Trifolium subterraneum

Trèfle souterrain dans une pelouse d’espace vert

29/05/2023 Le trèfle souterrain semble tout faire pour passer inaperçu : même ses fleurs sont souvent à peine visibles et très peu nombreuses par inflorescences ; en plus, son port n’attire pas l’attention dans les pelouses qu’il habite. Et pourtant, il cache sous ses tiges et son feuillage un surprenant dispositif de dispersion de ses graines, unique parmi les trèfles et très peu répandu chez les végétaux à fleurs en général.

Ici, les fleurs sont bien visibles car la pelouse a été tondue récemment

Au ras des pâquerettes

Le trèfle souterrain adopte un port nettement prostré, sous forme de touffes de tiges très étalées en cercle mais plaquées au sol. Toutes ces tiges partent d’une racine centrale pivotante porteuse de racines ramifiées fibreuses : elles se comportent comme des stolons, des tiges rampantes horizontales aériennes, mais sans s’enraciner aux nœuds (voir l’exemple du fraisier). Une touffe peut ainsi atteindre un diamètre de 60cm.

Les tiges comme les feuilles sont couvertes de poils appliquées assez longs ce qui leur confère un toucher doux et « mou ». Elles portent de nombreuses feuilles rapprochées si bien qu’on ne voit souvent que du feuillage qui cache les tiges du fait de l’enchevêtrement des touffes entre elles ; seules les touffes plus isolées ou débordant sur du sol nu comme le long des chemins permettent de voir directement les tiges.

Toute la plante est velue ; ici en gros plan les stipules à la base des feuilles

Les feuilles sont classiquement composées à trois folioles ; le mot trèfle dérive du grec Triphullos qui signifie « trois feuilles ». Alternes, très velues donc, elles sont longuement pétiolées avec un pétiole a minima aussi long que le limbe de la feuille. Les trois folioles assez grandes, presque entières (pas de dents), ont une forme de cœur renversé. Enfin, à la base de chaque feuille, à la jonction du pétiole avec la tige (donc très cachées !), on trouve une paire de stipules (voir la chronique sur ces organes foliaires), petites feuilles ovales, grandes et se rétrécissant en pointe.

Problème pour l’instant : cette description s’applique peu ou prou à d’autres espèces et le genre trèfle (Trifolium) est riche en la matière : 55 espèces en France et avec, pour certaines, plusieurs variétés ou sous-espèces ! Il faut donc le chercher plutôt quand il fleurit : au printemps, de mars à juin.

Contrairement à nombre de ses congénères aux floraisons souvent vives et voyantes, le trèfle souterrain cache ses inflorescences sous son feuillage ne laissant dépasser que quelques fleurs dans les peuplements très ras (notamment dans les pelouses tondues). Chaque groupe de fleurs ou glomérule ne compte en moyenne que deux à cinq fleurs, sept au plus, portées sur un pédoncule commun à peine redressé. Pour bien voir ces fleurs, il faut se coucher et se mettre à leur hauteur. La corolle, longue de 8 à 14mm, de type papilionacé comme tous les trèfles, arbore une belle couleur blanc crème, souvent veinée de rose délicat, plus lumineuse que celle du très commun trèfle rampant. Le calice membraneux a la forme d’un tube allongé, finement nervuré, avec cinq dents ciliées aigues. 

Grosse surprise

Tiges fructifiées soulevées du sol et retournées, dévoilant ainsi les fameux fruits faisant penser des ancres ou des pieuvres !

Le trèfle souterrain ne recourt que très rarement à la pollinisation par les insectes : les fleurs s’autopollinisent avant de s’ouvrir. De ce fait, les corolles flétrissent rapidement après la floraison. C’est alors que les inflorescences fructifiées (infrutescences) se transforment radicalement. D’une part, le pédoncule porteur du groupe de fleurs fécondées s’allonge (pouvant atteindre jusqu’à 20cm) mais il se recourbe vers le bas, orientant et rapprochant donc l’inflorescence vers le sol. On parle de géotropisme positif (orientation dans le sens de la gravité) à propos de ce comportement.

D’autre part, de manière encore plus spectaculaire, l’infrutescence elle-même se transforme : au centre du petit groupe de fleurs fécondées se développent de huit à dix fleurs stériles, réduites à un calice un peu charnu qui se divise en appendices rabattus. Elles finissent rapidement par entourer ainsi les fruits en formation d’une couronne étrange qui les cache entièrement. On obtient ainsi une structure étoilée renversée, blanchâtre du fait de sa situation en ombrage complet sous le feuillage. Pour voir ces infrutescences étonnantes, tournées entièrement vers le sol, il faut saisir une tige couchée à son extrémité et la soulever délicatement vers le centre : on découvre alors ces groupes de fruits, uniques en leur genre.

Quand on tire, on sent des résistances comme si ces paquets de fruits étaient agrafés dans le sol : la croissance du pédoncule réfracté, associée à la couronne de fleurs stériles en harpons crochus, a ancré le tout dans le sol, allant jusqu’à l’enterrer un peu si le sol est frais et meuble. Autrement dit, le trèfle souterrain enterre lui-même ses fruits sous ses tiges : on parle de géocarpie (geo, terre et carpos, fruit), une forme d’autochorie, i.e. d’auto-dispersion de ses propres fruits et graines. On retrouve un tel processus chez la cacahuète (une autre fabacée ou légumineuse) où les fruits (gousses) sont franchement enfouis dans le sol ou bien sous une forme différente (pédoncule enroulé en spirale) chez les cyclamens (Primulacée : voir la chronique). Ceci justifie son autre nom de trèfle semeur qui lui va bien.

Dur de la graine

Les fruits, issus des fleurs fertiles initiales, sont des petites gousses, fruit typique de la famille des Fabacées ou Légumineuses (voir la chronique) ; elles ne renferment qu’une seule graine globuleuse chacune, d’une couleur noire pourprée à maturité. Chaque gousse est enchâssée dans le calice persistant qui se gonfle un peu mais garde la gorge ouverte, laissant ainsi dépasser le sommet de la petite gousse. Pour autant, voir ces gousses se mérite : avec une pince, il faut écarter ou arracher les fleurs stériles les enveloppant et elles sont résistantes et arcboutées !

Le trèfle souterrain est une plante strictement annuelle : le pied fructifié meurt et sèche dans l’été. Ses graines, « implantées sous son cadavre », germent aux premières pluies significatives de septembre à novembre. Les jeunes plantes croissent pendant l’hiver. Ce cycle de plante annuelle qui est dépendant de la pluviosité automnale indique clairement les origines méditerranéennes de ce trèfle ; il craint d’ailleurs les froids excessifs en hiver qui peuvent détruire les jeunes plants ou empêcher leur croissance.

Ces graines ne doivent pas germer en plein été à la faveur d’un bref épisode orageux car ensuite les plantules grilleraient. Leur tégument (l’enveloppe de la graine) très dur les en empêche ; progressivement, en avançant vers l’automne cette dureté tégumentaire s’affaiblit autorisant donc la germination automnale idoine.

Mais une partie des graines produites conserve sa dureté tégumentaire et peuvent rester dormantes plusieurs années consécutives formant une banque de graines en réserve dans le sol qui assure la pérennité du peuplement en cas de destruction accidentelle. Cependant, l’évolution de cette dureté varie selon les régions : dans les régions méditerranéennes au climat irrégulier, 25 à 35% des graines sont encore dures 2 mois après leur libération ; sur la côte atlantique, à la pluviosité automnale quasi assurée (enfin, jusqu’avant le changement climatique !), ce taux n’est que de 7%.

Pelouses et pâturages

Touffes dans une pelouse traditionnelle d’espace vert mais sur un terrain sableux limoneux

Comme le suggère son port, le trèfle souterrain habite les milieux herbacés ouverts, dominés par des annuelles comme lui. Il est lié à des substrats siliceux avec des sols meubles sablonneux (plante psammophile) : on ne le trouve pas en principe sur des substrats calcaires ou marneux. Il fréquente donc les pelouses naturelles ou artificielles, les passages piétinés et les prés pâturés (voir ci-dessous), notamment par les moutons.

Il craint les terrains trop secs (notamment en automne), les sites froids et en altitude (voir la croissance hivernale). Ainsi, en France, il est très présent sur une large façade atlantique où il abonde souvent dans les pelouses des jardins et espaces verts. Ailleurs il est dispersé allant jusqu’en Auvergne (Limagne et val d’Allier surtout) vers l’Est, jusqu’à la Seine vers le nord-ouest ; par contre, il devient rare dans le quadrant sud-est. Le réchauffement climatique en cours favorise sa remontée vers le nord, colonisant plus franchement des régions où les températures hivernales le limitaient auparavant.

Son port prostré le rend très tolérant au pâturage pourtant bas des moutons qui affectionnent cette plante. D’ailleurs, on pense que la géocarpie, l’enfouissement de ses propres fruits serait en fait une forme de protection pour les mettre hors de portée de la dent des moutons. Mais ce trait facilite bien sa réinstallation année après année tant que les sites occupés restent pâturés : le feuillage sec en été forme une sorte de mulch naturel qui facilite la germination automnale aux premières pluies.

En Australie, ce trèfle fut introduit accidentellement par les premiers colons soit via des fruits accrochés à des toisons de moutons (voir la chronique sur ce mode de dispersion) importés, soit via des graines ayant contamine des semences fourragères. Il s’y naturalisa rapidement dans la partie sud de l’île-continent où les pluies dominent en hiver. On découvrit ainsi sa capacité à couvrir les sols et la forte appétence des moutons pour ce nouveau venu. Dès la fin du 19ème siècle, on se mit à le cultiver en grand et à développer des programmes de recherche pour créer de nouveaux cultivars plus performants ou débarrassés de certains effets indésirables (voir ci-dessous). Actuellement, près de 45 cultivars différents y ont été développés et les surfaces semées couvrent 29 millions d’hectares dans le sud et 8 millions dans l’Ouest ! En 1921, on l’a introduit volontairement cette fois sur la côte Ouest des USA au climat de type méditerranéen là aussi comme fourragère : il s’y est naturalisé largement gagnant même la côte Est du continent.

Pour l’instant, a priori, le trèfle souterrain n’est guère utilisé comme culture fourragère en Europe mais cela pourrait changer avec le changement climatique ?

Toxique

S’il est très apprécié du bétail dont les moutons, le trèfle souterrain n’en présente pas moins un problème s’il est consommé en grandes quantités. En effet, comme de nombreuses autres fabacées, il dispose d’un arsenal chimique interne défensif anti-herbivore : normal quand vous êtes une plante très appétente !

Les lapins doivent grignoter ce trèfle sur cette pelouse littorale (noter les crottes)

Les problèmes proviennent de la présence dans le feuillage d’isoflavones, des flavonoïdes connus pour leurs propriétés dites pseudo-oestrogéniques, i.e. imitant l’activité physiologique des hormones sexuelles femelles, les œstrogènes. La voie biochimique qui les élabore part d’un acide aminé précurseur, la phénylalanine.

Les brebis qui consomment trop de ce trèfle subissent des transformations morphologiques de leur utérus au niveau du col ce qui en retour limite les possibilités de fécondation par les spermatozoïdes qui empruntent ce passage pour atteindre les ovules.

Au moins trois isoflavones actives sont ainsi connues. La plus dangereuse est la formononétine que l’on retrouve dans les haricots et le soja. Une étude sur des populations françaises de trèfle souterrain montre que près de la moitié d’entre elles renferment des taux de cette substance au-delà du seuil de non nocivité ; les populations du sud-ouest et de Vendée par exemple ont des taux plus élevés que celles du Sud-Est : ceci s’explique entre autres par le fait que dans le Midi l’espèce est représentée par une variété différente. Sinon, on trouve aussi de la biochanine A ou de la génistéine (mot dérivé de Genista, le nom de genre des genêts). Cette dernière est commercialisée comme remède pour traiter les troubles associés à la ménopause chez la femme ce qui traduit bien son statut de substance très active. Les populations méridionales dont celles de Corse sont par exemple plus riches en génistéine que les populations hors Midi. 

Multiusages

L’intérêt agronomique du trèfle souterrain va au-delà de son statut d’éventuelle plante fourragère au moins dans trois domaines.

Comme les autres trèfles, ses racines possèdent des nodosités hébergeant des bactéries symbiotiques du genre Rhizobium qui fixent l’azote gazeux de l’air pour le transformer en azote minéral (nitrates). Comme le système racinaire du trèfle souterrain est nettement plus développé que celui d’autres trèfles (bien qu’il soit annuel), il stocke près de 40% de l’azote ainsi fixé dans ses racines ; quand celles-ci meurent en été, leur décomposition enrichit le sol ce qui favorise son propre développement l’année suivante mais aussi celui d’autres plantes fourragères le côtoyant. Des essais comme culture intermédiaire associée à du sorgho montrent qu’il réussit à apporter autant d’azote dans le sol que les doses habituelles d’engrais artificiels préconisées. En le broyant au printemps avant de semer la culture, on le transforme en un mulch couvre-sol très intéressant.

Excellent couvre-sol jusqu’en été

Son port tapissant très dense en fait un excellent agent de contrôle des adventices des cultures en le semant en fin d’été ; dans des essais expérimentaux, il s’est montré plus efficace que des herbicides envers une convolvulacée invasive.

Enfin, ses racines ramifiées et fibreuses et son port très couvrant limitent nettement l’érosion des sols par le ruissellement ; ceci fonctionne bien à partir de la seconde année après son implantation.

Tous ces usages ont fait du trèfle souterrain un objet d’études agronomiques innombrables avec les inévitables dérapages vers la création de variétés génétiquement modifiées, pauvres en substances défensives !

Au final, on réalise la grande originalité de ce trèfle hyper discret, très cachotier qui dissimule ses fleurs, ses fruits et sa toxicité. Il nous rappelle que le genre trèfle (Trifolium) est fortement diversifié au sein de la famille des Fabacées elle-même hyper diverse et d’évolution assez récente ; diverses lignées s’y sont développées avec l’apparition d’innovations comme les trèfles à calice vésiculeux dont le trèfle porte-fraise (voir la chronique) et donc la géocarpie très originale de notre sympathique trèfle semeur. On notera que ces innovations concernent à chaque fois le calice qui se transforme et acquiert une fonction supplémentaire nouvelle.

Bibliographie

Improving soil health, weed management and nitrogen dynamics by Trifolium subterraneum cover cropping Aurelio Scavo et al. Agronomy for Sustainable Development (2020) 40: 18

Caractéristiques des populations françaises de trèfle souterrain (Trifolium subterraneum L.). Masson Ph., Collins W.J., Gladstones J.S., Alquier G, (1996) Acta Botanica Gallica, Tome 143, fasc. 5, 281-289

Plant guide for subterranean clover (Trifolium subterraneum). Friddle, M. 2018. USDA-Natural Resources Conservation Service, Corvallis Plant Materials Center, Corvallis, OR.