Bombus

Au sein des Hyménoptères, les bourdons forment un seul groupe sous un seul genre Bombus avec environ 250 espèces répertoriées dans le monde dont 29 dans le Nord de la France. Ils se classent dans le groupe des Aculéates qui réunit abeilles, guêpes et fourmis. Dans la famille des « abeilles » au sens large (Apidés), les bourdons constituent un sous-groupe (Bombini) aux côtés des abeilles (Apini), des euglossines et des mélipones (deux groupes tropicaux).

Nous allons ici découvrir qui ils sont, physiquement, afin de se familiariser avec le vocabulaire spécifique qui leur est attaché pour aborder, dans d’autres chroniques, leur mode de vie et leur écologie.

Buzzz

Commençons par le mot bourdon lui-même. Il apparaît au début du 13ème siècle sous la forme bordon puis au 14ème, bourdon. Son origine est probablement onomatopéique et il dérive du grec bombos.

Les anglo-saxons les nomment bumble bee (prononcer bummle) sachant que bee désigne collectivement abeilles au sens large et bourdons. Bumble signifie bourdonner (to buzz) ou bouger de manière incontrôlée, allusion à la grande agitation des bourdons en train de butiner.

A noter qu’à la campagne, les bourdons étaient aussi autrefois appelés « dumbledor » à partir de dumble, autre mot évoquant le bourdonnement et dor pour scarabée ; ce nom s’appliquait aussi à d’autres gros insectes bruyants en vol comme les géotrupes ou bousiers ou les hannetons. Ce nom qui sonne bien a été repris comme nom du directeur de l’école de sorcellerie de Poullard dans la saga Harry Poter : J. K. Rowling, l’autrice, aurait choisi ce nom à consonance « bourdonnante » pour traduire le goût de ce personnage pour la musique. Ceci nous rappelle que bourdon désigne aussi soit une grosse cloche ou soit un jeu de cordes vibrant sur la même note.

Signatures

Comme tous les Hyménoptères, les bourdons ont deux paires d’ailes transparentes bien développées avec de fortes nervures : la paire postérieure (ailes « arrière ») est plus petite que la paire antérieure (ailes « avant »).

De loin, outre le bruit bourdonnant typique émis en vol, on les distingue à leur corps entièrement et fortement velu (tête, thorax et abdomen et pattes), aux formes arrondies et leur taille relativement grande. Notons, pour autant, qu’ils ne sont pas les plus « gros » hyménoptères sous nos climats avec par exemple les xylocopes ou abeilles charpentières, nettement plus grosses et certaines scolies.

En dépit de leur grande diversité de coloris selon les espèces et types d’individus, les bourdons présentent une combinaison de traits colorés typiques : une coloration de fond souvent sombre avec des bandes colorées jaunes, blanches ou grises réparties sur le cou, le thorax et le haut de l’abdomen et une partie terminale (« queue ») allant de blanc pur à rouge orangé vif. Quelques espèces présentent un velours brun clair sur le thorax et n’ont pas de queue colorée.

La plupart des espèces ont les tibias (« jambes ») de la troisième paire de pattes (pattes postérieures) aplatis et élargis et servant de corbeilles à pollen (corbicules), comme celles bien connues des ouvrières des abeilles domestiques.

Anatomie externe

Entrons un peu plus dans les détails anatomiques en nous rapprochant. La tête porte deux yeux assez développés, sensibles aux couleurs, aux formes et aux mouvements. Ce dernier point a son importance pour les naturalistes photographes car, souvent, les bourdons se montrent très fuyants à l’approche ! Les deux antennes fines comptent douze à treize segments et sont coudées à la base comme chez abeilles et guêpes ; elles leur servent à toucher et sentir. 

Les pièces buccales comportent une paire de mandibules puissantes, capables de malaxer la cire ou les matériaux qui servent à la fabrication du nid ou de déchirer les corolles pour accéder plus vite au nectar. Entre les deux mandibules, il y a une langue allongée, velue, qualifiée de trompe et qui sert à récupérer et laper le nectar. Sa longueur relative varie selon les espèces et leur fleurs préférées : on distingue classiquement les bourdons à longues trompes qui exploitent des fleurs à corolle profonde et les bourdons à langue courte (relativement). La trompe est articulée et se replie contre la tête et le thorax quand elle ne sert pas. Quand un bourdon arrive en vol et s’apprête à butiner une fleur, on voit alors très bien la trompe déployée prête à plonger dans la corolle.

Au repos ou quand le bourdon est posé, ses ailes se replient sur le dos ; en vol, elles se déploient mais restent solidaires via une rangée de fins crochets sur le bord inférieur de l’aile avant : c’est le critère clé des hyménoptères « les ailes-mariées ». Au niveau des pattes, la première paire (antérieure) porte une épine et une gouttière qui servent à toiletter les antennes. Chez les femelles des espèces sociales (ce qui exclut les espèces dites « parasites » ou bourdons-coucous), la paire postérieure possède un tibia large et aplati frangé de longs poils, la corbeille à pollen. Les butineuses grattent les grains de pollen qui ont adhéré sur leur « fourrure » et les tassent en boulette dans cette structure pour la transporter vers le nid collectif.

L’abdomen compte six segments visibles chez les femelles et sept chez les mâles. Un étranglement (taille de guêpe : chronique), très resserré, le sépare du thorax. Il renferme un dard chez les reines et ouvrières (ovipositeur transformé).

Tout le corps est protégé par la cuticule durcie sombre (exosquelette de chitine) et couvert de touffes de poils diversement colorés.

Anatomie interne

Le thorax qui referme les puissants muscles du vol (élévateurs et abaisseurs des ailes) est bombé et puissant et contribue à renforcer la stature imposante des bourdons. On y trouve aussi les muscles qui actionnent la base des pattes.

L’abdomen renferme des glandes cirières : la cire sort à la surface des segments. La musculature interne permet à l’abdomen de se contracter et de s’étirer : les reines, avant d’hiberner, voient ainsi leur abdomen s’allonger : il devient un organe de stockage via des corps gras.

L’appareil digestif comporte un « estomac », une poche extensible capable de stocker jusqu’à 90% du poids du corps en nectar pour le ramener au nid et le régurgiter pour nourrir le couvain (ou en absorber une partie pour sa propre nutrition).

Comme chez les abeilles, l’appareil génital des reines comporte une poche ou spermathèque où sont stockés les spermatozoïdes issus de l’accouplement avec un mâle.

Ne pas confondre …

Malgré ces traits typiques, on peut confondre les bourdons avec d’autres « abeilles ».

Ainsi, les abeilles solitaires anthophores (Anthophora) leur ressemblent fortement et visitent la même gamme de fleurs tant pour le nectar que le pollen. L’anthophore à pattes plumeuses (A. plumipes) est une espèce commune dans les jardins. Les femelles sont noires avec, elles aussi, la surface externe des tibias arrière (3ème paire) et le premier segment du tarse arrière aplatis et couverts de longs poils jaunes. Ils servent à la collecte du pollen et ressemblent de manière superficielle aux corbeilles à pollen des bourdons. De leur côté, les mâles de cette abeille, brun orangé avec l’abdomen velu plus sombre, font penser aux ouvrières du bourdon des champs (B. pascuorum) ; par contre, ils s’en distinguent aisément à la présence de longs poils sur leurs pattes moyennes (2ème paire), absents chez les bourdons.

Toujours parmi les abeilles solitaires, les osmies, abeilles velues et trapues se rapprochent beaucoup en apparence des bourdons tout particulièrement l’osmie cornue, toute noire avec le bout de l’abdomen rouge orangé. C’est une espèce qui sort tôt au printemps. Quand elle récolte le pollen, elle le collecte sous son abdomen et non pas sur les pattes arrière come les bourdons. Elle porte deux petites cornes de chaque côté extérieur des antennes

La nomenclature populaire engendre une autre forme de confusion à propos des mâles des abeilles domestiques appelés en langage populaire … faux bourdons (sans trait d’union ; faux-bourdon désigne de son côté une forme de chant !). Bruns et velus sur le thorax mais très peu sur l’abdomen, ils sont bien moins gros et moins trapus que les vrais bourdons ; on notera aussi leurs yeux très grands qui occupent l’essentiel de la tête ; et ils n’ont pas de dard contrairement aux ouvrières de la ruche.

Mouches faux bourdons

On trouve aussi des « imitations de bourdons » au sein des Diptères (mouches, moucherons, moustiques et alliés). A priori, aucune confusion n’est possible vu que ces derniers n’ont qu’une paire d’ailes versus deux chez les Hyménoptères ; mais quand les uns ou les autres sont posés avec les ailes repliées, ce caractère devient inopérant à observer !

Dans la famille des Syrphes, de nombreuses espèces ont évolué dans le sens d’un mimétisme physique avec divers hyménoptères à aiguillon venimeux comme guêpes, abeilles ou bourdons. Certaines espèces sont ainsi des imitations très poussées de bourdons : corps très velu, coloration du même type et même parfois pattes postérieures élargies ! Deux espèces communes peuvent s’observer facilement.

La volucelle bourdon (Volucella bombylans) se présente sous plusieurs formes colorées, chacune imitant une espèce de bourdon particulière différente. La forme typique, noire avec l’extrémité de l’abdomen rouge orangé imite le bourdon des pierres (B.lapidarius) ; une autre ressemble au bourdon des jardins (B. hortorum) et une autre encore imite le bourdon des champs (B. pascuorum) ! Non contente de leur ressembler, cette volucelle pond ses œufs dans leurs nids (ou aussi dans ceux de guêpes) ; les asticots se nourrissent de débris de la colonie et peut-être aussi de quelques larves de bourdons.

La mouche des narcisses (Merodon equestris), très velue, a, elle aussi, plusieurs formes colorées qui imitent au moins quatre espèces de bourdons ; par contre, elle n’a aucun lien avec eux pour se reproduire puisque les larves se développent dans les bulbes de narcisses.

On trouve aussi des espèces imitant des bourdons dans la famille des Bombyliidés comme le bombyle majeur qui ressemble à une ouvrière de bourdon des champs. Le bombyle a, comme ce bourdon, une longue trompe pour visiter les fleurs mais elle n’est par contre pas rétractable.

Même quand la ressemblance est très poussée, on peut distinguer ces mouches des bourdons via leur comportement (dont la capacité à faire du vol sur place) et leurs antennes et pièces buccales très différentes.

Dans la plupart des cas, cette ressemblance physique (forme, pilosité, coloration) a été sélectionnée car elle procure aux espèces mimes une certaine forme de protection vis-à-vis de prédateurs qui craignent les abeilles, bourdons et guêpes, sans être elles-mêmes dotées d’armes de défense.

Nous consacrerons d’autres chroniques au cycle de vie des bourdons (acte 1 et acte 2), à leur importance comme agents pollinisateurs, à leur très fort déclin lié à l’intensification agricole et aux moyens d’assurer leur conservation.

Bibliographie

Bumblebees. Ted Benton. The New Naturalist Library. 2006