Dianthus gallicus

Touffe d’oeillet des dunes en Vendée

02 07 2021 Les dunes retiennent peu l’attention des hordes d’estivants qui les traversent pour aller à la plage : à peine un regard pour ces « tas de sable » avec une maigre végétation que l’on piétine sans vergogne. Seules quelques rares espèces réussissent (peut-être ?) à capter un bref instant leur attention : soit par leurs vives couleurs comme la glaucienne ou pavot des dunes (voir la chronique) ou le liseron des sables (voir la chronique), soit par leur odeur. Dans les dunes vendéennes, un parfum domine au cœur de l’été : la puissante odeur de curry des immortelles des sables, très répandues et souvent en vastes colonies, odeur immanquable tant elle imprègne l’atmosphère dès que le soleil tape. Mais, pour le promeneur plus attiré par une belle rencontre avec le vivant que par la perspective d’aller se griller au milieu de la foule bruyante et de son odeur écœurante de crème solaire, ces dunes réservent une perle rare au parfum suave discret : l’œillet des dunes ou œillet de France.  A goûter sans retenue pour oublier un instant au moins le grouillement humain qui a investi la plage et s’accapare l’espace ! 

Flanc de dune avec une belle population d’oeillets

Original 

L’œillet des dunes fait figure d’original dans son genre (Dianthus) par son milieu de vie, les dunes littorales. La grande majorité des œillets sont des plantes des montagnes ou des pelouses sèches continentales. Il est très apparenté à une espèce montagnarde, l’œillet à feuilles d’hysope, auquel il ressemble fortement. Ce dernier était autrefois connu sous le nom d’œillet de Montpellier qu’il vaut mieux abandonner car sa répartition centrée sur le sud du Jura, une partie des Alpes, le Massif Central, les Cévennes et les Pyrénées ne correspond guère à cette dénomination. En fait, il avait ainsi été nommé (Dianthus monspessulanus) par Linné, le père de la nomenclature binomiale latine, car il en avait reçu un échantillon d’un botaniste demeurant à Montpellier ! On hésite encore à considérer l’œillet des dunes comme une espèce autonome : il ne serait peut-être qu’une sous espèce de cet œillet à feuilles d’hysope dont une population se serait adaptée au milieu dunaire. D’ailleurs en Espagne, sur la côte cantabrique, l’œillet des dunes entre en contact avec l’œillet à feuilles d’hysope qui descend là jusque sur la côte et ils peuvent alors s’hybrider, preuve de leur proximité génétique. 

L’autre originalité de notre œillet des dunes concerne sa répartition très restreinte depuis le Portugal, la côte nord-ouest de l’Espagne jusqu’au Cotentin en France au nord ; comme on ne le trouve nulle part ailleurs en dehors de cette étroite zone littorale, on parle d’espèce endémique franco-espagnole atlantique. 

Cocorico 

Dans les dunes, l’oeillet des dunes côtoie souvent la koelérie blanche, une jolie graminée qui fleurit en juin-juillet

En France, l’œillet des dunes occupe les systèmes dunaires depuis les Pyrénées-Atlantiques jusqu’au Morbihan avec quelques localités éparses au-delà dans le Finistère et le Cotentin. Il tend à être plus répandu dans la moitié nord de cette frange littorale. Ce statut géographique très restreint associé à son habitat très menacé par les grands aménagements touristiques et les impacts humains directs (piétinement, érosion) lui vaut d’être classé comme espèce protégée au niveau national par les Annexes I et II : interdiction de détruire l’espèce, d’arracher ou récolter et mettre en vente sur tout le territoire national toute partie de cette plante. 

Son nom latin Dianthus gallicus que l’on retrouve sous la forme vernaculaire œillet de France ; en latin Gallidésigne la France (la Gaule) mais gallus (galli au pluriel) est aussi le coq … gaulois ! Au vu de sa répartition globale (voir ci-dessus), s’approprier ainsi cette espèce relève donc d’un certain chauvinisme excessif puisque l’espèce se rencontre aussi largement en Espagne. Mais nous ne sommes pas seuls à adopter une telle attitude : nos voisins anglo-saxons ont acclimaté cette espèce sur l’île de Jersey dès 1892 et l’œillet des dunes s’y est naturalisé à l’état sauvage. De fait, il est devenu Jersey pink, l’œillet de Jersey ! 

Œillet rose 

Cet œillet forme des touffes denses avec de nombreux rejets stériles depuis une souche forte. Les tiges florifères feuillées sont simples ou rarement ramifiées, le plus souvent couchées à la base puis redressées : un port que l’on retrouve chez de nombreuses plantes des dunes. Les feuilles courtes (1-1,5cm), très étroites (presque linéaires), sont typiquement opposées (caractère commun à de nombreuses espèces de la famille des Caryophyllacées), plus serrées vers la base et sur les rejets stériles ; au contraire sur les tiges florifères longues de 10 à 30cm ne portent que quelques paires (6-10) relativement espacées. Tiges et feuilles présentent une teinte bleutée frappante due à un revêtement cireux, une pruine (qui s’efface quand on frotte avec un doigt) épaisse et persistante qui protège la plante contre la dessiccation. 

La floraison s’étale de juin à septembre : les tiges florifères portent de une à trois fleurs au sommet le plus souvent d’un beau rose soutenu mais parfois plus claires voire presque blanches. Les parties étalées (limbes) des cinq pétales disposés en cercle se rejoignent autour de la gorge de la fleur pour s’articuler chacune sur un long onglet vertical caché à l’intérieur du long calice en tube, structure typique des œillets. La gorge plus claire porte un cercle de marques rougeâtres ou verdâtres plus ou moins affirmées. Chaque limbe de pétale est découpé en lanières fines sur 25 à 35% de leur longueur. De cette gorge émergent en deux temps les étamines puis les styles assez longs, un mode de floraison typique de nombreuses caryophyllacées proches des œillets comme les saponaires (voir la chronique). Le calice verdâtre à rougeâtre forme un long cylindre protecteur renforcé à sa base par un cercle de quatre écailles courtes (calicule) et pointues ne dépassant pas un quart de la longueur du calice. Celui-ci persiste après la fécondation des fleurs qui perdent leurs pétales et entoure une capsule sèche cylindrique (issue du pistil central qui porte les styles) ; à maturité, elle s’ouvre au sommet ce qui permet la libération des graines, projetées notamment lors des coups de vent souvent violents dans cet environnement extrême (voir la chronique Cinq plantes de la dune au ban d’essai). Ce portrait pourrait presque s’appliquer intégralement aux fleurs de l’œillet à feuilles d’hysope mentionné ci-dessus à part le calicule plus long et des taches verdâtres plus marquées à la gorge des pétales.  

Ces fleurs dégagent un net parfum qui demande néanmoins de s’agenouiller pour se mettre à hauteur des fleurs. Elles fabriquent un abondant nectar secrété à la base du calice, tout au fond du tube étroit : il n’est donc accessible qu’à des insectes dotés soit d’une longue trompe comme des papillons, soit d’une longue langue comme certains bourdons.

Tiges fructifiées : le calice persiste et cache la capsule

Emblème 

Forte érosion d’une dune vendéenne après la tempête Xinthia

L’œillet des dunes habite donc exclusivement les sables maritimes, tout particulièrement dans les dunes fixées (dites dunes grises à cause de leur manteau de mousses sombres), juste en arrière de la crête de la dune, tout près du littoral. Mais il peut aussi se comporter en quasi pionnier en compagnie des liserons des dunes, des euphorbes des dunes ou des oyats sur des dunes récentes non fixées. Quand la végétation se densifie, il disparaît et ne prospère que dans les pelouses très ouvertes. 

Par son élégance et sa fragrance, il mériterait de devenir un porte-étendard de la conservation des milieux dunaires littoraux qu’il habite. Très malmenées par l’érosion engendrée par la montée progressive du niveau des océans, les dunes subissent depuis plus d’un siècle les assauts de l’urbanisation littorale et des aménagements touristiques de toutes sortes (accès aux plages, parkings, …). Le piétinement généralisé en été qui favorise ensuite l’érosion par le vent vient compléter ce noir tableau : effectivement, l’œillet des dunes a connu un net déclin au cours des trente dernières années notamment dans le sud-Ouest et en Charente-Maritime. Curieusement, son salut va peut-être venir du réchauffement climatique et de ses conséquences désastreuses sur l’érosion du littoral qui finit par saper les infrastructures proches de la côté (et là, on réagit !) : devant ce nouveau péril, les communes se décident enfin à protéger plus activement les espaces dunaires devenus les derniers remparts face à la mer qui monte. En Vendée par exemple, au cours de la dernière décennie, plusieurs grands secteurs de dunes anciennes ont été enclos (de manière légère qui n’entrave pas la circulation des animaux sauvages) pour limiter le passage des estivants ; les accès aux plages sont plus matérialisés et clairement délimités.

Malgré cela, on observe encore trop souvent des personnes escaladant les dunes pour mieux les dévaler ensuite et créant ainsi rapidement des mini-couloirs que le vent se chargera de creuser lors des tempêtes conduisant à un démantèlement progressif de la dune qui recule. A nous d’éduquer notamment nos enfants (mais aussi les adultes proches !) pour éviter de tels comportements en apparence anodins mais aux effets dévastateurs : leur faire sentier une fois une touffe d’œillet des dunes peut (peut-être ?) aider à déclencher une amorce d’empathie pour ce vivant qui s’accroche à la dune et survit dans des conditions extrêmes, tout en nous offrant de belles sensations ! 

Bibliographie

Flora Gallica. Ed. Biotope 2014

Inventaire des plantes protégées en France. AFCEV. Ed Nathan 1995

Atlas partiel de la flore de France. P. Dupont. MNHN 1990