Goodyera repens

18/10/2021 Parmi les 150 espèces d’Orchidées sauvages que compte notre flore, la goodyère rampante se distingue par plusieurs caractères originaux ; cette orchidée, méconnue du grand public contrairement à ses cousines très voyantes (voir par exemple les orchis mâles et bouffons), est pourtant l’une des rares orchidées en expansion à l’échelle du pays (voir aussi le cas de l’orchis bouc en lien avec le changement climatique) grâce à sa capacité à coloniser les plantations de résineux : ceci lui a permis de quitter les montagnes où elle était confinée jusqu’à il y a un peu plus d’un siècle pour progressivement gagner les forêts de plaines. Modeste, passant facilement inaperçue, cette espèce retient l’attention des chercheurs pour certaines originalités de son mode de vie dont ses relations particulières avec des champignons. 

Typée 

Une fois n’est pas coutume chez les orchidées, la goodyère rampante peut s’identifier aisément même au stade végétatif non fleuri à partir de quatre indices clés. La goodyère est une espèce strictement forestière étroitement associée aux résineux (pins, épicéas et sapins ; voir ci-dessous) le plus souvent sur un tapis de mousse. Elle est visible toute l’année par ses petites rosettes de feuilles ovales étalées (3 à 7 par rosette), larges de 1,5 à 2cm, d’un vert foncé à bleuâtre, parfois jaunâtre. Les nervures des feuilles forment un réseau ramifié plus ou moins nettement marqué de blanc, un caractère quasi unique dans notre flore. Elle forme des « colonies » de rosettes serrées les unes contre les autres, parfois par dizaines (voir ci-dessous). Avec ces quatre indices réunis, vous êtes sûr d’avoir affaire à la goodyère rampante. 

Sa répartition apporte un autre indice moins tranché. En France, la goodyère est assez commune dans le nord-ouest et le nord-est et les grands massifs montagneux (Alpes, Massif Central et Pyrénées) où elle monte jusqu’à 1800m. Elle est quasiment absente de la large façade atlantique (mais rare dans les Landes) et son optimum se situe clairement à l’étage montagnard. En plaine, elle reste rare mais localement peut être régulière dans les régions ou secteurs fortement enrésinés comme en Sologne par exemple. 

Son nom est aussi pour le moins « typé » : il lui a été attribué en hommage à un botaniste anglais, John Goodyer (1592-1664), très actif à son époque et ayant beaucoup beaucoup collaboré avec d’autres botanistes contemporains, mais un peu oublié ensuite car il n’avait pas publié d’ouvrage de son vivant.

Tresses de fleurs 

La goodyère en fleurs attire à peine le regard avec ses tiges fleuries de 30 cm de haut au plus et ses fleurs de … 3 à 5mm de long. Seul l’œil averti d’un botaniste aguerri saura reconnaître dans ces toutes petites fleurs blanches une plante de la famille des orchidées ! 

La floraison tardive se déroule de juillet à mi-septembre. Les rosettes matures émettent chacune une tige dressée, grêle, couverte de poils mous glanduleux et d’un vert pâle qui tranche avec le feuillage sombre. Deux ou trois feuilles allongées engainantes accompagnent la base de cette tige florale et ressemblent à des bractées (voir la chronique sur ces organes). L’inflorescence composée de 5 à 15 fleurs occupe la moitié supérieure de cette tige, formant un épi (fleurs sans pédoncule) assez dense, en spirale plus ou moins marquée, parfois entièrement unilatéral (toutes les fleurs tournées d’un même côté). Cette disposition lui vaut le beau surnom anglo-saxon de creeping lady’ tresses, soit « une rampante avec des tresses de femme » !

Sur la fleur du bas, les pollinies doubles sont bien visibles, prêtes à être prises en charge par un visiteur

Les petites fleurs d’un blanc pur méritent qu’on se penche sur elles pour mieux en découvrir les délicats détails. Assez fermées, couvertes de longs poils glanduleux mous, elles s’étalent à l’horizontale et libèrent un doux parfum. Un examen rapproché permet de retrouver les éléments typiques d’une fleur d’orchidée (voir la chronique sur l’orchis bouc pour comparaison) : 2 pétales et le sépale dorsal forment un casque serré ; les 2 autres sépales latéraux s’écartent un peu sur les côtés au-dessus du pétale inférieur très transformé ou labelle ; celui-ci présente une structure articulée en deux pièces : une cupule basale qui secrète le nectar (hypochile) puis une languette triangulaire en forme de bec recourbé (épichile). Cette structure se rapproche de celles (en bien plus grand) des épipactis (voir la chronique). Les deux masses polliniques (pollinies) sont fixées sur un seul « point » collant qui adhère sur les insectes visiteurs tentant d’accéder au nectar de la cupule. 

Sur la fleur de face, le labelle en deux parties avec la cupule nectarifère et le bec courbé en avant

Mélittophile 

Contrairement à certaines orchidées qui pratiquent la pollinisation par duperie en affichant un air de « plante à nectar » mais sans en fabriquer (voir l’orchis bouc ou l’orchis mâle), la goodyère ne triche pas et offre réellement un nectar abondant dans la cupule à la base du labelle au cœur de la fleur. Les fleurs attirent essentiellement les bourdons de diverses espèces : bourdon terrestre, bourdon des champs roux ou bourdon des pierres par exemple. Ils abordent les épis fleuris par la base en s’agrippant à l’axe car la fleur trop petite n’offre pas de plate-forme d’atterrissage comme chez l’orchis mâle (voir la chronique) puis escaladent l’épi visitant chaque fleur en montant. Comme la floraison de l’épi commence par le bas, les premières fleurs visitées sont donc les plus « anciennes » qui tendent à s’ouvrir et laissent le passage au visiteur pour accéder au nectar. Si le bourdon qui arrive a récupéré des pollinies collées sur sa langue rigide sur un autre épi, il va les déposer sur le stigmate placé sur son passage vers le nectar. Quand il grimpe aux fleurs au-dessus, moins avancées, il se heurte à des fleurs plus fermées mais secrétant déjà du nectar ; quand le bourdon essaie de rentrer sa langue en force, elle bute sur la base collante des pollinies qui vont adhérer et pouvoir être transportées vers un autre épi. 

Les bourdons assurent une pollinisation croisée efficace grâce à un ensemble de traits : ils sont très rapides et agiles et visitent ainsi de nombreuses fleurs ; ils peuvent voler même par des températures assez basses (contrairement aux abeilles) grâce à leur forte taille et leur revêtement pileux dense ; leur trompe rigide constitue un support idéal pour l’adhésion des pollinies qui ne sont pas perdues en route ; ils revisitent rarement un pied qu’ils viennent de butiner ; ils se déplacent sur de grandes distances ce qui augmente les chances d’échanges entre plantes de populations différentes. En Allemagne, cependant, certaines années, les suivis montrent que ce sont les abeilles domestiques qui assurent l’essentiel de la pollinisation, selon la météorologie par exemple ou selon le succès de la reproduction des bourdons sensible aux printemps froids. On classe donc cette orchidée dans la catégorie des mélittophiles, i.e. des plantes pollinisées par des abeilles/bourdons. 

Cette pollinisation semble très efficace car on note des taux de fructification moyen de 70% des fleurs. Chaque fleur fécondée produit plus de 20 000 micro-graines dans un fruit sec de type capsule ; leur extrême légèreté liée à l’absence de réserves nutritives (voir ci-dessous) permet un transport à très grande distance par le vent ou au hasard sur des animaux en déplacement. 

Cette dépendance envers les bourdons pourrait a priori passer pour un handicap compte tenu de la rareté de ces insectes dans les sous-bois ombragés et frais peuplés par la goodyère. En contrepartie, il y a peu de compétition de la part d’autres plantes à fleurs susceptibles de détourner les bourdons vers elles dans ces boisements de résineux souvent pauvres en flore ; de plus, sa floraison estivale limite encore plus ce risque de compétition. Une autre espèce mélittophile peut parfois se montrer abondante près d’elle et fleurit en même temps : le mélampyre des prés, très attractif ; mais peut-être que, au contraire, en attirant les bourdons, il facilite la découverte des colonies de goodyères ? 

Végétatif versus sexué 

Pour se reproduire, la goodyère peut jouer sur deux tableaux à la fois : la reproduction sexuée via la pollinisation évoquée ci-dessus mais aussi la multiplication végétative via son appareil souterrain. Celui-ci émet des tiges rampantes souterraines ou rhizomes proches de la surface qui montent vers la surface et s’insinuent à travers les coussins de mousses qui tapissent le sol sous forme de stolons (voir la chronique sur le fraisier). Ces stolons blanchâtres, grêles, ramifiés, portent des feuilles écailleuses et des racines latérales et produisent des rosettes à partir d’un bourgeon à leur extrémité. Ces rosettes vont se développer lentement pendant plusieurs années (7 à 8 ans) avant de pouvoir émettre à leur tour une tige florale (voir ci-dessus) ; la floraison va entraîner la mort de la rosette comme chez les plantes monocarpiques (voir l’exemple de la joubarbe) sauf qu’entre-temps de nombreuses autres rosettes se sont formées et assurent la relève. Ainsi, à partir d’un pied originel issu de la germination d’une graine, au fil des ans se forme une colonie clonale qui s’étale lentement. Certaines des rosettes peuvent se détacher du pied mère et devenir indépendantes tout en étant des clones du pied mère. Ainsi, localement, de grandes colonies peuvent se former donnant l’illusion d’une espèce « commune ». 

Une étude menée en Pologne montre que, contre toute attente, il existe une forte diversité génétique entre des plantes prélevées dans différentes stations ou au sein d’une station donnée ; on atteint même des valeurs de paramètres de diversité génétique parmi les plus élevés chez les orchidées de Pologne ! Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette diversité contre-intuitive compte tenu de la reproduction clonale évoquée ci-dessus. Cette orchidée se développe fortement dans des plantations de résineux y compris celles plutôt perturbées par les activités humaines (voir ci-dessous) ce qui augmente l’abondance des populations ; or, nombre de ces stations nouvelles proviennent d’introductions extérieures avec les plants de pins (voir ci-dessous) ce qui amplifie al diversité génétique. D’autre part, la part de reproduction sexuée par graines s’avère bien plus importante que ce que l’on imaginait avec de nombreuses rosettes isolées issues de la germination de graines. La pollinisation par les bourdons y est sans doute pour beaucoup vu son efficacité (voir ci-dessus). 

Champignons 

Chez toutes les espèces d’orchidées, les graines arrivées au sol doivent être préalablement infestées par les filaments (mycélium) d’un champignon partenaire spécifique ; la pénétration du champignon initie le début de développement du minuscule embryon ; les filaments s’introduisent dans certaines cellules et y forment des pelotons qui sont digérés par l’embryon. Il récupère ainsi les nutriments nécessaires qui lui manquent. Ainsi, l’embryon réussit à former une petite plantule. Ensuite, une nouvelle infestation fongique doit se faire au niveau des jeunes racines de celle-ci où il va se cantonner et assurer à nouveau une part de la nutrition de la jeune orchidée.

La goodyère ne déroge pas à ces règles mais avec des modalités originales en cours d’élucidation. Une fois ses premières feuilles développées, la jeune plante commence à faire la photosynthèse et fabrique ainsi une partie de ses aliments (autotrophie) mais elle complète sa nutrition par des échanges complexes avec le partenaire fongique installé dans ses racines dont la présence est obligatoire. Au moins trois espèces différentes de champignons sont connues pour assurer ce rôle dont Ceratobasidium cornigerum, une espèce formant des croûtes blanches sur le bois mort et utilisée dans la plupart des protocoles expérimentaux concernant la goodyérie. 

Des études à l’aide de molécules marquées permettent de déterminer les échanges entre ces deux partenaires. Un flux de carbone, depuis le dioxyde de carbone capté par les feuilles de la goodyère, se fait vers le mycélium du champignon mais on observe un flux inverse, avec de l’azote et du phosphore non organique en plus, en sens inverse. Cette découverte a invalidé le schéma général qui stipulait que les échanges étaient unidirectionnels du champignon vers l’orchidée selon une relation parasitaire ; dans le cas de la goodyère, on est sur un mode mutualiste (voir la chronique sur ce type d’interaction). Dans les conditions expérimentales, il y a même cinq fois plus de transfert de carbone de la plante vers le champignon qu’en sens inverse et ce transfert se fait très rapidement sur un mode dynamique. En retour la goodyérie dépend du champignon pour l’azote indispensable à la synthèse de ses protéines ; de même elle capte des quantités significatives de phosphore via son partenaire. Même en situation très ombragée où la goodyère voit sa capacité photosynthétique limitée, ces flux ne changent pas et la plante « n’en profite pas » pour prélever plus de carbone sur le champignon. Elle fleurit alors peu pour compenser ces manques. 

Une étude récente (2018) a par ailleurs détecté des relations ponctuelles avec les filaments de champignons vivant sur la litière de feuilles mortes comme des russules : les filaments entourent les racines de l’orchidée mais sans y pénétrer. Ces mêmes champignons se connectent par ailleurs avec les racines des arbres proches (symbiose mycorhizienne) pour récupérer des molécules carbonées fabriquées par les arbres auxquels ils apportent de l’eau et des minéraux. La goodyère serait ainsi capable de détourner une part de son carbone via le flux venu de l’arbre et passant par le champignon ; on parle de mixotrophie pour désigner ce mode de nutrition mixte. 

Expansion 

Il reste à expliquer cette tendance à l’expansion de la goodyère au cours du dernier siècle à la faveur des enrésinements. En Amérique du nord où elle est aussi présente, on la considère comme une espèce sensible aux perturbations humaines et inféodée aux forêts de résineux anciennes, ce qui ne colle guère avec les plantations récentes qu’elle colonise en Europe. Il n’est pas exclu que les populations européennes aient connu une évolution différente avec des mutations favorisant leur adaptation à des milieux artificiels. Certes, elle requiert certaines exigences : une exposition mi- ombre ; une épaisse litière de feuilles ou aiguilles mortes (riche en champignons !) ; une humidité assez élevée et constante au ras du sol même si elle s’accommode de sols plutôt secs. En fait, il semble qu’elle ait surtout besoin d’un microclimat stable. Sa préférence nette pour les sous-bois moussus la fait qualifier de bryophile (« qui aime les mousses ») : ces tapis entretiennent une couche humide sur le sol et permettent aux stolons fragiles de progresser à l’ombre en tous sens ; elle se rapproche en cela des orchidées tropicales épiphytes qui vivent suspendues dans les arbres. La litière d’aiguilles de résineux peut aussi jouer ce rôle de matelas humide protecteur ; ainsi, elle peut même en montagne s’installer dans des zones rocheuses boisées pourvu que les blocs soient recouverts. 

Les débuts de son expansion vers les plaines depuis ses bastions montagnards anciens coïncident avec les grands enrésinements initiés au cours du 19ème et du 20ème siècles. L’utilisation de jeunes plants de pins sylvestres ou d’épicéas, provenant de zones montagneuses où elle habitait, a du s’accompagner du transport de ses graines et des champignons avec qui elle est en interaction, notamment via les mycorhizes qui entourent les racines des jeunes plants de résineux. La densité des jeunes peuplements la favorise en maintenant une humidité relative près du sol et elle ne craint pas trop le faible éclairement ; la pauvreté globale de la flore associée à ces milieux artificiels limite aussi les risques de compétition pour elle. Enfin, ces plantations favorisent le développement de tapis de mousses acidiphiles favorables à son développement. 

Pinède moussue sur granite : le milieu idéal

Bibliographie 

Les orchidées de France. SFO. Ed.Biotope 1998

The Pollination of European Orchids Part 4: Goodyera and Spiranthes Jean Claessens and Jacques KleynenJOURNAL of the HARDY ORCHID SOCIETY Vol. 13 No.2 (80) April 2016 

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Mutualistic mycorrhiza in orchids: evidence from plant– fungus carbon and nitrogen transfers in the green-leaved terrestrial orchid Goodyera repens Duncan D. Cameron, Jonathan R. Leake and David J. Read New Phytologist (2006) 171: 405–416

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A mixotrophy is in question: new data on fungal community associated with photosynthetic terrestrial orchid Goodyera repens Elena Yu et al. Botanica Pacifica. A journal of plant science and conservation. 2018. 7(1)