Zoom-nature devant sa fiche de travail !

08/06/2023 Du 17 au 19 août 2023 se tiendra le Festival des Insectes à la Cité de l’Abeille près de Viscomtat (63) avec, comme chaque année, un insecte fil conducteur, le Lucane ou cerf-Volant. J’aurai l’honneur d’y animer une sortie et une conférence le Samedi 18 août sur le Lucane, espèce iconique entièrement dépendante du bois mort pour assurer sa reproduction (voir la chronique) ; en plus, le Festival présente une exposition intitulée L’Arbre sur la Terre avec la sortie d’un ouvrage collectif de photographes l’Arbre.

La Cité de l’Abeille

Pour accompagner ce double thème de l’Arbre et du Lucane, je propose donc un zoom-balade au départ de la Cité de l’Abeille avec comme thème central : le bois mort et ses annexes, milieu de vie des insectes xylophages (voir la chronique). Le circuit court parcourt une vallée, du bocage et des boisements de résineux ou de feuillus : en cheminant au long de ce circuit très agréable avec de superbes vues sur les Monts des Bois Noirs, nous allons nous intéresser à la « seconde vie des arbres », celle qui commence avec la sénescence (la vieillesse !) et ses traces et se poursuit avec la mort définitive puis la longue et lente décomposition, source de nourriture et d’abri pour une riche biodiversité animale, bactérienne, fongique mais aussi végétale.

Ci-joint le plan du circuit non balisé mais très facile à suivre avec le texte descriptif très simplifié sans les explications naturalistes. Nous l’avons divisé en quatre tronçons numérotés : nous avons nommé chacun d’eux de manière non officielle ; les mentions (g) ou (d) indiquent si l’élément à observer se trouve à gauche ou à droite du chemin, bien entendu selon le sens de parcours indiqué. Le texte descriptif du circuit à suivre est en italique.

Longueur : environ 2,7 km. Dénivelée maximale de 50m : une petite grimpette au départ sur un chemin caillouteux mais ensuite circuit très facile et agréable, ombragé la plupart du temps.  Attention : nous sommes dans une région où les tiques abondent !

Chemin du chaos (1)

Départ de la Cité de l’Abeille, le Champet, Viscomtat ; suivre la route en direction de la Planche.

Convergence de formes : au premier plan, aulnes glutineux le long du ruisseau et en arrière, des résineux

Noter (g) le long du ruisseau du vallon, la belle rangée d’Aulnes glutineux, arbre feuillu lié aux zones humides : il pousse en cépées (touffes de troncs partant du même point) et sa silhouette rappelle nettement celle d’un conifère (« sapin de Noël »).

Table de lecture : la Croisée des chemins (chemin de Montaigne). Prendre le chemin qui monte : caillouteux et étroit (d).

Juste avant le panneau, un vieux frêne cassé montre l’intérieur de son tronc creux ; un peu après le début du chemin, de même, deux troncs creux de peupliers morts. Certains arbres feuillus à bois tendre (on les qualifie de « bois blancs »), en vieillissant, voient leur bois de cœur (duramen), celui qui a cessé de fonctionner (voir la chronique), se décomposer et se transformer en terreau intérieur : un riche milieu très recherché des larves de certains coléoptères (la grande famille des scarabées). Ainsi se forme une cavité qui finit souvent par communiquer avec l’extérieur et devient alors habitable par des oiseaux cavernicoles (nichant dans des cavités dont les mésanges ou la sitelle).

Frêne mort-vivant

En montant (d), dans le talus, un frêne antique montre un énorme tronc (balise de GR) très abimé : il a perdu son écorce sur la moitié du tour et il est cassé à mi-hauteur. Pour autant, il n’a pas dit son dernier mot et on voit plusieurs branches émerger de sa cime « ébréchée ». Incroyable résilience des arbres vétérans capables de renaître alors qu’ils semblent anéantis ! Pour autant, il offre déjà du bois mort susceptible d’héberger des larves d’insectes !

(g) : un mini chaos granitique dans le talus.

Juste avant le chaos, (d), se dresse une belle cépée (bouquet de troncs) d’érables sycomores (balise GR) : une telle configuration résulte de l’intervention ancienne de l’Homme qui a dû couper à ras un sycomore qui s’était installé là pour exploiter le bois. L’arbre ne meurt pas : sa souche émet une série de rejets depuis des bourgeons dormants sous l’écorce ; quelques-uns survivent et prennent le dessus devenant au fil du temps de nouveaux troncs. Noter que les deux troncs les plus à (g) se touchent à mi-hauteur et ont commencé à se souder l’un à l’autre : on parle d’entretoise (voir la chronique sur ce processus fascinant) qui permet aux troncs de se tenir l’un l’autre et de mieux résister ainsi au vent sans avoir à renforcer leur bois interne ! Solidarité arborescente !

Le chemin grimpe raide

Une grosse cépée de châtaigniers (4 troncs) (d) a développé à sa base une grosse excroissance difforme, née de plusieurs épisodes de tailles ; une cavité naturelle s’est formée avec du bois mort à l’intérieur : belle niche pour la faune locale. Ne dirait-on pas un cyclope cornu ? Noter les jeunes rejets prêts à prendre la relève si on coupe à ras les troncs formés.

La croix des châtaigniers (2)

On arrive à un col avec une belle citation de Montaigne marqué par une croix en fer. Sur le chemin qui part à (d) (direction de Grimond/Viscomtat), on voit deux énormes châtaigniers vétérans : faire l’aller-retour pour les saluer.

Tronc carié

Ces deux châtaigniers sont des trognes, i.e. des arbres qui ont été taillés régulièrement à quelques mètres de hauteur ce qui conduit à un tronc très gros et court portant une grosse ramure de branches (voir la chronique sur les trognes). Le premier (balise non GR) présente un tronc remarquable largement ouvert sur le flanc avec tout le bois de cœur sec et en début de décomposition : une manne pour les larves d’insectes xylophages (qui vivent et se nourrissent du bois mort ou de ses annexes) dont le lucane ! Il devait avoir une grosse branche latérale basse qui s’est arrachée suite à un coup de vent : mais on notera que l’écorce forme un gros bourrelet-cicatrice qui protège le bois encore vivant. Le gaillard se porte bien et fleurit et fructifie. la décomposition interne est une conséquence du vieillissement prolongé lié à la taille en trogne (voir la chronique sur la Carie des trognes).

Le second, un peu plus loin, offre une silhouette singulière : un gros tronc trapu, une boule de feuillage et une couronne de grosses branches mortes. Ce vétéran connaît une descente de cime : devenu trop vieux pour assurer l’alimentation des branches en hauteur (et sous les coups de boutoir des épisodes de sécheresse et canicule), il se « replie » vers le bas et abandonne sa cime en cessant d’alimenter ces branches devenues trop hautes pour lui. Il produit même des rejets à sa base, prêts à prendre le relais si d’aventure il se cassait ou mourrait complètement. Il peut ainsi encore vivre longtemps en dépit de son allure de mort-vivant !

Noter en arrière-plan les silhouettes improbables en fuseau de trois grands arbres : des peupliers d’Italie, plantés par l’Homme ; il s’agit d’un cultivar, i.e. une mutation que l’on sélectionné pour sa forme inhabituelle et multiplié par clonage.

Poursuivre droit devant une centaine de mètres après la croix jusqu’au carrefour suivant.

Le chemin des cadavres exquis (3)

Le circuit traverse des boisements de résineux plantés : essentiellement des sapins de Douglas mais aussi des sapins blancs ou des épicéas. Pour les distinguer, il faut observer le feuillage et la forme et la disposition des aiguilles.

Prendre le chemin qui monte (g) et longe une coupe (d) au début.

Le bois mort et son esthétique fascinante

Le long de ce chemin, nous allons découvrir diverses facettes du « bois mort », i.e. ce que deviennent les arbres après leur mort et leur seconde vie où ils « se réincarnent en quelque sorte » en nouvelles formes de vie !

Dans la coupe, on note les touffes de rejets de châtaigniers depuis les souches résultant de l’abattage du tronc. Par contre, les résineux dont les Douglas, eux ne savent pas rejeter de souche quand on les coupe : la souche meurt (le plus souvent) et va entrer très lentement en décomposition. Plusieurs souches en voie de décomposition (voir la chronique) sont bien visibles depuis le bord du chemin dans le haut de la coupe (d) avec les signes de décomposition en cours : écorce décollée, base creusée d’où sort de la sciure, surface de coupe qui se creuse de cavités, champignons blancs ligneux qui apparaissent, …

Tout un monde de décomposeurs est à l’œuvre (voir la chronique Les fossoyeurs du bois mort) : champignons, bactéries, insectes dont des fourmis, … Il fait imaginer que sous terre il y a un volume considérable de grosses racines (pouvant aller jusqu’à plusieurs dizaines de mètres de la souche) sont en cours de décomposition et enrichissent le sol de leur matière. Deux belles souches arborent de beaux cernes de croissance que l’on peut compter avec les enfants !

Le chemin entre dans une belle futaie de sapins blancs mêlée de feuillus.

En sous-bois, (d), d’autres vieilles souches de résineux se retrouvent recouvertes de mousses qui les enveloppent et les maintient humides. Quand les sapins du peuplement libèrent leurs graines ailées depuis leurs cônes, elles planent et dérivent dans les courants d’air ; si elles atterrissent sur une souche moussue, ce sera une surface idéale pour germer : plate, humide et avec du bois pourri ou en cours de pourrissement en dessous ! Ainsi, les sapins morts (ici, « tués » par l’Homme !) facilitent le renouvellement des générations !

Le chemin monte jusqu’à un col et redescend en longeant une coupe ancienne (g) en cours de recolonisation (sureaux).

Au niveau du col (d) en contrebas, une superbe souche de résineux offre ses cernes à la lecture : ils sont curieusement dissymétriques, signe que l’arbre devait être un peu penché, ce qui l’a obligé à se renforcer plus d’un côté. C’est ce qu’on appelle « lire les lignes de vie » ! Sur cette souche, lors de mon passage, j’ai vu un superbe taupin rouge à thorax noir courir et s’envoler : un exemple d’insecte xylophage dont la larve vit dans le bois mort.  Juste à côté, un gros morceau de tronc écorcé présente de curieux dessins à sa surface comme gravés dans le bois : des galeries creusées sous l’écorce par les larves de petits coléoptères, des scolytes, spécialistes des arbres dépérissant à l’agonie. Près de ce bloc, un étrange « objet naturel » : un balai de sorcière, une malformation qui affecte la croissance des jeunes rameaux et due à l’attaque d’une bactérie sur l’arbre en vie.

Un peu plus bas (d), on repère de loin un arbre mort couché avec sa « galette » de racines accrochées à des pierres arrachées au sol : on parle de chablis pour désigner ces arbres (déjà morts ou vivants) déracinés par les coups de vents ; à la base de la galette, un creux s’est formé : il peut se remplir d’eau et devenir un gîte pour les salamandres ! Un peu plus loin, c’est une énorme souche à moitié déracinée qui a servi de point d’installation à deux jeunes sapins déjà bien avancés.

Plantules de sapin installées sur ce lit de bois mort (pourriture brune cubique)

Certains troncs morts sont complètement décomposés et s’émiettent en morceaux épars : le résultat du travail de sape des champignons responsables de la pourriture brune qui désagrège complètement le bois. Au milieu de ce terreau en formation, des bébés sapins ont germé, trouvant ici des conditions idéales pour grandir. Le bois mort représente ainsi une formidable pépinière pour jeunes arbres et assure la continuité des peuplements (voir la chronique).

Quand on approche du hameau des Lignières en bas du chemin, une coupe de résineux (d) en surplomb du chemin.

La majorité des souches arborent une belle couleur orange vif et ont une épaisse écorce écailleuse : ce sont des sapins de Douglas, une essence originaire de la côte Ouest des USA où elle peut atteindre cent mètres de haut. Avec la crise climatique en cours, les Douglas vont avoir de plus en plus de mal à survivre eux : dans leur contrée d’origine, il tombe presque deux mètres de précipitations par an ! Tout au bout de cette parcelle fraîchement coupée, on note un résineux au tronc à écorce mince claire et au bois blanc : un sapin blanc, une essence autochtone qui souffre elle aussi de la raréfaction de l’eau.

Le chemin des allouchiers (4)

Entrer dans le village pittoresque des Lignières Vieilles, descendre vers la gauche et prendre un chemin (g) qui traverse au début des cultures de seigle et des prés.

A mi-parcours, (g), commence un incroyable défilé d’arbres remarquables : des alisiers blancs ou allouchiers. Cet arbre autochtone est commun ici et se reconnait à son feuillage blanc feutré dessous et blanc dessus ; en automne, il produit des baies rouges, des alises comestibles mais farineuses. Ce qui est exceptionnel ici (je n’ai jamais vu ailleurs un tel spectacle), c’est que se succèdent près d’une vingtaine d’énormes spécimens qui ont sans doute un bon siècle d’âge ; ils ont dû être plus ou moins taillés pour leur bois très dur et dense qui servait à fabriquer des outils (dont les manches de haches) ou des pièces mécaniques. Quelques vieux merisiers sont intercalés entre ces arbres vénérables : une telle allée mériterait un classement !

Le chemin longe (d) une coupe à blanc récente puis (g) une haute futaie de Douglas riche en fougères.

Le chemin du sapin perforé (5)

On arrive en vue du Centre de vacances de la Planche (d). Prendre la piste qui remonte à (g).

Plusieurs grands chênes superbes ombrent les abords du chemin. On monte au milieu d’une forêt de résineux avec par endroits des feuillus (noisetiers, …)

En travers de la piste (il risque d’être enlevé ?) et à (d) gît un énorme tronc de sapin blanc mort, tombé au sol et qui s’est fracassé en gros morceaux. Une belle occasion d’observer de plus près tous les signes de vie qui animent ce beau cadavre. L’écorce (notez sa couleur claire et sa minceur relative) se décolle en plaques qui se soulèvent : dessous, vivent des cloportes, des mille-pattes, divers insectes. Résistez à la tentation de les soulever car vous détruisez alors le milieu de vie de ces animaux.

L’écorce est criblée de trous nets : les orifices par où ont émergé les adultes des coléoptères issus du développement de larves dans ce bois mort. Des gros trous bien ronds qui s’enfoncent dans le bois : un pic a creusé des amorces de loges, des cavités pour nicher (voir la chronique), quand l’arbre devait être encore debout, mort sur pied. Là où le tronc est cassé, on voit que le bois est très abimé, en cours de dégradation : les champignons, invisibles, sont à l’œuvre via leurs filaments ou mycélium qui investissent tout le volume du tronc et le rongent de l’intérieur (voir la chronique Les fossoyeurs du bois mort).

Un peu plus haut, (g) en sous-bois, un grand chablis a soulevé une immense galette de racines qui ont emporté avec elles la terre sableuse et argileuse.

Enfin, à (d) au milieu de noisetiers, deux arbres coudés à la base, des érables sycomores, attirent l’attention par leur aspect bizarre : le tronc couché s’est redressé mais semble surélevé avec de grosses racines pieuvres qui l’ancrent au sol. Cet arbre a poussé sur une souche quand il était jeune, donc un peu perché ; puis la souche s’est décomposée si bien que ses grosses racines initiales se retrouvent hors sol et il s’en est trouvé déséquilibré et s’est redressé à la verticale pour compenser. Une histoire de vie s’est écrite sous vos yeux !

On retombe à la croix en fer : redescendre vers la cité de l’Abeille sans oublier de saluer mentalement une dernière fois tous ces vétérans, ces gueules cassées et autres cadavres grouillants de vie que vous avez croisés et dont vous avez commencé à percevoir quelques pans de leur vie trépidante et passionnante.

Bibliographie

La Cité de l’Abeille