Cuscuta sp.

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Les cuscutes sont des plantes holoparasites, i.e. entièrement dépendantes de leur hôte pour leur nutrition (voir la chronique Parasites hors normes) qui appartiennent à la famille des Convolvulacées (voir la chronique sur leur évolution). Pour parasiter un hôte, la jeune plante, dépourvue de feuilles et de racines, part à sa recherche en utilisant à la fois des signaux chimiques émis par l’hôte mais surtout en s’orientant par rapport à la lumière réfléchie par les parties vertes de l’hôte ce qui la renseigne ainsi sur la richesse en chlorophylle de ce dernier ; elle s’enroule autour d’une tige, se colle au support (voir la chronique Et on s’attache). Enfin, au contact de la tige de l’hôte, la tige de la cuscute élabore des organes spécialisés ou haustoria qui vont lui permettre d’accéder aux nutriments qui circulent dans l’hôte et de l’envahir de l’intérieur.

Cette dernière chronique consacrée aux cuscutes (même si on pourrait encore en écrire plusieurs autres compte-tenu de l’incroyable richesse de la bibliographie sur ces plantes très étudiées) va s’attarder sur cette étape finale de « l’attaque du parasite ». Comment prélève t’elle les nutriments dans son hôte et lesquels ? Quels échanges entre l’hôte et le parasite (dans les deux sens) accompagnent cette emprise de la cuscute ?

Un peu de plomberie végétale

Pour ceux qui auraient oublié, commençons par un rappel sur la sève des plantes vertes et sa circulation, élément indispensable pour comprendre la stratégie de la cuscute. Deux sèves différentes circulent dans une plante herbacée, empruntant chacune leur propre voie dans un tissu formé de vaisseaux ou de tubes, le tissu vasculaire, organisé en paquets ou faisceaux qui parcourent les tiges sur leur longueur ainsi que les feuilles (dans les nervures visibles de l’extérieur) et les racines.

La sève brute contient de l’eau et des sels minéraux prélevés dans le sol au niveau des racines par les poils absorbants. Elle emprunte des vaisseaux assez gros formant un tissu appelé xylème et circule du bas vers le haut, irriguant tous les oranges de la plante depuis le sol.

La sève élaborée résulte de l’activité photosynthétique de la plante qui fabrique sa propre nourriture à partir de l’eau, des sels minéraux (apportés donc par la sève brute), du dioxyde de carbone et de l’énergie solaire. Elle contient des nutriments organiques élaborés par la plante (des assimilats) : des sucres, des protéines et des matières grasses. La sève élaborée fabriquée au niveau des feuilles, les organes chargés de la photosynthèse, circule ensuite dans la plante pour permettre la croissance des organes (dont les fleurs et les fruits pour la reproduction) ou pour constituer des réserves dans les tiges ou les organes souterrains pour les plantes vivaces. Elle emprunte un réseau de tubes cloisonnés, disposés bout à bout, et qui forment le phloème ; celui-ci se trouve souvent juste à côté du xylème sans communiquer avec ce dernier.

Voilà donc le terrain d’action de la cuscute qui doit accéder rapidement aux nutriments de l’hôte faute de pouvoir les synthétiser elle-même (voir la perte de la chlorophylle dans la chronique sur l’évolution des cuscutes).

La pieuvre s’installe

Les haustoria se collent sur la tige de l’hôte (voir la chronique Et on s’attache) et commencent à émettre des sortes de filaments qui rappellent ceux des champignons (le mycélium) et qu’on appelle par analogie des hyphes chercheurs (voir la chronique Le champignon mangeur de mouches) mais qui n’ont pas la même structure. Ces hyphes s’insinuent entre les cellules de la tige de l’hôte à la manière des tubes polliniques dans le pistil lors de la fécondation. Quand ils atteignent un faisceau vasculaire (voir le rappel ci-dessus), le cône terminal de chaque hyphe entreprend une différenciation remarquable.

Les hyphes entrant en contact avec des vaisseaux du xylème (sève brute) se transforment eux-mêmes en vaisseaux conducteurs et une connexion continue se met en place : la cuscute peut commencer littéralement à siphonner directement une partie de la sève brute. Ceci n’a rien d’extraordinaire : c’est ce que font la majorité des hémiparasites avec leurs haustoria de leurs racines (voir la chronique Evolution).

Par contre, la grande originalité se situe au niveau des hyphes entrant en contact avec les tubes du phloème, véritable coffre-fort où se trouve la sève élaborée pleine de nutriments ! Ces hyphes qualifiés d’absorbants se fixent sur un tube criblé du phloème et l’entourent en élaborant des sortes d’excroissances en forme de doigts. L’hyphe chercheur se transforme alors en hyphe absorbant à partir du point de contact ; la transformation remonte le long de l’hyphe en direction de l’haustorium qui l’a émis et se connecte avec un tube conducteur qui a commencé à se différencier à partir du suçoir en direction de l’intérieur. Quand la jonction est faite, une véritable pieuvre s’est ainsi mise en place assurant la liaison entre le phloème de l’hôte et le suçoir de la cuscute. Mais, contrairement à ce qui se passe pour le xylème, l’extrémité de l’hyphe absorbant qui se plisse ne pénètre pas dans le tube criblé du phloème mais se contente d’être en contact avec sa paroi. Alors, comment se fait le transfert des nutriments vers les hyphes de la cuscute ?

Une liaison très intime

La tige de la cuscute s'enroule étroitement au tour des tiges de son hôte (un genêt ailé)

La tige de la cuscute s’enroule étroitement au tour des tiges de son hôte (un genêt ailé)

On sait que les cellules végétales peuvent échanger entre elles via des ponts entre leurs cytoplasmes respectifs qui traversent leurs parois : ce sont des plasmodesmes qui permettent échanges et circulations entre cellules, notamment pour les grosses molécules. On a donc rapidement été amené à supposer que la cuscute réussissait l’exploit d’établir de telles connexions ultra-intimes cellule à cellule, surmontant les barrières défensives naturelles de l’hôte. Or, au microscope électronique, on n’a jamais pu observer de tels plasmodesmes entre les hyphes absorbants et les tubes criblés. Et pourtant, on sait aussi que les cuscutes peuvent transmettre des virus à leurs hôtes : or, l’infection virale ne peut se faire chez les végétaux qu’en passant par ces ponts de cytoplasme. Il y avait donc là une contradiction évidente.

Plusieurs expériences avec des marqueurs ont permis de démontrer que il y avait bien des plasmodesmes entre les cellules terminales des hyphes absorbants des cuscutes et les tubes du phloème de l’hôte. Ainsi, sur du tabac transgénique qui produit une protéine fluorescente verte (donc facilement détectable), si on laisse une cuscute s’installer, deux semaines plus tard la fluorescence apparaît chez celle-ci  et se concentre à l’extrémité de la tige en croissance de la cuscute ; une autre substance testée, la carboxyfluorescéine passe aussi. Or, vu la taille de ces molécules, elles ne peuvent passer de l’un à l’autre que par ces plasmodesmes ! En fait, la connexion se fait entre les hyphes absorbants de la cuscute et les cellules compagnes des tubes criblés, elles-mêmes en prise directe avec ces derniers.

Un sacré trafic

Nous avons déjà signalé (voir la chronique Et on s’attache) la capacité de la cuscute à manipuler son hôte au moment de sa fixation en induisant chez lui la fabrication de protéines favorables. On se rend compte que les échanges cuscute/hôte vont bien au delà de ce que l’on avait pu imaginer.

Si on injecte un sucre marqué radioactivement au carbone 14 à une plante parasitée, on le retrouve non seulement dans la cuscute mais aussi dans les autres hôtes parasités en même temps. Il y a donc des échanges hôte/cuscute mais aussi cuscute/hôte ce qui est très inattendu. A quoi servent ces échanges : on ne sait pas trop pour l’instant.

Mis il y a encore « mieux » : on a montré que des ARN messagers (porteurs de l’information génétique qui va permettre après décodage de, par exemple, fabriquer une protéine) élaborés par les cellules des hôtes (tomate ou luzerne) passent chez la cuscute, restent actifs et circulent même jusqu’à plus de 30cm du point de contact à l’intérieur de la cuscute. Celle-ci serait-elle capable de se servir de ces ARN messagers étrangers pour fabriquer des substances pour elles ?

On a justement remarqué une certaine synchronisation entre la floraison de l’hôte et celle de la cuscute qui profite ainsi du flux accru de nutriments en vue de la reproduction. Il se pourrait (cela reste à démontrer) que ce soit suite à un passage d’un facteur de floraison émis par l’hôte que la cuscute détournerait pour fleurir en même temps !!

Enfin (pour la chronique mais pas pour la recherche très active sur ce thème), on a démontré des échanges « horizontaux » (sans passer par la reproduction) de gènes et dans les deux sens !

Le novice que je suis se pose quelques questions inquiétantes sur ce qui se passe quand des cuscutes investissent des plantes transgéniques cultivées en plein champ et qu’elles établissent en plus des connexions avec des plantes adventices qui accompagnent ces cultures ….. Mais j’oubliais : on a tout prévu, non ?

BIBLIOGRAPHIE

  1. Macromolecular trafficking between Nicotiana tabacum and the holoparasite Cuscuta reflexa. Haupt S, Oparka KJ, Sauer N, Neumann S. 2001. Journal of Experimental Botany 152, 173–177.
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  4. Transfer of phloem-mobile substances from the host plants to the holoparasite Cuscuta sp. Mandy Birschwilks, Sophie Haupt, Daniel Hofius and Stefanie Neumann. Journal of Experimental Botany, Vol. 57, No. 4, pp. 911–921, 2006