Tractema lilio-hyacinthus

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Versant ouest du Puy de Côme. 23/04/1997

Entre mi-avril et mi-mai, il est un spectacle naturel à ne pas manquer sur certains puys des Monts Dômes (autrement dit la Chaîne des Puys) : les sous-bois fleuris des hêtraies des versants boisés, tout de bleu violet. Un spectacle inoubliable d’autant qu’il témoigne de la présence d’un milieu forestier très original et quasi unique (une association végétale comme disent les botanistes) : la hêtraie atlantique à scille lis-jacinthe, du nom de la plante dominante responsable de la « marée bleue » qui déferle en sous-bois. Découvrons les originalités de ce milieu forestier et de ses acteurs végétaux.

Une hêtraie particulière

Pour observer ce milieu, il faut chercher les belles futaies de hêtres encore présentes sur les pentes fraîches (donc plutôt côté nord, autrement dit sur les ubacs) avec un sous-bois clairsemé où se trouvent quelques arbustes comme de jeunes alisiers, des chèvrefeuilles, …. à une altitude entre 800 et 1200m. Une épaisse litière de feuilles mortes tapisse le sol ; si on gratte cette couche organique, on trouve un sol brun riche en éléments nutritifs qui s’est développé sur des roches volcaniques de type basaltes ou scories. Citons quelques sites favorables : les pentes ouest et nord du Puy de Côme (le long du sentier qui contourne le puy à sa base), le versant nord du puy de Jumes, le puy de Tressous, la forêt d’Allagnat, ….

Pour être sûr de ne pas se tromper (il existe d’autres variantes de hêtraies avec un cortège floristique bien différent), il faut donc choisir le milieu du printemps, le moment où la plante phare de ce milieu, la scille lis-jacinthe, connaît d’une part son développement maximal, formant alors des tapis de grosses rosettes de feuilles larges et luisantes étalées au sol et, surtout, se met à fleurir massivement, inondant le sous-bois de bleu violet. Les hêtres n’ont alors qu’à peine commencé à débourrer leurs feuilles, laissant de ce fait encore passer la lumière douce jusqu’au sol pour le plaisir des yeux. Ce comportement printanier est typique des plantes dites vernales qui se développent et fleurissent avant la fermeture de la canopée.

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Lis ou jacinthe ?

Au premier coup d’œil, la scille lis-jacinthe rappelle une plante cultivée très connue, la jacinthe d’Espagne (Hyacinthoides hispanica) mais elle s’en distingue aisément par ses fleurs étoilées (et non pas en cloche), assez petites disposées en une grappe courte et lâche, relativement petite par rapport aux robustes rosettes ! Chaque fleur est sous-tendue par une bractée membraneuse alors que la jacinthe d’Espagne (et sa cousine, la jacinthe des bois, absente en montagne) en possède « deux » (une grande doublée d’une plus petite). Le nom de lis-jacinthe (traduction littérale de l’épithète latin lilio-hyacinthus) traduit le fait qu’elle a les feuilles d’une jacinthe (Hyacinthus est le nom de genre des grosses jacinthes cultivées) mais un gros bulbe écailleux qui rappelle un autre de ses compagnons, le lis martagon (genre Lilium). Notons que, en dépit de cette ressemblance, le lis et la scille ne sont pas du tout apparentés : l’un appartient à la famille des Liliacées et l’autre à celle des Asparagacées.

La floraison dure une à deux semaines (il ne faut pas rater le créneau qui varie d’une année à l’autre selon la précocité du printemps) ; puis les fleurs fanent et laissent place à des capsules globuleuses à trois côtes marquées. Le feuillage persiste encore un peu, le temps de reconstituer les réserves du bulbe puis finit aussi par se dessécher. Au cœur de l’été, il ne reste que des feuilles sèches, des tiges sèches dressées avec des capsules ouvertes en trois, laissant apparaître des graines noires globuleuses. Ainsi va le cycle des plantes vernales bouclé en quelques mois (voir la chronique sur le perce neige).

Une franco-ibérique

La scille lis-jacinthe mérite qu’on s’attarde car il s’agit d’une espèce avec une aire de répartition restreinte puisque entièrement confinée entre le nord-ouest de l’Espagne et le quart sud-ouest de la France : on parle d’endémique franco-ibérique. En France, si elle abonde dans ses stations, elle n’en reste pas moins très locale depuis les Pyrénées, les Cévennes et la bordure occidentale du Massif Central avec donc les monts Dômes ; on la trouve surtout en moyenne montagne jusqu’à 1800m d’altitude mais elle descend en suivant les bords des rivières jusque dans les vallées en stations très réduites.

On la surnomme souvent jacinthe des Pyrénées mais ce nom reste trompeur à double titre : elle n’est pas localisée aux seules Pyrénées et mériterait tout autant le surnom de jacinthe des Dômes (un peu de chauvinisme !) et ce n’est pas une « vraie » jacinthe. Le genre Scilla (d’où le nom de scille) dans lequel on la plaçait autrefois a récemment été « explosé » en plusieurs genres : le genre Tractema où elle est désormais installée regroupe huit espèces toutes « atlantiques » (voir ci-dessous) qui se distinguent par les pétales un peu soudés à la base ; le genre Scilla renferme la scille à deux feuilles, une espèce forestière qui peut côtoyer la scille lis-jacinthe.

Le qualificatif d’atlantique renvoie à sa répartition qui coïncide avec la façade océanique d’Europe occidentale, signe qu’elle a besoin d’un climat assez doux et surtout bien arrosé. Elle signe ainsi une ambiance fraîche mais pas forcément très humide comme ici dans la Chaîne des Puys, où nul ruisseau ou ruisselet ne coule à cause des roches volcaniques très filtrantes. Une étude espagnole (1) sur les différentes espèces de scilles montre que si le changement climatique actuel se poursuit sur sa trajectoire actuelle, la scille lis-jacinthe, du fait de ses exigences, serait pratiquement éliminée à l’horizon 2080, ne pouvant plus trouver de milieux favorables même en migrant vers le nord !

Une hêtraie atlantique

Pour élargir le qualificatif d’atlantique à l’ensemble du milieu, il faut prendre en compte d’autres espèces compagnes de la scille lis-jacinthe au premier rang desquelles figure une belle plante aux touffes vert jaunâtre, l’euphorbe d’Irlande (Euphorbia hyberna) dont le nom évoque d’emblée la douceur climatique. Attention, hyberna ne signifie pas « qui hiberne » mais désigne l’ancien nom de l’Irlande ! Plus répandue à l’échelle européenne et en France que la scille, elle n’en est pas moins elle aussi typiquement confinée au quart sud-ouest du pays. Voilà donc qui justifie cette appellation de hêtraie atlantique.

Effectivement, dans le Massif central, ce type de forêt se trouve localisé sur les flancs occidentaux des massifs qui reçoivent un arrosage maximal comme les monts Dores (le Sancy) ou les monts du Cantal en Auvergne. Les Monts Dômes sont bien connus comme barrière climatique vis-à-vis de la très proche plaine de Limagne : les sommets volcaniques interceptent les pluies qui arrivent majoritairement par l’Ouest.

Pour autant, la hêtraie à scille des monts Dômes conserve une certaine originalité du fait de l’absence d’eau en surface, de la relative jeunesse de ses peuplements puisque les dernières éruptions volcaniques qui ont façonné les paysages remontent à – 10 000 ans. Du fait de l’altitude moyenne moindre, la flore compagne est moins montagnarde et la hêtraie à scille y apparaît dès 800m. Elle se distingue ainsi de celle des Monts Dores qui se développe plutôt au-dessus de 1000m. Son sous-bois présente aussi plus d’arbustes dont le bois-gentil (Daphne mezereum), un arbrisseau qui fleurit aussi au printemps.

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Bois-gentil en fleurs dans la hêtraie à scille du puy de Côme. 23/04

Les marées blanches

On ne saurait quitter cette hêtraie « bleue » sans oublier que d’autres plantes vernales, présentes dans d’autres milieux par ailleurs, y fleurissent aussi en tapis fleuris souvent exclusifs, « à côté » des tapis de scilles. Ainsi, les parties plus sèches voient, un peu plus tôt au printemps, des colonies d’anémones sylvie (voir la chronique consacrée à cette espèce) ; les parties les plus humides se trouvent envahies par des tapis d’ail des ours qui fleurit en masse au cours du mois de mai. Enfin, sur les pentes un peu plus élevées, prospère la dentaire pennée (Cardamine hepatphylla) qui fleurit plus tard en juin. Ainsi se succèdent ces floraisons lumineuses avant le déploiement du tapis vert des graminées de sous-bois : millet épars, pâturin de Chaix, fétuque des forêts, ….On les retrouve dans les variantes de hêtraie à sous-bois de noisetiers ou dans les accrus à noisetiers, ces boisements formés presque exclusivement de noisetiers (voir la chronique sur le noisetier).

Voilà donc un superbe milieu naturel dont peut s’enorgueillir la Chaîne des Puys à ne pas rater … mais au printemps seulement … et vite avant qu’elle ne disparaisse peut-être du paysage !!!

BIBLIOGRAPHIE

  1. The Iberian Species of Scilla (Subfamily Scilloideae, Family Asparagaceae) Under Climatic Change Scenarios in Southwestern Europe. Rubim Almeida da Silva, Joa ̃o Rocha, Ana Silva, Isabel Garcia-Cabral, Francisco Amich, and Antonio L. Crespı. Systematic Botany (2014), 39(4)
  2. Les forêts du versant sud des Monts Dores : esquisses phytosociologiques. CUSSET G., 1964. Ann. Sci. Forest., XXI (1) : 138-139, 142-153, 160-162, 165.
  3. Atlas partiel de la flore de France. P. Dupont. Muséum d’Histoire Naturelle. 1990 (cartes de répartition)

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le hêtre
Page(s) : 188 Guide des fruits sauvages : Fruits secs
Retrouvez la scille à deux feuilles
Page(s) : 108 Guide des Fleurs des Fôrets
Retrouvez l'ail des ours
Page(s) : 228 Guide des Fleurs des Fôrets