Clematis vitalba

16/11/2020 Dans une première chronique, Le bois à fumer, nous avons découvert la clématite des haies, une liane très commune dans toute la France, à travers ses tiges très particulières. Dans cette seconde chronique, nous allons nous intéresser aux feuilles, fleurs et fruits de cette clématite. Comme dans la première chronique, nous utiliserons comme fil conducteur de cette exploration botanique certains des nombreux noms anciens de cette espèce en lien avec ces différents organes. 

Vésicante rubéfiante

Entamons cette découverte par un nom populaire intriguant : l’herbe aux gueux, i.e. l’herbe aux mendiants. On disait autrefois que ceux-ci se frottaient la peau des bras et des jambes avec des feuilles fraîches de clématite afin de faire venir des ulcérations bien visibles, susceptibles d’apitoyer les passants. En effet, toutes les parties de la clématite, dont les feuilles, renferment des substances toxiques âcres et caustiques comme la protoanémonine. Appliquées sur la peau, elles provoquent d’abord une rougeur brûlante (action dite rubéfiante, de ruber = rouge), faisant émerger une inflammation locale, se prolongeant par l’apparition de vésicules à l’origine ensuite d’ulcères superficiels (action dite vésicante). 

Feuille composée de clématite

Cet usage détourné s’appuyait en fait sur une propriété médicinale bien connue alors, basée sur le principe de la révulsion consistant à provoquer un afflux sanguin local afin de dégager un organe atteint de congestion ou d’inflammation : on « dérivait le mal » en l’attirant ailleurs. Ainsi, par exemple, contre les douleurs rhumatismales, on préparait une solution grasse dans laquelle on faisait macérer des feuilles et que l’on frictionnait sur la peau des zones douloureuses (liniment). On exploitait aussi son extrême causticité pour nettoyer (déterger) les … ulcères : guérir le mal par le mal ! Dans la flore populaire de Rolland, on cite divers usages de ce type : pour guérir le mal de dents, on se mettait une feuille pressée sur le pouce ; en Provence, pour guérir la morve des équidés, on leur faisait aspirer par les narines de la clématite sèche en poudre ; contre les migraines, on prenait en inhalation du jus de clématite, procédé dangereux pour les muqueuses ; pour cicatriser, on recueillait la fine pellicule sous l’écorce et on en appliquait une boulette très serrée sur la plaie à guérir (cautère) ; enfin, pour guérir les ulcères provoqués par la clématite elle-même, il suffisait de les couvrir de feuilles de poirée (carde) pour les garder à l’abri de l’air. 

En détachant des akènes de cette tête fructifiée, on aperçoit un suc blanc qui renferme les substances âcres et brulantes

Ces propriétés n’ont rien d’étonnant car une majorité d’espèces de la famille des Renonculacées les partagent comme la bien nommée renoncule âcre ; et on trouve aussi dans cette même famille des empoisonneuses notoires comme les aconits ou les dauphinelles. A noter que parmi les clématites, elle n’est pas la plus redoutable : on lui préférait souvent autrefois une espèce proche encore plus caustique, la clématite brûlante (nom latin flammula éloquent), une espèce indigène plus méditerranéenne souvent cultivée dans les jardins. 

Toxique … comestible 

Ces substances toxiques, pour la plante, servent de protection contre les herbivores que ce soient des mammifères ou, surtout, des insectes. Ainsi, en dépit de son abondance et de son volumineux feuillage, elle héberge  peu d’espèces de chenilles ; seules quelques espèces de papillons nocturnes la consomment : soit des espèces généralistes comme la phalène du prunier mais aussi quelques espèces inféodées à cette seule plante dont la larentie de la clématite et le remarquable sphinx pygmée (Thyris fenestrella) qui, en dépit de son nom, n’est pas du tout un sphinx. 

Pourtant, autrefois, on utilisait les feuilles pour nourrir les bestiaux, sans doute après les avoir fait sécher (voir la chronique sur le gui utilisé comme fourrage). Et surtout, à la campagne, on consommait les jeunes pousses qui émergent au printemps depuis la base des pieds, bouillies dans plusieurs eaux pour éliminer l’âcreté ou confites dans du vinaigre ; cette pratique était surtout répandue dans le bassin méditerranéen où on a l’habitude de consommer diverses pousses printanières sous le vocable commun « d’asperges », dont des plantes toxiques, comme le tamier (voir la chronique) ou la bryone (voir la chronique). Hors de question de les consommer crues sous peine de graves brûlures de la muqueuse buccale ; la cuisson doit être aussi très poussée pour éviter les accidents et même ainsi, aux dires des écrits, elles restent très amères et il est préférable de les consommer en omelette ou avec d’autres plantes moins âcres ! Cet usage résultait peut-être de l’observation des chèvres qui n’hésitent pas à brouter ces jeunes pousses printanières. 

Accrocheuse 

Il est temps de découvrir ces feuilles dont nous parlons depuis le début. Contrairement à la majorité des Renonculacées, les clématites ont des feuilles opposées, espacées par paires au long des tiges, délimitant ainsi des entre-nœuds successifs (voir la première chronique). Ces feuilles d’un beau vert, glabres, s’articulent sur la tige par un long pétiole ; elles sont composées de trois à neuf folioles crénelées et plus ou moins lobées, chacune portée par un long pétiole secondaire.

Ces pétiolules comme les appellent les botanistes (pétioles secondaires des folioles) possèdent la capacité, au contact d’un support, de s’enrouler ou de se tordre avant de s’épaissir et de se durcir. Ils agissent ainsi des vrilles rudimentaires faisant penser à des clips de grillage et assurent l’ancrage des jeunes tiges chercheuses au support abordé (voir la première chronique). Le gros avantage de ces dispositifs réside dans leur répartition diffuse sur l’ensemble du volume de la plante.

Virage coloré automnal (novembre)

A partir du milieu de l’automne,  le feuillage commence à virer au  jaune et passe par des stades très variés avec plus ou moins de violacé pâle ou de pourpre foncé avant de finir dans le brun tabac. Cette belle palette passe cependant inaperçue dans les masses informes de feuillage où tous les stades de couleurs coexistent. Le feuillage finit par tomber (caduque) ce qui, a priori, annule les ancrages assurés par les pétioles. En fait, d’une part ce sont d’abord les folioles qui tombent alors que pétioles et pétiolules persistent ; ceux ayant subi une torsion et une lignification tendent à rester en place encore plus longtemps. D’autre part, la plante profite de son exubérance et de l’enchevêtrement de ses tiges qu’elle génère chaque saison avec de nombreux ordres de ramification (voir la première chronique) : l’ensemble forme une masse intriquée difficile à décrocher dès lors que le support présente lui-même des ramifications comme les branches d’un arbre. 

La flore Populaire de Rolland rapporte à ce propos une légende périgourdine  très poétique : 

Le rossignol chante la nuit parce qu’autrefois il s’endormit sur une branche d’arbre, ou il y avait une guidalbe (clématite). Les vrilles grimpèrent pendant la nuit et lui entortillèrent tellement les pattes qu’il ne put s’envoler ; aussi pour éviter d’être retenu pendant la nuit, il chante : dormiraï pu, pu, pu… me toursounaio la vi ! (Je ne dormirai plus, plus… m’entortillerait la vigne !)

Vigne blanche 

Plusieurs noms populaires en font une vigne par analogie de port et ce caractère a été retenu dans le nom latin d’espèce, vitalba, soit vigne blanche. Le blanc se rapporte à la floraison qui débute en juin et culmine tout l’été. Les draperies et tapis se couvrent alors de panicules de fleurs blanc crème très voyantes par leur nombre bien sue de taille modeste individuellement. Les inflorescences portées par un long pédoncule apparaissent aux aisselles des feuilles et répandent un parfum doux d’amande amère et vanillé proche de celui des aubépines. Les fleurs de 2 à 3 cm de diamètre se composent de 4 (parfois 5) sépales étalés, feutrés de blanc sur les deux faces et faisant office de pétales par leur coloration, de nombreuses étamines très voyantes groupées en une masse centrale qui entoure les nombreux pistils individuels disposés en une tête arrondie. 

Ces fleurs peuvent s’autoféconder soit en interne à partir des étamines proches des pistils au cœur de la fleur (dont les anthères s’ouvrent en plus vers l’intérieur), soit entre fleurs d’une même inflorescence quand le vent souffle le pollen. Même s’il peut aboutir, ce mode de reproduction engendre des fruits moins nombreux et moins viables. Normalement, la pollinisation est plutôt assurée par les insectes visiteurs assez nombreux compte tenu des masses florales offertes au cœur de l’été quand les autres fleurs commencent à se faire rares. Ces fleurs simples et ouvertes sont faciles à traiter même par des insectes non spécialisés mais elles n’ont à offrir que du pollen : elles ne secrètent pas de nectar. Parmi les visiteurs, on note surtout des syrphes (mouches floricoles : voir la chronique sur ces pollinisateurs), des bourdons et abeilles et des coléoptères. 

Anémochore 

Les fleurs fécondées perdent sépales et étamines tandis que les pistils centraux se transforment de manière spectaculaire. Chaque style s’allonge et se métamorphose en une longue arête plumeuse, flexueuse, qui peut atteindre 3cm de long ; l’ovaire qui la porte ne renferme qu’une seule graine : en durcissant, il évolue en un fruit sec qui ne s’ouvre pas, un akène. L’ensemble des pistils d’une fleur réunis sur un réceptacle commun rond devient alors une boule plumeuse du plus bel effet.

En mûrissant, les arêtes blanchissent de plus en plus tout en se tordant pendant que les akènes noircissent : on passe à une boule de coton blanc qui vire au grisâtre ou jaunâtre. Ces boules  persistent une bonne partie de l’hiver alors que le feuillage a disparu et redonnent une seconde vie à la clématite qui redevient alors très voyante : même en roulant en voiture, on repère de loin dans le paysage ces amas blanc cotonneux qui couvrent les tiges innombrables des colonies de clématites. 

Progressivement, au fil des coups de vent, ces akènes plumeux se détachent, souvent en petits paquets entremêlés par leurs arêtes, et vont se disperser. Il s’agit là d’un bel exemple d’anémochorie ou dispersion par le vent (voir la chronique sur ce processus). Leur libération échelonnée et sporadique augmente les chances de dispersion dans diverses directions et plus ou moins loin ce qui explique notamment la facilité avec laquelle la clématite peut se propager dans les pays où elle a été introduite. 

Les graines contenues dans les akènes ne germent pas immédiatement car leur embryon se trouve en état de dormance ou vie ralentie. Une importante banque de graines peut ainsi s’accumuler localement dans l’attente de conditions favorables. Trois facteurs semblent capables de lever cette dormance et permettre la germination : un refroidissement (via les températures hivernales), un contact avec un sol riche en nitrates et la présence de lumière. Cette dernière n’agit que si elle est combinée avec au moins un des deux autres facteurs. Ceci facilite la germination dans des sites exposés à la lumière et enrichis en nitrates comme des trouées en forêts, les bords des haies, les lisières, … après le passage de l’hiver. 

Barbe blanche 

Cette couverture cotonneuse très attrayante et photogénique n’a pas manqué d’interpeller nos ancêtres qui avaient déjà un fort lien avec la clématite du fait de ses nombreux usages (voir ci-dessus). Les anglais l’ont ainsi joliment surnommé « barbe du vieillard » (old man’s beard) ou Père Noël ! Sa forte visibilité en hiver la rendait facile à repérer de loin paysage ; or, nous avons vu son association avec les endroits enrichis en nutriments souvent par les activités humaines : cette proximité avait déjà été observée au 16ème siècle quand un naturaliste anglais la surnomma la joie du voyageur (Traveller’s joy) ; le voyageur reconnaissait qu’il approchait d’un village quand il voyait des haies couvertes de clématites en fruits !

En France, plusieurs noms populaires ont fait le lien avec la religion soit en associant cette couleur blanche avec la Vierge Marie (cheveux de la bonne Dame ; berceau de la Vierge) soit en version « masculine » (Barbe du bon Dieu, barbe de Judas, …). Dans la première chronique, nous avons vu que Louis Pergaud en parlait sous le nom de vélie à relier à vieille sans doute pour la même raison que la barbe du vieillard des Anglais ! 

Décidément, la clématite des haies est bel et bien une plante attachante avec qui on a envie de tisser des liens !

Bibliographie 

Site Flore populaire de Rolland 

Clematis vitalba in a New Zealand native forest remnant: does seed germination explain distribution? R. A. Bungard , G. T. Daly , D. L. Mcneil , A. V. Jones & J. D.
Morton (1997)New Zealand Journal of Botany, 35:4, 525-534, 

Breeding system and pollination ecology of a potentially invasive alien Clematis vitalba L. in Ireland. Conor M. Redmond and Jane C. Stout. 2018. Journal of
 Plant Ecology Vol. 11, n° 1, pp.56–63