques (anciennes stations de ski par exemple) ; elles relèvent d’une problématique de type urbain tant dans leur origine que dans leur évolution. Nous nous sommes notamment appuyés sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNTRL) très bien documenté et fiable : les extraits utilisés ici sont en italique.

Frais, nouveau !

Anciennes terrasses abandonnées (Ardèche)

A tout fauteur de troubles, tout honneur : commençons donc par la friche elle-même. Ce nom relève du langage lié à l’agriculture et désigne « une terre vierge ou, le plus souvent, laissée à l’abandon » ; l’expression en friche signifie de même en état d’inculture et s’utilise dans l’expression, tomber en friche, ou, s’enfricher, l’antonyme bien connu étant défricher. L’enfrichement désigne donc le passage progressif à l’état de friche d’une terre agricole. A noter que plusieurs dictionnaires attestent friche au masculin, notamment comme synonyme de chiendent, symbole absolu de la mauvaise herbe envahissante honnie de tous.

Pré abandonné en tout début d’enfrichement (Auvergne)

Par extension, on emploie aussi friche au sens figuré soit comme nom pour un domaine inexploré ou négligé ou dans la locution en friche pour signifier à l’abandon, inemployé.

L’étymologie est un peu inattendue : on admet d’ordinaire que le mot friche (et sa variante freche attestée en 1287) vient d’un mot néerlandais versch/virsch « frais, nouveau » qui, employé avec le mot lant « terre » désigne une terre que l’on a gagnée sur la mer en l’endiguant. Voilà une racine ma fois plutôt positive et je retiendrai qu’il s’agit d’une terre « gagnée » : à ce titre, elle mérite qu’on la considère sous cet angle de la nouveauté et de ce qu’elle peut donc potentiellement apporter.

On notera que la définition reste très floue : elle se caractérise en creux par l’absence de toute forme d’usage du sol ce qui lui vaut d’ailleurs de sortir des statistiques agricoles et des bases de données d’occupation des sols. Cette définition par la négation a largement participé à l’idée que, de ce fait, elle ne sert plus à rien, puisque que l’humain ne l’exploite plus ; on a simplement oublié, de manière très classique, tout le reste du vivant, les non-humains, animaux, végétaux, champignons, …, pour qui elle peut être un lieu de vie comme tant d’autres. Dans la chronique sur la friche en marche, nous préciserons cette définition.

Impénétrable

On ne passe pas .. tant mieux pour tous ceux qui y vivent ! Tranquilité absolue

Une des caractéristiques majeures des friches agricoles repose sur l’installation d’une végétation ligneuse à base d’arbustes et d’arbrisseaux (voir la chronique sur la notion d’arbuste) et de jeunes arbres qui évolue plus ou moins vite vers un milieu pré-forestier puis forestier en se densifiant. Ces « buissons » et jeunes arbres imposent une structure bien particulière qui a suscité toute une série de noms presque synonymes que nous allons donc parcourir.

Fourré épineux avec, en plus, une ancienne clôture (traîtresse si on ne la voit pas !)

Le fourré est un ensemble particulièrement touffu de plantes, de broussailles ou d’arbustes à branches basses, situe dans un bois. Le Larousse propose lui deux définitions qui se recoupent : « massif de bois jeune et serré dont les tiges sont encore garnies de leurs branches dès la base » ou « endroit touffu, épais, d’un bois, d’une plantation ». On voit donc que ce terme reste associé à un milieu forestier : autrement dit, il s’applique plutôt aux stades avancés de l’enfrichement (voir la friche en marche) avec l’idée dominante de milieu impénétrable parce que « garni dès la base ».

Même en se mettant à quatre pattes, difficile de se faufiler entre les troncs des cornouillers qui, pourtant, n’ont pas d’épines

Ce mot remonte au 17ème avec l’expression lieu fourré, garni d’arbustes, de buissons, de bois épais avant de devenir fourré au 18ème pour un endroit garni d’arbustes serrés ; le verbe fourrer est lui associé à l’idée de « garnir ».

De manière inattendue, les botanistes ont retenu ce terme populaire pour désigner scientifiquement diverses formations pré et post forestières dans lesquelles dominent des arbustes et arbrisseaux qui recouvrent presque entièrement le sol. Les espèces épineuses dominent généralement ces milieux : aubépines, prunelliers, ronces, églantiers, ajoncs. L’exemple le plus frappant reste celui des fourrés de prunelliers, un modèle de formation dense impénétrable ; mais en milieu humide, on peut aussi citer les fourrés de saules ou saulaies arbustives qui, elles, offrent moins de résistance au passage faute d’épines !

On n’a guère envie de quitter le chemin qui permet néanmoins de profiter pleinement la friche et sa biodiversité

En langage plutôt littéraire, souvent dans un contexte cynégétique (hallier désigne aussi un filet de chasse), on utilise le terme peu connu de hallier : enchevêtrement de buissons serrés et touffus, d’un accès difficile. Cité dès le 15ème sous la forme haillier, il devient hallier au 16ème ; il serait issu du picard hal(l)ot pour saule à tête ou buisson ; on le fait aussi dériver du francique hasal pour noisetier (hasel en néerlandais, hazel en anglais).

Emmêlé

Embroussaillement d’un coteau calcaire : pour autant, beau paysage mosaïque avec la floraison des prunelliers !

Sous des climats plus chauds, on parle souvent de brousses pour désigner des formations arbustives denses et touffues ; or, ce mot brousse a été attribué au 19ème par les troupes coloniales à partir du mot broussailles (ou de sa version provençale, brousso).

Broussailles épineuses à base d’aubépines et de prunelliers : bourdonnement des abeilles venant butiner les prunelliers …

Une broussaille est une formation basse, de plantes ligneuses et très rameuses, buissonnantes. On l’emploie le plus souvent sous la forme au pluriel, broussailles, pour un ensemble d’arbustes rabougris et des ronces constituant la végétation des sous-bois et des terres incultes. On le trouve dès le 12ème siècle sous la forme broçaille puis à la fin du 16ème broissaille et il dérive de brosse avec le suffixe aille.

Le verbe embroussailler équivaut à couvrir de broussailles : on trouve même dans la littérature des broussailles embroussaillées ! L’embroussaillement désigne soit une masse de broussailles, soit le passage progressif vers des broussailles ; dans ce sens, il devient synonyme d’enfrichement.

Souvent, l’embroussaillement est diffus comme ce bas de pente alors que le haut reste exploité en pré

On notera qu’ici la connotation dominante est l’idée d’emmêlement des rameaux des arbustes comme le suggère l’emploi imagé pour des cheveux ou des sourcils broussailleux.

Obscur

Superbe fruticée de prunelliers qui serpente en bas de ce pré enclavé en cours d’enfrichement

Si les scientifiques utilisent le terme populaire de fourrés, ils n’ont pu s’empêcher de créer un terme spécifique, bien à eux et, comme souvent, peu transparent sauf pour les forts en latin ! Ils parlent donc de fruticées pour désigner des formations végétales dominées par des arbustes ou des arbrisseaux qui s’inscrivent dans un processus d’évolution vers des formations forestières, ce qu’on appelle une succession. Il m’est déjà arrivé d’assister à des réunions publiques où des conservateurs utilisaient à loisir ce terme suscitant dans l’assemblée des haussements de sourcils et moult interrogations !

Fruticée à genévriers communs sur un coteau volcanique en déprise (autrefois parcours à moutons)

Contrairement aux apparences, ce terme ne vient pas de fruit (fructus) mais de frutex pour arbrisseau. Les canadiens ont créé un synonyme bien plus transparent : une buissonnaie ! Par contre, cette notion est plus large que les deux précédentes dans la mesure où elle n’impose pas un couvert arbustif dense, touffu : on peut avoir des fruticées avec des plages de sol nu. Elle ne fait pas non plus référence à la perte d’usage des terres si bien que certaines fruticées peuvent avoir une origine non liée à l’humain et sont alors des formations dites primaires.

Fruticée de cornouillers au stade initial avec encore de nombreux espaces vides … qui vont se combler ….

On les décline selon les espèces d’arbustes dominants : fruticées à prunelliers (ou fourrés à prunelliers !) ; fruticées à ronces ou ronciers ; fruticées d’argousiers des arrière-dunes ; fruticées à buis ou buxaies (Buxus, nom latin du buis) ; fruticées à genévriers (junipéraies ou genèvraies). Et puis il y a les diverses fruticées méditerranéennes : maquis, garrigues, matorrals, … avec là aussi des variantes selon les plantes dominantes comme les cistaies (voir la chronique sur les cistes) ou les lavandaies.

Landes

Lande mixte : à gauche genêt purgatif et callune (rose) ; à droite : fougère aigle (Cantal)

La situation se complique avec les landes à la définition plus subtile. En 1788, on trouve cette définition :  on comprend… sous le nom de lande toute espèce de terrein, bon ou mauvais, non cultivé et qui ne produit que quelques herbes et arbustes continuellement broutés par les bestiaux auxquels ils servent de pâture. Là, vient s’introduire la question de l’origine de ces formations : terres incultes résultant soit de la dégradation de la forêt, soit d’un usage extensif mais répété comme lieu de pâture pour le bétail. L’étymologie se base sur une racine très usitée, issue du vieux gaulois landa, que l’on retrouve sous de multiples formes land, lann dans diverses langues anciennes (saxon, norrois, francique, celte) ; elle recouvre des notions en fait assez variées : « champ, pièce de terre » ou « plaine, espace dégagé » (idée que ce sont souvent des étendues plates). En fait, c’est un mélange de terre agricole-friche mais avec une exploitation qui a souvent été erratique ou discontinue. Selon le point de vue de l’observateur, ce terme peut donc prendre des significations assez variées. 

Genestière ou lande à genêts à balais qui colonise un pré abandonné
Lande à callune avec des touffes mortes qui laissent la place pour l’installation d’arbustes

Ainsi, pour les botanistes, ce terme désigne les formations essentiellement à base de certaines plantes comme les ajoncs (voir la chronique), les genêts ou les bruyères (famille des Ericacées) : on utilise plutôt le vocable de landes (voir ci-dessous) à leur égard car une part d’entre elles ne résultent pas de l’enfrichement de terres agricoles abandonnées. Les landes à genêts à balais qui étaient souvent gérées comme assolement au sein des rotations de cultures (voir la chronique) étaient connus comme genestières qui a souvent servi pour des toponymes ou des noms de personnes. Pour les landes à bruyères (souvent dénommées bruyères tout court), on différencie les landes dominées par la callune fausse-bruyère sous le terme de callunaies. Mais on emploie ce vocable dans d’autres contextes comme les landes tourbeuses à molinies, dominées par les touffes denses de cette graminée mais où vivent aussi des sous-arbrisseaux comme la bruyère à quatre angles ou le genêt d’Angleterre. De même, les formations envahies exclusivement par la fougère-aigle sont qualifiées de landes à fougère-aigle (ou ptéridiaies … pour faire vraiment savant) et s’installent souvent sur d’anciennes prairies ou terres cultivées abandonnées ; elles participent donc à l’enfrichement même si la fougère aigle n’est pas un arbuste.

Lande à fougère aigle sur un pointement rocheux non pâturé
Lande-tourbière (Aubrac)

Côté boisé

Depuis le sommet du Puy-de-Dôme (63) on perçoit l’étendue des accrues en contrebas, reconnaissables à leurs canopées très diversifiées ; au fond, par contre, ce sont des plantations de résineux : rien à voir avec le sauvage !

Dans le processus d’enfrichement, avec la progression des arbustes mais aussi des jeunes arbres qui grandissent, on atteint un stade pré-forestier puis forestier souvent dominé par une essence arbustive ou arborée. On se situe là à la frontière de la friche et de la forêt par colonisation spontanée. Les forestiers utilisent un terme spécifique pour désigner ces friches boisées : les accrues (nom féminin) ou les accrus (nom masculin) pour les peuplements forestiers qui colonisent une accrue ! Ce terme vient du verbe accroître.

Accrue très complexe avec épicéas, pins, genêts, feuillus, fougère aigle : belle mosaïque

Les accrues sont en fait des « hauts fourrés » dominés par des essences pionnières qui forment des peuplements plus clairsemés que les fourrés dont ils sont issus ; l’interception de la lumière par les canopées des arbres impose sa loi à la strate herbacée qui régresse ainsi que les arbustes bas qui disparaissent. Comme pour les friches en agriculture, ces accrues ne sont souvent pas prises en compte en tant que telles dans les inventaires forestiers, sorte d’entre-deux mal défini. Pour autant, certaines font l’objet de tentatives d’exploitations comme les accrues à frênes ou, autrefois, les accrues à noisetiers pour le charbon de bois (voir la chronique) ; elles servent aussi régulièrement de sites de pâturages boisés.

Toute la pente est couverte de fourrés très denses de noisetiers piquetés de quelques conifères (Chaîne des Puys 63)
En vieillissant, ces accrues à noisetiers prennent un aspect de mini-forêt de cépées naturelles avec une riche flore en sous- bois très diversifiée.

Selon l’essence ultradominante, on peut leur attribuer un nom plus spécifique : accrues à bouleaux ou bétulaies ; accrues à noisetiers (voir la chronique) ou corylaies ; accrues à ormes (ormaies) ; …

Accrue de frênes en plein développement sur un pré abandonné ; noter les genêts à balais en embuscade en arrière-plan (Auvergne)

Ne pas confondre avec les recrûs, terme de sylviculture peu usité, qui désignait les rejets se manifestant après la coupe des arbres d’un bois au ras du sol (taillis par recépage).

Accrues (en hiver) très développées sur les pentes de ce puy (63)

Vous voilà désormais familiarisé avec ce lexique de la friche et ses multiples variations qui se chevauchent allègrement tout en étant subtilement différentes. Prêts pour entrer dans l’intimité des friches, ces beaux jardins sauvages de biodiversité.

Bibliographie

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