Fallopia convolvulus

08 07 2023 La renouée liseron, espèce très commune, est souvent confondue avec les liserons comme le suggèrent ses deux noms populaires (voir le titre). Elle les côtoie d’ailleurs très souvent dans ses milieux de vie.

Leur ressemblance ne porte cependant pas du tout sur leurs fleurs, radicalement différentes et sans aucun risque de confusion cette fois ! Les liserons, avec leurs belles fleurs en entonnoir, se classent dans la famille des Convolvulacées  ; la renouée liseron, elle, relève d’une toute autre famille aux fleurs bien plus discrètes, les Polygonacées.

Nous allons ici découvrir la renouée liseron en tant qu’adventice , i.e. plante des champs cultivés, l’habitat où elle est de loin la plus présente. 

Volubile

Effectivement, la renouée liseron non fleurie peut se confondre avec les deux liserons très communs : le liseron des haies et le liseron des champs. Elle partage avec eux deux caractères végétatifs : la forme des feuilles et le port.

Comme ces deux « vrais » liserons (genre Convolvulus), la renouée liseron possède des tiges dites volubiles (voir l’exemple des Ipomées ou volubilis dans la même famille). Elles grandissent avec de longs entre-nœuds et dès qu’elles touchent un support vertical, elles s’enroulent autour, tout en poursuivant leur croissance. Dans la nature, il s’agira le plus souvent de la tige d’une autre plante comme celle d’un pied de maïs ou de tournesol dans les champs cultivés. Assez minces (grêles), anguleuses et striées en long, ces tiges peuvent ainsi grimper sur leur support et conserver l’accès à la lumière.

Ce port lui a valu, dans le folklore populaire, d’être « rangée » parmi les vrillées, terme très général qui désigne plusieurs plantes grimpantes communes : tantôt elle a été la vrillée bâtarde, tantôt la vrillée sauvage*. Les anglo-saxons parlent, eux, de bindweed soit « herbe qui se lie ». Ce terme dérive de vrille, le nom de l’organe spécialisé qui permet à certaines plantes grimpantes de s’accrocher comme chez la bryone dioïque.  Pour autant, la renouée liseron ne développe pas de vrilles et ne compte que sur ses seules tiges volubiles qui s’enroulent dans le sens des aiguilles d’une montre .

Mais, comme les deux liserons d’ailleurs, quand elle pousse dans les champs cultivés, elle peut adopter deux ports très différents selon le contexte. Si elle émerge sous le couvert d’une culture dense en développement, elle va effectivement opter pour le mode volubile afin d’accéder à la lumière que lui « vole » la canopée de feuillage de la culture. Par contre, si elle émerge sur un sol cultivé nu ou dans un micro-clairière au sein de la culture (en bordure ou un manque dans la levée de la plante cultivée), elle va alors adopter un port rampant. Elle s’étale au sol en développant de nombreuses tiges en tous sens depuis le point d’émergence de l’unique racine pivotante assez mince.

Tapis de renouée liseron dans une éteule de céréale

Souvent, dans les champs de céréales, elle reste étalée au sol en sous-étage sans beaucoup grandir vu son accès limité à la lumière. Elle attend la moisson qui ne va pas tarder dès le début de l’été : elle va alors échapper à la barre de coupe justement grâce à son port rampant. Puis, profitant du retour à la pleine lumière, elle s’étale alors sans vergogne en tous sens. Elle développe de véritables tapis qui peuvent grimper un peu sur les courtes bases de chaumes dans les éteules. Mais dès que ces dernières sont labourées, les renouées seront éliminées du fait de leur caractère annuel sans capacité de se régénérer de manière végétative.

*On trouve un autre surnom populaire énigmatique : chevrier. On peut se demander (à vérifier) s’il ne s’agit pas en fait d’une variante déformée de vrillée ?

Cordées sagittées

Second trait partagé avec les « vrais » liserons : outre la disposition alternée, les feuilles ont une forme assez comparable. De contour ovale mais pointues au bout, les feuilles de la renouée liseron présentent une base dont la forme va de celle d’un cœur (cordée) à celle d’un fer de flèche (sagittées : voir Sagittaire). Longues de 2 à 6cm, elles sont en moyenne au plus deux fois plus longues que larges et portées par un pétiole assez long mais plus court que la longueur totale de la feuille.

Des deux liserons, celui avec qui le risque de confusion est élevé serait plutôt le liseron des haies. Il a des feuilles grandes pouvant aller jusqu’à 10cm de long avec les deux lobes à la base plus arrondis (tout en étant anguleux). Le liseron des champs a des feuilles plus nettement sagittées mais plus petites, ne dépassant jamais 4cm de long, et de forme plus allongée avec les deux bords presque parallèles sur une bonne partie de la feuille.

Mais il reste un « truc » infaillible pour être sûr que l’on a bien affaire à la renouée liseron et pas aux vrais liserons. Il faut examiner de près les tiges et regarder le point où chaque feuille vient s’y raccorder. Là, se trouve un organe spécifique des renouées et autres membres de la famille des Polygonacées : une ochréa (voir l’exemple de la renouée bistorte). Il s’agit d’une gaine membraneuse qui entoure la tige au point d’insertion de la feuille ; mais, chez la renouée liseron, elle est courte et peu visible.

Autre caractère décisif à propos des feuilles : les jeunes feuilles en cours de déploiement ont leurs bords repliés enroulés par en dessous. On retrouve cette disposition curieuse sur les feuilles des oseilles ou celles des renouées du Japon. Chez les liserons, les jeunes feuilles sont repliées en deux pans vers l’intérieur au contraire.

Renouée liseron en fin d’été

En fin d’été et début d’automne, le feuillage tend à prendre une teinte rougeâtre parfois prononcée qui annonce la fin de cette plante annuelle.

Vrai faux-liseron

Renouée liseron en fleurs

La floraison s’étale de fin avril à octobre de manière plus ou moins continue si bien que sur une même plante on a aussi bien des fruits bien formés que des fleurs ouvertes ou des fleurs en boutons.

Dès l’apparition des premières fleurs, plus aucune confusion n’est possible. La renouée liseron arbore des petites fleurs (5mm de diamètre au plus) peu voyantes, blanc verdâtres : rien à voir avec les belles corolles en entonnoir des liserons ! De plus, elles sont « éparpillées » en inflorescences lâches, plus ou moins ramifiées, à l’aisselle des feuilles.

Chaque fleur est portée par un court pédoncule de 1 à 3mm de long et courbé ce qui rend la fleur un peu pendante. Ce pédoncule présente de plus une articulation typique au-dessus du milieu près de la base de l’ovaire (à regarder de très près). Ces fleurs assez réduites n’ont pas de corolle avec juste un cercle de cinq pièces (tépales ou sépales) vert clair, souvent teintées de rose délicat ; les trois tépales externes présentent une carène ou une aile à peine marquée sur le dos.

Les cinq étamines se replient vers le stigmate quand la fleur est bien ouverte. Ce détail signe un mode de reproduction autogame, i.e. une auto fécondation quasi automatique. En culture sous serre, on observe que les fleurs ne s’ouvrent même pas, tout en produisant des graines viables. De fait, ces fleurs n’offrent aucune récompense nutritive à part une quantité minime de pollen et vu leur taille minime elles n’attirent pratiquement aucune visite de pollinisateurs.

A maturité, les fleurs autofécondées conservent l’enveloppe de 5 pièces (un périgone) qui se resserre et enferme complètement le vrai fruit issu de l’ovaire fécondé. L’ensemble, délicatement pubescent et glanduleux, prend une silhouette de petit œuf avec trois angles qui correspondent aux carènes des trois tépales externes.

Liseron noir

Pour découvrir le vrai fruit unique, il faut décortiquer l’enveloppe du périgone (voir ci-dessus). On extrait ainsi une « graine » assez grosse (2,5 à 3,5 mm de long ; 1,28 mg), un peu ovale mais triangulaire en section (trigone), pointue aux deux bouts. Il s’agit d’un fruit sec à enveloppe dure soudée à la graine unique ou akène. Brun noir, il a une surface finement ponctuée ce qui lui donne un aspect mat non luisant. C’est à lui que la renouée liseron doit ce qualificatif de liseron noir.

Un pied peut s’étaler sur plus de deux mètres de diamètre en conditions très favorables et produire des centaines d’inflorescences ramifiées, soit des milliers de fleurs au total. Sur certains pieds très vigoureux et ayant émergé en début de printemps, on a ainsi évalué la production entre 15 000 et 30 000 akènes ! En situation courante, la renouée subit la compétition importante des plantes cultivées souvent semées densément et la production d’akènes est moindre. En Finlande, on a mesuré une production moyenne de 543 akènes/m2. Elle varie beaucoup selon la nature du sol et sa richesse ; sur des sols lourds, elle atteint 810 ak./m2. La renouée liseron alimente ainsi une importante banque de fruits/graines dans le sol de la culture où elle s’est développée.

Colonie couverte de fruits

Dans des champs de céréales, on observe qu’au moment de la moisson les renouées portent encore sur elles plus de 40% de leurs fruits ; ainsi, favorisées ensuite par l’exposition à la lumière, elles vont pouvoir poursuivre leur fructification et la prolonger jusqu’à l’automne dans les chaumes ou éteules. Cependant, on observe une forte tendance à labourer très vite les éteules après les moissons : ceci réduit donc nettement cette prolongation de production d’akènes.

Du fait de l’enveloppe sèche du périgone qui persiste, l’akène ne peut généralement pas germer dès sa chute au sol. La germination se fait au printemps ou en début d’été suivant. Les akènes peuvent persister dans le sol pendant près de cinq ans tout en restant viables. Chaque printemps, seule une petite proportion de cette banque du sol germe : entre 3 et 12% selon les cas étudiés.

Comme la germination ne dépend pas de l’exposition des akènes à la lumière, il n’y a pas besoin que la terre soit retournée. Un maximum d’akènes germe entre 1 et 5cm de profondeur mais des plantules peuvent émerger depuis une profondeur de presque 20 centimètres ! Dans une culture de printemps, les akènes germent en général dans la semaine qui suit le semis de la culture.

Ces akènes ne présentent pas de dispositif de dispersion spécifique. Ils sont certes consommés par des animaux granivores (voir ci-dessous) mais ceux-ci les écrasent et les digèrent : ils ne les rejettent pas intacts dans leurs excréments. En fait, la renouée liseron semble entièrement dépendante des activités humaines Les machines agricoles doivent participer à la dispersion à courte distance, notamment via les tiges qui peuvent s’enrouler dans les barres de coupe. Par ailleurs, on retrouve des akènes comme contaminants des semences de céréales ce qui participe à une dispersion à très grande distance selon les provenances. Une étude a montré que même avec une contamination d’un semis de blé avec un akène de renouée pour 100 grains semés à raison de 125 kg/ha, on arrivait ainsi à propager 27 akènes de renouée au mètre carré !

Blé noir

Par leur forme, les akènes de la renouée liseron rappellent fortement les « grains » de sarrasin (Fagopyrum esculentum). Cette ressemblance n’a rien de fortuit puisque ces deux plantes sont de proches cousines au sein de la famille des Polygonacées. Contrairement à ce que laisse croire son surnom de blé noir, le sarrasin n’est pas une céréale (Graminée ou Poacée) !

Cette convergence se prolonge dans l’histoire des liens de la renouée avec les humains. On identifie des restes d’akènes sur des sites néolithiques du Jura Souabe en Suisse ou dans des fouilles de l’âge du Bronze en Grande-Bretagne ; aux Pays-Bas, on le retrouve dans les campements des premiers agriculteurs vers 5300 avant JC. On en a trouvé dans l’estomac de l’homme momifié de Tollund au Danemark (mort entre 375 et 210 ans avant JC). On devait le consommer en gruau, i.e. en grains débarrassés grossièrement de leur enveloppe (ici, le périgone).

 Difficile de savoir s’il s’agissait d’akènes récoltés intentionnellement ou de contaminants des récoltes des premières céréales cultivées. De toutes façons, les akènes étaient trop petits pour être séparés des grains de céréales et on moulait tout ensemble même si la farine était de moindre qualité au final. Peut-être qu’on l’a cultivé comme grimpante sur les cultures ?

A partir du début du Moyen-Âge, on en trouve de plus en plus ce qui indique qu’elle est alors devenue une adventice propagée par les échanges de semences.

En hiver, les alouettes des champs se réunissent en bandes dans les champs cultivés

Ces akènes riches en lysine, un acide aminé peu présent dans les grains de céréales, constituent aussi une ressource nutritive majeure pour divers animaux granivores qui exploitent les cultures : des carabidés granivores (voir la chronique) et des oiseaux. Parmi ces derniers, on sait que les perdrix grises consomment volontiers ces akènes nombreux dans le sol. Une étude menée en France sur le régime hivernal des alouettes des champs, dans deux régions de l’Ouest du pays, montre qu’elles ne consomment pratiquement pas de grains de céréales restés dans les éteules ou labours : leur régime se base sur les graines de 38 espèces d’adventices dont la taille est comprise entre 1 et 3mm. Chaque alouette en consomme au moins 6 à 7 grammes par jour pour couvrir ses besoins énergétiques. Dans le Centre-Ouest, la renouée liseron figure parmi les quatre espèces les plus consommées (avec la renouée des oiseaux, l’héliotrope et des géraniums).

Adventice

En France, la renouée liseron est très commune partout jusqu’à 1700m d’altitude. Son aire globale couvre pratiquement toute la planète depuis qu’elle a été introduite sur le continent américain, en Nouvelle-Zélande, …

Ce succès général tient à son ubiquité tant au niveau du climat (elle tolère bien le froid et la sécheresse) qu’au niveau des types de sols. Elle se montre nettement rudérale, recherchant des sols enrichis en azote. C’est ainsi qu’elle est devenue une adventice majeure des cultures. Mais on la trouve aussi dans d’autres milieux perturbés et enrichis par les activités humaines : friches herbacées après abandon des cultures, décombres, terrains vagues, carrières, jardins, voies ferrées. Elle fréquente aussi les grèves sableuses des cours d’eau ou les cordons de galets côtiers. Ceci suggère d’ailleurs qu’elle serait peut-être aussi dispersée par l’eau.

Comme adventice, son abondance augmente avec le nombre d’années depuis lesquelles les terres sont cultivées :  sa fréquence est maximale dans les champs de 50 à 75 ans. Elle préfère les cultures sarclées avec du sol nu mais peut aussi envahir les céréales basses ou se développer après la moisson (voir ci-dessus). Grâce à son système racinaire pivotant, elle absorbe efficacement l’eau et les nutriments du sol ce qui lui donne un certain pouvoir compétiteur.

Elle figure parmi les adventices jugées problématiques en agriculture intensive, notamment en Amérique du nord où elle se comporte en invasive. On lui reproche des baisses de rendements pouvant aller jusqu’à 25%. L’usage intensif des herbicides a conduit à l’apparition de populations résistantes à certains d’entre eux (comme les triazines) dans divers pays européens.

Les pratiques favorables aux carabidés et aux oiseaux granivores (maintenir des éteules en hiver) sont une bonne alternative. A noter que les moutons et chèvres la consomment volontiers : le pâturage des éteules après la moisson peut donc être un autre mode de gestion pour limiter ses populations.

Renouée(s)

Au sein de notre flore, le nom vernaculaire de renouée s’applique en fait à tout un ensemble d’espèces étendu relevant en fait de quatre genres différents pour le botaniste : les « vraies » renouées (Polygonum) dont la renouée des oiseaux ; les renouées grimpantes dont la renouée liseron (Fallopia) ; les grandes renouées comme la renouée du Japon (Reynoutria) ; les persicaires (Persicaria) dont la renouée persicaire ou la renouée amphibie ; les bistortes (Bistorta) dont la renouée bistorte.

Renouée vient du verbe transitif renouer au sens de refaire un nœud et fait allusion aux tiges noueuses de certaines espèces, avec les nœuds (points d’insertion des feuilles sur les feuilles) marqués chacun par une ochréa (voir ci-dessous). Cet aspect ne concerne guère notre renouée liseron.

Historiquement, on a longtemps classé toutes ces plantes sous un même genre, Polygonum (qui signifie « plusieurs genoux », soit la même étymologie) : notez ci-dessous, dans la référence bibliographique datée de 1983, le nom latin de la renouée liseron ! Après divers réaménagements, on a finalement éclaté ce genre en quatre (voir ci-dessus).

Les renouées grimpantes comme la renouée liseron se distinguent par leurs inflorescences non terminales à l’aisselle des feuilles (axillaires), leurs tépales carénés (voir ci-dessus) et leur tige volubile. Au sein de ce genre Fallopia, nous avons, outre la renouée liseron, deux autres espèces dans notre flore.

La renouée du Turkestan (F. balschuanica), originaire d’Asie centrale, cultivée comme ornementale et largement naturalisée, est une liane ligneuse avec les feuilles tendant à être regroupées en paquets et avec des bords ondulés crispés. Pouvant atteindre 15m de long, elle forme souvent des draperies qui recouvre entièrement la végétation sur de grandes surfaces notamment le long des rivières.

L’autre espèce herbacée, la vrillée des buissons ou renouée des haies (F. dumetorum) ressemble beaucoup à la renouée liseron. Elle ne fréquente pas les mêmes milieux étant cantonnée sur les lisières des bois, dans les coupes forestières, sur les haies, dans les friches buissonnantes et le long des cours d’eau dans les ripisylves. Elle ne colonise pas les cultures sauf en bordure de haies où elle peut un peu déborder.

La renouée des buissons se distingue bien par ses fruits au périgone avec une aile large qui entoure l’akène et se prolonge sur le pédoncule bien plus long ; les fleurs et fruits ne sont jamais teintés de rose. Les akènes, plus petits, sont très noirs et luisants. Sinon, la distinction avec les seules tiges et feuilles s’avère plus compliquée : le bord des feuilles de la renouée des buissons porte des papilles (loupe !) et le pétiole est en moyenne plus court. Globalement, elle est souvent nettement plus robuste tout en étant elle aussi une plante annuelle.

Bibliographie

THE BIOLOGY OF CANADIAN WEEDS. 60. Polygonum convolvulus L. L. HUME, J. MARTINEZ, and K. BEST CANADIAN JOURNAL OF PLANT SCIENCE 1983

Weed seeds, not grain, contribute to the diet of wintering skylarks in arable farmlands of Western France Cyril Eraud et al. Eur J Wildl Res (2015) 61:151–161