01/02/2024 Des escargots terrestres, le grand public ne connaît souvent que les deux « gros », comestibles recherchés, l’escargot de Bourgogne et le Petit-gris. Et pourtant, il existe des centaines d’autres espèces, la plupart petites à très petites, complètement méconnues et occupant une large gamme de milieux différents.

Planche ancienne (Iconographia Zoologica ; amsterdam; DP)

Leur identification est facilitée par le fait que ce sont des animaux peu mobiles et qu’on peut les identifier à partir des coquilles vides. Par contre, l’extrême diversité et la subtilité des caractères des coquilles rend cette identification compliquée et plutôt réservée à des spécialistes (malacologues). Comme toujours au sein de tels groupes compliqués, il existe des exceptions notoires avec des espèces identifiables au premier coup d’œil. L’élégante striée, sujet de cette chronique, espèce assez commune, est de celles-là ; en plus, elle est vraiment un escargot terrestre hors normes à plus d’un titre.

Coquille réticulée

Le plus souvent, la rencontre avec cet escargot se fait par ses coquilles vides que l’on peut observer localement en grandes quantités au sol. D’une hauteur d’environ 1,5cm, sur 1cm de large, elles sont suffisamment grosses pour être facilement repérables, notamment en hiver quand la végétation au sol est clairsemée. Épaisses et solides, les coquilles résistent bien aux assauts des éléments naturels ce qui explique leur accumulation locale.

La spirale conique compte quatre tours et demi qui vont en s’élargissant nettement : ils sont séparés par des creux bien marqués. Elle se termine par une ouverture bien ronde à bordure simple. Ce dernier caractère très frappant et peu répandu en fait chez les escargots terrestres lui a valu le nom anglais « d’escargot à bouche ronde » ou l’ancien nom de cyclostome (stoma = bouche), traduit de l’ancien nom latin du genre (Cyclostoma).

Le second trait frappant concerne l’ornementation de la coquille faite d’un réseau réticulé de spires fines saillantes et de lignes transversales donnant un motif « grillagé » très esthétique. Plus on se rapproche de l’ouverture, plus ces sculptures très élégantes deviennent apparentes. De là vient sans doute l’épithète latin elegans du nom scientifique, repris dans le nom vernaculaire d’élégante.

Diversité des couleurs (Naturalis Biodiversity Center Pays-Bas , DP) ; collectés tout près de chez moi !!!

La couleur de fond est très variable et dépend en plus de l’ancienneté des coquilles vides, qui, avec le temps, tendent à blanchir : elle va de gris violacé à gris rose à jaunâtre ou blanchâtre ; des taches et lignes sombres peuvent s’y ajouter.

Comme chez la majorité des escargots, la spirale est dite dextre : si on la regarde par-dessus par le sommet (l’apex), on voit qu’elle s’enroule dans le sens des aiguilles d’un montre. Mais, comme on signale chez de nombreuses espèces une très faible proportion d’individus dits sénestres dont la spirale tourne en sens inverse, cela est peut-être aussi le cas pour l’élégante ?

Opercule

L’observation d’élégantes vivantes à la belle saison va ajouter un lot de traits originaux au portrait déjà bien typée de la belle.

Si l’animal est trouvé replié dans sa coquille, on remarque de suite la présence d’un « couvercle » : c’est un opercule qui est fixé en permanence sur le dessus du pied et qui ferme l’entrée en s’ajustant avec le bord quand l’animal se rétracte à l’intérieur. C’est le même type d’opercule que vous devez enlever pour manger bulots et bigorneaux. Contrairement à ces deux exemples, l’opercule corné est en plus durci par une imprégnation de carbonate de calcium ; il porte des stries d’accroissement qui témoignent de sa croissance continue en accord avec celle de la coquille.

Ne pas confondre cet opercule avec l’épiphragme des autres escargots terrestres : une membrane de mucus sec et durci qui ferme l’ouverture quand l’animal entre en vie ralentie. L’opercule, lui, est une structure permanente que l’animal utilise chaque fois qu’il se rétracte dans sa coquille même pour une courte durée. Un escargot de Bourgogne dérangé se rétracte dans sa coquille mais ne secrète pas d’épiphragme qui, de toutes façons, prend du temps à se solidifier.

La présence de cet opercule est exceptionnelle, sous nos climats tempérés, chez des escargots terrestres (moins de 1% des espèces). On en observe aussi dans deux autres familles de petites espèces mais sous une forme plus discrète d’opercule membraneux corné. Sous les tropiques, c’est différent : les « operculés » représentent 50% des espèces terrestres !

De la mer à la terre

La ressemblance, à cet égard, avec les bigorneaux, est loin d’être fortuite. En effet, les Élégantes (genre Pomatias) se rangent dans une sous-classe des Gastéropodes : les Caenogastéropodes (les ex-Prosobranches) ; celle-ci inclut de nombreuses lignées essentiellement marines avec des noms connus : pourpres, murex, cônes, turritelles, porcelaines, … monodontes et littorines ou bigorneaux, … Avec 60% des espèces connues, c’est le groupe le plus florissant des gastéropodes marins. L’écrasante majorité des gastéropodes terrestres, elle, se trouve dans une autre sous-classe éloignée en termes de parenté, les Panpulmonés (autrefois appelés Pulmonés) : on y trouve par exemple les escargots de Bourgogne, les soucoupes, les escargots des bois, les caragouilles, les limaces, …

A l’intérieur de cette sous-classe des Caenogastéropodes, les Élégantes s’insèrent dans une lignée particulière les Littorinomorphes aux côtés des bigorneaux. Autrement dit, les élégantes sont nettement plus apparentées aux bigorneaux qu’aux autres escargots terrestres sans opercule.

Le scénario évolutif le plus probable serait qu’au Crétacé (ère Secondaire), une lignée s’est détachée et a rapidement divergé en deux branches : une restée en milieu marin qui a donné les bigorneaux entre autres et une seconde qui s’est adaptée à la vie en milieu terrestre avec les Élégantes (famille des Pomatiidés). En fait, à de nombreuses reprises, de manière indépendante, au sein des Gastéropodes, groupe originellement marin, on a assisté à de tels passages à la vie en milieu terrestre.

Dans le cas des élégantes, la parenté avec les bigorneaux et littorines nous rappelle que ces derniers vivent certes en milieu marin mais essentiellement dans la zone de balancement des marées (zone intertidale) où ils affrontent deux fois par 24 heures le stress de l’exondation. Les ancêtres des élégantes bénéficiaient donc de préadaptations spécifiques (au niveau de leur fonctionnement interne) facilitant l’accession à la vie terrestre à l’air libre. L’opercule est d’ailleurs un des moyens de protection pour limiter la dessication. Leur évolution s’est largement poursuivie puisque, par exemple, dans cette lignée terrestre, les branchies ont complètement disparu !

Radicalement différents

Ce détour par les parentés va nous permettre de mieux saisir combien ces escargots sont profondément différents des « autres » escargots terrestres du groupe des Panpulmonés (voir ci-dessus) à travers une multitude de traits physiques surprenants.

Quand l’élégante sort de sa coquille, on note son corps assez sombre allant du brun clair au gris foncé mais surtout sa tête allongée et prolongée par une sorte de mufle-trompe mobile qui lui donne un air incomparable. Il n’y a que deux tentacules cylindriques mais ne cherchez pas les yeux au bout comme chez les autres escargots terrestres : ils sont implantés à la base de ces tentacules !

Encore plus bizarre : le pied sur lequel se déplace l’élégante est … divisé profondément en deux parties. En plus, elles fonctionnent indépendamment. Quand l’élégante se déplace, des vagues de contractions musculaires parcourent une des deux moitiés puis l’autre dans un second temps : autrement dit, l’élégante est quelque part un peu « bipède » ! Ceci explique la lenteur des déplacements plus laborieux que ceux des autres escargots où une seule vague parcourt tout le pied d’arrière en avant. Les anglo-saxons lui ont donné un surnom évocateur à cet égard : shuffler snail ; to shuffle est un verbe aux sens multiples dont celui de « traîner des pieds, sans vraiment les lever ».

Autre différence majeure : les élégantes ne sont pas hermaphrodites comme les autres escargots et limaces terrestres ; pas d’accouplement réciproque comme ces derniers, mais un accouplement « classique » mâle/femelle ! Les femelles sont d’ailleurs légèrement plus grandes que les mâles. Les femelles pondent quelques dizaines d’œufs, enfouis dans le sol un par un et recouverts de boue. Ils éclosent d’un à trois mois plus tard ; les jeunes élégantes atteignent la maturité sexuelle au bout d’un an et demi. La longévité moyenne serait de quatre à cinq ans.

Calcicole stricte

Carte de répartition (F. Welter-Schultes ; C.C. 0 ; DP)

L’espèce est répandue sur une bonne partie de l’Europe occidentale et méditerranéenne, remontant au nord jusqu’au Danemark, en Allemagne et en Grande-Bretagne (une station très isolée en Irlande). Elle ne monte guère en altitude (moins de 1000m dans les Pyrénées par exemple). En France, elle est présente partout mais nettement plus abondante dans le Midi. Plus on monte vers le Nord, plus elle devient locale et cantonnée dans des stations chaudes et sèches (tendance xérophile).

Elle dépend strictement de la présence de roches calcaires ou marneuses (argiles carbonatées) dans son environnement. D’autre part, l’élégante a besoin simultanément d’un sol meuble où elle peut pondre et s’enfouir. En effet, comme de nombreux escargots terrestres, elle doit se protéger des températures extrêmes (canicule ou froid hivernal) et entre en vie ralentie en se s’enterrant au préalable. Cette semi dormance peut durer plusieurs mois.

On la trouve dans une large gamme de milieux : milieu forestier essentiellement dans le Midi (chênaies vertes notamment : voir ci-dessous) ; bois ouverts et clairsemés plus au nord ; rochers et murettes calcaires ; haies ; dunes marines avec des accumulations de coquillages (apport de calcaire). On peut aussi la croiser dans des jardins sur des sols argileux non calcaires s’il y a des anciens bâtiments avec du ciment en cours de dégradation : celui-ci est fabriqué à partir de roches calcaires !

En dehors du Midi, elle est menacée par l’agriculture intensive via les pesticides et la destruction des habitats semi-naturels : elle est particulièrement impactée dans les vignobles qui, pourtant, lui offrent souvent un habitat favorable a priori sur les substrats caillouteux.

A noter qu’en France, il n’existe qu’une seule espèce dans le genre Pomatias. Sur le littoral de la Côte d’Azur, entre Bandol et Martigues, vit une espèce proche, autrefois classée dans ce genre : Tudorella sulcata. Nettement plus grosse (jusqu’à 2cm de haut), de teinte orangée, avec une coquille à cinq tours complets, elle présente un opercule très épais jaune safran ! On a montré que cette espèce a dû être transportée et dispersée par les chasseurs-cueilleurs du Néolithique, grands amateurs d’escargots (voir la chronique sur le monodonte, escargot marin), le long du littoral entre Espagne et Italie et dans les îles.

Dispersion limitée

Nous avons évoqué les déplacements laborieux des élégantes : on pressent que leur capacité de déplacements à l’échelle des paysages doit être quelque peu limitée. Effectivement, des expériences de marquage individuel et de capture/recapture, confirment que ces escargots parcourent, dans un habitat favorable, en moyenne 16cm en … 42 jours ! Donc, leur capacité à coloniser de nouveaux milieux ou recoloniser des milieux d’où elles ont disparu semble a priori bien maigre. D’autant que leur habitude de s’enfouir en période défavorable (voir ci-dessus) limite encore plus la probabilité d’être déplacées accidentellement comme par exemple par du ruissellement lors d’orages.

De fait, sur le terrain, on constate qu’elles forment des colonies denses très localisées en ayant tendance à s’agréger fortement : ainsi, la densité dans un milieu favorable varie considérablement de moins d’un individu par m2 à plusieurs centaines à peu de distance.

L’émigration, c’est-à-dire la première étape de la dispersion dans l’espace, a été étudiée en fonction des densités ponctuelles. Contre toute attente, cette émigration n’est pas amplifiée quand la densité augmente. Il y a peut-être des avantages à rester en groupes denses quitte à subir les effets négatifs de la compétition. Se regrouper lors des épisodes défavorables apporte peut-être de meilleures chances de survie ou procure un microclimat plus favorable dans les abris ?

Par contre, quand la densité diminue, les élégantes se montrent plus actives et les individus les plus mobiles sont alors ceux avec les coquilles les plus légères. On suppose que celles avec des coquilles plus épaisses et plus lourdes résistent mieux par exemple au dessèchement et ont donc intérêt à rester sur place sans s’exposer inutilement lors des déplacements. Et en plus, plus la coquille est lourde, plus les coûts énergétiques sont élevés.

Au final, les élégantes tendent donc à former des noyaux de populations denses très locaux. Dans les contextes très perturbés par les activités humaines, les populations se retrouvent de fait très isolées et fragmentées dans l’espace ce qui interroge sur leur survie à long terme sans échanges génétiques entre populations.

Précieuse

Les élégantes striées ne sont pas herbivores mais détritivores ; elles consomment essentiellement les débris des litières au sol : feuilles mortes, mousses sèches, bois pourri, …

Dans les forêts méditerranéennes où elles abondent, on a étudié leur impact sur la litière de feuilles mortes au sol. Le plus souvent, une essence domine : le chêne vert aux feuilles coriaces et longues à se dégrader. Or, les feuilles mortes renferment des doses importantes de tannins sous forme dite condensée qui les rendent encore plus récalcitrantes à la décomposition. Ces tannins synthétisés par les arbres sont des polyphénols servant de moyens de défense contre les herbivores, les pathogènes, les effets délétères des UV et du stress oxydatif. Leur abondance dans la litière entraîne donc une baisse de la quantité d’azote disponible et ralentit fortement sa dégradation.

Or, certains invertébrés de la litière comme les élégantes mais aussi des millepattes diplopodes (Gloméris) consomment activement ces feuilles mortes coriaces très abondantes. De manière surprenante, l’analyse des pelotes fécales de ces animaux démontre que le passage dans leur tube digestif réduit presque à zéro le taux de tannins condensés quelles que soit les doses initiales et ce pour au moins trois espèces d’arbres testés. Autrement dit, les élégantes et les millepattes transforment chimiquement la litière en la dé-tannant tout en la fragmentant et accélèrent ainsi largement son évolution ultérieure, une fois le frein des tannins supprimé.

Bibliographie

Differential response to Cadmium exposure by expression of a two and a three-domain metallothionein isoform in the land winkle Pomatias elegans: Valuating the marine heritage of a land snailLara Schmielau et al. Science of the Total Environment 648 (2019) 561–571

Increased population density depresses activity but does not influence emigration in land snail Pomatias elegans M. Dahirel et al. Journal of Zoology. 2020

The fate of condensed tannins during litter consumption by soil animals Mathieu Coulis et al. Soil Biology & Biochemistry 41 (2009) 2573–2578