Capitule de tournesol avec sa collerette de bractées vertes en dessous.

Bractées : un mot qui fait souvent frémir les débutants en botanique qui essaient de percer les arcanes du vocabulaire spécifique. Pourtant la définition, pour une fois, est très simple : on appelle bractée une feuille qui sous-tend une fleur. Tout semble donc facile … sauf que çà se complique vite dès lors qu’on a affaire non pas à des fleurs isolées, bien individualisées, mais à des groupes de fleurs, des inflorescences souvent denses et serrées avec des ramifications. Et surtout, les bractées, comme tous les autres organes des plantes à fleurs, ont subi et subissent sous la pression de la sélection naturelle, forte pour tout ce qui se touche indirectement à la reproduction (via les fleurs), de profondes transformations indépendantes dans de nombreuses lignées : d’où, comme toujours, une formidable diversité à partir d’un schéma initial simple et des bractées devenues méconnaissables au point d’être confondues avec certaines parties propres aux fleurs comme le calice ou la corolle. C’est ce qui fait tout le charme du vivant : de la complexité certes, mais tellement d’innovations plus folles les unes que les autres, tant au niveau des formes que des fonctions. Nous allons donc aborder le monde des bractées sous cet angle évolutif et non pas sous un angle strictement botanique vite lassant.

Portrait

Donc, une bractée est une feuille plus ou moins modifiée ou spécialisée qui sous-tend une fleur portée par un pédicelle, au moins au stade du bouton floral car, assez souvent, les bractées deviennent rapidement caduques dès la floraison. Comme en plus, les bractées sont généralement bien plus petites que les feuilles ordinaires de la plante porteuse, il vaut donc mieux les chercher au niveau des boutons floraux où elles sont plus visibles. Le plus souvent, entre la bractée et la fleur, sur le pédicelle de la fleur, on trouve une ou deux autres bractées encore plus petites, souvent minuscules ou membraneuses, des bractéoles. Dans la pratique, la distinction bractées/bractéoles s’avère souvent quasi impossible car une bractéole peut à son tour sous-tendre une autre fleur en position latérale dans une inflorescence ramifiée ; le plus simple, c’est de partir de la base de l’inflorescence et de parler de bractées de premier ordre, puis de deuxième ordre, de troisième ordre (et parfois plus).

Ce cadre de référence étant posé, quels sont les critères distinctifs des bractées ? Ci-dessus, nous avons mentionné leur taille plus petite que les feuilles ordinaires ce qui traduit sans doute leur rôle plus dédié à la protection de la fleur située au-dessus (voir la suite) qu’à la photosynthèse comme les autres feuilles. Pour autant, elles conservent une structure de feuille avec un limbe aplati et, le plus souvent, une couleur verte mais leur forme peut être très différente de celle des autres feuilles de la même plante, de même que leur disposition.

En première conclusion, les bractées sont des feuilles certes modifiées et simplifiées mais des feuilles à part entière avec ce statut particulier d’être au plus près de la fleur ; elles sont d’ailleurs produites par le bourgeon apical de la pousse fleurie comme les feuilles situées en-dessous.

En marche vers le calice

Comme la bractée est bien une feuille, elle ne fait donc partie des organes floraux même si parfois elle en est très proche, voire presque intégrée. Par rapport à la fleur, l’organe voisin le plus proche de la bractée c’est le calice formé de plusieurs pièces, les sépales, eux aussi souvent avec une forme et une consistance de mini- feuilles. Cependant, il persiste deux différences fondamentales qui font des sépales des organes floraux et des bractées des feuilles : les bractées portent à leur aisselle des bourgeons axillaires (caractère de feuille) même si il faut s’armer d’une bonne loupe pour les observer et l’implantation n’est pas la même, les sépales du calice insérés selon une spirale serrée formant un cercle.

En dépit de cette différence essentielle, il existe divers cas où concrètement on observe des formes de passage progressives depuis les feuilles vers les sépales en passant par les bractées. Ces exemples ont d’ailleurs dès la fin du 19ème siècle suscité l’hypothèse d’une origine du calice à partir des bractées sachant que le calice (ni la corolle) n’existait pas dans les premières plantes à fleurs apparues à l’ère Secondaire.

Chez les anémones (famille des Renonculacées), on observe à différents degrés un regroupement et un rapprochement des bractées vers la fleur proprement dite dont sépales et pétales sont colorés et de même consistance (tépales) : chez l’anémone sylvie des forêts les trois bractées ressemblent à des feuilles et se trouvent encore à distance de la fleur ; chez l’anémone pulsatille des pelouses calcaires, les trois bractées très découpées se rapprochent du sommet et chez l’anémone hépatique, les trois bractées se collent à la fleur et simulent parfaitement un calice ! Dans la même famille des Renonculacées, on rencontre d’autres beaux exemples de collerette de bractées simulant un calice plumeux comme chez la nigelle de Damas (voir la chronique sur cette plante).

Un cas encore plus trompeur est celui des belles-de-nuit (Mirabilis jalapa) où tout « est faux » : le « calice » vert correspond aux 5 bractées intégrées sous la fleur ; la « corolle » rose ou jaune correspond en fait au calice devenu coloré (voir la chronique consacrée à cette espèce). Dans la même famille, sa cousine, la bougainvillée s’avère tout aussi trompeuse : ce qu’on prend pour une seule fleur est en fait une inflorescence de trois fleurs en tube, entourée de trois grandes bractées colorées rose ou rouges ou violacées !

Dans plusieurs familles, on assiste à une véritable intégration des bractées juste sous le calice, comme un second calice externe : on parle d’épicalice ou calicule. Souvent ces bractées intégrées conservent un aspect différent des sépales contre lesquels elles se tiennent comme chez diverses espèces de la famille des Malvacées (voir la chronique sur la rose trémière) ; mais elles peuvent aussi devenir indiscernables et se confondre avec le calice comme chez les potentilles ou les fraisiers (famille des Rosacées).

Fusion

Déjà dans les cas précédents (mais qui concernaient des fleurs individuelles), on observe un rapprochement des bractées et bractéoles qui se retrouvent ainsi disposées au même niveau : on parle d’involucre (du latin involucrum, enveloppe). Cette association étroite concerne surtout les inflorescences très condensées, dans lesquelles les bractées des différentes fleurs individuelles se retrouvent serrées les unes contre les autres.

Quand on mange les « écailles » charnues de l’artichaut, on consomme ses bractées ; les fleurons ou fleurs individuelles très nombreux occupent tout le réceptacle (le coeur)

Le cas le plus connu concerne la majorité des plantes de la famille des astéracées ou Composées avec leur inflorescence hyper condensée, un capitule, formé du rapprochement de dizaines à des centaines de fleurs élémentaires (fleurons) sur un même plateau porteur (réceptacle) ; ce dernier se retrouve couvert extérieurement par une collerette de bractées individuelles très serrées elles aussi. L’un des involucres les plus connus du grand public, souvent à l’insu de leur plein gré ( !), c’est celui de l’artichaut dont on consomme les bractées charnues à leur base (le « cœur » de l’artichaut correspond lui au réceptacle). En plus, dans un certain nombre de genres, les fleurons individuels portent toujours à leur base chacune une bractée membraneuse ou paillette (encore nommée paléole ou paléa). Compte tenu de l’immensité de cette famille (plus de 25 000 espèces), la diversité est au rendez-vous quant à la forme, la consistance, la taille ou la couleur de cet involucre !

On retrouve par convergence un involucre sous un capitule du même type dans une autre lignée chez les cardères, les scabieuses et les knauties (famille des Caprifoliacées, sous-famille des Dipsacées).

Dans la famille des ombellifères ou apiacées, l’inflorescence en ombelle reste déployée le plus souvent mais les fleurs souvent réduites tendent à se resserrer ; chaque ombelle peut être (ou pas selon les genres ou espèces) sous-tendue par un involucre de bractées herbacées ; comme souvent ces ombelles ont une structure composée (ombelle d’ombelles), on peut avoir un involucre tant au niveau primaire qu’au niveau des ombelles secondaires (on parle là d’involucelle). Dans cette famille, les panicauts et les astrantes (voir la chronique) se distinguent par des ombelles plus ou moins condensées ressemblant à des capitules. Chez la carotte sauvage, l’involucre primaire se compose de grandes bractées très découpées et rabattues, très voyantes et décoratives tout comme chez son cousin, le khella très cultivé comme ornementale.

Enfin, le cas le plus spectaculaire en terme de condensation se trouve dans la famille des Fagacées avec les hêtres, les chênes et les châtaigniers caractérisées par des fleurs en chatons très fortement modifiées dans lesquelles les bractées se transforment soit en valves chez les hêtres (que l’on retrouve dans le fruit ou faîne) et les châtaigniers (les valves de la bogue épineuse) ou en écailles collées sur des cupules chez les chênes.

Extrêmes

Avec les fagacées ci-dessus, nous entrons dans les transformations radicales ; mais il y a bien plus « fort » !

Dans la lignée des graminées ou poacées, les bractées ont subi une évolution « extrême » au sein des inflorescences en épillets typiques de cette famille : les bractées deviennent des pièces écailleuses rigides qui enveloppe une pousse florale portant des fleurs très serrées sur deux rangs ; à la base de chaque épillet (qui peut être réduit à une seule fleur), il y a en principe deux bractées : les glumes légèrement décalées et le plus souvent inégales. Elles peuvent porter divers appendices dont des arêtes ou des soies parfois spectaculaires. A l’intérieur de l’épillet, chaque fleur se trouve elle-même enveloppée à son tour par deux glumelles elles aussi membraneuses : cependant, les données embryologiques montrent qu’il ne s’agit pas cette fois de bractées mais de sépales transformés !

Les bractées ont pu prendre un aspect très voyant et coloré et se développer considérablement imitant alors une corolle de pétales : cet aspect sera traité dans une autre chronique car il s’est manifesté de nombreuses fois au cours de l’évolution et sous des formes très variées et souvent spectaculaires et attractives à nos yeux.

Nous terminerons cette chronique (mais sans avoir, loin de là, balayé toute l’étendue de la diversité des situations) avec le cas des bractées « géantes » qui enveloppent des inflorescences très modifiées et de grande taille comme chez les bananiers, les palmiers, les zingibéracées, … Chez les ails, la spathe membraneuse se déchire lors de la floraison et peut rester accrochée un temps au sommet de l’ombelle sous forme d’un chapeau du plus bel effet ! Chez les Aracées, la famille des arums, la spathe prend la forme d’un capuchon ou d’un cornet qui enveloppe étroitement une inflorescence en massue ou spadice : la spathe des arums blancs ou la spathe écarlate et charnue des anthuriums sont très connues pour leur valeur décorative (voir aussi la chronique sur la serpentaire).

Reste un point capital à propos de ces bractées : leur(s) fonction(s). A la diversité des formes et structures évoquées ci-dessus, correspond bien entendu une diversité des rôles avec des exemples étonnants et passionnants que nous aborderons dans une autre chronique.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Floral diagramms ; L. P. Ronse de Craene. Ed. Cambridge University Press ; 2010
  2. Les fleurs. Evolution de l’architecture florale des Angiospermes. G. Tcherkez. Ed. Dunod. 2002
  3. Diversity and evoltionnary biology of tropical flowers. P. K. Endress. Cambridge University Press. 1994
  4. La planète fleurs. G. Guillot. Ed. Quae