03/12/2020 La saponaire officinale est une plante répandue qui fréquente de plus en plus les milieux transformés par l’homme ; on la cultive aussi dans les jardins comme horticole. Sa floraison estivale ne passe pas inaperçue par son abondance et son élégante teinte blanche à rose pâle. Membre de la famille des Caryophyllacées, sa biologie florale a fait l’objet de nombreuses recherches notamment par comparaison avec ses proches parents dont le compagnon blanc : ce sera donc le sujet de cette chronique après une présentation générale de ses exigences écologiques. Par ailleurs, nous lui consacrerons une seconde chronique à propos de sa réputation ancienne de plante savonnière qui lui a valu une certaine importance historique auprès des Hommes depuis la Préhistoire : ceci nous conduira alors à explorer les substances chimiques qu’elle renferme et leur rôle pour la plante elle-même. 

Vivace  

Colonie au printemps d’un beau vert vif qui attire l’oeil

Même hors de sa période de floraison où elle devient alors quasi impossible à confondre, on peut très facilement identifier la saponaire officinale à ses parties végétatives. Cette vivace de grande longévité forme des touffes volumineuses, voire des colonies couvrant plusieurs mètres carrés, via ses tiges souterraines ou superficielles très ramifiées (voir la chronique sur l’herbe au savon).

Les touffes s’étalent par multiplication végétative souterraine des rhizomes

Dès la fin de l’hiver, on repère aisément ses jeunes pousses aux grandes feuilles allongées (5-10cm de long sur 5cm de large), rétrécies aux deux extrémités, typiquement opposées (comme celles des Caryophyllacées en général), à pétiole court ou absent ; le caractère le plus marquant concerne les trois (parfois cinq) nervures saillantes parallèles, en long, faisant penser à des feuilles de  gentiane.  Son feuillage d’un beau vert franc tranche souvent dans les milieux herbacés qu’elle tend à occuper sur le fond des graminées environnantes. 

Très vite, les tiges robustes nombreuses grandissent, atteignant 30 à 70cm (jusqu’à un mètre) avec des nœuds bien marqués (points de départ des paires de feuilles) plus clairs ; simples dans le bas, elles se ramifient un peu vers le haut au niveau des inflorescences ; souvent teintées de rougeâtre, elles deviennent ligneuses à leur base et persistent en hiver alors que les feuilles se sont desséchées. Toute la plante est quasiment glabre avec au plus quelques poils fins sur les tiges. 

Archéophyte 

Habitat devenu typique : les bords de chemins

La saponaire officinale est répandue dans toute l’Europe et dans toute la France jusqu’à 1600m d’altitude. Elle recherche des sites bien exposés, assez chauds, en plein soleil : elle ne supporte qu’un ombrage léger. Au niveau du sol, elle tolère assez bien la sécheresse grâce à son appareil souterrain très puissant mais affectionne des sites plutôt frais avec une certaine réserve en eau et une bonne richesse en éléments nutritifs. 

Son habitat primaire originel semble bien être les berges et grèves de graviers et sables dans les vallées alluviales des cours d’eau. Là, elle s’implante parfois en vastes colonies soit dans les prairies spontanées à grands chiendents bleutés, dans les saulaies et peupleraies clairsemées du lit majeur, dans les fourrés humides dominés par les fouillis de liserons des haies ou de houblons et jusque sur les grèves surélevées où elle se comporte en pionnière fixant le sédiment. Ce lien avec le milieu alluvial transparaît dans la biologie de ses graines : celles-ci sont dormantes à leur libération (incapables de germer de suite) et doivent subir des épisodes de froid et, surtout, une forte imbibition d’eau pour lever cette dormance et pouvoir germer au printemps suivant ; les crues des rivières doivent donc favoriser ce processus. 

Belle colonie en bord de route : si on fauchait les accotements moins largement ….

Mais, compte tenu de ses liens étroits avec l’homme depuis des millénaires (voir la chronique La fleur à savon), la saponaire a été largement cultivée dans les jardins ou bien a été régulièrement récoltée et ramenée près des campements ou des habitations ; comme on exploitait avant tout ses rhizomes, le moindre fragment abandonné devenait capable d’engendrer une nouvelle plante (multiplication végétative). Ainsi, la saponaire s’est largement naturalisée auprès des hommes et s’est acclimatée dans de nouveaux habitats enrichis en nutriments par les activités humaines. Elle a probablement même été introduite très anciennement dans une partie de l’Europe occidentale depuis l’Europe centrale. Elle a ainsi acquis le statut d’archéophyte, i.e. de plante naturalisée depuis la préhistoire et complètement intégrée dans notre flore. Auprès de l’homme, hors des jardins où on la cultive encore, elle a colonisé les bords des chemins et des routes (son habitat principal), les voies ferrées, les cimetières, les pieds des murs dans les villages, les fossés, les carrières, les friches, les tas de déblais, … Bref, elle est devenue une plante compagne de l’Homme !  

Fleur en tube

Les fleurs des saponaires rappellent beaucoup celles des œillets (voir par exemple la chronique sur l’œillet des chartreux) : comme celles-ci, elles possèdent un calice en tube allongé cylindrique, finement nervuré, verdâtre souvent teinté de rougeâtre formé de cinq sépales soudés dont les pointes restent visibles au sommet ; par contre, contrairement aux œillets, on ne trouve pas d’épicalice ou calicule doublant le calice par en dessous.

Les onglets des pétales émergent du calice en tube (noter les pointes des sépales soudés)

Au sommet de ce tube allongé (jusqu’à 2,5cm de long) émergent les cinq pétales étalés à plat, à angle droit avec le calice, blancs, rose pâle à rose plus foncé (voir ci-dessous). En fait, il s’agit de la partie émergée des pétales (le limbe) qui s’articule avec un élément vertical étroit (l’onglet) implanté tout au fond du calice à sa base. Chaque limbe de pétale, entier ou à peine échancré, porte à sa gorge (là où démarre l’onglet) deux écailles très fines et aplaties ; l’ensemble de ces cinq paires d’écailles forme une coronule qui ferme quelque peu l’entrée de la fleur. 

Inflorescence vue de dessus

A l’intérieur et dépassant plus ou moins selon le stade de floraison (voir la suite), on trouve les pièces reproductrices : pour la partie « mâle », dix étamines disposées en deux cercles et aux anthères (sacs à pollen d’un beau bleu ardoisé) sur des filaments clairs ; pour la partie femelle, un long ovaire étroit vert (qui renferme les ovules ou futures graines) surmonté de deux styles allongés et recourbés terminés chacun par un stigmate en pointe. 

La fleur fécondée laisse place à une capsule allongée incluse dans le calice persistant sec et qui contient l’ovaire gonflé qui en atteint presque le sommet ; à maturité, la capsule sèche s’ouvre au sommet par quatre dents roulées vers l’extérieur. Elle renferme plusieurs dizaines de graines noires en forme de rein et couvertes de micro tubercules. Ces graines finiront par tomber au sol notamment lors des coups de vent qui secouent les capsules.

Parentés 

Les saponaires comptent une bonne vingtaine d’espèces dont la plupart habitent les montagnes du sud de l’Europe et de l’Asie du sud-ouest. En France, outre donc la saponaire officinale, nous avons la saponaire faux-basilic des régions plutôt montagneuses allant de l’Est au Massif Central et au Midi qui habite les pelouses sèches souvent rocheuses ; on la cultive beaucoup comme ornementale de rocaille. Trois autres espèces rares à très rares habitent les Pyrénées, les Alpes et le plateau du Larzac. 

Ces plantes se classent donc dans la vaste famille des Caryophyllacées (2200 espèces) très diversifiée et que l’on organise en tribus correspondant à différentes lignées évolutives. Les saponaires ont pour plus proches parents les œillets (voir ci-dessus les fleurs) et les vaccaires (genre Vaccaria) au sein de la tribu des Caryophyllae. Cette tribu a elle-même pour plus proche parent celle des Silenae , les Silènes au sens large ; celle-ci regroupe la nielle (genre Agrostemma), les lychnis (genre Lychnis) dont la coquelourde et une multitude d’espèces de silènes dont le silène vulgaire (ou silène enflé), les compagnons blanc ou rouge, le silène penché, …

Pour ne pas confondre les saponaires avec ces autres parents, citons les critères distinctifs des saponaires : le limbe des pétales presque entier avec deux écailles peu marquées à la base, la capsule qui s’ouvre par quatre dents (au lieu de 6 ou 10) et la présence de deux styles au lieu de 3 ou 5.  Pour le reste, elles partagent avec la majorité de ces parents proches la même structure florale en tube allongé. 

Deux temps 

Les fleurs de la saponaire officinale fonctionnent selon un système reproducteur particulier : la dichogamie (dicho = séparation et gamos, mariage) ou séparation dans le temps des deux sexes sur la même plante. La floraison d’une fleur individuelle dure en moyenne trois jours et trois nuits (elle reste épanouie le jour et la nuit). A l’ouverture du bouton floral au crépuscule, la fleur fraîchement éclose ne laisse émerger de sa corolle étalée que les étamines avec leurs anthères chargées de pollen ; à ce stade, on ne voit pas les styles qui n’ont pas encore entamé leur développement et restent inclus dans le calice. Fonctionnellement, la fleur n’a donc à ce stade que ses organes « mâles » (étamines produisant les grains de pollen) actifs tandis que les organes femelles (styles et stigmates du pistil) sont dormants ; la fleur est donc d’abord « mâle » et qualifiée de ce fait de protandre (protos= premier et andros = homme). Le premier jour, seul l’un des deux cercles d’étamines  libère son pollen.

La seconde nuit de floraison, les styles sortent de la corolle et deviennent réceptifs au pollen qui se colle sur les stigmates. A ce moment, le second cercle des étamines plus extérieur libère son pollen tout en s’écartant du pistil, marquant la fin de la phase mâle. Désormais, pendant encore une autre journée la fleur est littéralement « émasculée » et n’a plus que ses organes femelles fonctionnels. On saisit que la séparation des deux phases mâle et femelle n’est pas totale avec un léger chevauchement la seconde nuit ; d’ailleurs, dès le premier jour, les styles encore enfouis dans le calice sont déjà  un peu réceptifs au pollen. Mais globalement ce dispositif diminue fortement les risques d’autofécondation au sein d’une même fleur ou entre fleurs d’une même plante (géitonogamie : de geiton = voisin) car chez la saponaire il n’y a pas de protection physiologique interne de type immunitaire empêchant l’autofécondation. D’ailleurs, une part non négligeable des graines produites provient d’une telle autofécondation ; l’essentiel résulte néanmoins de fécondations croisées entre fleurs de plantes différentes via les insectes pollinisateurs qui visitent ces fleurs entomophiles (voir ci-dessous). 

Virage coloré 

Ce changement de « sexe » s’accompagne de transformations discrètes mais aux conséquences importantes par rapport aux visites des insectes pollinisateurs. Lors du passage au stade femelle, les pétales changent d’aspect : ils s’allongent, s’élargissent, s’épaississent (leur masse augmente) et tendent à se rabattre vers le bas si bien que le diamètre de la corolle diminue en fait ; en plus, ils effectuent un virage coloré plus ou moins marqué passant du presque blanc à un rose plus ou moins intense. Ce coup de « blush » provient de la synthèse de pigments de type anthocyanes ; celle-ci augmente d’autant plus que les fleurs se trouvent en pleine lumière : des expériences très élégantes montrent que les pétales des fleurs au stade mâle traitées à l’écran solaire total ne subissent pas ou très peu ce virage coloré ! 

Un autre changement invisible à l’œil nu s’opère au niveau des pétales. Si on mesure la lumière réfléchie par leur surface, on constate que, au stade mâle, la partie centrale de chaque pétale réfléchit bien moins la lumière que la base et l’extrémité ; au stade femelle, ce contraste s’atténue fortement. Or, la majorité des insectes ont un système visuel qui leur permet de percevoir de telles différences : les pétales des fleurs mâles doivent donc, pour eux, apparaître bigarrés sombres et clairs ; il s’agirait alors de guides à nectar incitant les pollinisateurs à se poser et leur indiquant le centre de la fleur au fond duquel se trouve le nectar (en plus du pollen des étamines bien en vue). 

Le virage rosé n’est pas neutre pour les pollinisateurs. Des expériences en laboratoire montrent que les pollinisateurs classiques de ces fleurs (voir ci-dessous) visitent moins les fleurs rose que les blanches. Plus une plante voit ses fleurs virer au rose foncé et moins elle produit de graines au final confirmant bien cet effet indirect. Certaines plantes effectuent un virage très marqué et d’autres presque pas : même si on pollinise manuellement des fleurs du type « virage marqué », elles produisent moins de graines ce qui laisse à penser qu’il existe un déterminisme génétique sous-jacent. On interprète ce virage coloré comme un moyen de réduire les visites entre fleurs d’une même inflorescence en éloignant dans la seconde phase les visiteurs de la première. 

Fleur nocturne 

Il peut sembler bizarre de parler de fleurs nocturnes pour les saponaires alors que nous avons vu qu’elles restaient ouvertes trois jours et trois nuits successifs. Elles répondent pourtant aux trois critères retenus par les botanistes pour définir de telles fleurs : d’abord, elles éclosent en fin de journée au crépuscule (entre 20H et 22H dans le nord de l’Europe) avec une ouverture synchronisée des anthères qui libèrent très vite leur pollen ; ensuite, elles ont une teinte claire presque blanche (au départ au moins) qui augmente leur  visibilité dans l’obscurité ; enfin, reste le critère clé des émissions de parfum. En effet, ces fleurs deviennent très odorantes de nuit en émettant des substances volatiles rappelant celles de certains œillets nocturnes (comme l’œillet des sables ou celui de Montpellier) ; dans le cocktail odorant émis, on trouve surtout des benzénoïdes dont le benzoate de méthyl à l’odeur agréable de goyave et utilisé en parfumerie. Ces émissions odorantes s’intensifient dans la nuit et cessent le matin ; dans la journée elles restent à un niveau très bas avant de reprendre la nuit suivante. 

A l’opposé les fleurs d’espèces qualifiées de diurnes n’éclosent pas de manière synchronisée ; parfois même comme chez l’œillet deltoïde, elles se ferment la nuit mais c’est une exception dans la famille. Les corolles sont dans des teintes bien plus foncées rouges à rose comme de nombreux œillets (dont le nom populaire anglais est … pink). Enfin, on n’observe pas d’augmentation des émissions parfumées la nuit. Chez les silènes proches parents des saponaires (voir ci-dessus), seules certaines espèces sont nocturnes comme le compagnon blanc ou le silène penché ; le premier ferme en partie ses fleurs de jour mais cette plante a des sexes complètement séparés (pieds mâles staminés et pieds femelles pistillés). 

Récompenses

A l’instar du proverbe « on n’attire pas les mouches avec du vinaigre », les fleurs des saponaires ne reçoivent des visites que parce qu’elles offrent deux récompenses potentielles. Le pollen des anthères reste facile d’accès vu que les étamines sortent du tube floral. Par contre, le nectar est réservé à une certaine élite capable d’aller le chercher là où il est produit, tout au fond de l’étroit tube formé par le calice, à la base des onglets des pétales : des glandes (nectaires) situées à la base des filaments des étamines le secrètent en continu. Les saponaires en produisent des quantités importantes et de manière régulière pendant les trois jours de floraison : en absence de visite, il finit par s’accumuler au fond du calice. Dans le bouton floral, le nectar commence déjà à être sécrété si bien que dès l’éclosion crépusculaire, l’appât est prêt ! 

Le nectar représente de loin la récompense la plus recherchée comme ressource énergétique majeure pour les insectes via les sucres qu’il contient. Globalement, dans les nectars floraux, on trouve trois sucres dominants : le saccharose (sucrose des anglo-saxons), un dissacharide (i.e. formé de deux molécules de sucres simples) et des sucres simples (hexoses à 7 carbone) sous forme de glucose ou fructose. Chez les saponaires, le saccharose domine largement représentant plus de 50% du total des sucres présents ; on retrouve ce caractère chez les autres caryophyllacées à fleurs nocturnes ce qui indique un lien entre cette composition et le type de visiteurs nocturnes (voir ci-dessous). 

La sécrétion du nectar au cours du temps vient confirmer le caractère nocturne des fleurs des saponaires : en effet, la quantité de nectar augmente en fin de journée jusque vers minuit pour se maintenir ensuite jusqu’au lendemain matin ; après une pause diurne, la production reprend la nuit suivante. On retrouve le rythme nycthéméral du parfum. 

Pour autant, dans la journée, il reste du nectar, notamment dans les fleurs non visitées au cours de la nuit : la structure en tube profond protège efficacement ce nectar de la dilution en cas de pluie ou de l’évaporation sous l’effet de la chaleur. Ce dernier point est capital car si l’eau s ‘évapore, la solution sucrée se concentre et devient tellement visqueuse que les trompes ou langues des insectes visiteurs ne pourront plus l’aspirer. Dans de nombreuses espèces, il existe une enzyme active (invertase) dans le nectar qui convertit le saccharose en glucose et fructose (hydrolyse comme lors de la digestion dans le tube digestif) ; chez les saponaires, l’activité de l’invertase est freinée maintenant ainsi un nectar très sucré et donc très énergétique. 

Les visiteurs 

Nous allons donc terminer par les premiers concernés : les insectes pollinisateurs qui visitent les saponaires. La longue liste des caractères singuliers de ces fleurs signe clairement ce qu’on appelle un syndrome de pollinisation par les papillons nocturnes, que ce soit des noctuelles (phalaenophilie) ou des sphinx (sphingophilie : voir l’exemple  des belle-de-nuit ou des onagres) : éclosion crépusculaire ;  fleurs ouvertes la nuit et très claires ; nectar abondant riche en sucre au fond d’un long tube floral ; entrée étroite de la fleur protégée par une coronule ; sécrétion du nectar plus importante la nuit tout comme l’émission de substances odorantes. Les observations de terrain confirment cette hypothèse avec des visites de noctuelles et de sphinx. Parmi les premières, une espèce très commune, la noctuelle gamma peut représenter jusqu’à 50% des visites nocturnes mais ceci varie considérablement selon les lieux et d’une année à l’autre. Des expériences ont testé cette espèce dans des tunnels de vol : parmi une quinzaine de fleurs testées, la saponaire officinale arrive dans le trio de tête des espèces les plus souvent repérées avec le cirse des champs et une orchidée très parfumée à fleurs blanches, l’orchis à deux feuilles. Des tests sur l’activité électrique des circuits neuronaux montrent que ce papillon réagit à onze des composés aromatiques volatiles de la saponaire. 

Noctuelle gamma reconnaissable à son motif blanc argenté en forme de lettre grecque gamma ; nocturne, elle vole aussi de jour !

Néanmoins, nous avons vu que ces fleurs restent ouvertes de jour tout en conservant plus ou moins de nectar. De ce fait, elles continuent à recevoir des visiteurs. Des syrphes (voir la chronique sur ces pollinisateurs méconnus) viennent collecter le pollen mais ne peuvent accéder au nectar. Si quelques espèces de bourdons (et souvent seulement les reines plus grandes) comme le bourdon des pierres ont des langues assez longues pour atteindre le nectar depuis la gorge de la fleur, d’autres comme le bourdon terrestre à langue plus courte trichent en perçant les calices à la base et en accédant ainsi au nectar sans assurer de transfert de pollen (voir l’exemple des ancolies) ; on peut les qualifier de voleurs primaires par effraction. Les abeilles domestiques apprennent vite à récolter le nectar via les trous percés ; ce sont des voleurs secondaires ! Les fourmis s’insinuent aussi volontiers par ces trous pour entrer et lécher le nectar.

Fleur au calice déchiré latéralement par l’effraction d’un bourdon ; noter aussi un petit coléoptère noir (méligèthe) qui se nourrit du pollen

Tous ces caractères, associés à sa grande rusticité et pérennité, font de la saponaire une plante mellifère très intéressante à conseiller dans les jardins ; il faut par contre éviter de planter des cultivars horticoles à fleurs doubles, peut-être plus jolis (ce n’est pas mon point de vue !!) mais qui ne produisent pas de nectar ! De plus, elle fleurit en été à une époque où les floraisons commencent à décliner et elle ne craint pas trop la sécheresse. Un seul bémol pratique : réfléchissez bien à l’endroit où vous l’implantez car la belle aura vite tendance via ses rhizomes d’envahir l’espace autour d’elle  risquant d’étouffer des espèces moins compétitrices. Belle occasion d’observer les voleurs diurnes en action (voir ci-dessus) et de tester de vos propres mains les propriétés moussantes de la saponaire que nous évoquerons dans une seconde chronique. 

Bibliographie 

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