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Fruits de sanicle (ombellifère) « scratchés » sur une chaussure après une ballade en forêt

Les plantes à fleurs se reproduisent avec des graines contenues dans des fruits ; celles-ci, en germant, peuvent redonner de nouveaux individus. La dispersion de ces graines constitue une étape cruciale dans le maintien des espèces et leur survie à long terme : elle permet la colonisation de nouveaux milieux et évite la compétition directe avec le pied mère qui les a produites (sans dispersion, les graines tombent au pied). Pour des plantes vivant dans des milieux transitoires, la dispersion s’avère encore plus vitale à court terme.

Pour se disperser, graines et fruits doivent « trouver » un agent de dispersion susceptible de les déplacer ; ce peut être le vent (anémochorie : voir les chroniques), l’eau (voir les chroniques) ou des animaux selon plusieurs procédés : soit l’animal avale le fruit/graine et rejette les graines intactes plus loin (dispersion dans les animaux ou endozoochorie : voir les chroniques), soit il récolte les fruits/graines et les cache pour faire des réserves (voir la chronique sur le geai), soit enfin les fruits/graines se collent ou s’accrochent sur l’animal, à sa surface. Ce dernier mode de dispersion ou épizoochorie est donc le sujet de cette chronique.

Et on s’accroche …

La première variante de ce mode de transport, la plus évidente et la plus connue, se manifeste par la présence de dispositifs d’accrochage sur les fruits/graines tels que crochets, soies ou épines, crochues ou pas, aptes à s’arrimer plus ou moins fermement à la surface d’un animal. Ceci ne peut se faire que sur une surface « accrocheuse » ce qui limite les possibilités aux seuls animaux au corps couvert de poils (mammifères) ou de plumes (oiseaux). Très rarement, ce peut être un accrochage au niveau des pattes ou sabots comme dans l’exemple des fruits spectaculaires d’une plante exotique appelée Griffe du diable qui s’encastre dans les pattes des grands animaux (Amérique du nord).

Ces organes d’accrochage ont évolué de manière indépendante dans de nombreuses familles de plantes à fleurs si bien que leur morphologie, leur origine en terme de développement ou leur structure interne varient considérablement d’un genre à un autre. Parmi les exemples connus de tous, on peut citer la célébrissime bardane avec ses capitules armés de crochets qui ont inspiré la découverte du velcro (voir les chroniques sur cette plante) ou bien la cynoglosse (voir chronique ) ou le gaillet gratteron ou d’autres moins connus comme le marrube (voir chronique).

Une analyse de dix flores régionales a montré qu’environ 6% des espèces en région tempérée avaient de tels dispositifs et utilisaient l’épizoochorie. Il s’agit donc d’un mode assez peu répandu dans l’absolu. Ceci ne signifie pas pour autant qu’il est moins efficace que d’autres mais compte tenu de sa procédure, il se limite presque de facto aux seules espèces de moins de deux mètres de haut : au delà, les fruits/graines ont peu de chances d’accrocher un animal qui passe (sauf les oiseaux mais ils sont peu concernés par cette variante de l’épizoochorie). On ne les trouve donc pas sur des arbres ou arbustes mais sur des plantes herbacées. Certaines familles semblent plus riches en de telles espèces comme les Apiacées avec les fruits crochus ou épineux des carottes, torilis, sanicle, astrantes, orlayas, caucalis, … Chez les graminées ou Poacées, de nombreuses espèces ont développé des épillets dotés de soies accrocheuses orientées à contre sens comme chez les sétaires ou l’orge des rats, bien connue comme objet de jeu (autrefois ? !) : on glisse un épi dans sa manche et on agite le bras et l’épi tout entier remonte vers l’épaule ! Ainsi, dans des pelouses calcaires en Allemagne, on a récolté sur une toison d’un mouton plus de 8000 fruits/graines de 85 espèces différentes dont une majorité de graminées.

… ou on se colle !

L’autre variante bien moins médiatisée de l’épizoochorie concerne l’adhésivité à la surface d’un animal : des graines/fruits dotés de poils collants ou enrobés d’une substance gluante. Ce dernier cas est le plus fréquent avec les graines dites mucilagineuses dont la surface enduite de mucilages hydrophiles gonfle au contact de l’eau et devient alors poisseuse. Ainsi, ces graines, par temps humide, une fois tombées au sol, peuvent se coller sous les sabots ou les pattes des animaux qui circulent ou pâturent mais aussi sur les plumes des oiseaux. On peut étendre ce dispositif à toutes sortes de petites graines qui une fois mouillées ou mélangées à de la boue ou de la terre humide se collent indirectement, sans être pour autant dotées d’une couche mucilagineuse. Certains grands animaux comme les sangliers se vautrent volontiers dans la boue et véhiculent ensuite de grandes quantités de graines tant que leur pelage n’a pas séché. Les oiseaux aquatiques qui marchent dans la vase avec des pattes palmées à large surface sont des supports de choix pour de telles graines, d’autant qu’ils vont les redéposer dans un milieu favorable a priori mais souvent très dispersé dans l’espace (comme les mares ou étangs).

Pour l’anecdote, on peut remarquer que si ce mode de dispersion reste très peu connu, le caractère mucilagineux de ces graines a interpellé indirectement les Hommes pour d’autres raisons. Autrefois, on utilisait les graines de la sauge sclarée pour les placer sous la paupière en cas de poussière gênante : la graine en s’humidifiant gonflait et attirait ainsi la poussière ; d’où le surnom de sclarée à partir de éclairer ! Les graines des plantains ont largement été utilisées comme laxatif et adoucissant. Dans la nature, elles se fixent ainsi très facilement sous les pieds du bétail ou … les semelles des chaussures. Ainsi, lors de la colonisation de l’Amérique du nord, les Indiens avaient repéré qu’une plante nouvelle introduite, le plantain majeur, suivait les traces des « hommes blancs » et ils l’avaient surnommé White man’s foot !

Temps et distance

Pour être efficace, un tel mode de transport des graines doit permettre de les déplacer sur des distances assez importantes ; la distance parcourue dépend du temps que les graines restent attachées sur l’animal et des déplacements du porteur durant cet intervalle de temps.

On peut évaluer le temps de rétention à partir d’expérimentations sur des animaux domestiques. Ainsi, sur des lièvres en enclos, des capitules de bardanes accrochés ne tiennent pas plus de un jour et la plupart sont enlevés au bout de deux heures ; ceux placés sur le dos tiennent plus longtemps que ceux sur les pattes mais à condition de ne pas être trop denses. Effectivement, tout animal porteur de tels fardeaux désagréables n’aura de cesse de s’en débarrasser d’autant qu’ils seront gênants et faciles d’accès. Sur des moutons pâturant des pelouses calcaires, on a testé des épillets de brome dressé (accrocheurs par des soies) et des graines (petites) d’hélianthème nummulaire. La moitié tombent dès le premier jours mais il en reste quand même une petite quantité qui ne tombe que très progressivement : 8% des épillets de brome sont toujours accrochés au bout de sept semaines et 17% des graines d’hélianthème persistent au bout de cinq semaines. Si on suppose que ces moutons sont en transhumance, cela laisse imaginer la distance considérable que peuvent parcourir de telles graines. Les oiseaux aquatiques en migration peuvent de la même manière véhiculer des graines collées à leurs pattes sur des centaines ou milliers de kilomètres jusque sur des îles par exemple !

Du côté des disperseurs

Tous les animaux potentiellement aptes (à leur insu) à capter de tels fruits/graines ne se valent pas du point de vue des plantes productrices. Ainsi, les grands animaux offrent plus de surface à accrocher et leurs déplacements mobilisent plus de végétation autour d’eux. Il faut aussi prendre en compte le fait que ces fruits/graines ne se détachent pas facilement de leur support (sinon, le moindre mouvement les ferait tomber) et un animal plus « fort » sera plus apte à les détacher. La nature de la fourrure pour les mammifères influe beaucoup : ainsi, la toison bouclée et drue d’un mouton accroche bien plus que les soies droites d’un sanglier par exemple.

Une expérience menée avec des fruits de lampourde a montré que 70% des fruits armés de crochets restaient accrochés sur des moutons au bout de 25 jours alors que sur des chevaux ou vaches, aucun ne restait fixé au bout de ce délai ! Cependant, l’endroit de fixation importe beaucoup : ainsi, toujours à propos des lampourdes, on pense que cette espèce très invasive a été historiquement introduite en Australie à partir de chevaux importés du Chili et fixées sur … la queue de ces chevaux, bien plus accrocheuse que le pelage ras ! Dans les cas extrêmes, il faut attendre que l’animal mue pour que les fruits/graines accrochés se détachent !

Des modélisations construites à partir de données expérimentales donnent des moyennes de distance de transport pour des fruits crochus : elles vont de 5m pour un mulot, à 100m pour des vaches et 400m pour des moutons ; mais, au delà de ces moyennes, ce qui compte le plus pour les plantes, ce sont les évènements certes rares (qui ne concernent que 1% des graines) mais déterminants de dispersion à longue distance dans la mesure où ils permettent l’installation d’avant-postes qui accélèrent considérablement la colonisation (voir l’exemple, avec le vent, du pin sylvestre) : ainsi, avec les moutons, on atteint des distances qui dépassent les 3kms. Il faut par contre prendre en compte le fait que seule une partie des fruits/graines produits vont réussir à s’accrocher : beaucoup vont tomber au sol lors du passage d’animaux mais sans s’accrocher. Ainsi, dans un champ pâturé par des chevaux seulement environ 10% des fruits de lampourdes présents sont « récoltés » en 3 mois et demi !

Une interaction commensaliste

On cite souvent, à juste titre, les interactions animaux/plantes pour la dispersion des fruits charnus consommés (endozoochorie) comme exemples de mutualismes (voir la chronique sur ces interactions) car il y a bénéfice réciproque : nourriture (pour l’animal frugivore) contre transport des graines dans le tube digestif. Ici, la situation est bien différente : l’animal porteur ne choisit rien et se fait « harponner » au passage ; cela peut même être presque négatif pour lui s’il se retrouve couvert de « grattons » comme nombre de propriétaires de chiens ont pu le constater lors de promenades dans la nature en automne !

Globalement, la gêne reste très imitée voire nulle et on considère donc qu’il s’agit d’une interaction +/0 : la plante en tire un bénéfice tandis que l’animal n’en tire ni bénéfice ni inconvénient ; on entre donc dans une relation dite commensaliste (voir la chronique sur le commensalisme). En termes d’évolution et de pression de sélection, cela change tout car il n’y aura pas dans de tels cas de relation à sens unique de coévolution possible et les plantes doivent composer avec toute la diversité des disperseurs potentiels sans pouvoir en cibler certains en particulier, à part à travers leurs modes de vie. Ainsi, les cynoglosses aux fruits très accrocheurs, poussent souvent sur les terres remuées autour des terriers de lapins : ils y trouvent terre remuée et enrichie par les crottes (plante nitrophile) et une plate forme idéale pour être dispersés par les occupants. De même, pour les espèces forestières, croître le long des chemins ou des lisières augmente les chances de contact avec des animaux de passage.

Le grand absent

Peut-être allez-vous dire : mais, nulle part (ou presque !), il n’est question de nous les Humains comme porteurs potentiels ; il suffit se promener dans la nature en automne pour en faire l’expérience ! C’est que l’Homme occupe une place vraiment à part car, non seulement il peut véhiculer des fruits/graines par ses vêtements ou ses « pieds » chaussés (en principe ! sinon, pas grand chose ne va s’accrocher !), mais surtout il transporte des quantités considérables de fruits/graines via ses moyens de transport et tous ses objets dans le cadre des échanges commerciaux. On ne peut donc pas le traiter de la même manière que les « autres » animaux et on créé pour lui seul un mode de dispersion propre, l’anthropochorie qui est devenue d’une importance considérable dans l’évolution des écosystèmes et la répartition des plantes à l’échelle planétaire.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Dispersal in plants. A population perspective. R. Cousens ; C. Dytham ; R. Law. Oxford University Press. 2008

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la sanicle
Page(s) : 230-2321 Guide des Fleurs des Fôrets
Retrouvez la benoîte urbaine
Page(s) : 148-149 Guide des Fleurs des Fôrets
Retrouvez les bardanes
Page(s) : 208-209 Guide des plantes des villes et villages