Acrocephalus scirpaceus

Rase de Sarliève avec son double rideau de roseaux très favorable aux rousserolles effarvattes

07/02/2023 Les grands fossés ou rases qui quadrillent les anciens marais de la Grande Limagne auvergnate (voir la chronique sur l’exemple de l’ancien lac de Sarliève) et ont contribué à les transformer en terres agricoles très productives sont souvent bordés de rideaux spontanés de roseaux phragmites, des roselières (voir la chronique sur ce roseau). Ces hautes formations très denses qui poussent au fond et sur les berges des rases sont le domaine d’élection de quelques espèces de passereaux très spécialisés dont la rousserolle effarvatte, une « fauvette » que nos collègues anglo-saxons appellent reed warbler, i.e. la fauvette des roseaux. Une étude très récente (voir bibliographie) conduite par la LPO vient d’y recenser des densités localement fortes de cette espèce. Si elle est encore assez commune dans une bonne partie de la France là où elle trouve ses milieux d’élection (voir ci-dessous), elle reste très peu connue du grand public compte tenu de sa vie très cachée dans cette haute végétation. 

Rousserolle effarvatte dans son environnement de roseaux phragmites
cliché Gailhampshire ; C.C. 2.0.

Comme le site de la ferme agroécologique de Sarliève (voir la chronique) héberge à lui seul au moins 90 couples de rousserolle effarvatte au long des roselières qui longent une partie des rases de ce site aux portes de la conurbation Clermont/Cournon, nous allons consacrer plusieurs chroniques à cette espèce emblématique de ce site ; cette première chronique, très générale, vise donc à « écarter discrètement les roseaux » pour découvrir ce passereau secret et son mode de vie. 

Où la chercher ? 

Dès la fin du printemps, les roselières qui longent les rases de Limagne deviennent luxuriantes

Pour avoir des chances de voir et/ou entendre la rousserolle effarvatte, il importe au préalable de bien connaître ses milieux de vie car ils sont, au moins dans paysages dominés par l’agriculture, très limités en surface et très ponctuels. Elle fait partie du groupe écologique des oiseaux dits paludicoles (palu, marais, étang et cole, habiter, aimer) qui dépendent d’habitats marécageux au bord des eaux pendant la saison de reproduction. Son habitat type consiste donc en massifs bien développés de grands roseaux, des phragmites (voir la chronique), des massettes (les « roseaux à cigares »), plus rarement dans les massifs de baldingères (petits roseaux) sur les berges de lacs ou d’étangs, le long des rivières au cours lent et des fossés bien pourvus en eau (voir la chronique générale sur les fossés) ; ces roselières (au sens large) peuvent être les pieds dans l’eau ou exondées mais sur un sol humide non loin d’eau libre.

Pour autant, depuis ces sites dédiés à l’installation des nids (voir ci-dessous), elle va chasser ses proies (oiseau insectivore) dans la végétation herbacée adjacente dont les massifs de hautes herbes des lieux humides comme les épilobes (voir la chronique), dans les buissons et les arbres bas (comme les saules arbustifs). Localement, elle peut aussi nicher dans des massifs de saules buissonnants, des peuplements de laîches (Carex, herbes aquatiques plus basses que les roseaux) et exceptionnellement dans des champs de blés. 

Le marais de Lambre en Limagne a été restauré par la LPO avec le creusement de grandes mares le long desquelles se sont développées de belles roselières favorables aux rousserolles

Au printemps, certains individus se cantonnent brièvement, voire quelques jours, en se mettant à chanter, dans des friches ou près de cultures ; il s’agit sans doute d’oiseaux de passage ou n’ayant pas trouvé de milieux adéquats pour s’installe ; ils abandonnent rapidement et disparaissent. 

Fond d’un étang partiellement à sec avec massettes, roseaux, grandes herbes, jeunes saules : habitat aussi favorable aux rousserolles

A noter que le nom de rousserolle dériverait du vieux nom rouche,  donné dans une partie de la France à diverses plantes semi-aquatiques comme les roseaux ou les laîches (voir la chronique sur un exemple de lieu-dit en Auvergne). 

Quand ? 

Seconde étape pour une rencontre : le choix de la période. En effet, la rousserolle effarvatte est une espèce migratrice au long cours qui va hiverner en Afrique au sud du Sahara, avec de rares cas d’hivernage plus au nord jusque dans le Midi de la France (quelques individus). Comme la végétation aquatique dont elles dépendent strictement ne se développe qu’assez tardivement dans la belle saison, l’espèce ne s’installe dans ses milieux qu’à partir de la seconde moitié d’avril de la fin avril à début mai (notamment vers le nord). Dès la fin juillet, les adultes, suivis un peu plus tard des jeunes de l’année, commencent à quitter leurs sites de nidification et entreprennent le long périple qui va donc les conduire au sud du Sahara. Le pic des départs se situe dans la seconde moitié d’août et le passage s’étale ensuite jusqu’en septembre. La fenêtre temporelle où l’on peut espérer observer des rousserolles effarvattes est donc assez limitée de mai à août, sans compter qu’à partir de mi-juillet les chants cessent ou presque ce qui complique encore plus l’observation. 

La rousserolle effarvatte fait l’objet d programmes de recherche notamment via le baguage en migration : ici, un adulte capturé dans les filets des ornithologues
Cliché Asa Berndtsonn C.C. 2.0.

L’espèce migre progressivement plutôt par petites étapes successives avec des haltes même si les adultes peuvent entreprendre de longs vols continus. Ainsi, on a montré que des adultes nés en Angleterre volaient d’une seule traite directement jusqu’en Espagne ou au Portugal avant de faire une pause. Au cours de ces haltes, elles se nourrissent beaucoup pour recharger leurs réserves de graisse sous-cutanée, indispensables pour fournir l’énergie nécessaire pour couvrir de telles distances. Les jeunes de l’année font des haltes plus longues que les adultes et voyagent indépendamment, particulièrement lors de la migration d’automne vers l’Afrique. La migration se fait de nuit comme chez beaucoup de passereaux et dépend donc en partie de la visibilité nocturne, les étoiles servant entre autres de repères. La direction du vent est importante aussi et peut bloquer temporairement les oiseaux en halte migratoire. A peine âgés de 40 à 50 jours, les jeunes de l’année peuvent commencer à migrer. L’envol se fait en moyenne 1h30 après le coucher du soleil et elles se posent à l’aube. Entre le départ d’un vol et l’arrivée, l’oiseau perd en moyenne 1 gramme … sur un poids total de 12-13 grammes. Nous fournissons ces chiffres pour mieux appréhender l’exploit sportif remarquable qu’effectuent ces frêles oiseaux.  

La gratte des roseaux 

Le plus souvent, on entre d’abord en contact avec la rousserolle effarvatte d’abord via son chant. Entraînez-vous à l’enregistrer dans votre mémoire pour augmenter vos chances de la trouver : sur le site xenocanto via ce lien vous pouvez en écouter des dizaines d’exemples. 

Mâle en plein exercice vocal
Cliché Volgelarteinfo GNU Free 1.2.

Le chant de la rousserolle effarvatte est une série bien rythmée de notes grattées et grinçantes, chaque note étant répétée 2 ou 3 fois de suite avant d’enchaîner avec la suivante ; une strophe peut durer jusqu’à 20 secondes et très vite l’oiseau reprend inlassablement : kerr-kerr-kerr chiric-chiric-chiric kek-kek-kek chirr-chirr … Le débit est assez lent et posé mais régulier, un peu monotone à la longue pour l’observateur. Dans le détail, il n’y a pas deux rousserolles qui chantent pareil et certains individus incluent dans leur chant des imitations de cris d’appel d’autres oiseaux habitant les mêmes milieux qu’elle comme le tiu dudu du chevalier gambette.  Sur ce point, elle diffère nettement de deux autres espèces de fauvettes paludicoles qu’elle côtoie dans certaines régions (pas en Auvergne) : le phragmite des joncs et la rousserolle verderolle ; cette dernière est la championne toutes catégories et incorpore des dizaines d’imitations d’oiseaux dans son chant débridé, y compris des cris d’oiseaux exotiques qu’elle a croisé sur ses quartiers d’hiver en Afrique. 

Les mâles chantent dès l’aube, toute la matinée et reprennent en fin de journée, certaines prolongeant le récital la nuit tant qu’elles n’ont pas de trouvé de compagne. Chaque mâle dispose de deux ou trois postes de chants principaux au cœur des massifs denses de roseaux. Les femelles peuvent elles aussi chanter quand elles s’approchent du nid ou pour prêter main forte à leur mâle lors de disputes territoriales avec un mâle voisin. 

En dehors du chant délivré entre mai et juillet (voir ci-dessous), la rousserolle effarvatte se signale aussi par ses cris d’appel brefs tche un peu « cliquant » et dur ; en cas de danger ou d’extrême agitation (combat territorial) elle peut émettre des cris plus durs ou roulants ou un trr-rr sur deux notes (si vous parcourez les enregistrements sur xenocanto vous en trouverez des exemples). 

Famille des têtes pointues

Gravure J. Gerrard Keulemans Public Domain

Désormais, vous êtes armés pour la trouver et l’observer de visu dans son milieu. La rousserolle effarvatte se classe dans une famille de passereaux, les Acrocéphalidés ; ce nom scientifique vient du nom de genre latin Acrocephalus, qui signifie mot à mot « tête pointue ». Effectivement, les membres de cette petite famille (53 espèces dans le Monde ; voir la remarque en italique) partagent un profil de tête relativement « en pointe » prolongé par un bec moyen à long bien droit et mince ; la famille compte six genres dont deux représentés dans l’avifaune française : les rousserolles et phragmites (Acrocephalus) et les Hypolaïs (Hippolais). 

Cliché Ron Knight C.C. 2.0.

La rousserolle effarvatte partage avec ses autres consœurs une série de caractères communs : plumage terne uniforme dominé par les tons bruns et identique chez les deux sexes ; ailes moyennes un peu arrondies au bout ; queue moyenne arrondie ; corps moyen (12-13cm long) ovoïde ; cou assez épais et court ; pattes de taille moyenne. Bien, tout ceci nous donne un portrait-robot très « moyen » … quelconque et banal sans signe saillant pour accrocher le débutant. Complétons donc avec quelques caractères plus spécifiques : le dessus est brun olivâtre terne, un peu foncé sur la tête avec un sourcil terne blanchâtre peu marqué et un cercle oculaire clair ; une vague teinte jaunâtre-rouille s’étend de la nuque au dos sur les ailes et la queue. Le croupion teinté d’orangé pale contraste avec le reste. Le dessous est blanchâtre et délavé de fauve pâle sur la poitrine. Noter aussi les pattes assez foncées. Sa cousine la rousserolle turdoïde, devenue rare à très rare selon les régions, est bien plus grande (19cm, comme une petite grive) et a un chant très puissant et râpeux. Le phragmite des joncs a un sourcil blanc très marqué et est rayé de sombre dessus. 

Le nom populaire d’effarvatte serait une déformation de fauverette ou fauvrette, anciens noms des fauvettes en général. 

Remarque pour experts : Il y a encore quelques décennies on regroupait toutes les fauvettes et apparentées dans une même famille « fourre-tout » les Sylviidés (de Sylvia, nom de genre de la fauvette à tête noire par exemple). Grâce aux énormes progrès apportés par l’usage massif des séquences ADN, on s’est rendu compte qu’en fait il s’agissait d’un assemblage de plusieurs lignées divergentes non apparentées directement. L’ancienne famille a donc été « pulvérisée » en plusieurs nouvelles familles (en se limitant aux seules familles ayant des représentants chez nous : les locustelles (Locustellidés), les bouscarles (Cettidés), les cisticoles (Cisticolidés) et les acrocéphalidés ; l’ancienne famille des Sylviidés persiste sous forme très restreinte pour ce qui nous concerne avec les seules « vraies » fauvettes du genre Sylvia. Qaund on reconstitue l’arbre des parentés de ces familles on se rend compte que certaines de ces familles sont en fait assez éloignées, avec d’autres familles venant s’intercaler dans l’arbre comme les mésanges à longue queue (Aegithalidés), les pouillots (Phylloscopidés) ou les Alouettes (Alaudidés) et les Hirondelles (Hirundinidés). 

Un amour de petit nid 

Les mâles arrivent les premiers sur les sites de reproduction (voir ci-dessus) ; les individus plus âgés (la longévité maximale connue est de 12 ans) arrivent plus tôt que les oiseaux d’un an et peuvent donc prendre possession des meilleurs territoires. Une fois les couples formés, c’est la femelle qui décide du site d’implantation du nid. L’espèce est monogame. 

Nid accroché à des tiges sèches de roseaux, vu de dessus ; noter le tissage des brins végétaux autour des roseaux
Cliché Nottsexminer ; C.C. 2.0.

Celui-ci est installé généralement au-dessus de l’eau (meilleure protection contre les prédateurs terrestres) dans les massifs de « roseaux » (voir ci-dessus) ou dans un buisson (saules) ; au plus, elle peut nicher dans des herbes hautes à faible distance de l’eau libre et parfois aussi dans des roselières sèches. Il semble que les individus reviennent nicher sur les sites où ils sont nés (philopatrie). 

Cliché David Perez C.C. 3.0.

La femelle entreprend la construction du nid seule (ou presque) et sélectionne pour cela deux à huit tiges anciennes de roseaux (ou des nouvelles tiges vertes de l’année et des anciennes sèches : voir la chronique sur le roseau) à une hauteur au-dessus de l’eau peu profonde variant de 15cm à 2,30m, en moyenne entre 40 et 90cm de hauteur. Là, elle va ancrer le nid qui est comme suspendu. 

Le nid est une adorable coupe régulière, de 7,5cm de diamètre sur autant de haut et une profondeur interne d’environ 5cm. Il est fait d’éléments récoltés, soigneusement tissés ensemble : limbes de feuilles de roseaux déchirés dans le sens de la longueur, fragments d’inflorescences de roseaux (plumeaux), mousse, tiges d’herbes basses, toiles d’araignée. L’intérieur est tapissé de matériaux fins : fibres végétales, poils, laine, plumes, … 

La rousserolle effarvatte tend à nicher en colonies lâches avec des nids rapprochés dans les habitats restreints (quelques mètres entre deux nids de couples différents). Les territoires défendus sont très limités (300 à 400 m2) et peu défendus une fois délimités par les joutes sonores entre mâles. 

Chaque ponte se compose en moyenne de 3 à 6 œufs (4 le plus souvent) blanc verdâtre sont tachés et piquetés de vert ou d’olive. Les deux sexes se relaient pour couver et les jeunes naissent nus et aveugles (nidicoles). Ils sont nourris aussi par les deux parents. Le séjour au nid dure en moyenne 10 à 12 jours et les jeunes deviennent indépendants environ 10 à 14 jours après avoir quitté le nid. Tout va très vite chez les rousserolles …

Quatre poussins en cours de croissance
Cliché Nottsexminer ; C.C. 2.0.

Les secondes pontes sont assez régulières et un second nid est alors construit près du premier ; il y a même de très rares cas de trois nichées élevées sur une saison. Si la première ponte échoue en cours (nid détruit ou un des parents qui disparaît, une nouvelle ponte viendra dans un délai d’une semaine. 

Réussite 

Les nids des rousserolles effarvattes sont souvent parasités par le coucou gris qui pond un œuf dans un nid ; en Europe occidentale, la proportion de nids parasités varie de 5 à 14%. Dès sa naissance, le jeune coucou expulse les œufs non éclos ou les oisillons de rousserolle déjà éclos et est ensuite nourri activement par les deux parents qui déploient une énergie folle pour nourrir cet encombrant squatter qui devient vite beaucoup plus gros qu’eux. 

Jeune coucou réclamant sa pitance auprès de son parent adoptif
Dessin Jos Zwarts C.C.4.0.

Des études anglaises donnent des taux de réussite des nids allant de 60 à 70%. En moyenne 1 à 2 jeunes par nid parviennent à l’envol. Outre le parasitisme du coucou, les petits mammifères sont souvent les principaux prédateurs des nids (dont des rongeurs capables de grimper). Les nids situés à distance d’arbustes ou d’arbres semblent être les plus sûrs : l’arbre sert de relais pour le prédateur qui surveille les allées et venues. Le passage de grands animaux (bétail qui pâture) ou d’humains (promeneurs qui entrent dans les roselières) peuvent causer la destruction de nombreux nids. L’observateur se gardera donc de toute intrusion dans ces milieux en pleine saison de nidification. Même si on ne détruit pas de nid, le simple fait de marcher dans la roselière laisse un passage que les prédateurs terrestres s’empresseront de suivre dès la nuit suivante. Lors d’épisodes météorologiques défavorables (pluies intenses, tempêtes), des nids peuvent être détruits ou abandonnés. 

A l’échelle européenne, l’espèce est prospère et serait même en progression. Des estimations donnent une fourchette de 2,1 millions à 3,9 M de couples nicheurs. Le changement climatique et le changement global (transformation des milieux) en cours ont des impacts marqués sur l’évolution des populations de cette espèce : nous consacrerons une chronique à venir à cet aspect intéressant. 

De même, nous consacrerons une chronique à venir au régime alimentaire de cette espèce notamment quand elle niche au milieu de zones agricoles. 

Bibliographie 

Common Reed Warbler (Acrocephalus scirpaceus) version 2.1. Kirwan, G. M., A. Dyrcz, D. A. Christie, E. F. J. Garcia, and Y. Kiat (2022). In Birds of the World (S. M. Billerman and B. K. Keeney, Editors). Cornell Lab of Ornithology, Ithaca, NY, USA.

Recensement par quadrat de l’avifaune nicheuse d’une plaine agricole avec fossés humides de Limagne clermontoise (63) au printemps 2021. F. Guélin & J.J. Lallemant Le Grand-Duc 90 : 9-21 9

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