Aves

Parmi les Vertébrés terrestres, le groupe des Oiseaux fascine par sa diversité incroyable avec  plus de 10 000 espèces actuelles. Très familiers car omniprésents dans notre environnement, ils affichent néanmoins une étrangeté indéfinissable, sentiment imputable avant tout à leur grande distance évolutive par rapport à nous, les Mammifères ; nous appartenons à deux grandes lignées qui ont divergé (Synapsides pour Mammifères, diapsides pour oiseaux) il y a environ 320 millions d’années. Largement de quoi voir apparaître des différences très profondes !

Imaginons que nous découvrions pour la première fois de notre vie un oiseau dans le sens où même la notion d’oiseau nous serait étrangère. Que remarquerions-nous en premier sur cet être nouveau ? Les ailes ? …. Alors, imaginons qu’il soit au repos et on ne les remarquera guère tout de suite. Les plumes ? La couleur et la texture attirent le regard … Moi, je dirais sans hésiter la tête et surtout le bec car quand on regarde un animal, on cherche toujours en premier à le « dévisager » en cherchant ses yeux. Et ce bec, il dit beaucoup de choses d’un oiseau ; je ne suis pas du tout dessinateur mais quand je veux évaluer un dessin animalier, je regarde toujours en premier le bec … et assez souvent, chez les non professionnels, il est raté : trop gros, trop épais, mal profilé, mal raccordé à la tête, … Le bec, c’est la porte d’entrée dans l’oiseau ! Alors, entrons et bienvenue chez eux !

La troisième main

Les oiseaux ont acquis la capacité à voler au prix fort : ils y ont laissé les deux mains désormais incluses à part entière dans la structure de l’aile et entièrement dédiées à la pratique du vol avec de profondes transformations. Se pose donc pour eux le problème capital de saisir et traiter leur nourriture ! Bon, il leur reste les deux pattes dotées de doigts et de griffes bien développées. Mais là aussi, chez une majorité d’oiseaux, ces deux membres postérieurs ont subi de profondes transformations dans deux grandes directions : l’aide au décollage et à l’atterrissage et les déplacements au sol ou dans les branches ou dans l’eau, très importants même pour les oiseaux bons voiliers, une majorité d’espèces se nourrissant au sol ou dans la végétation.. Elles peuvent aussi servir à gratter le sol ou à transporter des matériaux pour bâtir un nid.

Certes, on observe dans les groupes les plus récents surtout des tendances plus ou moins affirmées à se servir des pattes comme aide à l’alimentation : il suffit de penser aux rapaces avec leur serres (voir la chronique) ou aux perroquets et à certains passereaux comme les mésanges qui savent si bien utiliser leurs pattes pour maintenir des graines et les traiter avec leur bec. Mais cela reste assez anecdotique de toutes façons car les pattes sont … trop loin de la tête ! Il ne reste donc bien aux oiseaux qu’une seule « main » et c’est leur bec qui joue ce rôle et avec succès.

Une main magique

Les Oiseaux « cachent » une grande partie de leur anatomie externe soit sous le plumage qui enveloppe tout le corps (on n’a aucune idée extérieurement de la musculature d’un oiseau contrairement à un mammifère !) soit, comme pour le bec, sous un étui corné, la rhamphothèque. Le bec correspond en fait, sous cet étui, aux deux mâchoires, la supérieure et l’inférieure (la mandibule au sens strict); mais en ornithologie, on parle de mandibules pour désigner les deux mâchoires : ceci tient sans doute à une des spécificités du bec des oiseaux, la mobilité relative de la mâchoire supérieure par rapport au crâne. La mandibule supérieure se compose de bandes osseuses étroites (issues de l’os prémaxillaire) qui se rejoignent vers la pointe ou rostre avec un palais en dessous. La mandibule inférieure, quant à elle, comprend cinq os étroitement soudés longs et fins et se rejoignent en avant en V.

Les deux mandibules représentent donc le pouce et l’index de la main de substitution des oiseaux, permettant de saisir la nourriture. Pour s’en convaincre, il suffit de constater la grande précision avec laquelle les oiseaux peuvent utiliser leur bec et surtout sa pointe : regardez un pigeon ou une poule qui picore des grains au sol à une vitesse incroyable ou une mésange qui explore les dessous des feuilles pour y cueillir des minuscules insectes. Tout ceci semble évident mais ne l’est pas du tout ; pour picorer, l’oiseau fait appel à sa super vision (utilisée pour le vol) et doit se positionner très précisément et se servir d’un autre outil-clé, son cou. Il apparaît que ce mode de collecte de la nourriture (de petits morceaux picorés au sol) soit le mode ancestral d’alimentation chez les oiseaux. Les spécialistes disent qu’il existe de grandes similitudes entre cette technique et la prise en main des objets chez les primates, tant dans les mouvements précis que dans l’organisation des zones motrices cérébrales associées ! En plus, dans le cas des oiseaux, la « main » se trouve au plus près des yeux et de la bouche à la fois !

Dinosaure Théropode reconstitué (Paléopolis ; Gannat 03) : prototype de la lignée des dinosaures dont une ramification a donné les Oiseaux actuels.

Museau dinosaurien

Arbre des Théropodes, la lignée des dinosaures au sein de laquelle ont émergé les Oiseaux

Pour essayer de comprendre l’origine de ce bec si particulier, il faut remonter le temps et parcourir l’arbre du vivant à rebours. Il est maintenant clairement établi que les oiseaux sont des dinosaures et qu’ils en représentent la seule lignée ayant échappé à l’extinction de masse de la fin du crétacé il y a 65 millions d’années, crise biologique majeure engendrée par la collision de notre planète avec un astéroïde géant au large du golfe du Mexique. Nous vous renvoyons à la lecture de deux autres chroniques consacrées partiellement à cet aspect de la parenté étroite oiseaux/dinosaures avec les arguments et preuves associés : Initiation au dinowatching et Cinq signatures osseuses.

Les Oiseaux ont donc émergé au sein d’une des trois grandes lignées divergentes de Dinosaures, les Théropodes, lignée carnivore bipède. Ce groupe diverge il y a environ 230 millions d’années avec des formes comme Herrerasaurus. Il va connaître ensuite une diversification considérable avec un grand nombre de ramifications ; à partir de la fin du Trias, commencent à apparaître des caractères nouveaux qui permettent (a postériori !) de rapprocher ces animaux des futurs oiseaux avec par exemple la fourchette claviculaire et le plus spectaculaire, l’apparition des plumes. A partir des coelurosaures on entre dans le temps des dinosaures à plumes. Pour l’instant, la morphologie de la tête reste celle d’un museau plus ou moins allongé avec des dents, une tête de dinosaure « classique » ! . Mais rapidement vont se détacher des lignées étranges avec des allures « d’autruches » comme les ornithomimosaures ou même avec un bec osseux comme les Oviraptosaures. Mais nous ne sommes pas pour autant là sur la voie des oiseaux : il s’agit simplement d’émergences convergentes et on parle de Théropodes non aviens (même s’ils avaient des plumes).

Caudipteryx (Oviraptosaure) : un autre exemple de lignée où est apparu un bec osseux sans dents ; noter la présence de gastrolithes (grains noirs) ces graviers accumulés dans le gésier pour assurer une part du broyage des aliments en compensation de la perte des dents.(Paléopolis. Gannat 03)

Maniraptoriens

Arbre des Maniraptoriens. Point Rouge : Avialiens ; point vert : Euornithes ; noms en rouge : lignées avec becs sans dents (au moins partiellement)

A partir du milieu du Jurassique (vers – 160Ma), se détache le groupe dit des Maniraptoriens, petits dinosaures à plumes, caractérisés par un bras et une main très allongées et une longue queue osseuse mobile à sa base. Ce groupe va connaître une forte diversification au cours du Jurassique puis du Crétacé avec une lignée basale qui a donné des formes devenues célèbres depuis Jurassic Park comme le Velociraptor et sa fameuse griffe en faux et à partir de la fin du Jurassique la lignée des Avialiens avec le célébrissime Archaeopteryx et son museau denté ; des lignées avec un bec sans dent apparaissent déjà avec par exemple celle des Confuciusornis. La lignée des Enantiornithes va connaître une formidable diversité de formes rappelant des oiseaux actuels mais avec une structure d’aile bien différente. On y trouve là aussi de rares genres dotés d’un bec sans dents (Gobipteryx par exemple) mais cette lignée florissante au Crétacé va s’éteindre sans descendance. Enfin, viennent les lignées des « vrais » oiseaux (Euornithes) avec le développement du bréchet caréné et d’où vont finalement émerger les Oiseaux « modernes » (Aves) au bec sans dents.

La description (très sommaire en dépit des apparences !) de ce long parcours, traduit en fait la profondeur des transformations anatomiques qui jalonnent cette histoire évolutive. Mais elle nous dit en plus qu’à la fin du Crétacé, on avait côte à côte à la fois des dinosaures des deux autres grandes lignées non théropodes (dont les grands herbivores), des dinosaures à plumes non aviens, des maniraptoriens « non-oiseaux » comme les Troodontidés et les premiers groupes émergents à la base des Oiseaux dont les Enantiornithes. Alors, pourquoi la crise biologique de la fin du Crétacé a t’elle éliminé toutes ces lignées sauf le ténu rameau terminal des Oiseaux ?

La main salvatrice

Une étude a été conduite sur les restes fossiles de plus de 3000 maniraptoriens d’Amérique du nord (2) : elle montre que la forme des dents est restée remarquablement stable au cours des 18 derniers millions d’années avant la fin du Crétacé. Ceci indique que le groupe se trouvait alors dans une situation de longue stabilité écologique avec la prédominance du régime carnivore et des spécialisations alimentaires selon les proies sélectionnées. Si on compare alors avec les oiseaux déjà présents à l’approche de la fin du Crétacé, on ne trouve qu’une différence significative chez ces derniers : la présence d’un bec sans dents mais recouvert d’un étui de kératine, autrement dit le bec d’oiseau que nous connaissons. Et fait marquant, ce bec est apparu au moment où les deux vraies mains devenaient complètement incluses dans l’aile, perdant même les doigts libres conservés pendant longtemps (voir par exemple l’Archaeopteryx).

Etre capable de récolter des graines éparpillées sur un substrat à toute vitesse et avec précision : un jeu pour les oiseaux tels que les pigeons !

La collision avec l’astéroïde il y a 65Ma a dévasté à l’échelle planétaire les écosystèmes terrestres provoquant l’effondrement brutal des réseaux alimentaires fondés sur la photosynthèse puisqu’une période d’obscurité générale (nuage de poussière et de vapeur d’eau) a du persister un temps. Par contre, les graines des plantes à fleurs, groupe déjà bien développé à cette époque, ont pu échapper en partie au cataclysme et aux incendies par leur capacité de dormance. Elles sont devenues de fait l’une des dernières sources de nourriture disponible et accessible pendant les décennies qui ont été nécessaires au retour de la vie végétale. Les oiseaux avec leur bec apte au picorement de petits éléments au milieu de débris ont ainsi pu survivre à cette période de transition tandis que les prédateurs carnivores se sont trouvés sans ressource. Quand on analyse l’arbre de parenté des oiseaux actuels, on constate effectivement que la majorité des groupes à la base de l’arbre sont végétariens et granivores (voir la chronique sur les oiseaux de basse-cour) !

Des bébés dinosaures

Comment cette transformation aussi radicale de la morphologie faciale (passer d’un museau denté à un bec sans dents) a t’elle ou se faire ? Le croisement des données paléontologiques et du développement embryonnaire au sein du groupe des Archosaures (qui inclut les Oiseaux et les dinosaures mais aussi les Crocodiliens) permet de proposer un scénario évolutif (3). Il fait appel au processus de pédomorphose, i.e. la rétention chez les adultes de caractères juvéniles ou embryonnaires ; ainsi le développement considérable des yeux et de la boîte crânienne si typique des jeunes (grosse tête ronde surdéveloppée par rapport au corps) se serait fixée chez les adultes et aurait permis le développement du système visuel ultra perfectionné qui s’est fait en parallèle de l’acquisition de la capacité à voler via une réduction générale de la taille corporelle. La réorganisation du cerveau en lien avec la maîtrise neuromotrice du vol aurait provoqué en cascade un affaissement de la région faciale avec un développement de l’os prémaxillaire qui a donné le bec supérieur avec sa mobilité propre.

La tête ronde et les gros yeux sont des caractères pédomorphiques des Oiseaux : ils sont restés un peu « bébés dinosaures » !

On a pu identifier (4) les gènes de développement impliqués dans de telles transformations et montrer que des changements sur une région génétique limité pouvaient profondément transformer la morphologie faciale. Il y a donc eu des interactions complexes entre acquisition du vol et nouveau régime alimentaire qui ont généré cette nouvelle structure, le bec corné. Ayant réussi à franchir le couperet de la fin du Crétacé grâce à ce fameux bec, le groupe des Oiseaux a ensuite explosé en diversité et la morphologie du bec a connu une formidable diversification avec une multitude de spécialisations.

BIBLIOGRAPHIE

  1. How to Make a Bird Skull: Major Transitions in the Evolution of the Avian Cranium, Paedomorphosis, and the Beak as a Surrogate Hand. Bhart-Anjan S. Bhullar,Michael Hanson, Matteo Fabbri, Adam Pritchard, Gabe S. Bever and Eva Hoffman. Integrative and Comparative Biology, volume 56, number 3, pp. 389–403
  2. Dental Disparity and Ecological Stability in Bird-like Dinosaurs prior to the End-Cretaceous Mass Extinction. Derek W. Larson, Caleb M. Brown, David C. Evans. 2016, Current Biology 26, 1325–1333
  3. Birds have paedomorphic dinosaur skulls. Bhart-Anjan S. Bhullar et al. Vol. 487 ; NATURE. 223.2012
  4. A molecular mechanism for the origin 
of a key evolutionary innovation, the bird beak and palate, revealed by an integrative approach to major transitions in
vertebrate history. Bhart-Anjan S. Bhullar et al. Evolution ; 2015

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les liens oiseaux/dinosaures
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