Pterophorus pentadactylus

17/12/2022 Le monde des « papillons de nuit » (groupe informel) recèle une diversité incroyable de familles et d’espèces très largement méconnues, du fait des mœurs nocturnes de la grande majorité d’entre elles ; en plus, comme elles arborent souvent des motifs colorés proches et assez ternes, l’identification des espèces s’avère très ardue. Cela devient encore plus compliqué quand on aborde les microlépidoptères, sous-groupe informel réunissant les « petits papillons de nuit », très hétérogène, comprenant par exemple les pyrales, les tordeuses, les yponomeutes, de nombreuses espèces de mineuses (voir la chronique), … Au sein de cet ensemble, une famille sort du lot par son originalité : les ptérophoridés, les « porteurs de plumes » (pteron, aile, plume ; phore : porter). Une espèce, la plus grande et parmi les plus communes, y retient l’attention par son allure unique et surprenante : le ptérophore blanc. Nous allons d’abord le découvrir avant de zoomer sur sa famille toute entière. 

Dandy blanc 

Posé sur une vitre ; ici, une petite partie des ailes postérieures est visible

Les rencontres avec ce papillon se font le plus souvent de jour alors qu’il se repose, posé sur la végétation, et s’envole mollement pour aller se reposer un peu plus loin. D’emblée, sa couleur blanc neige interpelle ; il est vraiment tout blanc : ailes (dessus et dessous), corps et pattes ; seuls les yeux sont noirs. Seconde surprise : sa silhouette au repos. Il dessine un T majuscule avec ses ailes parfaitement étalées à l’horizontale mais écartées à 90° par rapport au corps, d’une envergure de 2,5 à 3,5cm. En s’approchant doucement de près, on découvre la structure des ailes : seules les antérieures sont alors bien visibles. Chaque aile antérieure est découpée en deux lobes profonds par une échancrure qui pénètre presque jusqu’à la moitié de l’aile : chacun de ces deux lobes porte des franges de soies fines et longues vers l’arrière ce qui donne une délicate apparence plumeuse (d’où le nom savant de ptérophore). Selon l’état de repos, les lobes sont plus ou moins resserrés : quand le papillon vient juste d’atterrir, ils restent encore un peu écartés. 

Les ailes postérieures, elles, sont rabattues sous les antérieures et on devine à peine quelques franges de soies qui dépassent ; on ne les voit entièrement qu’en vol quand elles sont déployées et écartées des antérieures. Elles aussi sont profondément découpées lobes plumeux mais au nombre de trois. Au total, de chaque côté, on a donc cinq lobes plumeux ce qui a suscité l’épithète du nom latin : pentadactylus (penta, cinq ; dactylus, doigt). Parmi les surnoms populaires figure le très beau « petit ange de la nuit » Les anglais nomment ces papillons « plume moth » (moth : papillon de nuit) : attention, le plume anglais ne signifie pas plume mais panache, sous-entendu panache de plumes, un « truc en plumes » en quelque sorte. 

Les longues pattes grêles complètent cette silhouette singulière, lui donnant un air de tipule (ceux-ci n’ont qu’une paire d’ailes). Ces pattes démesurées portent de longs éperons d’apparence épineux mais inoffensifs. De très près, on notera les antennes filiformes assez longues, la trompe et les deux palpes labiaux qui l’encadrent, redressés vers le haut, entre les deux gros yeux. 

Cycle de vie 

Les adultes volent à partir de mai jusqu’en septembre. Si on les lève régulièrement de jour, ils n’en sont pas moins crépusculaires et nocturnes ; ils viennent régulièrement vers les lumières à la tombée de la nuit. On peut les observer à la nuit tombante en train de butiner certaines fleurs comme les valérianes ou les tanaisies. 

Après l’accouplement, la femelle pond ses œufs, un par un ou par petits paquets sur les feuilles des plantes hôtes, des liserons : soit le liseron des champs, espèce très commune rampante ou grimpante aux belles fleurs rose, soit le liseron des haies aux grandes fleurs blanc pur (voir la chronique). On suspecte que le liseron des dunes figure aussi parmi les plantes hôtes. 

Les jeunes chenilles, vert clair, sont ornées d’une bande dorsale claire ponctuée de jaune et portent une longue pilosité claire mêlée de soies brun foncé sur le dos. Elles commencent par ronger le dessous des feuilles laissant des petites traces brunes ; au premier stade, elles sont encore presque transparentes et de ce fait très difficiles à détecter. En grandissant, elles passent sur la face supérieure des feuilles qu’elles rongent entièrement et leur coloration s’affirme avec l’apparition de points noirs au milieu des segments. Récemment, on a découvert que selon que la chenille allait ensuite donner un papillon mâle ou femelle, elle n’avait pas la même coloration au dernier stade (le 5ème) avant la métamorphose en chrysalide : les chenilles « mâles » ont une tache jaune sur le dos absente des chenilles « femelles ». Les guillemets sont de lise car les chenilles ne sont pas sexuées à proprement parler car elles n’ont pas d’organes sexuels mais, du point de vue chromosomique, elles sont quand même différentes selon le sexe du papillon à venir. 

Parmi les chenilles, certaines se développent rapidement et se nymphosent dès août en une chrysalide qui se fixe sur une feuille et qui va éclore peu après pour donner une seconde génération en août-septembre. Mais d’autres chenilles nées en début d’été se développent moins vite et hibernent en attendant le printemps pour achever leur développement. Il semble que plus on va vers le nord, et plus on n’a qu’une seule génération ; mais il faudra voir si avec la crise climatique, ceci ne va pas évoluer vers une généralisation des deux générations annuelles. La chrysalide vert pâle ou blanc verdâtre est allongée et grêle. 

Ordinaire 

A noter que les mêmes liserons hébergent par ailleurs la chenille d’un autre Ptérophoridé, le ptérophore commun (Emelina monodactyla) et les deux espèces peuvent se trouver en mélange sur la même plante. Les chenilles de cette autre espèce ont une bande dorsale sombre et une pilosité plus courte ; les papillons, quant à eux, sont très différents : gris à brun, ils ont la même posture au repos en T mais les ailes antérieures sont encore plus enroulées et donnent l’apparence d’être entières (d’où l’épithète monodactyla).

De manière inattendue, en Afrique occidentale dont le Nigéria, le ptérophore blanc se comporte en espèce « ravageur » des cultures de patate douce ; ceci ne surprend pas les botanistes car cette plante (Ipomaea batatas) appartient à la famille des … Convolvulacées, la famille des liserons.

Le ptérophore blanc, comme le ptérophore commun, est une espèce très répandue, représentant typique de ce qu’on appelle la biodiversité ordinaire, même si elle est en train de le devenir de moins en moins avec le déclin accéléré et massif des populations d’insectes (voir la chronique). Il habite toutes sortes de lieux herbacés à buissonnants : dans des sites humides (où le liseron des haies forme souvent de grosses colonies), le long des haies et des friches buissonnantes, le long des lisières forestières, sur les accotements, dans les prés à hautes herbes un peu en friche, … 

Il ne craint pas les sites urbanisés dont les pelouses et jardins à condition que ceux-ci soient gérés de manière écologique ; a minima, ils doivent disposer de leurs plantes hôtes dont le liseron des champs souvent honni dans les jardins et combattu y compris avec les pires moyens chimiques. Si le liseron pose effectivement des problèmes dans les plates-bandes cultivées du fait de son pouvoir concurrentiel remarquable par ses rhizomes très profonds et développés, on peut autrement le limiter au pied des vivaces via un paillage copieux ; sinon, il a toute sa place dans les pelouses et les allées herbeuses où on veillera à le laisser fleurir car, en plus, il attire de nombreux pollinisateurs. Les jardins peuvent ainsi devenir des refuges pour ces espèces d’insectes « banales » qui subissent dans les espaces de culture intensive le feu croisé de diverses pratiques néfastes : épandage de pesticides ; circulation routière ; broyage des lisières, des haies, talus et accotements ; éclairage nocturne ; …

Ptérophoridés 

Peut-être un ptérophore de l’églantier ??

La famille de rattachement du ptérophore blanc, les Ptérophoridés, forte de plus de 300 espèces dont au moins 142 en France, recèle bien d’autres espèces étonnantes et encore plus ignorées y compris de la plupart des cercles naturalistes. On entre là dans ces mondes parallèles de la biodiversité, vraiment connus de seulement une poignée d’experts à l’échelle de notre pays. La petite taille et la fragilité de la plupart des espèces (le ptérophore blanc est une exception par sa « grande » taille relative) et leurs fortes ressemblances pour nombre d’entre elles (là encore, le blanc est une exception) rebutent les entomologistes amateurs et ça se comprend. En plus, la majorité des espèces ne viennent pas ou très peu aux pièges lumineux utilisés pour recenser classiquement les papillons de nuit. La connaissance de la répartition nationale des espèces reste de ce fait encore très lacunaire et il reste sans aucun doute des espèces à découvrir, y compris peut-être des espèces nouvelles pour la science. 

Espèce (et genre) non identifié ; pour beaucoup d’espèces, seul un examen rapproché sous la loupe peut permettre une identification

Au niveau morphologie, la majorité des espèces d’Europe occidentale ont le même habitus que le ptérophore blanc avec ces ailes découpées en lobes frangés et tenues en T au repos. Mais, on trouve aussi d’autres variantes. Ainsi les Agdistis dont les chenilles vivent sur des plantes littorales (lavandes de mer) enroulent leurs ailes en tube et les tendent vers l’avant et vers le haut au repos, tout en se tenant dressés sur leurs fines pattes. Chez d’autres espèces adoptant la disposition en T au repos, les ailes postérieures ne sont pas cachées par les antérieures et bien visibles. 

Ptérophore très bigarré : sans doute un Amblyptilia ?

Au niveau écologique, presque toutes les chenilles se nourrissent sur des plantes herbacées ; le ptérophore de l’églantier (Cnaemidophorus rhododactyla), une espèce aux ailes joliment bariolées, est une exception. La majorité des espèces montrent une certaine spécialisation par rapport aux plantes hôtes des chenilles, souvent sur un très petit groupe d’espèces très proches. Les ptérophores blanc et commun en sont deux exemples avec leur cantonnement sur les convolvulacées proches des liserons. Le ptérophore triangle (Platyptilia gonodactyla) parasite le tussilage (et peut-être les pétasites, proches parents) ; le ptérophore blanc ponctué (Porritia galactodactyla) vit sur la petite bardane (et peut-être la grande) : les chenilles grégaires percent une multitude de trous dans les grandes feuilles en les grignotant par en dessous au niveau du revêtement blanc feutré. D’autres espèces semblent monophages strictes, i.e. associées à une seule espèce comme le ptérophore du marrube (Wheeleria spilodactylus) dont les chenilles rongent les feuilles du marrube blanc (voir la chronique). Ces espèces spécialisées sont très étudiées dans le cadre de programmes de lutte biologique contre des plantes européennes devenues invasives une fois introduites à l’étranger. Ainsi, le ptérophore du marrube est utilisé en Australie contre cette plante qui, là-bas, envahit les pâturages. 

Autre espèce non identifiée sur une marguerite

Chez certaines espèces, le mode alimentaire des chenilles peut être surprenant. Le ptérophore blanc douteux (Merrifieldia baliodactylus) vit sur l’origan ou marjolaine : après l’hibernation, la jeune chenille creuse une tige à mi-hauteur de manière à provoquer la fanaison des feuilles au-dessus et elle se nourrit alors des feuilles fanées. La chenille du ptérophore de l’aigremoine (Adaina microdactyla) creuse un trou dans la tige de l’aigremoine eupatoire, à la base d’insertion d’une feuille et provoque la formation d’une galle sous forme d’un renflement. 

La palme du comportement alimentaire le plus étonnant revient sans doute au ptérophore des droséras (Buckleria paludum), hôte des tourbières, dont les chenilles rongent au printemps les feuilles et les pétioles des droséras à feuilles rondes, célèbre plante carnivore (voir la chronique). La chenille peut au passage manger les insectes pris au piège des feuilles. Elle se transforme en chrysalide sous une feuille ce qui la protège des attaques des parasitoïdes comme des petits ichneumons. A l’éclosion et au moment de la ponte (sous les feuilles en plus), le papillon échappe au piège fatal ; on ne sait pas comment eux et leurs chenilles réussissent à ne pas se faire piéger. 

On voit donc que cette famille de papillons, souvent considérée comme « marginale », oubliée de la plupart des inventaires et programmes de conservation, n’en renferme pas moins des trésors de biodiversité ; mais cette remarque est un lieu commun car, en fait, on peut presque dire cela de n’importe quelle famille du monde vivant, le maître mot étant celui de diversité. 

NB Il existe une famille proche de microlépidoptères, les alucitidés, aux ailes découpées en six lobes plumeux avec une espèce assez commune, l’ornéode du chèvrefeuille (Alucita hexadactyla) : au repos, les ailes sont entièrement étalées exhibant ainsi l’ensemble des « plumes ».

Ornéode du chèvrefeuille (Alucitidé)

Bibliographie 

Field guide to the micromoths of Great Britain and Ireland. P. Sterling ; M. Parsons. British Wildlife Publishing. 2012

Quel est donc ce papillon ? H. Bellmann. Ed. Nathan. 2006

Sexual differentiation in the caterpillars of Pterophorus pentadactyla (Lepidoptera: Pterophoridae) Lucien De Ridder ; Phegea 42(2) 01 ; 2014