Leucanthemum vulgare s.l.

04/12/2022 Difficile de trouver une plante plus populaire et a priori plus connue de tous que la grande marguerite … à part peut-être sa petite cousine la pâquerette. Et pourtant, bien des aspects de sa biologie restent inconnus du grand public à commencer par le simple fait que, quand on « effeuille la marguerite », ce n’est pas une fleur dont on arrache un à un les pétales mais des fleurs périphériques transformées (fleurs ligulées) faisant partie d’une inflorescence très compacte ou capitule (voir la chronique sur le tournesol), typique de la famille des Astéracées ou composées. Et que penser de l’usage verbe effeuiller dans ce contexte floral ? Dans le même ordre d’idée, connaissez-vous l’origine exacte du nom de marguerite ? Encore moins nombreux doivent être ceux qui savent qu’il y a en fait plusieurs espèces de marguerites sauvages communes différant par leur nombre de chromosomes … Bref, un bon coup de projecteur sur la belle si ordinaire ne sera pas de trop pour mieux la connaître et donc l’apprécier encore plus. 

Noms délicieux 

Margarita : la perle blanche

Jusqu’au Moyen-âge, on a souvent « confondu » marguerite et pâquerette sous des noms communs ; ainsi la marguerite a pu être nommée « grande pâquerette » et vice versa. Marguerite est apparu sous la forme margerie vers 1130-40 qui signifiait perle et dérivait du latin classique margarita, perle, lui-même issu d’un mot grec d’origine orientale. On en trouve mention dans une phrase tirée de l’Évangile de J-Christ selon St Matthieu (ch. 7 : 6) : Ne jetez pas vos perles devant les pourceaux (Neque mittatis margaritas vestras ante porcos).  Puis dès la fin du 12ème et le début du 13èmemargerie a évolué en margarite avant de devenir marguerite à partir de 1340. En fait, de l’image de perle seule, on est passé à celle de la « fleur de perles » (flores des margerites) : la forme marguerite, plus savante, s’est imposée sur margerie. En espagnol, la marguerite a conservé son sens ancestral avec le nom margarita. De cette histoire, on retiendra cette belle métaphore de la perle qui, ma fois, va très bien à notre marguerite. 

Les anglo-saxons de leur côté ont opté pour une tout autre image : oxeye daisy, soit la pâquerette œil-de-bœuf. En fait, ce nom a été attribué à plusieurs reprises à d’autres composées comme l’anthémis des teinturiers, le buphthalme à feuilles de saule (buphthalme : bos, bœuf et ophthalmos, œil), l’aster amelle ou la télékie splendide ; on l’a aussi accolé à des plantes d’autres familles comme l’adonis du printemps (grand œil-de-bœuf). A noter que les anglais lui ont attribué d’autres surnoms qui quelque part se rapprochent de la belle image de la perle : moon daisy ou moonpenny, soit la pâquerette de la lune. Ils ont même parfois adopté carrément le français marguerite. 

Le nom scientifique de genre Leucanthemum fait plus dans la sobriété et signifie « simplement » fleur (anthos) blanche (leuco). 

La plante horticole connue sous le nom de reine-marguerite et originaire de Chine n’est pas du tout une marguerite ; elle est proche parente des Asters au sein desquels elle a été placée longtemps avant d’être placée dans un genre à part Callistephus qui signifie belle couronne ; c’est sans doute par ce biais qu’elle a hérité du qualificatif de marguerite. 

Reines-marguerites ou asters de Chine

Vivace 

La grande marguerite fait partie des vivaces dites longévives, i.e. à grande longévité (plusieurs dizaines d’années) grâce à sa souche courte, un peu courbées en biais dans le sol, dure (ligneuse) et ramifiée, portant de nombreuses racines adventives qui l’ancrent solidement dans le sol ; mais, en plus, elle émet des tiges souterraines ou presque superficielles (rhizomes ou stolons) qui produisent des rosettes de feuilles stériles autour de la rosette initiale. Ainsi, au fil des années, les touffes s’étoffent et s’élargissent : ce mode de développement en fait une redoutable compétitrice très envahissante là où elle a été introduite hors de son aire originelle comme en Amérique du nord ou en Nouvelle-Zélande. A noter une caractéristique originale propre aux marguerites (Leucanthemum) : la présence de pigments rouges solubles dans l’eau dans les tissus des racines et notamment vers les pointes. 

Souvent, on ignore les feuilles basales des rosettes masquées à la belle saison par les tiges qui se développent. Mais, en hiver, quand les tiges de l’année ont séché, ces rosettes restent le seul moyen de repérer les marguerites : ces feuilles basales, d’un vert foncé, sont presque ovales à spatulées en forme de cuillère (très typique), dentées à grosses dents irrégulières ou au contraire régulièrement crénelées ; à leur base, elles se ressrent brusquement et se prolongent en un long pétiole ce qui donne des rosettes très étalées au sol. Elles mesurent 10 à 25cm de long sur 3-7cm de large et sont donc assez faciles à trouver dans l’herbe basse des pâtures ou prés hivernaux. 

De cette souche montent au printemps des tiges simples peu ou pas ramifiées, rayées en long de rougeâtre. En principe, il n’y en a qu’une ou deux par « pied » élémentaire mais avec la multiplication évoquée ci-dessus, les touffes deviennent vite compactes et denses. Un peu couchées à la base, elles se redressent presque à la verticale et montent à 30-90cm de haut, pouvant parfois dépasser le mètre. Elles portent sur toute leur longueur des feuilles alternes nettement différentes de celles de la base : plus petites, presque sessiles (sans pétiole) et embrassantes, ovales à lancéolées (forme de lance) à marge dentée en scie, avec des dents grossières à leur base généralement profondément lobées ou découpées en fins segments. Elles varient très fortement dans leur découpure au sein d’une population donnée et entre populations voisines ; nous verrons que ces feuilles caulinaires (de la tige) moyennes servent de critère  pour identifier notamment les deux espèces jumelles les plus communes (voir ci-dessous). 

Magie des capitules 

La floraison s’étale d’avril à juin avec un pic en mai et reprend parfois en automne dans les régions à climat doux jusqu’en novembre. Comme la marguerite tend souvent à peupler ses milieux de vie en colonies nombreuses, le spectacle des milliers de capitules fleuris ne passe pas inaperçu et reste toujours un enchantement ; on a beau le revoir chaque année, on ne s’en lasse pas. 

Capitule en pleine floraison : noter les stigmates qui dépassent

Au sommet de chaque tige, perché au bout d’un long pédoncule, trône « la » marguerite, i.e. le capitule (voir l’exemple type du tournesol pour le vocabulaire associé) formé de centaines (400 à 500) de fleurons tubulaires jaunes occupant le disque central et d’une couronne de fleurons en languettes (ligulés) blancs que le non-initié prend pour des pétales. Ces capitules étalent leur parure sur un diamètre pouvant atteindre 7cm mais parfois bien plus petit (2,5cm). Les fleurons jaunes centraux, longs de 4mm, extrêmement compactés serrés, ont une corolle en tube terminée par cinq lobes soudés en étoile (les vrais pétales) et sont hermaphrodites, i.e. avec des étamines (organes sexuels mâles) et un pistil (femelle). Les fleurs périphériques par contre n’ont pas d’étamines (fleurs femelles) et possèdent une corolle très transformée, constituée d’un court tube surmonté d’une languette étalée vers l’extérieur ou ligule (mot dérivé de langue), longue de 1 à 3,5cm avec l’extrémité arrondie ou avec trois petites dents (traces des pétales soudés). Leur nombre varie de 15 à 35 avec une moyenne autour de 22 selon les capitules, les localités et la période de floraison ce qui rend aléatoire le résultat final du « je t’aime, un peu, beaucoup, … ». 

Chaque capitule est posé sur un plateau-support un peu en dôme (réceptacle), dont les bords sont protégés dessous par une série de petites feuilles transformées (bractées) formant un involucre ; ces bractées sur plusieurs rangs ont une bordure membraneuse brun clair à presque noir qui tranche sur le fond vert foncé et souligne encore plus la couronne de ligules blanches éclatantes. 

Involucre de bractées qui couvre le réceptacle au sommet du pédoncule

Tous les fleurons ayant au moins un pistil, ils peuvent tous potentiellement donner des fruits s’ils sont fécondés. Comme chez toutes les astéracées ou composées, les fleurs donnent des fruits secs durs à une seule graine, des akènes, spécifiquement désignés par le terme technique de cypsèles (dérivé d’un mot grec ancien signifiant boîte ou coffre). Petites (2 à 3mm de long), d’un gris-argenté, ces cypsèles presque cylindriques portent cinq à dix côtes dressées. Contrairement à de nombreux autres genres d’astéracées (voir l’exemple des Cardueae), elles ne portent pas à leur sommet un pappus fait de soies : tout au plus, elles ont une couronne courte dentée. Elles ne sont donc dispersées par le vent et ne semblent pas avoir de dispositif de dispersion particulier. 

Ressource alimentaire 

Une plante aussi abondante, souvent en peuplements très fournis de grosses touffes ne manque pas d’attirer une foule de visiteurs : les uns pour consommer qui les fleurs et capitules, qui les racines ou les tiges et relèvent de l’herbivorie ; les autres pour récolter le nectar et le pollen abondants, faciles d’accès sur ces plates formes largement offertes, bien visibles de loin et haut placées, et qui relèvent des réseaux de pollinisation. 

Mouche de la marguerite (Cliché Pjt56 ; C-C 3-0)

Comme de nombreuses autres astéracées à gros capitules (chardons, cirses, centaurées, …), ceux des marguerites constituent une ressource alimentaire de choix avec en plus une certaine sécurité compte tenu de l’effet d’abri offert par le réceptacle protégé par l’involucre et recouvert d’un tapis dense de fleurons. Parmi les nombreuses espèces herbivores susceptibles de s’attaquer à ses capitules, retenons celles qui sont spécifiques ou presque. La mouche de la marguerite (Tephritis neesii) pond ses œufs entre les fleurons et les asticots qui en éclosent vont consommer les jeunes fruits à peine formés encore tendres. Leur présence réduit donc la production de graines et le succès reproductif de l’espèce. Elle appartient à une famille de mouches spécialisée dans le parasitisme des végétaux (voir l’exemple de la mouche des chardons aux ânes), les Téphritidés. 

D’autres insectes exploitent les parties végétatives. Ainsi, une autre mouche Téphritidé (Oxyna nebulosa) provoque la formation de galles sur les racines de la plante. Trois espèces de papillons de nuit de la famille des tordeuses et du genre Dichorampha ont des chenilles qui creusent les unes les racines et les autres les tiges. Un charançon (Cyphoecleonus trisulcatus) pond sur les racines et ses larves rongent les racines. Plusieurs de ces espèces ont été testées comme agents de lutte biologique contre la marguerite aux USA là où elle est devenue très invasive.

A noter que le bétail en général ne la broute guère notamment du fait de la présence de substances plus ou moins toxiques (dont des substances répulsives envers le s insectes) et de son odeur assez forte. Ainsi, aux USA, elle rend les prairies et pâtures, qu’elle envahit en masse, quasi inutilisables pour l’élevage. 

Pollinisation 

La marguerite se montre nettement auto incompatible, ce qui implique que ses fleurs ne fructifient que si elles reçoivent du pollen venant d’autres pieds : elle dépend donc des visites des pollinisateurs (plante entomophile). La structure des capitules très ouverts avec une ressource pollen/nectar facile à capter (fleurs tubulaires mais peu profondes) et abondante en fait une espèce généraliste, i.e. visitée et pollinisée par de nombreux groupes d’insectes : des coléoptères floricoles (capricornes, cétoines, œdémères, …), des diptères variés (voir ci-dessous) dont des syrphes, des hyménoptères (abeilles, abeilles solitaires, ichneumons, …) et des papillons. Elle se comporte donc, vu sa propension à fleurir souvent en vastes peuplements, en plante corne d’abondance à l’instar de la carotte sauvage (voir la chronique). 

Prairie sableuse alluviale couverte de marguerites : un paradis pour pollinisateurs ; le milieu primaire de la M. commune

L’attraction des pollinisateurs se base en partie sur le fort signal visuel que représente la couronne rayonnante de ligules blanches très contrastée avec le disque central jaune et un peu bombé. Contrairement aux apparences, la couleur blanche des ligules n’est pas due à un pigment mais résulte d’un effet physique induit par la réfraction de la lumière sur des vides entre les cellules les constituant. Il est probable que nombre d’insectes ne les voient pas blanches mais plutôt sombres et surtout contrastées par rapport au disque central : ainsi, celui-ci apparaît comme une cible à atteindre. 

Pourtant, dans les populations naturelles, on trouve régulièrement des formes non radiées, autrement dit dépourvues de fleurs ligulées périphériques. Leur proportion reste assez constante au fil des années, souvent autour de 10% : cette constance suggère une base génétique forte dans laquelle la forme ligulée est un trait dominant versus récessif pour la forme dite discoïde (sans ligules). La rareté relative de ce variant naturel, même dans les pays où l’espèce a été introduite, laisse à penser qu’il doit y avoir une pression de sélection forte en faveur de la forme ligulée. Une étude expérimentale a montré que le pourcentage de fleurs fructifiées diminue de 31 à 35% après enlèvement des ligules ce qui semble confirmer le rôle de celles-ci dans l’attractivité. Par contre, qu’il y ait des ligules ou pas, les taux de parasitisme par la mouche de la marguerite (voir ci-dessus) ne changent pas. On observe de plus que les formes discoïdes présentent une vigueur moindre ce qui renforce leur rareté. 

Parmi les mouches visiteuses régulières figurent des mouches vertes ou bleues (Calliphoridés) spécialistes de l’exploitation des excréments et des cadavres. Une étude a exploré ce qui les attirait sur les marguerites. Elles montrent une attraction innée envers la couleur jaune du disque ; les jeunes femelles (avec des oocytes, futurs œufs, en cours de maturation) répondent encore plus nettement au signal jaune que toute autre couleur sauf les UV ; or, on sait qu’en général les capitules des astéracées émettent beaucoup dans ces « couleurs » dont les ligules. L’odeur florale des marguerites les attire aussi tant qu’elles sont jeunes : elles consomment nectar et pollen et sont même capables de digérer les grains de pollen ce qui est rare chez des insectes adultes. Quand elles grandissent et atteignent la maturité, elles deviennent ensuite attirées par d’autres signaux : une couleur sombre et une odeur de diméthyl sulfure qui correspondent aux cadavres ou excréments sur lesquelles elles vont pondre. Les marguerites apportent donc un complément nutritif essentiel pour la reproduction de ces espèces. 

Complexe

Les botanistes experts n’hésitent à qualifier le genre marguerite (Leucanthemum) de difficile et complexe. Au moins 19 espèces indigènes vivent en France et la majorité d’entre elles sont très localisées dans des aires restreintes comme par exemple la marguerite en baguette (L. virgatum) des Alpes-Maritimes (avec des capitules tous discoïdes : voir ci-dessus), la marguerite de Montpellier (L. monspeliense) endémique des Causses ou la marguerite de Delarbre (L. delarbrei) du Massif Central et des Pyrénées orientales.  Leur identification demande beaucoup de patience et d’attention car les critères distinctifs sont souvent subtils, relatifs et « statistiques » (regarder de nombreux individus). 

Trois traits génétiques rendent ce groupe complexe. D’abord, de nombreuses sont polyploïdes : elles dérivent d’espèces classiques diploïdes (chromosomes par paires) par doublement, triplement, … (jusqu’à 22 fois pour certaines) du nombre de chromosomes ; ce processus se déroule le plus souvent par fusion de cellules sexuelles non réduites issues de deux espèces « mères ». 25 des 43 espèces du genre sont ainsi polyploïdes. Ensuite, ces espèces ont une forte propension à s’hybrider entre elles. Enfin, elles montrent un fort potentiel de variations au sein de leurs populations et entre populations pour une même espèce. On peut dire qu’il s’agit d’un groupe en pleine « ébullition évolutive » où de nombreuses espèces émergent ou vont émerger. 

Le contexte de l’histoire récente de ce genre explique en partie le pourquoi d’une telle évolution un peu folle. Les marguerites apparaissent vers – 1,9Ma et se mettent à se diversifier fortement dès – 1,3Ma soit au cœur d’une période climatiquement très agitée avec des phases glaciaires et interglaciaires qui se succèdent. La répartition des espèces n’a alors cessé de changer (par dispersion naturelle) : se contractant vers les marges lors des glaciations et se réfugiant dans des zones au climat plus abrité (comme des massifs montagneux méridionaux) puis regagnant du terrain lors des phases interglaciaires. Ainsi, les espèces émergentes n’ont cessé de se « croiser » au hasard de ces mouvements (et de s’hybrider), d’évoluer sous les pressions de sélection sévères et changeantes. Ceci expliquerait notamment pourquoi nombre des espèces actuelles occupent justement des aires qui ont servi de refuge pendant le dernier grand épisode glaciaire (les Alpes Maritimes ligures par exemple). 

Jumelles …

En dehors des espèces à aire restreinte, il y a bien entendu la grande marguerite, la seule espèce commune sur l’ensemble du territoire. Sauf que, derrière ce nom commun, se cachent en fait deux espèces jumelles : la marguerite commune (L. vulgare) et la marguerite d’Irkoutsk (L. ircutianum) ; la première est diploïde et la seconde est tétraploïde (4 exemplaires de chacun des chromosomes au lieu de 2). Et contrairement à ce que laisseraient croire les noms latins et la transcription en noms communs, c’est la seconde qui est de loin la plus répandue, en partie naturalisée dans tout le pays alors que la première semble bien plus dispersée et localisée dans des milieux plus « naturels » primaires. La marguerite d’Irkoutsk fait partie d’un groupe de polyploïdes issus au départ d’une hybridation ancienne entre la marguerite commune et la marguerite en baguette (voir ci-dessus). 

Elles fréquentent les prairies humides (mais non engorgées) à sèches, les pelouses sèches, les bords des champs et des routes dont les accotements non traités ; elles s’installent aussi en lisière des forêts et entrent dans les coupes, le long des allées. A l’origine, son milieu d’élection était bien la prairie de fauche, milieu en fort déclin mais pour lequel elle a trouvé come substitut les accotements quand ils ne sont pas traités ou gyrobroyés à outrance. 

La distinction des deux espèces n’est pas facile compte tenu de leurs fortes variations y compris au sein d’un même peuplement. Il faut observer attentivement les feuilles médianes des tiges : chez la marguerite commune, elles sont divisées sur plus de 30% de leur largeur en 3 à 6 paires de segments bien distincts des segments de la base des feuilles qui eux sont généralement libres ; chez la marguerite d’Irkoutsk, les feuilles sont divisées moins profondément en souvent plus de 6 paires de lobes passant progressivement aux segments de la base qui, eux, sont plus ou moins soudés entre eux donc non libres. On voit bien que tout est dans la nuance et dans une appréciation statistique (en moyenne, le plus souvent, ..) des caractères. Si vous n’avez pas envie de vous confronter à cette tâche, vous devrez vous contenter (comme moi, le plus souvent) de parler de Marguerite commune s.l. (sensu lato, au sens large, sous entendu avec l’autre espèce)

… mais bien différentes 

Au vu de leur ressemblance, on pourrait se dire qu’il s’agit là d’un distinguo d’expert qui ne correspond guère en fait à deux espèces différentes. Et pourtant, elles ont bien chacune un mode de vie différent comme le montre ce qui s’est passé aux USA suite à leur introduction. Les deux espèces ont été introduites outre Atlantique à plusieurs reprises soit à partir de plantes cultivées comme ornementales soit à partir avec de graines fourragères. Arrivées dès le 18ème siècle, elles y sont devenues invasives dans toute la moitié nord des USA et la moitié sud du Canada ; elles se naturalisent dans les prés où elles pullulent et suivent les accotements. 

Dés études conduites sur ces marguerites européennes invasives révèlent une surprenante distorsion : sur 98 populations étudiées, seules deux relèvent de la M. d’Irkoutsk et toutes les autres sont des M. communes. Ce résultat contredit la règle générale qui veut que les espèces polyploïdes soient en général bien plus compétitives que les diploïdes dont elles dérivent par un effet génétique dit d’hétérosis. Or, là c’est tout le contraire. On pourrait croire que seules des graines de la M. commune aient été introduites : or, une analyse de graines fourragères vendues par des entreprises américaines et provenant d’Europe montre qu’à une écrasante majorité elles renferment des graines de M. d’Irkoutsk. 

On a donc cherché à comprendre les raisons du succès de la M. commune. Sur place, par rapport à ce qu’elle est en Europe, elle montre une plus grande vigueur végétative (17% plus élevée), fleurit plus tard en produisant deux fois plus de capitules plus gros ; elle aurait donc été capable d’évoluer rapidement une fois arrivée sur le sol américain, contrairement à la M. d’Irkoutsk qui aurait perdu cette aptitude avec son changement génétique. Or, aux USA, la M. commune se trouve soumise dans les prairies à un régime de fauche bien moins intensif qu’en Europe et avec une végétation environnante moins haute et moins dense : ceci l’aurait « libéré » de cette pression de sélection qui lui impose une taille moindre et une floraison précoce. 

Cet exemple illustre la puissance des effets des changements génétiques même s’ils n’affectent pas forcément la morphologie ce qui rend le processus en partie invisible à nos yeux qui ne voient qu’une espèce. On peut ainsi se demander ce qui va se passer avec la crise climatique en cours en Europe : quelles marguerites parmi ce complexe vont tirer leur épingle du jeu et se répandre … car il y a toujours des gagnants face à une nouvelle pression sélective. 

Bibliographie 

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