Hylocomium splendens

Cette chronique s’inscrit dans une série intitulée Bryoscopie (voir l’ensemble du thème) consacrée à la présentation d’espèces de mousses et hépatiques très communes et relativement faciles à identifier de notre flore. Elle s’adresse à un public de profanes ou d’ultra-débutants par rapport aux mousses et hépatiques (comme moi) avec un double objectif : présenter l’espèce et ses caractéristiques et apporter un maximum d’informations sur sa biologie et son écologie pour aller au-delà de la simple identification. 

Mousse-fougère

L’hylocomie brillante est l’une des rares mousses forestières avec un aspect « feuilles de fougère » très prononcé au point que l’on parle à son égard de frondes (le nom des feuilles des fougères) . Mais attention, pour autant, contrairement aux fougères comme par exemple la fougère-aigle, il ne s’agit pas de feuilles composées très découpées en folioles mais de tiges très ramifiées couvertes d’une multitude de feuilles élémentaires : ces tiges sont bipennées, i.e. deux fois découpées au moins. Ce type de découpure prononcée se retrouve certes chez d’autres mousses forestières mais pas avec le degré de finesse affiché par l’hylocomie. Une seule autre espèce, un peu moins commune, présente des tiges feuillées encore plus ramifiées (jusqu’à tripennées !) : la thuidie à feuilles de tamaris (voir ci-dessous pour les caractères distinctifs). 

Pour vraiment distinguer les feuilles, il va falloir sortir la loupe à main (voir la chronique sur les mousses, épisode 2).

Fronde avec deux types de feuilles

On découvre alors que les feuilles des tiges principales (dites caulinaires ; de caulis, tige) sont sensiblement différentes de celles sur les rameaux secondaires (dites raméales). Les premières sont relativement grandes (2 à 3mm de long), ovales et se rétrécissent en une pointe fine et allongée dentée ; la surface du limbe (la partie élargie de la feuille) montre un aspect nettement plissé ridé. Les secondes sont nettement plus petites (1mm de long seulement), plus concaves et avec une pointe courte limitée et une surface lisse cette fois.  

Pour en voir encore plus, il faut en passer par le microscope : détacher une feuille avec une pince fine et la placer entre lame et lamelle. On découvre alors que ces feuilles possèdent une double nervure (en fourche depuis la base) qui ne dépasse pas la moitié de la longueur totale de la feuille ; la bordure des feuilles est nettement et finement dentée dans sa moitié supérieure. Un dernier détail diagnostique frappant : les cellules à la base de la feuille (les « oreilles ») ont des parois épaissies teintées en orange ! Les feuilles de la thuidie ont une pointe plus courte et une seule nervure proéminente

Rouge feutrée 

Tige rouge avec son feutrage gorgé d’eau

Un second caractère saute aux yeux dès que l’on se rapproche un peu : les tiges principales sont d’un beau rouge, bien visible car les feuilles caulinaires sont relativement espacées ; sur les rameaux, cela devient moins évident car les feuilles raméales (voir ci-dessus), bien que plus petites, sont très nombreuses et serrées. Chez la thuidie à feuilles de tamaris, la tige n’est jamais rouge mais verte devenant noire sur les tiges plus anciennes. Attention : ce caractère « tige rouge » est assez répandu chez les mousses et ne suffit donc pas à lui seul pour identifier l’hylocomie. 

Deux autres caractères frappants peuvent être notés sur ces tiges. Elles sont robustes et confèrent à la « fronde » un port rigide, bien soutenu. En vue rapprochée (avec la loupe) on dénote un aspect feutré intriguant : l’épiderme des tiges et rameaux fabrique des expansions filiformes appelées paraphylles (para = à côté ; phylle, feuille). Au microscope, elles apparaissent sous forme de paquets ramifiés enchevêtrés. Ce feutrage dense protège tiges et rameaux et se gorge d’eau par temps humide, facilitant ainsi l’hydratation des feuilles et prolongeant le temps de résistance au dessèchement. La thuidie ne possède pas de tel feutrage. 

Au microscope, paraphylles ramifiées à l’aisselle d’une feuille (et de la tige rouge)

Marches d’escaliers 

L’hylocomie brillante est une mousse pleurocarpe (voir la chronique Mousses/épisode 2) et forme des tapis ou coussins aplatis souvent très épais et pouvant couvrir des surfaces de plusieurs hectares dans certaines forêts favorables. Le port de ces touffes permet, même de loin, de repérer cette mousse très facilement et cela tient à son mode de croissance. L’hylocomie est vivace avec une forte propension à pratiquer la multiplication végétative, i.e. à émettre des tiges en tous sens capables de se séparer et donner de nouvelles touffes. Les tiges de l’année mesurent de 3 à 10cm de long (parfois jusqu’à 20cm) ; mais quand on cherche à les isoler (ce qui suppose de démolir un peu un tapis : à faire avec grande modération), on découvre que la pousse feuillée en surface vient s’articuler sur une en dessous dont le feuillage masqué est devenu tout brun et sec et ainsi de suite. Autrement dit, les frondes forment des étages annuels superposés et on peut estimer l’âge d’une plante en comptant le nombre d’étagements. 

Quatre années de croissance successives avec la cinquième qui se prépare

Il s’agit d’un mode de croissance dit modulaire à périodicité annuelle qui est l’équivalent de la réitération chez les arbres (voir la chronique sur ce sujet). Tous les un à deux ans, une nouvelle pousse se développe depuis un point de la partie supérieure de la pousse de l’année précédente ; elle grandit en adoptant un port arqué qui amène la nouvelle fronde à l’horizontale. Ces modules successifs restent connectés entre eux ; au fil du temps, les pousses les plus basses se décomposent très lentement ce qui désorganise la chaîne qui poursuit sa croissance par en haut. Dans les sites les plus favorables, on peut ainsi retrouver jusqu’à 20 pousses successives : ceci a fait de cette mousse une plante modèle pour suivre la croissance en fonction de divers facteurs dont le réchauffement climatique en cours. Les étages successifs supérieurs plus ou moins horizontaux en viennent donc à se superposer comme une volée de marches d’escaliers, une image reprise dans divers ouvrages comme critère d’identification. Ce mode de croissance permet à l’espèce de « surnager » par rapport aux débris divers qui tombent chaque année (feuilles mortes, brindilles, fruits, …) et de garder le contact avec la lumière.

Ces tapis épais, presque moelleux au toucher, sont comme chez la majorité des mousses pleurocarpes juste posés sur le substrat (sol ou rocher le plus souvent), vaguement ancrés par des rhizoïdes (voir les mousses ; épisode 2). Ils sont de ce fait très faciles à décoller et la moindre perturbation mécanique peut les arracher dont les engins forestiers ou les véhicules qui circulent hors-piste. Ceci la rend aussi très facile à récolter pour divers usages : localement, on la récolte en grand (et de manière excessive non raisonnée) pour l’horticulture (comme élément décoratif) ; dans les pays nordiques, on en fait des couches isolantes au sol ou entre les rondins des cabanes. 

Beaux tapis moelleux et « mousseux » !

Hylocomium splendens 

Les sporogones sont le plus souvent très rares (Attention : sur la photo, il y a aussi des sporogones de Polytrics : plus gros, clairs et poilus)

Avec les mousses, le recours aux noms latins scientifiques s’impose presque systématiquement car la plupart n’ont pas de nom commun : en langage populaire, il y a « la » mousse qui englobe toutes les espèces ou presque ! Les noms vernaculaires utilisés dans les guides ne sont donc que la traduction directe des noms latins ce qui complique l’approche mais voilà une belle occasion de se familiariser avec ce langage certes ésotérique mais chargé d’histoire et d’enseignements. A noter que les anglo-saxons, plus naturalistes dans l’âme, ont souvent nommé les espèces de manière précise avec des termes populaires bien choisis. 

L’épithète latin splendens du nom scientifique se traduit par brillant ou frappant ; effectivement, les frondes fraîches bien vertes et humides présentent un tel aspect ; nos voisins anglo-saxons vont jusqu’à utiliser le qualificatif de glittering, scintillant comme des paillettes, pour nommer cette espèce ! Cependant, de mon point de vue, ce critère ne me semble pas toujours si évident notamment sur les peuplements un peu anciens et passés ou en été par temps sec. La coloration varie considérablement, un trait que l’on retrouve chez de nombreuses autres mousses : le feuillage peut aller de vert olive brillant à complètement jaunâtre (et toujours brillant) mais aussi prendre des teintes un peu saumonées ou brunâtres. 

Le nom de genre Hylocomium a été construit sur deux mots : hulê pour forêt et oikein pour habiter (la racine à l’origine du mot écologie) qui traduisent bien l’habitat forestier dominant de cette espèce ; les anglais le rendent bien avec l’appellation wood-moss ! Effectivement, l’hylocomie brillante peuplent toutes sortes de forêts de feuillus ou de résineux mais aussi les landes d’altitude ; là, on la trouve sur les talus, les zones de sol dénudé riches en humus ou tapissé d’aiguilles, sur les rochers affleurant avec un peu de terre ou d’humus. Si elle montre une nette tendance à préférer les sols acides (pauvres en éléments nutritifs), on peut quand même la retrouver sur des sols calcaires y compris dans des pelouses calcaires : mais, dans ce cas, il semble qu’elle s’installe à la faveur de zones lessivées et acidifiées.

Elle recherche des sites frais à assez secs ce qui en fait une espèce de mousse avec une large amplitude écologique. Très commune en France de la plaine jusqu’à l’étage alpin, elle se montre néanmoins bien plus prospère en montagne ; d’ailleurs, en plaine, elle ne produit pratiquement de jamais de sporogones (voir les mousses, épisode 1) alors qu’en altitude elle le fait régulièrement. A l’échelle mondiale, il s’agit d’une espèce à très vaste répartition dans toute la moitié nord de l’Hémisphère nord : elle est une des espèces les plus communes des forêts boréales jusque dans l’Arctique. Ceci en a fait une espèce hyper étudiée dans les pays nordiques. 

Services rendus

Son abondance et sa vaste répartition en font une espèce clé dans les écosystèmes forestiers qu’elle peuple, rien que par la biomasse considérable qu’elle représente. Elle agit comme un ingénieur de l’écosystème (voir la chronique sur cette notion) en modifiant son environnement par sa présence. 

Ses tapis épais, étendus et très couvrants entretiennent une atmosphère humide et très fraîche au niveau du sol : elle retarde ainsi la fonte de la neige au printemps dans les zones montagneuses et la rend plus graduelle ; les basses températures entretenues limitent l’activité microbienne et freinent donc la décomposition de la litière au sol : les sols forestiers à tapis d’hylocomie sont souvent cités comme ayant les taux de décomposition de litière les plus bas ! Mais, leur impact n’est pas que négatif loin s’en faut. Leur capacité à absorber de l’eau en surface (par les feuilles) leur permet de capter les sels minéraux présents dans l’eau de pluie (via les dépôts atmosphériques) ou l’eau de ruissellement qu’elles stockent ainsi. En période sèche, elles mobilisent dans leurs cellules des sucres stockés pour protéger leurs membranes des changements liés à la déshydratation (voir Mousses, épisode 2) ; une partie de ces sucres s’échappe avec d’autres composés internes et enrichit donc le milieu environnant. Ces tapis fonctionnent donc à la fois comme des pompes qui stockent des nutriments mais aussi comme des distributeurs à petites doses étalées dans le temps. Dans les forêts subalpines du Canada, on a ainsi mesuré que la couche verte d’hylocomie libérait du carbone de manière « pulsée » à chaque épisode où elles se réhumidifient après un épisode sec à un taux estimé à 15 kg/ha : ces composés carbonés rejoignent le sol en étant entraînés par la pluie (lessivage). 

Des études dans la toundra arctique scandinave montrent de plus que cette mousse est associée à des cyanobactéries (ces microorganismes qu’on appelait autrefois maladroitement des « algues bleues ») ce qui lui permet de fixer de l’azote de l’air.  Elle enrichit ainsi indirectement le milieu en azote minéral, un composé clé dans la nutrition des autres végétaux. Enfin, sa seule présence sur un sol nu limite considérablement l’érosion directe par ruissellement notamment sur les pentes en montagne. 

Tout ceci doit nous inciter à bien mieux respecter les mousses en général (comme tous les autres êtres vivants d’ailleurs !) compte tenu de leur importance écologique sous-estimée et de leur extrême fragilité face aux perturbations brutales engendrées par l’homme et ses activités. Même le simple marcheur doit avoir à cœur de faire attention aux tapis de mousses en sous-bois quand il quitte les chemins ! 

Bibliographie 

Flore Forestière française. 3 tomes. Ed. IDF. JC Rameau et al. 1993

Mosses and liverworts. R. Porley ; N. Hodgetts. 2005  Ed. Collins 

Mosses and liverworts of Britain and Ireland. A field guide. BBS 2010

Guide expert des mousses et hépatiques de France. V. Hugonnot et al. Ed. Biotope 2015

Indirect effects of climate change inhibit N2 fixation associated with the feathermoss Hylocomium splendens in subarctic tundra Danillo O. Alvarenga, Kathrin Rousk Science of the Total Environment 795 (2021) 148676 

Carbon flux in a subalpine spruce–fir forest: pulse release from Hylocomium splendens feather-moss mats. Jennifer A. Wilson and Darwyn S. Coxson Can. J. Bot. 77: 564–569 (1999) 

Between-year variation in climate-related growth of circumarctic populations of the moss Hylocomium splendens T. V. CALLAGHAN et al. Functional Ecology 1997 11, 157–165