Pseudoturritis turrita

21/04/2022 Rien que son nom populaire avec sa jolie rime interne est une invitation à la découverte ; mais la belle se mérite car elle est rare et localisée avec une répartition montagnarde assez restreinte. Par contre, elle a le gros avantage d’être détectable toute l’année grâce à ses grappes de fruits secs plus que surprenantes, sans équivalent dans notre flore. Nous nous intéresserons aussi à une proche cousine qui partage avec elle le nom de tourette.

Grappe de faucilles

Grappe de siliques vertes de l’arabette Tourette ; noter les bractées qui sous-tendent les fruits de la moitié inférieure

Commençons donc par le critère décisif et unique de cette espèce : sa grappe de fruits secs qui culmine au sommet de ses tiges. Tous remarquablement arqués, pendants dans le même sens (grappe unilatérale), ces fruits nombreux et serrés frappent par leur longueur inhabituelle de 8 à 15cm. D’abord verts puis secs, ce sont des siliques typiques de la famille des Crucifères (voir les chroniques sur les espèces de cette famille) ou Brassicacées : à maturité, on observe deux valves opposées qui se détachent selon deux lignes d’ouverture (déhiscence) latérales et exposent une cloison centrale un peu parcheminée (replum) sur laquelle sont accrochées les graines ailées. Chaque silique est aplatie comprimée avec une surface bosselée. 

Certes, on trouve de nombreux autres exemples de siliques allongées chez les crucifères comme celles de l’alliaire officinale (voir la chronique) une espèce très commune ou celles du colza cultivé, mais aucune n’égale l’arabette tourette tant pour sa longueur que pour son arcure surprenante. En plus, contrairement à la majorité des autres crucifères qui, après l’ouverture de leurs siliques, ne conservent au plus que la cloison centrale, l’arabette tourette, elle, garde la totalité de ses fruits : les valves sont juste écartées pour laisser échapper les graines. Ces grappes chevelues et singulières persistent ainsi tout l’hiver et jusqu’à la floraison au printemps suivant : un indice précieux en automne ou en hiver quand la plante se résume à une rosette de feuilles (voir le zoom-balade de la couze d’Ardes). Avec l’habitude on peut même ainsi repérer cette plante en circulant en voiture le long des routes avec des talus rocheux, un de ses milieux d’élection. 

Fausse tourette

Ce nom étrange de tourette se comprend au vu de ses tiges robustes, simples (non ramifiées) dressées à la verticale, terminées par ces grappes imposantes de fruits secs : ceci a suscité l’image d’une petite tour ou tourette, traduit de l’épithète latin turrita et repris en anglais sous tower-cress (cress désignant toutes sortes de crucifères). A noter que ce joli nom désigne aussi en patois vendéen un tas de gerbes. 

Pour le botaniste, l’arabette tourette n’est plus une vraie arabette (Arabis), genre dans lequel on la classait autrefois sous le nom latin d’Arabis turrita : dans ce genre, on trouve diverses espèces montagnardes dont une très connue en culture comme plante de rocaille, l’arabette alpine ou sa proche cousine l’arabette du Caucase. On a « déclassé » l’arabette tourette entre autres à cause de ses siliques qui diffèrent de celles des vraies arabettes par la disposition des graines sur le replum central : en un seul rang (unisériées) chez les Arabis et sur deux rangs pour l’arabette tourette. 

On a donc créé un genre à part pour elle seule (genre monospécifique) : Pseudoturritis, soit « fausse-tourette » … ce qui sous-entend qu’il doit exister une « vraie » tourette. Historiquement, les botanistes avaient déjà choisi turritis comme nom de genre pour une autre crucifère, la tourette glabre (Turritis glabra) ce qui fait de cette dernière « la vraie » tourette. Après avoir observé les autres critères distinctifs ci-dessous, nous verrons comment distinguer aisément ces deux espèces qui peuvent parfois cohabiter dans les mêmes milieux

Crucifère 

Si l’identification est très facile avec les fruits, elle devient plus problématique en leur absence et il faut donc apprendre à repérer d’autres critères quand on a la chance d’avoir les fruits en même temps.

En automne, la plante fane et sèche

L’arabette tourette se comporte le plus souvent en bisannuelle : en fin d’été, la germination des graines donne naissance à une rosette de feuilles étalées au sol qui va passer l’hiver : de forme ovale, sinuées-dentées sur les bords, d’un vert grisâtre, ces feuilles basales (dites radicales) se démarquent par leur toucher velouté doux, dû à la présence de nombreux poils étoilés, la plupart à quatre branches (sous la loupe). A ce stade, on peut les confondre assez facilement avec d’autres espèces. 

Puis, au printemps suivant, la rosette élabore des tiges dressées robustes, simples portant de nombreuses feuilles alternes, larges et embrassant la tige par deux oreillettes. Comme les feuilles basales, ces feuilles de la tige (caulinaires) conservent le même toucher et aspect velu doux, un critère clé. 

Puis vient rapidement la floraison à partir d’avril avec l’émergence au sommet de la tige d’une longue grappe de fleurs blanc jaunâtre de taille moyenne à quatre pétales comme toutes les crucifères. A ce stade, les fleurs sont dressées et attirent divers insectes par la production de nectar. A noter que les fleurs de la moitié inférieure de ces inflorescences sont sous-tendues par des bractées (voir la chronique) alors que chez les vraies arabettes, il y a au plus une ou deux fleurs basales avec des bractées.

Dès qu’elles sont fécondées, le pistil central des fleurs commence à s’allonger et ressort nettement : ainsi, naît la future silique qui va poursuivre son allongement démesuré tout en s’arquant progressivement ; les pédicelles épais et dressés au départ se courbent eux aussi ce qui conduit à la grappe unilatérale de fruits verts pendants. A partir de là, plus aucun doute n’est permis. 

Montagnarde thermophile 

En France, l’arabette tourette présente une répartition dispersée et très inégale : elle n’est régulière (tout en étant rare et localisée) qu’à l’Est d’une ligne Metz-Biarritz en situation semi-montagnarde (en général au-dessus de 400m) sur des pentes bien exposées dans des vallées abritées. On la retrouve en stations très isolées dans des grandes vallées comme celles de la Garonne ou de la Loire. Dans cette dernière, elle est encore présente en de rares stations en Indre-et-Loire mais sur de vieux murs près d’habitations ce qui suggère une naturalisation très ancienne peut-être à partir d’anciennes cultures comme ornementale. De même, en Grande-Bretagne, elle n’est connue à l’état « sauvage » que sur les murs du St John’s College de Cambridge suite à une naturalisation remontant au 19ème siècle. 

Son aire globale couvre l’Europe centrale et méridionale de l’Espagne jusqu’à la Grèce et au nord jusqu’en Allemagne et aux Pays-Bas ; elle s’étend jusqu’en Asie mineure et en Algérie. Les botanistes géographes la qualifient d’eury-méditerranéenne , i.e. de méditerranéenne au sens large ou d’affinité méridionale.

Coteau aride granitique avec le genévrier et le séneçon des bois

Ceci traduit bien son besoin de chaleur (thermophile) tout en étant capable de vivre en semi-ombre dans les pentes boisées claires. Elle recherche des sols secs sur des substrats souvent calcaires mais aussi sur granite (notamment les granites avec des minéraux calciques) ou sur des roches volcaniques : elle évite les substrats trop acides. Dans ses stations, on trouve en sa compagnie par exemple le chèvrefeuille d’Etrurie (voir la chronique), le sceau-de-Salomon odorant (voir la chronique), la buplèvre en faux ou la laitue vivace. 

Sur un talus ombragé dans une chênaie claire sur pente

Elle peuple divers milieux avec presque toujours un fond rocheux : pentes et éboulis rocheux ; pelouses rocheuses ; zones buissonnantes (fruticées) et lisières forestières chaudes ; bois secs et clairsemés dominés le plus souvent par le chêne pubescent. Sinon, comme mentionné ci-dessus, elle peut aussi s’installer sur des ruines de vieux châteaux ou de vieux murs à proximité de sites rocheux ou suite à des naturalisations. 

Sur un talus le long d’un chemin forestier

Vraie tourette 

Maintenant que nous maîtrisons bien l’arabette tourette, voyons du côté de la vraie tourette.

La tourette glabre (encore surnommée tourelle) partage avec l’arabette tourette un port en « colonne » dressée avec des tiges blanchâtres peu ramifiées vers le sommet portant des grappes fructifères de longues siliques très fines de 5 à 8cm de long mais toutes dressées, serrées les unes contre les autres ; là aussi, les siliques persistent longtemps après la floraison sur les tiges sèches. Mais, chez la tourette glabre, hormis la rosette basale de feuilles dentées velues qui sèche rapidement avant la fin de la floraison, tout le reste de la plante est parfaitement glabre ; les feuilles des tiges, embrassantes par deux oreillettes elles aussi, sont plus pointues. Feuilles et tiges ont un aspect radicalement différent avec leur toucher très lisse et leur teinte bleutée (glauque) qui s’efface un peu au frottement (revêtement pruineux). 

Elle aussi fréquente des sites secs et chauds mais toujours en plein soleil dans des milieux très ouverts. Elle montre de plus un certain goût pour les sols enrichis en nitrates et tend donc à fréquenter des habitats plus perturbés et modifiés par l’homme. Elle habite les lisières et ourlets secs et chauds, les coupes forestières caillouteuses, les clairières et chemins éclairés des chênaies sèches ouvertes, les friches buissonnantes tant qu’elles ne sont pas fermées. Contrairement à sa cousine, elle est bien plus répandue dans toute la France mais jamais très abondante. Ces dernières décennies, elle montre une petite tendance à l’expansion à la faveur du réchauffement climatique et en exploitant des friches et remblais créés par les activités humaines. 

Bibliographie

Flore forestière française tome 2 Montagnes Ed IDF 1993

Atlas de la flore du Centre Val de Loire. J. Cordier et al. Biotope Ed. 2021