Belle ripisylve à grands saules et peupliers sauvages : le royaume du castor et des colonies de hérons

Cette chronique rapporte quelques aspects de la biodiversité observée lors d’une mini-balade sur un espace naturel accessible au grand public ; il ne s’agit que d’un instantané très partiel pour une date donnée avec des informations complémentaires sur le site. Vous pouvez retrouver l’ensemble de ces chroniques-balades à la lettre Z, rubrique Zoom-balade. 

03/10/2019 13H-17H. Le circuit de découverte de la boire des Carrés que nous allons parcourir ensemble s’intègre dans un Espace Naturel Sensible (E.N.S.), un outil de protection des espaces dont le caractère naturel est menacé, géré par le conseil départemental du département de l’Allier ; la gestion en est assurée par la ligue de Protection des Oiseaux (L.P.O. : voir le site en bibliographie).

Un alligator échoué ? … Plan d’eau principal de la Boire des Carrés

Situé en aval de l’agglomération de Vichy, sur la rive gauche de la rivière Allier, le site couvre presque 200 hectares et s’étire sur plus de 5 kms le long de la rivière. Il englobe une mosaïque de milieux : la rivière Allier elle-même avec son bras principal, une forêt alluviale formant une galerie le long de celle-ci, des prairies et pelouses sèches sableuses avec des friches arbustives et un ensemble de plans d’eau correspondant à d’anciens bras morts de la rivière (nommés localement boires) et d’anciennes petites gravières abandonnées. Tout au long de circuit, des panneaux pédagogiques font découvrir l’environnement et la biodiversité locales : ils se répartissent en deux grands thèmes, l’hiver et l’été. Nous allons ici découvrir ce site sous un troisième angle : un automne après une longue et dure sécheresse ! 

La rivière Allier coule tout près ; noter les herbiers de jussie au premier plan et l’ilot en arrière couvert de semis de peupliers noirs.

Boire assoiffée 

Vasières au premier plan et plages de sables au galets au fond

Le décor qui nous accueille traduit d’emblée la dure saison que nous venons de traverser : le plan d’eau central se trouve aux trois quart à sec et s’est fragmenté en deux parties séparées par une large butte ; de vastes plages de sable ou de galets se trouvent ainsi mises à nu contrastant avec les vasières sombres et toutes craquelées en larges plaques polygonales. De facto, nous ne verrons presque aucun oiseau sur ce site habituellement riche à part deux hérons cendrés perdus au milieu de ce décor irréel.

Aucune chance non plus a priori d’observer les tortues aquatiques, une des spécialités de ce site : des cistudes indigènes avec une population forte d’une centaine d’individus y côtoient les désormais incontournables tortues de Floride, introduites et naturalisées qui concurrencent les précédentes. D’habitude on peut les voir se chauffer au soleil sur des troncs et branches mortes émergeant près des berges mais aujourd’hui tous leurs « perchoirs » sont largement à sec. Que font-elles dans de telles conditions : se déplacent elles vers l’Allier tout proche ou s’enterrent-elles dans la vase au fond de l’eau encore présente ? 

Les grands saules blancs installés sur les ex-îlots se retrouvent eux aussi complètement à sec : belle occasion de voir leur réseau racinaire très étalé en surface, ce qui les rend sensibles aux coups de vent qui les basculent aisément. En circulant sur le fond à sec, nous approchons de très vieux troncs énormes, normalement immergés et burinés par le temps : de vraies œuvres d’art naturelles ! Au centre du plan d’eau, une curieuse construction en bois est posée sur un ex-ilot: de grands casiers remplis de graviers servent (ou plutôt servaient pour cette année) de site de nidification pour des sternes pierregarin ou naine qui se reproduisent par ailleurs sur les grèves de l’Allier. Un des divers aménagements destinés à favoriser la présence ou l’installation des espèces patrimoniales.

Le radeau des sternes, « échoué » sur son ilot support

Hécatombe 

Sur une des vasières récemment exondée, des dizaines de « cadavres » de grandes moules d’eau douce, des anodontes des cygnes, jonchent la vase craquelée, béantes ou brisées en deux. La baisse tardive du niveau d’eau leur a été fatale sans doute tout autant que le manque d’oxygène dans une eau surchauffée par les canicules successives. Certes, une telle mortalité a de quoi impressionner mais cette espèce a « l’habitude » de ce genre de perturbation brutale car elle habite souvent des étangs qui sont régulièrement vidangés pour la pêche (voir la chronique sur cette moule d’eau douce). Elle possède une capacité de reproduction élevée qui compense vite ces pertes ; les larves qui éclosent des œufs libérés dans l’eau s’accrochent à des poissons pour commencer leur développement en mode parasite ! Autre trait de vie très surprenant : un petit poisson, la bouvière, pond ses œufs à l’intérieur de ces moules géantes à l’aide d’un long tube de ponte introduit par les orifices d’entrée et sortie d’eau de la moule ; la bouvière figure effectivement parmi les espèces emblématiques de ce site (avec la grande alose mais celle-ci habite la rivière). Au milieu des coquilles éparses, j’en repère une de forme plus allongée et moins large : elle possède des sortes de grosses dents autour de la charnière ce qui exclut une anodonte (mot-à-mot « sans dents ») ; le spécialiste régional des mollusques S. Vrignaud l’a identifiée comme étant une mulette des peintres (Unio pictorum) très probable. Son très joli nom vient de l’usage ancien de sa coquille vide comme palette pour mélanger les couleurs par les peintres ! Ses mœurs ressemblent beaucoup à celles des anodontes. 

Sur une des berges, la base d’un gros peuplier noir fourchu attire l’attention par sa coloration plus claire : en approchant, nous découvrons, stupéfaits, qu’il s’agit en fait d’un chantier de castor … un peu mégalomane vue l’ampleur du tronc à abattre ! Impressionnant : il a réussi en entamer une bonne moitié du tronc même en tenant compte du fait que le bois de saule reste relativement tendre ! Rappelons que le castor se nourrit avant tout de l’écorce des branches et qu’il abat les arbres pour la récolter (voir la chronique sur l’alimentation du castor). Non loin, bien en vue, un gros morceau de tronc taillé en crayon a été tronçonné et présenté sur la berge. Il n’y a pas de souci à se faire pour les peupliers (et les saules très souvent choisis aussi) qui sont des espèces de faible longévité et qui se reproduisent très abondamment autant par les rejets des racines que par leurs innombrables graines (voir ci-dessous). Le castor contribue à réguler ces populations d’arbres et fournit du bois mort intéressant pour toute une faune d’insectes. 

Eldorado 

Ceintures de végétation installée au fil de la baisse du niveau : peuplement de rumex maritime au premier plan et liseré de semis de saules blancs en arrière

La baisse du niveau n’a pas fait que des perdants : bien au contraire ! Sur les vases et sables exondés s’est installée une riche végétation très spécialisée de ce genre de milieu temporaire qui ne se découvre, en temps « normal » (mais peut-on encore parler de norme ?) qu’en fin d’été ; ceci explique la floraison automnale de la majorité de ces espèces herbacées annuelles colonisatrices des vases ou alluvions des grèves. De multiples « taches » de végétation, souvent avec une espèce dominante, forment une mosaïque selon la nature du sédiment, le temps depuis lequel il est exondé et selon la disponibilité de graines prêtes à germer dans la banque de graines datant des années précédentes : on obtient ainsi un camaïeu de taches colorées de hauteur et de texture très différentes. Là, le botaniste ne sait plus où donner de la tête tant la diversité est grande et avec la probabilité de trouver des espèces intéressantes : rumex maritime, véronique mouron d’eau, amarante blette, panic capillaire, renouée à feuilles de lapathum, cotonnière des marais,…

J’allais oublier les bidents, ces composées aux capitules en pompons jaunes (bident penché, bident tripartite ou bident à fruits noirs exotique) ; dur de les oublier quand on marche au milieu car leurs fruits aplatis innombrables portent deux pointes elles-mêmes pourvues de nombreuses petites dents en harpon qui se plantent et s’accrochent aux vêtements ; l’ami Jacques qui m’accompagne en fait les frais car il porte un jean, tissu idéal pour ces semences accrocheuses. il y a aussi les fruits hyper crochus des lampourdes qui s’emmêlent dans les lacets des chaussures ! Ainsi donc, à notre insu, nous voila transformés en agents zoochores, i.e. transporteurs de fruits à distance !

Sur les vases fraîchement exondées, il faut avancer le tête penchée, à petits pas, et scruter toutes ces plantes naines qui s’étalent et commencent déjà à fleurir : le souchet brun domine mais dans une petite anse, une colonie de souchet de Micheli me fait une belle surprise vu sa rareté en compagnie du chénopode glauque, peu commun lui aussi. 

Sur les secteurs plus secs et plus hauts (donc exondés depuis le début de l’été cette année), la horde des jeunes plants de peupliers noirs et de saules blancs se déchaîne et colonise à tout va ; si le niveau d’eau ne remonte pas cet hiver, ils risquent de s’installer durablement. Belle image de la dynamique permanente qui anime ces environnements très contraints. 

En soulevant une tige d’amarante, je remarque une masse grouillante de petits insectes : à genoux, je les cadre en macro et, surprise, ce sont des centaines de jeunes punaises avec quelques adultes tout petits (moins de 5mm !). Une fois repérées, nous en découvrons « partout » : chaque pied de chénopode ou d’amarante et même des galets en abritent des colonies innombrables sur des dizaines de mètres carrés ! De retour à la maison, après de longues recherches, je réussis presque à mettre un nom sur cette punaise de la famille des Lygéidés : Nysius thymi ou N. ericae, deux espèces jumelles indiscernables sans un examen sous loupe des organes génitaux d’un mâle sacrifié !! Espèces relativement communes mais grandement méconnues sauf de très rares spécialistes qui savent les chercher au bon endroit au bon moment ! 

Vase craquelée fraîchement exondée et déjà colonisée par les annuelles spécialisées

Invasions 

Bras mort parallèle au bras principal de l’Allier : une petite boire encore en communication avec le fleuve

Nous remontons sur la berge et la piste de sable et de galets pour rejoindre les bords de l’Allier et sa forêt galerie, la ripisylve. Des plantes dites invasives, plantes exotiques introduites et naturalisées au caractère très dominant, se succèdent avec pour certaines des floraisons généreuses bien appréciées des insectes dont les papillons et les abeilles à cette saison pauvre en fleurs. Sur les berges, ce sont des massifs d’asters nord-américains aux ligules blanches au milieu desquels pointent de jeunes arbres, des érables argentés, un nouvel arrivant qui commence doucement à se naturaliser (très planté comme ornemental). Au bord de la rivière, c’est son cousin nord-américain lui aussi, l’érable négondo, installé depuis bien longtemps et maintenant intégré à la forêt galerie en arbres de belle taille. Quelques ailantes encore jeunes s’élancent vers le ciel dans des clairières. Evidemment, l’immanquable renouée du Japon domine les bords de la rivière et ceux des chemins avec ses halliers de cannes vertes ;  quelques unes réussissent à produire des graines alors que jusqu’ici, l’espèce d’origine hybride était stérile. Dans les creux humides, pointent les balsamines de l’Himalaya et leurs étranges fleurs rouge lie de vin très appréciées des bourdons. Au ras des berges, les tapis de jussies aux grandes fleurs jaunes flottent sur l’eau calme. Sur une grève, il y a même un beau pied de … tomate cerise en fruits : les graines s’échappent des stations d’épuration et atterrissent dans la rivière ! 

Certes, ces « étrangères » peuvent inquiéter par leur abondance mais certaines espèces indigènes se montrent tout aussi « envahissantes » dans cette jungle humide et au sol enrichi par les dépôts alluviaux des crues. C’est le cas notamment des lianes exubérantes (voir la chronique sur ce groupe de plantes) qui escaladent la végétation environnante de leurs draperies retombantes : houblon, clématite vigne-blanche, renouée des buissons, lierre, liseron des haies et la superbe vigne vierge au feuillage tout éclatant de rouge … mais c’est une étrangère elle aussi (Amérique du nord). Ses baies d’un beau bleu font le bonheur des passereaux migrateurs.

Les saules blancs et les peupliers noirs indigènes dominent de leurs hautes cimes cette jungle végétale foisonnante. Une forêt à part entière au rôle majeur dans le fonctionnement du fleuve associé et qui remplit une foule de services écologiques très appréciables. 

Ouvertures 

Au hasard des trouées on découvre la rivière Allier depuis le sentier ; noter les herbiers flottants de jussie

Après avoir longé un bon moment l’Allier et goûté aux points de vue ponctuels sur les ilots de végétation et les petites grèves verdoyantes, le sentier nous ramène vers l’intérieur en bordure de l’aérodrome de Vichy-Charmeil.

Steppe sableuse à lichens et rosettes de molène : un paysage vraiment inhabituel !

D’un coup, on débouche sur une vaste étendue très ouverte, presque désertique, une nappe de sable alluvial, couverte d’un tapis presque continu de touffes de lichens buissonnants, des cladonies ; çà et là pointent les chandelles noires des tiges sèches des molènes floconneuses dont les rosettes parsèment cette steppe unique en son genre.  

Cladonies en forme de buissons

A chaque pas, la croûte de lichens craque sous les pas, très sensible au piétinement. Par endroits, des tapis d’une graminée raide et étalée  prennent le pas : le chiendent des sables (voir la chronique Nom d’un chien), source de nourriture pour les criquets qui prospèrent dans ce milieu très ouvert et chaud. Quelques touffes de scrofulaire des chiens nous rappellent que même cette zone à l’écart du fleuve subit son influence lors des crues majeures comme en atteste une animation pédagogique montrant les hauteurs des crues record. 

Prairies sèches alluviales pâturées pour contrôler la progression des buissons

Le sentier revient en direction de la boire à travers des prés-pelouses parsemées d’aubépines, de prunelliers et divers autres buissons : cette zone a été clôturée et remise en pâturage par des bovins qui ont permis de limiter la croissance des arbustes conquérants et rouvrir ce paysage. Ainsi, la flore des pelouses sableuses peut de nouveau s’exprimer dans toute sa diversité. Des petites tiges sèches tachées de noir accrochent le regard : des inflorescences sèches de scille d’automne, une petite « jacinthe » qui fleurit en août, avec les capsules ouvertes qui libèrent les graines noires. Il y a même quelques pieds refleuris suite aux récentes pluies de fin septembre après l’interminable sécheresse ! Un peu plus loin, ce sont des touffes d’arméria des sables qui ont refleuri ou des  rumex à fleurs en thyrse. Des mauves alcées ou des séneçons jacobée complètent ce tableau un peu fleuri qui réchauffe le cœur après ce long épisode de désolation où tout était grillé ! 

Bibliographie 

Site de la LPO : http://www.lpo-auvergne.org/ens-de-la-boire-des-carres sur lequel sont disponibles le plan, des fiches et les panneaux pédagogiques présents le long du sentier.