16/08/2020 Pendant plus d’un demi-siècle, la science de l’écologie est restée relativement centrée sur les relations alimentaires au sein des écosystèmes pour comprendre et expliquer leur fonctionnement avec, largement en tête et surreprésentée, la prédation et ses effets. Il aura fallu attendre les années 70-80 pour qu’émergent vraiment d’autres approches et perspectives dont celle des interactions durables entre espèces (autres qu’alimentaires ou trophiques) qui structurent profondément les écosystèmes : voir les diverses chroniques sur ce thème très riche dont le cas des interactions indirectes. Mais au delà des interactions entre espèces, il existe un autre champ d’interactions indirectes très puissant : les transformations induites par les espèces sur leur environnement qui se répercutent par ricochet sur les autres espèces occupant cet environnement. On entre là dans le domaine des espèces ingénieurs de l’environnement, une notion dont l’usage croissant mérite une mise au point générale pour éviter les malentendus et les confusions. Nous allons l’illustrer de nombreux exemples à l’échelle de la planète pour mieux en cerner les contours. 

Définition 

On sait depuis très longtemps que certaines espèces ou groupes d’espèces structurent très fortement les écosystèmes qu’elles peuplent : dès 1842 C. Darwin avait publié un ouvrage sur la structure et la répartition des récifs coralliens où il soulignait l’importance des diverses espèces de coraux qui peuplent cet écosystème ; en 1881, il fait de même avec les vers de terre et leur rôle dans la vie des sols.

Le travail incessant des vers de terre qui brassent les couches du sol

Pour autant, l’idée que ces modifications physiques engendrées par certaines espèces structurent les écosystèmes en général n’a vraiment émergé qu’en 1994 quand Clive G. Jones et ses collègues proposent pour la première fois le terme d’ingénieur de l’écosystème ou ingénieur écologique (1). Reprenons donc une part (traduite, adaptée et simplifiée) de leur présentation de cette notion qui va rapidement se diffuser et devenir incontournable dans le domaine de l’écologie : 

Les interactions entre organismes sont un déterminant majeur de la répartition et de l’abondance des espèces. Les grands ouvrages d’écologie résument ces interactions importantes en compétition inter et intra-spécifiques pour les ressources vivantes et non vivantes, la prédation, le parasitisme et le mutualisme. Le rôle que de nombreux organismes jouent dans la création, le maintien et la modification des habitats manque visiblement dans la liste des processus clés cités par ces ouvrages. Ces activités n’impliquent pas de relations alimentaires directes mais n’en sont pas moins importantes et répandues. … il n’existe même pas un mot ou des mots pour décrire ce processus de modification des habitats. Nous nommerons ce processus ingénierie écologique et les organismes responsables des ingénieurs de l’écosystème. 

Les ingénieurs de l’écosystème sont des organismes qui directement ou indirectement agissent sur la disponibilité des ressources pour les autres espèces de cet écosystème en provoquant des changements physiques dans l’environnement vivant et non-vivant ; ce faisant, ils modifient, maintiennent et créent des habitats. Certains changent leur environnement via leur propre présence physique (autogéniques) en créant directement un habitat : les coraux pour les récifs ou les arbres pour les forêts ; d’autres transforment des éléments vivants ou non-vivants de leur environnement (allogéniques) : les castors créent des barrages ou les pics creusent des loges dans les arbres (voir la chronique sur ce thème). Les hommes font typiquement partie du second groupe et y excellent … pour le meilleur et pour le pire ! 

Une définition c’est bien mais cela reste plutôt abstrait ; passons donc à la présentation d’exemples classés en quatre grands groupes selon les processus impliqués dans les transformations de l’environnement marin ou terrestre (2) . 

Ingénieurs en construction 

Ce groupe, le plus évident des quatre, réunit des espèces qui créent ou modifient la structure physique des habitats par leur présence ou leur activité. 

En milieu marin, on connaît bien les coraux bâtisseurs de récifs, les arbres des mangroves tropicales, les grandes algues des milieux côtiers, … Retenons ici deux exemples plus proches de nous sur les côtes tempérées. Les herbiers de plantes à fleurs marines, posidonies et/ou zostères dans les régions tempérées à méditerranéennes, forment des écosystèmes uniques, très productifs dont a pris conscience de l’extrême importance au cours des dernières décennies. Sur les fonds sableux ou vaseux très uniformes, ces herbiers apportent une structure physique qui fonctionne à la manière des mangroves, des marais salés ou des récifs de coraux ou d’huîtres : ils fournissent des paysages hébergeant une forte diversité d’espèces en apportant de la nourriture, un abri et des zones de reproduction pour les poissons et les invertébrés. On estime la surface mondiale de ces herbiers à plus de 170 000 km2 dont plus de 12 000 ont été anéantis rien qu’entre 1985 et 1995.

L’autre exemple frappant concerne un ver bâtisseur de récifs sous forme de boules volumineuses installées en masses dans la zone de balancement des marées (intertidale) sur les fonds sableux à vaseux mêlés de rochers sur la côte atlantique : l’hermelle (Sabellaria alveolata).

Récif d’hermelles sur la côte vendéenne

Ces vers coloniaux captent les grains de sable déplacés par les vagues pour construire un tube en les collant entre eux ; ces milliers de tubes accolés forment des masses alvéolaires faisant penser aux rayons de ruches d’abeilles. Ces structures parfois étendues comme dans la baie du Mt St Michel où ces récifs couvrent près de 250 hectares. On y trouve plus d’une centaine d’espèces animales au mètre carré soit dix fois plus que dans le reste de la baie : ces espèces profitent de l’abri contre les vagues et des multiples cachettes pour échapper aux prédateurs ; les larves pélagiques d’espèces vivant sur les fonds (benthiques) trouvent ici un endroit idéal pour se fixer et effectuer leur métamorphose. Ces récifs, comme les herbiers ci-dessus, introduisent une certaine hétérogénéité sur ces fonds marins uniformes et modifient les conditions hydrodynamiques (courants, vagues, …) et le dépôt de sédiments. Des espèces invasives du même type peuvent aussi créer de telles structures : voir les deux chronique ssur le cascail (Ficopomatus enigmaticusUn passager clandestin planétaire et Le ver qui bâtit des récifs. 

En milieu terrestre, ces ingénieurs structuraux sont légion avec largement  en tête la plupart des plantes dont les arbres qui « construisent » par leur seule présence en masse des milieux de vie, les insectes qui élaborent des monticules comme les fourmis et les termites ou, ultra-classique, le cas des castors américains bâtisseurs de barrages qui créent des plans d’eau en amont capables de noyer des secteurs entiers de forêts. 

Hêtres : l’ombrage, la litière de feuilles mortes, les troncs verticaux, la canopée.. structurent cet environnement

Ingénieurs en bioturbation aquatique

Nous les avons déjà évoqués dans le premier paragraphe avec l’exemple des vers de terre. On appelle bioturbation le remaniement des sols ou des sédiments aquatiques engendré par les activités (d’où le radical bio) des organismes vivants colonisant ces écosystèmes. Les espèces ingénieurs en bioturbation pratiquent le fouissage et/ou l’excavation avec déblaiement de la terre ou du sédiment creusé ou retourné. Nous allons d’abord traiter des cas en milieu aquatique où la problématique diffère nettement de par la consistance des sédiments gorgés d’eau. 

Sur nos côtes, dans la zone de balancement des marées, nous les connaissons bien ces fouisseurs des sables et des vases, objets notamment de la pêche à pied : des bivalves tels que palourdes, tellines, couteaux, praires, coques et tant d’autres ; des petits crustacés dont les talitres ou puces de mer sous les laisses de mer ; des échinodermes tels que les ophiures et certains oursins (voir la chronique générale sur les échinodermes) ; les étranges scaphopodes ou dentales (voir la chronique Des défenses miniatures sur la plage !) ; et puis d’innombrables vers dont une espèce très connue des pêcheurs comme appât, l’arénicole.

Ce gros ver vit enfoncé dans la vase, tête en bas à l’intérieur d’un terrier creusé en forme de J : de là, il récupère les dépôts de vase fine en surface et rejette les éléments non digestibles (grains de sable) sous forme de tortillons bien connus qui parsèment les vasières.

« Champ » d’arénicoles sur une vasière sableuse

Chaque jour, chacun d’eux pompe 1 litre d’eau ainsi injecté dans le sédiment ce qui assure la pénétration indirecte de l’oxygène dissous dans cette eau. Avec des populations de 50 vers au mètre carré, les flux ainsi générés renouvellent l’eau sur une profondeur de 15 à 20 cm dans le sédiment sur des centaines d’hectares. On parle à la fois de bioturbation (creusement) et de bio-irrigation (injection d’eau par des pores). Sans eux, ces mêmes sédiments compactés seraient quasiment dépourvus d’oxygène et invivables pour d’autres espèces car la décomposition des matières organiques génère l’accumulation de sulfites très toxiques. Dans la mer des Wadden en Hollande, on estime que sans les arénicoles, les vasières étoufferaient rapidement les bancs de sable et uniformiseraient l’environnement. 

Détail d’un turricule d’arénicole

Même les rochers peuvent subir les assauts des excavateurs comme avec les pholades sur nos côtes : ces bivalves réussissent à forer des tunnels dans des roches dures et à réduire les blocs en gruyère au fil du temps (voir la chronique sur les pholades). 

Dalle rocheuse perforée par les pholades : chaque trou sert ensuite d’abri pour la faune benthique

Des animaux marins bien plus grands assurent aussi ce genre d’ingénierie. La baleine grise (Eschrichtius robustus), disparue de l’Atlantique mais toujours présente dans le Pacifique, creuse sur les fonds des trous de 2 à 20 m2 de surface pour en extraire les petits crustacés et vers fouisseurs. Ces « bassines » piègent des sédiments fins qui attirent de nouvelles espèces colonisatrices de petits crustacés amphipodes, particulièrement abondantes dans ces milieux « neufs ». Ainsi, ces baleines agissent comme des jardiniers des fonds marins ! A une autre échelle, certaines raies pastenagues, creusent des trous peu profonds circulaires, surmontés d’un bourrelet de sable, pour y chasser vers et mollusques enterrés. Là encore, ces creux piègent de fins sédiments, des fragments d’algues et autres débris, propices à l’installation de nouvelles espèces de minuscules crustacés. 

Ingénieurs en bioturbation terrestre 

Nous laisserons de côté les innombrables invertébrés fouisseurs des sols même si écologiquement ils jouent un rôle majeur et représentent des biomasses colossales comme les vers de terre, les fourmis et les termites. Au passage, notez que ces deux derniers groupes entrent aussi dans la catégorie des bâtisseurs de structures en plus d’être fouisseurs mais ceci ne vaut pas forcément pour toutes les espèces. Place donc aux exemples plus voyants et plus spectaculaires des vertébrés fouisseurs et excavateurs. 

Les lapins de garenne vivent en colonies qui transforment radicalement le milieu !

Nous avons déjà consacré deux chroniques à notre fouisseur le plus connu et le plus répandu, la taupe, où nous avons éclairé sa fonction d’ingénieur écologique en milieu prairial : Les taupes, des ingénieurs écologiques  et Taupinières : l’effet papillon. De même, le cas du blaireau en milieu forestier a été traité dans la chronique Un ingénieur forestier en terrassement

Porc-épic : un rongeur terrassier

Dans les milieux arides à semi-arides, deux espèces s’illustrent par leur activité terrassière. Dans le désert du Neguev en Israël, les porcs-épics creusent des terriers volumineux sur les pentes des faces nord. L’aptitude de ce gros rongeur à creuser profondément s’illustre bien dans les parcs zoologiques où les enclos qui les abritent doivent être équipés de murs en béton armé s’enfonçant profondément ! Pour chercher leur nourriture (dont des bulbes de plantes), ils creusent aussi des trous et génèrent des déblais. Ceux-ci facilitent l’érosion lors des rares épisodes orageux et participent ainsi au maintien d’espaces rocheux dénudés au sein de zones colonisées par la végétation buissonnante. Sur les déblais volumineux des terriers, une succession végétale s’installe avec des espèces colonisatrices différentes de celles de l’environnement immédiat.

Guêpier d’Europe

En région méditerranéenne, un oiseau, le guêpier d’Europe creuse des terriers généralement dans des falaises de terre, parfois en colonies nombreuses. Cette activité de creusement d’un tunnel long de 70 à 150cm prend de 10 à 20 jours et mobilise de 7 à 12 kg de terre extraite. Dans les zones semi-arides, ce travail rend les sols plus sensibles à l’érosion, fournit des sites de reproduction à de nombreuses espèces (autres oiseaux cavernicoles, insectes, …) et des ressources nutritives (déchets, cadavres, …) à d’autres espèces ; ainsi se constituent autour de ces colonies des réseaux alimentaires bien plus complexes que dans le reste des milieux environnants. 

Terriers de guêpiers creusés dans un monticule de terre au bord de la rivière Allier

Aux USA, deux mammifères structurent de même leur environnement. Les chiens de prairie (rongeurs proches des marmottes) créent de véritables cités de terriers qui modifient et la végétation et les communautés des autres rongeurs.

Dans le Montana, les grizzlis recherchent avidement les bulbes du lis jaune des glaciers (Erythronium grandiflorum) et n’hésitent pas à creuser des trous importants pour se les procurer. Le sol des emplacements terrassés s’enrichit en azote et les lis des glaciers germent mieux ensuite sur ce sol nu et les plantes qui en résultent produisent deux fois plus de graines. Ainsi, les ours tendent à recreuser année après année les mêmes secteurs ainsi enrichis ce qui amplifie le processus. Ils modifient donc la structure de cette communauté végétale à court et moyen terme. Ceci  rappelle l’action des sangliers sur les sols : nous y consacrerons une chronique particulière.  

Pré retourné par le fouissage superficiel des sangliers

Ingénieurs chimistes

De nombreux organismes altèrent les propriétés chimiques de leur environnement via leurs activités. Evidemment, cette ingénierie chimique n’est pas évidente de visu et se manifeste essentiellement par la création de gradients chimiques de certains éléments clés comme l’oxygène ou les nutriments du sol ou de l’eau. 

L’exemple le plus évident et le plus simple à comprendre concerne les plantes chlorophylliennes : par leurs racines, elles prélèvent en permanence tant qu’elles sont actives de l’eau et des nutriments minéraux ; ainsi, elles génèrent autour d’elles dans le volume de sol fouillé par le réseau racinaire souvent très étendu des gradients d’humidité et de nutriments qui influent fortement la vie des autres êtres vivants du sol. Les champignons symbiotiques associés aux racines de nombreuses plantes (mycorhizes) participent largement à ce processus : leurs filaments prélèvent jusqu’à 80% du phosphore qui circule dans la plante et 60% du cuivre par exemple. En milieu marin, les herbiers cités plus haut procèdent de même ; rappelons que les algues par contre n’ayant pas de racines n’agissent pas sur la composition du substrat. Les animaux fouisseurs dont les arénicoles citées ci-dessus entretiennent via la circulation un gradient d’oxygène qui pénètre dans le sédiment. Les coraux entretiennent à leur surface une couche limite de quelques millimètres surenrichie le jour en oxygène via l’activité photosynthétique des zooxanthelles, les algues vertes microscopiques qui vivent en symbiose interne ; au contraire, la nuit, l’activité respiratoire des coraux et des algues non compensée par la photosynthèse entraîne une forte baisse de l’oxygène. Comme l’épaisseur de cette couche limite dépend de la taille des coraux, les différentes espèces qui composent les récifs interagissent ainsi les unes sur les autres quant à la disponibilité en oxygène dissous. 

Il existe des exemples de transfert chimiques que l’on peut appréhender de visu. Ainsi, tout le monde connaît (au moins en film !) les scènes de capture des saumons du pacifique par les grizzlis en Amérique du nord. En Alaska, on estime que chaque ours récupère sur une année en moyenne 37 kg d’azote (issu de la consommation des protéines des saumons) dont 96% est excrété ensuite dans les urines et 3% dans les excréments et seulement moins de 1% retenu par le corps. 15 à 18% de l’azote total retrouvé dans le feuillage des épicéas qui poussent dans un rayon de 500m de la rivière à saumons vient des saumons et de leur consommation par les ours ! Les ours transfèrent donc l’azote de la rivière en milieu terrestre. On retrouve un processus du même genre avec les colonies d’oiseaux marins pêcheurs installées sur des ilots ; leurs déjections, issues de la consommation d’organismes marins, s’accumulent sous forme de guano sur ces ilots et transfèrent donc une partie des nutriments marins sur terre. Ils favorisent l’installation de végétaux nitrophiles comme par exemple sur les côtes atlantiques les lavatères en arbre.

Ingénieurs de la lumière 

On sait que la pénétration de la lumière aussi bien en milieu marin que terrestre conditionne le développement des végétaux verts à la base de la majorité des chaînes alimentaires. Tout organisme dont la présence ou l’activité modifie cette pénétration de la lumière se comporte alors en ingénieur de l’écosystème au niveau de la lumière. 

En mer, le plancton nageur constitue une sorte de réseau agissant en partie sur la lumière sans pour autant créer de structure propre contrairement aux végétaux verts terrestres avec leur feuillage qui procure de l’ombrage. Ces innombrables microorganismes flottant à la surface sur une certaine épaisseur dispersent ou absorbent les rayons lumineux incidents ; ils limitent ainsi la pénétration de la lumière et la productivité des habitants du fond ou ceux vivant dans la colonne d’eau en dessous. Sur terre, cette action reste indissociable de l’action par la structure créée. 

Colonies d’huîtres sauvages sur une côte rocheuse : chacune d’elles filtre plusieurs litres d’eau par jour !

Un autre groupe d’organismes marins agit sur la lumière de manière indirecte : les bivalves filtreurs qui abaissent la turbidité de l’eau et augmentent la pénétration de la lumière.

Moulière sur un rocher

Cet effet « éclairant » peut s’avérer spectaculaire et directement visible dans des cas d’invasions en eau douce. Ainsi, dans la rivière la Loire, la prolifération de bivalves asiatiques filtreurs, les corbicules, a radicalement transformé la clarté des eaux les rendant bien plus limpides en quelques années ! Ceci permet le développement d’herbiers (renoncules flottantes et autres) et d’algues microscopiques qui oxygènent l’eau. Le même processus a été observé sur des lacs envahis par les moules zébrées qui ont éliminé la pollution organique sous forme de particules en suspension. Ces changements de turbidité agissent en cascade sur la prédation : les poissons chasseurs à vue voient leur impact augmenter, notamment dans la prédation envers des jeunes poissons plus petits. 

Services inestimables

Ce très rapide panorama des grands groupes d’ingénieurs écologiques illustre en tout cas leur diversité et la variété de leurs modalités d’action. Les conséquences de leurs actions sont encore bien plus nombreuses tant sur le mode direct qu’indirect avec souvent des effets en cascade. On notera que ces effets ne sont pas forcément bénéfiques pour tous, loin s’en faut ; les bioturbateurs par exemple se comportent souvent en « destructeurs » qui abaissent la biodiversité mais favorisent toujours quelques espèces spécialisées ou opportunistes. 

On se rend compte que nombre de ces exemples ne deviennent évidents que lorsque ces organismes se raréfient ou sont proches de la disparition. On découvre alors brutalement l’ampleur de leur importance fonctionnelle. Ou bien, c’est à l’occasion de l’introduction d’espèces invasives, elles-mêmes ingénieurs de l’écosystème, que l’on découvre certains processus d’ingénierie comme le cas des bivalves filtreurs et de la turbidité. 

Leur importance soulève aussi de nombreuses interrogations quant à savoir les conséquences du fort déclin de la biodiversité dont font partie ces espèces ingénieurs et du changement global dont la crise climatique. Certains ingénieurs vont disparaître avec quelles conséquences et d’autres vont au contraire augmenter avec d’autres conséquences. On rejoint ci la notion de service écosystémique vis-à-vis de l’homme et de sa survie. 

Enfin, ces ingénieurs écologiques nous permettent d’appréhender un peu l’extraordinaire complexité des interactions entre espèces et entre espèces et milieux. Que dire dans ce contexte de l’inconscience humaine immense qui « taille dans le vif » sans aucune considération envers les conséquences colossales qu’elle risque d’induire à relativement court terme. Un effet boomerang redoutable pour le champion hors normes à l’échelle planétaire de toutes les espèces ingénieurs des écosystèmes !

Bibliographie 

(1) Organisms as ecosystem engineers. Jones CG, Lawton JH, Shachak M. 1994. Oikos 69:373–86. 

(2) Functional Groups of Ecosystem Engineers: A Proposed Classification with Comments on Current Issues. Sarah K. Berke Integrative and Comparative Biology, volume 50, number 2, pp. 147–157