19/05/2020. Vous les côtoyez pratiquement tous les jours lors de vos déplacements en voiture, ces bords de routes, accotements, talus et autres délaissés routiers ; et pourtant vous y prêtez peu attention … sauf quand de belles scènes fleuries attirent le regard. Pour autant, notre réflexion va rarement plus loin que ces instantanés de sympathie très fugaces. Peut-être, par contre, qu’un certain nombre d’entre vous s’indignent de voir chaque année ces mêmes lieux subir les assauts de la fauche ou du broyage qui anéantissent justement en un instant ces belles scènes fleuries souvent au milieu de paysages ravagés par l’agriculture intensive. Qu’en est-il vraiment de la valeur écologique de ces milieux pour le moins artificiels et perturbés ? Cette analyse préalable nous servira ultérieurement de base de réflexion pour proposer une gestion raisonnée et respectueuse des enjeux environnementaux de ces espaces omniprésents. 

Importants 

Les bords de routes représentent un potentiel écologique considérable à divers titres :

Dans les paysages d’agriculture intensive (ici, la Limagne auvergnate), les bords de route apparaissent comme des « lignes vertes »

– dans les milieux agricoles intensifs, les surfaces de milieux semi-naturels ont considérablement diminué : les bords de routes peuvent y jouer un rôle majeur dans la lutte contre l’érosion de la biodiversité en servant d’habitats pour une « nature ordinaire » a minima et de zones refuges pour la flore ordinaire et même rare

Refuge de la flore des cultures

– ils offrent un potentiel de diversité de milieux considérable du fait de la grande variété des sols, des expositions, des climats, des milieux environnants, des paysages globaux traversés ; ils constituent à l’échelle locale une mosaïque de petits habitats variés : talus, replats, fossés, bordures de champs, lisières de bois, bordures de haies, …

– ils couvrent une surface énorme représentant à l’échelle nationale celle des parcs nationaux et s’étirent sur des milliers de kilomètres dans toutes sortes de paysages

– du fait de leur entretien, ils se rapprochent des prairies semi-naturelles, un milieu en forte diminution globale ; ils sont donc une alternative à la disparition des prairies semi-naturelles dont les pelouses calcaires. 

– du fait de leur structure et de leur entretien, ils se comportent en milieux de type ouvert : or, globalement, les espèces les plus menacées sont celles des milieux ouverts.

A votre service

Les bords de route assurent un certain nombre de services écosystémiques essentiels :

– la régulation des populations d’espèces susceptibles de s’attaquer aux cultures (« ravageurs ») en abritant des populations d’espèces qui contrôlent ces ravageurs par la prédation. Ex : les fleurs qui fournissent le pollen indispensable à la survie des syrphes dont les larves s’attaquent aux pucerons ; des plantes sauvages qui hébergent des pucerons permettant le développement des coccinelles (ou des syrphes) qui, ensuite, peuvent aller vers les cultures proches ; les populations de petits rongeurs installées sur ces bords de routes qui attirent les rapaces diurnes et nocturnes qui vont aussi chasser dans les cultures ; …

– la fourniture de nourriture (pollen et nectar des fleurs) pour les insectes pollinisateurs susceptibles d’intervenir dans les cultures dites entomophiles (demandant la présence d’insectes pour la production de fruits ou graines : tournesol, vergers, petits fruits, luzernes et trèfles, …) et même dans les cultures habituellement pollinisées par le vent (anémophiles : céréales ; voir la chronique sur ce thème ) où ils interviennent aussi. Les cultures ne fournissent ces ressources florales que de manière très limitée dans le temps (floraison massive) : les bords de routes servent ainsi de refuges le reste du temps 

– le rôle de zones tampons entre les voies de circulation et les milieux adjacents en freinant les transferts de polluants (voir ci-dessus) générés par les routes vers les milieux adjacents ; ce rôle se trouve nettement renforcé par la présence de haies ou de bandes boisées

Les colonies d’orties soulignent les « débordements » des épandages d’engrais via le ruissellement intercepté par l’accotement, son fossé et son talus

– le rôle de zones refuges pour la faune et la flore (voir les deux paragraphes qui détaillent cet aspect ci-dessous)

– une fonction de corridor permettant la circulation des espèces végétales et animales à travers la matrice paysagère souvent hostile dans le cas de cultures intensives ; les bords de routes peuvent ainsi relier entre eux des milieux semi-naturels devenus isolés du fait de la fragmentation des habitats comme des pelouses calcaires par exemple ; pour autant on dispose d’assez peu d’éléments probants démontrant la réalité de cet effet sauf pour certains petits mammifères ! Les fossés adjacents, s’ils conservent un peu d’humidité, peuvent aussi servir de voies de circulation aux espèces inféodées aux zones humides (voir la chronique sur ce rôle des fossés)

Fossé doublant un accotement : une jonction vers le ruisseau qui coule au bout

– la lutte contre l’érosion en fixant les talus et en régulant les écoulements de surface, assurant au passage une certaine épuration des eaux de ruissellement

– la valorisation esthétique des paysages. 

Des frontières perturbées 

De par leur localisation sous forme de linéaires le long des voies de circulation, les bords de routes peuvent être considérés comme des interfaces avec les milieux adjacents, ce qu’on appelle en écologie des écotones ; or, on sait que ceux-ci hébergent généralement une riche biodiversité. Mais cet avantage potentiel se trouve largement contrebalancé dans le cas des bords des routes par les perturbations majeures induites par la présence des routes. Au premier rang, se trouvent les nombreux polluants : les gaz libérés par les véhicules (dont le dioxyde d’azote qui impacte la végétation jusqu’à 100m à l’intérieur), les particules fines, les résidus d’hydrocarbures, les métaux lourds, les sels de déneigement, … globalement, tous ces polluants engendrent une acidification et une eutrophisation (enrichissement en substances nutritives) des bords de routes en première ligne. La composition de la faune et de la flore se trouve nettement biaisée en faveur d’espèces ubiquistes, très tolérantes (notamment au sel) ou invasives. Evidemment, cet effet dépend de l’importance de la voie de circulation : ainsi, on observe une plus forte diversité en espèces de papillons sur les routes secondaires moins perturbées. L’entretien régulier vient s’ajouter et impacte souvent la biodiversité dans le même sens négatif. 

A cette pollution chimique, il faut ajouter deux autres facteurs clés. La pollution sonore induite par le trafic perturbe la faune parfois très loin de la chaussée (voir la chronique sur la route fantôme) et éloigne les espèces peu tolérantes. Les risques de collision touchent aussi bien les « grands animaux » (mammifères, oiseaux, reptiles) que les « petits » comme les insectes. De plus, les routes constituent pour les petites espèces peu mobiles (ne volant pas) un obstacle souvent infranchissable qui s’oppose à leur dispersion dans le paysage. 

Donc, même si les bords des routes hébergent une biodiversité non négligeable, celle-ci reste avant tout composée d’espèces ubiquistes peu spécialisées et de fait souvent non menacées. Ils ne peuvent remplacer les milieux naturels du fait des perturbations permanentes et difficilement gérables qu’elles subissent : ils n’en sont que des ersatz appauvris mais néanmoins précieux dans les environnements très perturbés. 

L’entretien régulier par le fauchage induit des perturbations brutales

Refuges pour la flore 

Colonie de grandes berces : promesse de floraisons nombreuses

Comme mentionné ci-dessus, les bords de routes deviennent néanmoins des zones refuges essentielles dans les paysages agricoles intensifs qui occupent désormais de très vastes étendues de notre territoire ; dans ces zones, la diversité floristique s’y trouve alors concentrée de facto dans les bosquets résiduels, les bordures de champs et les bords des chemins et des routes. 

Des données ont été compilées à l’échelle européenne sur l’importance de rôle des bords de routes. Globalement, on a dénombré entre 350 et 800 espèces présentes dans ces milieux. En Grande-Bretagne, 45% de la diversité floristique locale s’y retrouve et on atteint 50% aux Pays-Bas, pays très densément peuplé. En France, à l’échelle du pays, ce taux se situe autour de 25% mais dans certains départements plus densément peuplés comme la Seine-et-Marne, on atteint 51% d’espèces locales présentes sur les bords de routes. Une étude conduite en 2006 en Haute-Garonne a identifié 32 stations de plantes protégées sur des bords de routes dont des espèces rares telles que l’orchis papillon, la tulipe sauvage ou le rosier de France ; en région Centre, on a observé que les bords de routes étaient devenus les ultimes stations refuges d’une orchidée quasi disparue de ses stations naturelles : l’orchis grenouille. Par ailleurs, de nombreuses orchidées peuplent les talus et accotements dans les régions bocagères ou forestières. 

Euphorbe petit-cyprès

Refuges pour la faune 

On dispose de moins de données sur la faune des bords de routes que sur la flore, plus facile à étudier ; néanmoins, des tendances générales se dessinent mais sans toujours pouvoir faire la part du facteur « route » et d’autres facteurs liés au reste de l’environnement, les territoires de la plupart des espèces empiétant souvent en dehors des bords de routes. 

Les populations des papillons de jour dépendent de la diversité floristique tant pour les fleurs à butiner pour leur nectar que pour les plantes hôtes des chenilles ; mais ils peuvent aussi aller se reproduire hors des bords de routes tout en s’y nourrissant car leurs déplacements se font souvent à grande échelle ! La densité de ces insectes semble liée logiquement à la largeur des bordures. Pour les papillons de nuit, l’abondance semble plus dépendre de la hauteur de la végétation et de l’ombrage au sol qu’elle fournit. Ces conclusions peuvent s’étendre aux autres insectes dits floricoles, se nourrissant sur les fleurs comme les abeilles et bourdons ; en plus, pour les abeilles solitaires, les talus offrent souvent des sites de nidification adéquats selon leur entretien. 

La diversité des araignées prédatrices dépend elle aussi de la diversité floristique ; un entretien trop intensif fait baisser les densités tout en favorisant les déplacements entre milieux (végétation plus basse). 

Pour les oiseaux, ces milieux herbacés constituent des sites de nidification propices dans les paysages agricoles ou d’élevage pour les espèces nichant au sol (tarier pâtre, alouette lulu, alouette des champs, bergeronnette printanière, pipit des arbres, perdrix rouges ou grises, …) ou très bas dans la végétation dense (fauvettes, bruants, …). Leur structure linéaire au milieu des cultures en fait aussi des terrains de chasse idéals pour les rapaces diurnes (milans noirs, faucons crécerelles, busards cendrés, buses variables) et nocturnes (chouettes effraies, hiboux moyen-ducs, ..) : les densités de micromammifères (musaraignes, mulots, campagnols) y sont plus fortes que dans les milieux adjacents en culture intensive. La présence de postes d’affût (arbres, poteaux de clôture ou de signalisation, lignes électriques) ainsi que la largeur de la bande herbeuse sont déterminants pour leur activité de chasse. Ils peuvent aussi exploiter les gros insectes telles que les sauterelles vertes en été ou les animaux tués par la circulation (notamment les milans) … mais avec des risques élevés de collisions ! Beaucoup de chouettes effraies se font ainsi tuer au long des routes qui les attirent et deviennent des « puits » de mortalité pour ces espèces. 

Invasives 

Nous avons vu que les bords de routes représentaient des corridors de circulation de la faune et  de la flore à l’échelle des paysages ; mais, ces corridors peuvent tout autant servir à la propagation des espèces dites invasives ; si ce processus concerne aussi la faune, il reste surtout visible, et souvent de manière spectaculaire, au niveau de la flore et de la végétation. 

Les routes facilitent la progression des espèces végétales dispersées par le vent (anémochores) et dont les graines se trouvent propulsées par les turbulences engendrées par les passages de véhicules comme la berce du Caucase, les verges d’or nord-américaines, les buddléias, … Il y a aussi tout un lot d’espèces sans dispositifs particuliers de dispersion au niveau de leurs graines mais qui sont « véhiculées » en se collant avec la terre aux pneus : voir à ce sujet la chronique On the road again ou celle sur la plante-ananas, une spécialiste du genre ! 

L’homme disperse aussi plus directement certaines espèces via des dépôts de matériaux ou de terre contenant des graines ou des fragments de racines ou de rhizomes comme pour la renouée du Japon, une spécialiste des remblais ou des travaux de bords de routes. Les espèces plantées pour la décoration ou la fixation des talus se trouvent aussi très favorisées comme les cotonéasters rampants plantés pour fixer les talus ou les genêts d’Espagne. 

Les perturbations évoquées précédemment jouent aussi un rôle majeur dans l’installation de ces invasives. Les travaux d’entretien excessif qui détruisent ponctuellement la végétation (broyage à ras) créent des vides favorables aux espèces conquérantes pionnières ; l’ajout de matériaux de remblais aboutit au même résultats en apportant des surfaces nues (et son lot de graines !). Les fauches répétées favorisent les espèces très résilientes et à multiplication végétative, deux caractères souvent partagés par les plantes invasives. Le salage répété favorise des espèces tolérantes au sel et on voit même apparaître des espèces dites halophiles (spécialistes des milieux côtiers salés) comme certaines graminées ou le cranson du Danemark. L’ambroisie à feuilles d’armoise colonise souvent en masse la bande de terre nue étroite entre l’accotement herbeux et la chaussée tout comme le séneçon du cap, formant parfois des rubans continus sur plusieurs kilomètres ! 

Belle colonie de sauges des prés

Bibliographie

Les bords de routes, lieux d’accueil pour la nature ! Brochure technique : concilier entretien et préservation de l’environnement sur les bords de routes (2013). LIFE Hélianthème – Natagora Namur 

La gestion écologique des bords de routes départementales (Isère) Conseil Général de l’Isère. Fabienne Gaillard 2013

The management of roadside verges for biodiversity. Scottish Natural Heritage Commissioned Report No. 551. 2013.

Gestion des dépendances routières et bordures de champs à l’échelle de la région Centre.  Association Hommes et Territoires, 2011