Cuscuta sp.

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Champ de betteraves sucrières envahi par la cuscute des champs (espèce nord-américaine introduite)

Chez les cuscutes, plantes holoparasites, i.e. entièrement dépendantes de leur hôte végétal pour se développer et pouvoir se reproduire (voir la chronique de présentation du mode de vie des cuscutes), les plantules nées de la germination des graines ne disposent que de quelques semaines pour trouver une plante hôte et s’enrouler autour d’une tige à la manière des liserons ou des ipomées dont elles sont de proches parentes (famille des Convolvulacées : voir la chronique sur l’évolution des cuscutes) ; elles ne disposent en effet pour se nourrir à ce stade que d’un peu de chlorophylle dans leurs tiges mais n’ont ni feuilles ni racines. Très rapidement, elles doivent élaborer sur leurs propres tiges des organes spécialisés, appelés suçoirs ou haustoria, chargés d’assurer la fixation sur la tige et de pénétrer dans la plante hôte pour aller y prélever les nutriments, faute de quoi elle mourra.

Cette étape clé du cycle de vie du parasite, trouver un support valable et induire des suçoirs, a fait l’objet de nombreuses publications et révélé des capacités étonnantes de la part des cuscutes.

Un fin limier ? ….

On sait que chez les plantes parasites de racines (comme les orobanches), le contact avec substances chimiques émises par les racines des hôtes potentiels est nécessaire pour la germination de leurs graines. Pour les cuscutes, il a été clairement démontré qu’il n’en est rien : leurs graines germent indépendamment de la présence ou pas dans le sol des racines de futures plantes hôtes ; rappelons qu’elles ne possèdent pas elles-mêmes de racines ! C’est la plantule qui dès qu’elle a atteint quelques centimètres de haut va « partir en chasse » autour d’elle en décrivant avec son extrémité des cercles jusqu’à entrer en contact avec un support et s’enrouler alors autour (voir la chronique sur les ipomées). On se dit, intuitivement, qu’elle a tout intérêt à se montrer performante dans cette recherche vu le peu de temps dont elle dispose (voir l’introduction) et qu’une possibilité serait un « repérage au flair ».

Cette piste (odorante !) a été explorée par une équipe américaine (1) sur la cuscute dorée (C. pentagona) nord-américaine, très proche de la cuscute des champs introduite en Europe. L’expérimentation consiste à faire pousser des plantules installées sur des disques clairs placés à côté d’une plante hôte potentielle et de tracer sur le disque les différentes positions de la tige de la cuscute en « recherche tournante » pendant 4 jours et de voir si elles s’orientent vers la plante hôte ou pas. Les chercheurs ont constaté que les jeunes cuscutes poussent préférentiellement vers les pieds de tomate ou vers des substances volatiles extraites de celles-ci et placées à côté. Des pieds de balsamines de Waller et de blé tendre induisent la même réaction. Si on propose aux jeunes cuscutes un pied de tomate et un pied de blé diamétralement opposés, elles se dirigent plutôt vers la tomate ! Un composant volatile isolé à partir du blé ((Z)-3-hexenyl acétate) se montre effectivement un peu répulsif envers les cuscutes et sa présence dans le cocktail odorant produit par le blé pourrait expliquer la moindre attraction à son égard.

… mais pas que !

On aurait tendance à se dire : bon, c’est clair, les jeunes cuscutes se repèrent à l’odeur et voici un nouvel exemple de plus de communication chimique entre espèces végétales. Cependant, l’observation sur le terrain soulève des interrogations au moins par rapport à l’unicité de ce mécanisme attractif : les jeunes tiges tendent à tourner au hasard dans le sens des aiguilles d’une montre (comme les autres Convolvulacées) et, surtout, elles sont capables de fixer sur des hôtes très différents, non apparentés, et un même pied de cuscute peut s’accrocher sur plusieurs plantes différentes les unes à côté des autres. Comment ferait elle pour distinguer entre toutes ces odeurs volatiles mélangées ?

Elle peut même s’autoparasiter ou adopter des supports non vivants comme des baguettes plastiques en parcelle expérimentale (et se mettre à développer des suçoirs !). On ne connaît pas, pour l’instant, de plantes grimpantes (non parasites) qui trouvent leur support par signal chimique émanant de l’hôte. Donc, le bon sens conduit à penser que si il y a bien une attraction odorante, il doit y avoir un autre mécanisme au moins aussi important.

Elle voit rouge

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Jeune pied de betterave investi par la cuscute des champs qui « tisse sa toile de fils » d’un pied à un autre en se fixant sur les pétioles des feuilles.

Des expériences menées avec la cuscute des champs et des plants de betteraves (2) apportent d’autres informations. Au delà d’une distance de 8cm, les plantules de cuscutes n’ont pratiquement aucune chance de trouver un plant de betterave ce qui correspond au diamètre du cercle décrit par la pointe de la jeune tige en recherche ; la distance optimale pour trouver un plant hôte se situe à 2cm ce qui pourrait faire penser à la piste odorante. Mais, à cette distance optimale, 80% des plantules de cuscutes choisissent des plants de betteraves au stade six à huit feuilles et réussissent à se développer ; sur des plantes au stade de 4 feuilles, leur succès à moyen terme tombe à moins de 25%. Autrement dit, les cuscutes semblent « choisir » les hôtes ayant déjà assez de feuilles, donc assez de réserves de nourriture potentielle et évitent les plants avec peu de feuilles qui ne pourront pas satisfaire leurs besoins. Comment font-elles ce choix et pourquoi à très courte distance ?

On sait que comme ses cousines les ipomées (voir la chronique sur les ipomées), les cuscutes orientent leur croissance vers la plante hôte par la perception d’une partie des radiations du spectre lumineux réfléchies par l’hôte, celle dite du rouge lointain (entre le rouge et l’infra-rouge) ; comme la chlorophylle absorbe les radiations comprises entre 400 et 700 nm, la lumière réfléchie par une plante bien verte (et donc appétissante !) se trouve enrichie en ondes supérieures à 700 nm, soit …le rouge lointain ! Si on intercale une plaque de verre entre l’hôte et le parasite, l’attraction continue ce qui indique bien qu’il s’agit d’un processus lié à la qualité de la lumière et non pas de signal odorant.

… mais à « l’envers » !

Cette capacité à percevoir et à réagir aux radiations dans le rouge lointain (et aussi dans le bleu) est bien connue chez nombre de plantules d’espèces non parasites : elle leur permet d’éviter le couvert des autres plantes en détectant les zones ombragées de manière à capter au mieux l’ensoleillement pour faire la photosynthèse. Elle est permise par la présence d’une protéine photosensible, le phytochrome. Chez les plantules de cuscutes, la réaction est inverse : elles sont attirées par les zones ombragées, synonymes de couvert et donc de la présence d’un hôte potentiel ; en plus, elles n’ont pas besoin de l’ensoleillement pour se nourrir. Voilà donc un mécanisme adaptatif propre aux cuscutes, qu’elles ont amélioré et « renversé » et qui leur permet de choisir un hôte « chargé en chlorophylle » !

D’autres études ont confirmé cette capacité des cuscutes (3) en montrant que l’association du bleu et du rouge lointain réfléchis par les plantes hôtes se montrait encore plus efficace que le rouge lointain seul : on parle de diaphonie pour une telle interférence (crosstalk en anglais). Le flux de lumière ne doit pas être trop fort car sinon il devient inhibiteur ce qui est conforme avec la situation « en-dessous » d’un hôte. Un autre signal intervient dans ces réactions complexes : le contact physique avec la tige de l’hôte enserrée par la tige volubile de la cuscute. De plus, la chaîne complexe de réactions induites (avec intervention entre autres d’hormones de croissance) agit aussi sur la formation des haustoria qui se développent et assurent ainsi le début de l’indépendance de la plantule. On peut parler de ce fait de photomorphogénèse !

Et en plus manipulatrice

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Haustoria et préhaustoria en développement sur cette tige volubile de cuscute des champs installée sur un pétiole de betterave sucrière.

Mais ce n’est pas tout ! La cuscute arrive en plus à manipuler son hôte de manière à améliorer sa fixation à la tige (4). Aussitôt après le contact avec la tige hôte, la tige de la cuscute élabore des pré-suçoirs aux points de contact à partir de son épiderme. Ces derniers fabriquent des substances collantes (pectines, sucres) qui augmentent l’adhérence. Le début de pénétration dans l’hôte induit en plus chez l’hôte (des tomates dans l’expérience réalisée) la production d’un composé chimique qui améliore cette fixation : une protéine arabinogalactane qui se fixe sur les parois cellulaires. La synthèse de cette dernière reste localisée dans les tissus de l’hôte autour de la zone de pénétration. Les chercheurs ont réussi, via un virus vecteur, à désactiver le gène qui contrôle la synthèse de cette protéine : la capacité de fixation de la cuscute se trouve alors significativement réduite. L’infection par la cuscute doit donc s’accompagner de l’induction d’un signal qui va activer l’expression de certains gènes chez l’hôte !

Cette dernière prouesse nous conduit à soulever le couvercle de la boîte de Pandore des innombrables interactions cuscute/hôte et vice versa : ce sera l’objet d’une autre chronique avec toujours plus de révélations édifiantes ! Décidément, les cuscutes sont bien des plantes parasites à part !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Volatile Chemical Cues Guide Host Location and Host Selection by Parasitic Plants. Justin B. Runyon, Mark C. Mescher, Consuelo M. De Moraes ; SCIENCE, VOL 313. 2006
  2. Germination ecology, emergence and host detection in Cuscuta campestris. S BENVENUTI, G DINELLI , A BONETTI & P CATIZONE. 2005 European Weed Research Society Weed Research 2005 45, 270–278
  3. Photocontrol of parasitism in a parasitic flowering plant, Cuscuta japonica Chois, cultured in vitro. Furuhashi K, Kanno M, Morita T. Plant Cell and Physiol. 36(3):533-536. 1995.
  4. An attack of the plant parasite Cuscuta reflexa induces the expression of attAGP, an attachment protein of the host tomato. Markus Albert, Xana Belastegui-Macadam and Ralf Kaldenhoff. The Plant Journal (2006) 48, 548–556