Contraste saisissant entre la lande aride sur le versant sud et la vallée et le versant nord verdoyant

11/07/2021 Le site des landes Péraclos, dans la basse vallée de La Sioule, au sortir des gorges de Chouvigny, fait partie du réseau des Espaces Naturels Sensibles du département de l’Allier (voir le site). Sur un peu plus de vingt hectares, s’étendent les plus grandes landes à bruyère cendrée de l’Allier ce qui en fait un site remarquable pour la région. En ce début d’été exceptionnellement pluvieux, ces landes arborent une superbe parure pourpre sur l’ensemble du vaste coteau qui fait face à la Sioule en contrebas : les bruyères cendrées sont en pleine floraison et c’est un enchantement visible même depuis la route qui serpente dans la vallée. J’avais visité ce site pour la première fois l’an dernier fin septembre avec déjà l’intention de rédiger une chronique mais le spectacle d’une lande ravagée par la sécheresse extrême qui sévissait alors depuis au moins deux ans m’avait conduit à différer ce projet ! Cette chronique fera donc la synthèse de ces deux visites à deux moments bien différents. Donc si vous envisagez de visiter ce site, ayez bien en tête ce que vous découvrirez pourra être très différent de ce que montrent les photos hautement colorées prises ce 11 juillet 2021 ! 

Le manteau pourpre des bruyères cendrées

Accès : Parking aménagé au bord de la D 915 qui relie Ebreuil à Chouvigny-Pont de Menat et traverse les gorges de Chouvigny ; entre les villages de Miallet et Péraclos. Suivre ensuite le fléchage.

Changement de décor : automne 2020 après la sécheresse !

Mégalithe énigmatique !

Ce site figure est connu par ailleurs pour la présence d’un mégalithe surnommé la table de Péraclos. Le sentier depuis le parking de départ (voir ci-dessus) conduit directement, après la traversée d’un bois clair, à ce « monument ». A mi-hauteur de la pente, au milieu des ajoncs (voir ci-dessous) s’élève un imposant massif rocheux surmonté effectivement d’un gros bloc couché : « le » mégalithe. D’aucuns y voient la silhouette de plusieurs têtes de chien ; sur un site officiel anglais qui répertorie les mégalithes d’Europe, on explique que « cette pierre a été érigée de telle manière qu’elle reçoive toujours la lumière du soleil ». Un autre site spécialisé ajoute que « des marches comme voulues facilitent l’accès et que des cupules sont visibles au sommet ». Je ne suis pas du tout (mais vraiment pas !) spécialiste en mégalithes ou préhistoire mais sincèrement, pour moi, il me laisse perplexe ! Un examen rapproché montre d’une part que le prétendu mégalithe est complètement soudé au massif sous-jacent et n’en est séparé que par le dégagement latéral d’une ligne de faillée érodée. Ce ne serait donc que du modelage par l’altération naturelle d’un gros bloc isolé ; alors, peut-être que des hommes au Néolithique ont utilisé ce rocher comme « autel dédié au soleil » mais ceci n’en fait pas un mégalithe ?? Si des experts éclairés peuvent donner leur avis, il sera bienvenu ! 

A défaut, ce « rocher du chien » nous permet de faire connaissance de suite avec le contexte géologique du site ! D’après la carte géologique, la roche sombre qui le compose est un gneiss, une roche foliée, i.e. formée d’une alternance de feuillets clairs (formés de quartz et de feldspath) et de feuillets sombres avec notamment du mica noir (biotite). Ces gneiss appartiennent à la série métamorphique du la Sioule : un vaste ensemble de couches de roches granitiques qui ont été enfouies plus ou moins profondément (il y a plusieurs centaines de millions d’années) et transformées par le jeu combiné de la pression et de la chaleur avant d’être dégagées par l’érosion. Leur structure feuilletée favorise l’altération par l’eau qui décompose de manière différentielle les minéraux les plus fragiles ; la roche se dégrade depuis la surface en un sable grossier argileux, une arène qui « noie » les affleurements sur une bonne partie du coteau. La roche (hormis ce rocher du chien) n’affleure donc que ponctuellement sous forme de petits pointements rocheux ou d’amas de gros débris formant des pierriers. On y note la présence de gros blocs souvent géométriques de quartz blanc, issus du démantèlement de filons intercalés au milieu des lits de feuillets.

Bruyères  

Sur la partie la plus en pente du site, exposée plein sud, une espèce domine de manière écrasante : la bruyère cendrée qui impose au paysage la belle teinte pourpre de sa floraison. Elle forme des touffes basses mais très ligneuses, couvertes d’un feuillage vert foncé faisant penser à de mini-aiguilles de pin. Les fleurs en forme de clochettes délicates varient du pourpre foncé au rose clair et virent au roux clair quand elles fanent à cause de la persistance de la corolle. La floraison massive attire les abeilles domestiques venues des ruchers installés près de l’entrée du site en sous-bois ; c’est un bourdonnement incessant qui enveloppe cette vaste pente ! Même si cette bruyère semble ici prospère, on observe de nombreuses touffes mortes ou nécrosées à la périphérie mais qui repartent au centre : les épisodes de canicule/sécheresse commencent à affecter cette espèce atlantique tributaire d’une certaine pluviosité même si elle supporte bien la sécheresse. Cependant, l’observation de jeunes pieds récents, certains déjà fleuris, laisse à penser qu’elle continue malgré tout à s’épanouir ici. 

L’observateur attentif notera la présence d’une seconde espèce de « bruyère », la callune ou fausse-bruyère (qualifiée de fausse dans la mesure où elle n’appartient pas au genre Erica, les « vraies » bruyères). Mais pour la repérer, il faudra se contenter du feuillage rabougri car, contrairement à sa proche cousine, elle subit de plein fouet le broutage sélectif effectué par les moutons (voir ci-dessous) : on ne la trouve que sous forme de touffes tondues au ras du sol, méconnaissables. De loin, elle se repère à sa teinte d’un vert plus clair et, de plus près, à ses minuscules feuilles écailleuses très imbriquées. Pourtant, en temps normal, elle domine largement la bruyère cendrée de ses touffes volumineuses bien plus hautes et larges avec de fortes tiges ramifiées. Mais ici, elle semble à la limite extrême de ce qu’elle peut supporter tant en termes de pâturage que d’aridité.

Pourquoi la bruyère cendrée a-t-elle aussi peu d’appétence pour les moutons contrairement à la callune ? Sans doute que son feuillage plus raide, presque piquant, riche en fibres et son contenu chimique (notamment des polyphénols) rebute les ovins alors que les jeunes pousses tendres de la callune offrent de meilleures perspectives ? Une conséquence de cette immunité relative de la bruyère cendrée s’observe bien ici sous la forme de « l’effet nounou » (voir la chronique sur ce sujet) : des touffes denses servent de points d’implantation à des herbacées ou plantules d’arbres qui autrement seraient impitoyablement éliminés par les moutons : là, les feuilles du brachypode penné ou ici un jeune plant de robinier dont la graine est venue de la lisière voisine. 

Ajoncs 

L’autre plante dominante des lieux, l’ajonc d’Europe (voir la chronique sur la reproduction de cet arbuste), se remarque dès l’entrée sur le site dans une clairière du bois clair que l’on traverse puis tout autour du fameux rocher du chien : on le reconnaît immédiatement à son aspect épineux hérissé. Là, il atteint des tailles de plusieurs mètres de haut avec des troncs proches du diamètre du bras comme en attestent les nombreux morceaux secs au sol. Au cours des dernières années, le Conservatoire des Espaces Naturels de l’Allier, chargé de la gestion du site, a entrepris de dégager une partie de cette lande devant l’ampleur prise par les ajoncs ; sans intervention, l’ajonc tend à dominer le paysage et étouffer toute autre végétation en devenant « géant » ; ses racines dotées de nodosités bactériennes fixent l’azote de l’air et enrichissent ainsi le sol en nitrates ce qui, à moyen terme, va défavoriser la flore spécialisée (voir ci-dessous) des terrains acides pauvres en éléments nutritifs. Une fois rasé, l’ajonc repart vite mais les moutons broutent les jeunes pousses appétentes et limitent ainsi son retour massif. 

Sur ces peuplements d’ajonc vit une espèce remarquable découverte assez récemment : le criquet des ajoncs, inconnu jusqu’alors en Auvergne. En France, cette espèce rare, strictement inféodée aux landes à ajoncs, occupe une aire restreinte dans la partie ouest (Bretagne, Normandie, Poitou, Sud-ouest) et dans les montagnes calcaires méditerranéennes (sur le genêt scorpion) ; il se trouve donc ici aux limites extrêmes de sa répartition. On peut l’observer entre juillet et octobre (surtout juillet-août) toujours près ou sur les ajoncs. Son identification reste assez délicate car il existe de nombreuses autres espèces communes ou très communes avec lesquelles on peut le confondre. De teinte générale variable (brune à entièrement verte !), il se distingue par ses pattes sauteuses fortement rayés de sombre avec une teinte rouge marquée à l’intérieur ce qui leur donne un aspect bigarré. Depuis sa découverte ici, l’espèce a été trouvée sur d’autres sites dans un rayon de quelques dizaines de kilomètres jusque dans le Puy-de-Dôme voisin (région de Champs), toujours sur des ajoncs ! La gestion des ajoncs ne le défavorise pas : au contraire, la taille lui fournit des jeunes pousses plus nutritives et ouvre le milieu pour cette espèce avide de chaleur et de soleil. 

Dent dure 

Prunelliers « nanifiés » par le passage des moutons

Dès que ce site communal a été classé Espace Naturel Sensible, on a délibérément choisi de maintenir le pâturage par un troupeau de brebis de la race Blanche du Massif Central d’un éleveur local. Depuis 1977, celui-ci faisait paître jusqu’à trois cents bêtes sur ce coteau ; on a simplement décidé d’abaisser la charge à une trentaine de brebis laissées huit mois par an sur le site. Le broyage mécanique des ronces et ajoncs (voir ci-dessus) complète cet entretien du milieu. En fait, ce paysage de landes à bruyère n’existe ici que via une longue histoire de plusieurs siècles sans doute de pâturage quasi permanent. Sans l’intervention des troupeaux, les arbres auraient depuis longtemps reconquis ces espaces et éliminé progressivement les bruyères et toute la biodiversité animale et végétale spécifique associée à ce milieu. Pour s’en convaincre, il suffit de noter sur les bordures les pins, chênes ou frênes en « embuscade » produisant chaque année leur lot de semences prêtes à s’installer dans les nombreux vides de la lande … sauf si des tondeuses vivantes méthodiques éradiquent méthodiquement les jeunes plantules à peine installées. Une autre preuve s’observe en suivant la route en aval du site : le coteau à bruyère est là colonisé par des pins sylvestres et des genévriers qui peu à peu grignotent l’espace de la lande.

La partie haute du site, non occupée par la bruyère et qui correspond à d’anciennes terrasses où l’on cultivait autrefois la vigne ou même des céréales, le sol plus profond, moins rocheux, serait encore plus favorable à la colonisation par des ligneux ; or, dans ce secteur, on trouve en grand nombre plusieurs des raretés botaniques du site (voir ci-dessous). Le maintien d’un paysage très ouvert profite aussi largement à de nombreuses espèces animales tributaires de milieux chauds et ensoleillés : l’azuré du serpolet y trouve les colonies de serpolet indispensables pour sa reproduction ; l’engoulevent d’Europe y niche à même le sol et chasse la nuit les papillons nocturnes ; le circaète jean-le-blanc vient y chasser les serpents et lézards ; …

Même quand les moutons ne sont plus sur le site (comme lors de notre visite), les traces de leur intervention s’imposent au visiteur sous des formes multiples. Là, ce sont des ossements blanchis : qui un crâne, qui un tibia ou une mâchoire ; ici, des amas de crottes qui font le régal de toute une cohorte de coléoptères dit coprophages, i.e. se nourrissant (adultes et larves) des excréments. Des lambeaux de laine pendent accrochés aux buissons épineux. Les pistes de circulation des animaux s’impriment dans le paysage via le piétinement des sabots pointus. La trace la plus prégnante de leur passage touche les buissons épineux mais peut échapper au regard du non-initié : prunelliers et aubépines sont réduits à l’état de bonsaïs difformes, prostrés au sol, très loin de leur superbe conquérante habituelle ! Mais les plus impactées restent les touffes de callune fausse-bruyère (voir ci-dessus) qui ressemblent à des galettes rases dépassées même par les maigres herbes sèches. 

Mosaïques 

Lande dense et presque continue ; noter les pieds de chardon-roland ou panicaut champêtre

De loin la lande qui couvre toute la moitié inférieure du coteau semble uniforme mais en la parcourant on découvre vite une forte hétérogénéité ; ainsi certains secteurs ayant subi plus fortement la pression de pâturage (et les épisodes climatiques extrêmes récents !) présentent de vastes secteurs de sol dénudé aride, terrain de chasse favori de divers insectes dont des guêpes solitaires ou des cicindèles (coléoptères).

Le gneiss du sous-sol (voir le chapitre 1) génère de son côté une seconde mosaïque de « sous-milieux » avec des affleurements rocheux ponctuels et, surtout, des pierriers chaotiques probablement en grande partie d’origine humaine, fruits du travail des exploitants agricoles passés ?

Pierrier formant un ilot dans la lande (vue en automne)

En tout cas, ces « taches rocheuses » dispersées augmentent la richesse de ce milieu en créant des micro-milieux offrant abri et exposition favorables et permettant l’installation ou le maintien d’espèces très spécialisées. Les lézards des murailles, très abondants, s’y chauffent au soleil ; un gros papillon aux ailes noires tachées de blanc dessus, le silène (voir la chronique sur ce papillon) adore s’y poser, disparaissant brusquement à la vue du promeneur grâce au-dessous de ses ailes et son motif très homochromique (se confondant avec le milieu). 

Ces pierriers hébergent eux-mêmes d’autres mosaïques vivantes : des lichens dont des « cartes géographiques jaunes ponctuées de noir » aux motifs étonnants. La diversité est au rendez-vous avec plusieurs espèces mais sans pouvoir les identifier, faute de compétences en lichénologie !

En dehors des rochers, sur le sol dénudé de la lande ou au milieu des touffes étalées de bruyères, de grosses colonies de lichens buissonnants (fruticuleux), des cladonies du type lichen des rennes, jettent des notes blanches très contrastées ; mais, il faudrait venir en plein hiver au moment des pluies, pour les voir dans leur plus bel état, gorgées de l’eau du ciel. Le rocher du chien avec sa masse rocheuse abrite une grosse colonie grise de Dermatocarpon en forme de pustules. Là encore, si la lande venait à être colonisée par les arbres, l’ombrage projeté détruirait progressivement cette riche flore de lichens, composée d’espèces demandant une exposition plein soleil pour vivre. 

Raretés et bizarreries 

Nous allons terminer ce tour d’horizon du site avec quelques éléments originaux de la flore. Avec les pluies estivales récentes, une espèce rare et en régression en France, devenue très rare en Auvergne, la cotonnière de France, s’éclate littéralement avec des colonies très denses disséminées un peu partout ; cette espèce annuelle, typique des pelouses herbacées rases (qualifiées de tonsures) sur des sols sableux et argileux, humides en hiver mais arides en été, trouve ici clairement un milieu d’élection. En tout cas, pour cette année 2021, l’espèce va produire une banque de graines qui assure son avenir pour plusieurs décennies !  On trouve aussi une cousine proche plus commune la cotonnière d’Allemagne ; une troisième espèce voisine, la cotonnière jaunâtre, est mentionnée mais je n’ai pas du savoir la repérer. Sur les terrasses supérieures, au-dessus de la lande à bruyère, je note des mini-touffes d’un lotier aux petites fleurs : sur le coup, je pense à des lotiers corniculés rabougris du fait du milieu sec ; mais, non, en voici des touffes de belle venue aux côtés de ce lotier nain. Je prends le temps de l’immortaliser en me couchant à sa hauteur et observe alors que chaque pied, en dépit de sa petite taille, a déjà produit plusieurs gousses en cours de maturité : il s’agit du lotier à fruits très étroits, une autre annuelle estivale typique des terrains sableux de l’Ouest et du Midi et peu commune et dispersée en Auvergne. Partout, parfois en nombre, les petites touffes étalées du millepertuis couché arborent leurs belles petites étoiles jaune intense, jusqu’au milieu des bruyères cendrées. Une graminée forme des touffes vert sombre éparses avec des épis maigres de quelques épillets : la danthonie couchée. 

Dans une zone d’ancienne lande à ajonc broyée je découvre une colonie de cirses à capitules laineux (voir la chronique), une espèce assez commune, mais dont le port étrangement bas attire mon attention. Presque tous les pieds présentent une anomalie (une monstruosité au sens botanique) surprenante : des tiges aplaties très larges et des capitules en boutons complètement comprimés transformés en cercles. Il s’agit de fasciations, une anomalie de développement qui peut être déclenchée par divers facteurs dont des stress environnementaux ou des bactéries.

Pour rester dans le registre des « monstres », plusieurs vieux chênes en bordure de la lande méritent le détour. Près de l’entrée, dans le sous-bois, un vieux chêne s’est couché complétement au sol, les racines écartelées mais encore bien ancrées et poursuit sa croissance couché à l’horizontale (voir la chronique sur cette étonnante capacité des arbres) ; à l’autre extrémité du site, le long d’une clôture qui descend la pente, plusieurs énormes cépées de chênes inspirent le respect par leur puissance et laissent deviner une histoire sans doute ancienne ; elles ont du voir défiler plusieurs générations de gardiens de troupeaux ! 

Vous aurez compris que ce site mérite d’être visité à différentes époques de l’année pour en apprécier toute la richesse et que son aspect dépend très largement de la météorologie annuelle ! 

Bibliographie 

Le site peut se découvrir depuis le village voisin de Chouvigny en suivant la balade dite de la Table de Péraclos