02/12/2023 Comme tous les êtres vivants, les oiseaux sont en interaction avec une foule de parasites internes et externes des plus variés : punaises ; puces ; acariens ; tiques ; mouches ; sangsues ; champignons ; bactéries ; … Leur plumage favorise, comme la fourrure des mammifères, la présence et le développement d’un certain nombre de parasites externes dont les poux des plumes ou poux broyeurs (mallophages). Le séjour prolongé des parents et des jeunes nidicoles dans un nid plus ou moins fermé favorise encore plus le développement de ces parasites. Leur présence pose un dilemme aux oiseaux quant à réemployer le même nid plusieurs fois avec le risque alors élevé d’y retrouver une charge de parasites déjà installés.

Ce dernier épisode de la série sur les fonctions des nids va donc explorer comment les oiseaux composent avec ce risque des parasites pendant la période d’incubation et de séjour au nid des poussins nidicoles.

Pression sélective

Comme pour les trois autres fonctions, il faut d’abord se demander dans quelle mesure ces parasites influent sur le succès reproductif des oiseaux pour apprécier l’intensité de la pression de sélection qu’ils exercent.

Les oiseaux cavernicoles sont particulièrement concernés par les parasites de nids : ainsi, les nids de mésange charbonnière sont souvent infestés de puces des poules (espèce généraliste). Si on augmente expérimentalement la population de ces puces dans des nichoirs occupés, les femelles pondent plus tard en saison et les couples désertent plus souvent les nids pendant l’incubation ; le nombre de jeunes à l’éclosion puis à l’envol est diminué pour ces couples.

Mallophage ou pou broyeur des plumes : un ectoparasite (cliché Al-Shammery KA ; C.C. 4.0)

Les hirondelles de fenêtres construisent des nids faits de boulettes de terre en forme de coupe très fermée et élèvent plusieurs nichées de suite dans le même nid, parfois même réoccupé les années suivantes. Parmi leurs nombreux parasites externes figure un acarien qui vit sur les plumes et surnommé le pou noir. Là aussi, expérimentalement, si on augmente le nombre de ces acariens, les couples ont un moindre succès reproductif : ils produisent moins de jeunes à l’envol pour les deux nichées successives.

Donc, clairement, ces parasites externes influent sur le succès reproductif des oiseaux nicheurs. Évidemment, une telle pression a conduit en retour à l’évolution chez les oiseaux d’une large gamme de moyens et de comportements de défense envers ces parasites : la mue régulière des plumes (au moins une fois par an) ; la production par les plumes de substances défensives ; l’entretien systématique et poussé du plumage par lissage des plumes ou poudrage dans la poussière et un ensemble de comportements d’entretien du nid.

Matériaux antiparasite ?

Nous avons déjà signalé dans les épisodes précédents l’ajout fréquent dans les nids de matériaux végétaux verts et/ou de plumes récoltées dans la nature : les oiseaux qui les incorporent rechargent chaque jour leur nid pendant l’incubation et l’élevage des jeunes.

Les végétaux verts peuvent contenir des substances volatiles qui sont, pour les plantes, des composés secondaires utilisés comme moyens de défense anti-herbivores : ces molécules complexes sont souvent des terpènes dont on connaît les propriétés biocides et sont donc potentiellement efficaces contre parasites et agents pathogènes.

De même, on sait que les plumes portent de nombreuses bactéries non pathogènes mais capables de produire des substances antibiotiques : elles aussi peuvent limiter potentiellement les infections par d’autres bactéries pathogènes. A la manière de ce qui se passe sur notre peau, leur présence limite aussi le développement des autres bactéries par compétition.

Ces deux matériaux, en plus donc d’avoir la capacité potentielle d’inhiber certains parasites, peuvent apporter plus d’isolation au nid (épisode 3) et/ou servir de signaux sexuels (épisode 2). Cette multiplicité de fonctions potentielles fait qu’il est souvent difficile de savoir à quoi servent réellement ces matériaux ajoutés : ont-ils une seule de ces fonctions ou deux ou trois en même temps qui ne s’excluent pas ?

Le casse-tête du sansonnet

Cet oiseau espèce cavernicole très répandu adopte volontiers les nichoirs. Les mâles choisissent une cavité et y commencent la construction d’un nid tout en cherchant à attirer une femelle pour s’apparier. Ils apportent des végétaux verts pendant cette phase de construction du nid. Ils ne choisissent que certains végétaux parmi les nombreux présents dans leur environnement et sélectionnent ceux riches en terpènes, des molécules volatiles odorantes. Dans l’obscurité de la cavité, ces végétaux peuvent donc fonctionner comme des signaux olfactifs puissants.

Des études ont montré que la quantité de matériaux verts ajoutés au nid augmentait avec le temps passé à attirer une femelle via des parades et des chants près du site de nid. Des mâles non encore appariés transportent plus de tels matériaux quand on installe une femelle en cage près de la cavité choisie ; un mâle déjà apparié ne réagit pas ainsi face à un tel dispositif. Tout indique donc que l’ajout de matériaux verts dans la coupe du nid constitue un signal sexuel fort qui permet au mâle d’attester de sa qualité de bon reproducteur vis-à-vis des femelles.

Mais, pour autant, est-ce que ces mêmes matériaux ne servent pas aussi d’antiparasites vu ce que l’on sait des terpènes végétaux (voir ci-dessus) ? plusieurs études conduites en des lieux différents apportent à ce sujet des réponses contradictoires. Si (dans des nichoirs), on remplace les nids originaux par des nids soit enrichis en matériaux verts ou soit simplement tapissés d’herbes, alors la charge en parasites externes reste la même dans ces deux types. Mais par contre, les poussins des nids « verdis » sont plus lourds et avec un meilleur bilan sanguin et la survie après l’envol des premiers est meilleure. Par contre, une autre étude antérieure ne montre pas de tel effet. Bilan, on ne peut pas affirmer catégoriquement que ces matériaux aient un effet antiparasite.

Tout ceci amène à penser que la fonction anti-parasites de ces matériaux n’ait été éventuellement intégrée que de manière secondaire, incidemment, alors que sa fonction primaire serait de servir de signal sexuel fort. On peut supposer que de tels comportements sexuels aient amené des oiseaux à introduire des végétaux en quantité et qualité (espèces de végétaux choisis par exemple) telles que, incidemment, ils soient aussi efficaces contre les parasites. Ce serait alors un exemple d’exaptation, c’est-à-dire un nouveau caractère favorable sélectionné « à l’insu de son plein gré » !!

Mésanges bleues aromathérapeutes

Nous avons longuement développé dans une chronique antérieure l’exemple passionnant d’une population corse de mésange bleue qui incorpore des plantes très aromatiques dans leurs nids. Cette espèce a fait par ailleurs l’objet de nombreuses études à ce propos. On a clairement démontré que ses capacités olfactives lui permettaient de détecter la présence de telles plantes ajoutées avant même d’entrer dans sa cavité.

Contrairement aux sansonnets ci-dessus, ce sont les femelles qui bâtissent le nid chez les mésanges bleues et qui ajoutent des matériaux verts. Expérimentalement, si on ajoute de tels matériaux, alors les jeunes deviennent plus gros dans les nichées dont on a augmenté le nombre de petits, signalant donc un effet positif. En Corse, nous avons vu qu’ajouter des plantes aromatiques n’empêche pas l’infestation par des mouches suceuses de sang (hématophages). Les plantes aromatiques ajoutées agissent essentiellement sur la richesse en bactéries de la peau des poussins (nus au début) mais pas sur les adultes.

Mouche parasite Protocalliphora

Dans une autre expérimentation, on a remplacé les nids de mésanges bleues par ceux de gobe-mouches noirs (et vice-versa), autre espèce cavernicole mais avec un nid de composition différente : des changements significatifs dans les abondances d’acariens, de puces et de mouches hématophages furent observés chez les deux espèces.

La situation se complique avec la présence de fourmis qui s’installent parfois dans les nichoirs occupés par des mésanges bleues. Il se pourrait qu’elles exploitent alors les parasites externes comme proies et participent ainsi à la défense antiparasite !

On voit donc que rien n’est simple mais, malgré tout, il se dégage bien une certaine fonction antiparasite de ces matériaux verts ajoutés.

Hirondelle plumassière

Nous avons vu que l’ajout de plumes au fond du nid avait un rôle thermorégulateur (épisode 3) et, généralement, on considère que c’est la fonction principale. Mais on a vu aussi que les plumes ajoutées peuvent servir de signal sexuel (épisode 2). Il reste une troisième fonction potentielle dans le cadre de cet épisode : le tapis de plumes ajoutées héberge des communautés de bactéries qui commencent à les dégrader : elles peuvent indirectement influer sur le « microclimat sanitaire » du nid. Le développement de ces bactéries peut ainsi affecter la charge bactérienne des coquilles d’œufs au contact avec les plumes. Mieux, on sait que des plumes de couleur différente ne portent pas les mêmes communautés bactériennes : donc le choix des plumes ajoutées selon leur couleur pourrait être une autre variable à considérer !

Tout ceci a été étudié chez les hirondelles rustiques en explorant la relation entre la charge bactérienne des coquilles d’œufs et le nombre de plumes ajoutées ainsi que les effets d’un changement des couleurs dominantes de plumes. Avant toute modification expérimentale, on constate effectivement que le nombre de plumes, majoritairement blanches, ajoutées permet de prédire la charge bactérienne des œufs. A la fin de l’incubation, dans les nids avec des plumes blanches, la densité bactérienne des œufs était moindre que sur ceux dans des nids avec des plumes noires. Comme chez d’autres espèces d’oiseaux, on a démontré qu’une faible charge bactérienne des œufs augmentait le succès reproductif, alors on peut penser que cela doit être le cas ici aussi. En tout cas, ceci expliquerait pourquoi les hirondelles rustiques sélectionnent préférentiellement des plumes blanches quand elles les collectent !

Généralisable ?

Les trois exemples longuement développés ci-dessus sont tous les trois des passereaux nichant soit dans des cavités, soit dans des nids très fermés. Qu’en est-il si on élargit le champ des exemples à des espèces très différentes ?

Aigle de Bonelli et son aiglon sur l’aire : noter la charge de branchages verts de pin maritime (cliché L. F. Lazaro ; C.C. 4.0)

Chez l’aigle de Bonelli, rapace méditerranéen présent en France, les adultes rechargent l’aire (comportement partagé par de nombreux rapaces) avec des matériaux verts. Dans une population du sud-est de l’Espagne, ces matériaux étaient invariablement des branches feuillées d’arbres ou arbustes avec presque 80% de pins et de chênes. Les aigles choisissent préférentiellement le pin maritime quand il est présent sur leur territoire. Or, ce pin renferme de hauts niveaux de composés aromatiques dont le bêta-pinène. Plus la quantité de branchages ajoutée est élevée, moins le taux d’infestation des jeunes par des mouches hématophages et meilleur est le succès reproducteur des couples concernés. On a donc bien ici une fonction antiparasite claire à l’instar des plumes des hirondelles rustiques.

Un autre exemple confirme cette capacité des oiseaux à intégrer dans leur nid des matériaux antiparasites : celui d’un passereau des USA, un roselin qui ajoute des mégots de cigarettes dans la coupe de son nid. Nous avons déjà consacré une chronique à cet exemple sidérant !

Le tantale d’Amérique est un grand échassier qui ajoute de la verdure dans son grand nid de branchages avant la ponte des œufs mais ces apports diminuent au fur et à mesure que les poussins nidicoles grandissent et atteignent à l’âge d’une à deux semaines suffisamment de duvet pour réguler leur température. Cette verdure accumulée s’imprègne d’excréments et vient colmater le fond de la coupe du nid ce qui isole de manière significative le contenu du nid. Par contre, aucun effet sur les parasites externes n’a été démontré pour cette espèce.

On voit donc qu’on ne peut pas généraliser vraiment cet usage même s’il apparaît de manière répétée dans diverses familles d’oiseaux très éloignées. Il doit d’ailleurs sans doute exister des exemples de matériaux autres que les feuillages verts et les plumes à découvrir comme antiparasites.

A l’issue de ce quatrième et dernier épisode, on retiendra deux faits majeurs. Contrairement à une idée reçue tenace, les oiseaux ne construisent pas leur nid de manière stéréotypée : ils adaptent sans cesse les matériaux, l’architecture, les choix de sites d’emplacement, … aux situations locales ou temporelles. D’autre part, les traits des nids résultent des pressions croisées de diverses pressions de sélection régulièrement contradictoires et qui conduisent à l’adoption de compromis.

Retrouvez toutes les chroniques sur les nids d’oiseaux (dont ces quatre épisodes) ici

Bibliographie

1)Bird nests and construction behaviour. Review. M. Hansell. Ed. Cambridge U.P. 2000

2) The design and function of birds’ nests Mark C. Mainwaring et al. Ecology and Evolution 2014; 20(4): 3909– 3928

 3)Nest predation research: recent findings and future perspectives. Review J. D. Ibanez-Alamo et al. J Ornithol (2015) 156 (Suppl 1):S247–S262