01/12/2023 Chez les oiseaux, les nids servent en premier de lieu pour pondre les œufs et/ou élever les poussins s’ils restent au nid (oiseaux nidicoles). Le nid créé un microclimat tant pour les parents couveurs que pour les poussins ; plus il sera optimal et moins les parents devront dépenser d’énergie pour chauffer les œufs pendant l’incubation ou assurer la thermorégulation des poussins dénudés au début de leur développement. Les oiseaux doivent donc optimiser la construction de leur nid de manière à ce qu’il génère le microclimat le plus favorable à cet égard …. sans faire non plus des dépenses énergétiques excessives pour le bâtir. Deux pressions de sélection opposées comme bien souvent, qui supposent des compromis évolutifs. Pour atteindre cet objectif optimal, les oiseaux doivent être capables de s’adapter aux conditions locales en faisant les bons choix dans l’emplacement du nid, les matériaux utilisés pour le construire, son architecture, … Pour se convaincre de cet ajustement permanent nids/environnement, il suffit d’observer les variations d’architecture des nids en fonction de l’altitude, de la latitude et des périodes de l’année où le nid est bâti.

Choix du site

Le choix d’un site de nid s’opère sur la base d’au moins cinq critères majeurs : disposer de nourriture dans l’environnement immédiat pour alimenter parents et nichée ; limiter les risques de prédation (épisode 1) ; trouver des matériaux pour le construire dans l’environnement proche (voir l’exemple de la grive musicienne) ; bénéficier d’un microclimat ambiant favorable à l’élevage d’une nichée. Ce dernier critère rejoint directement le contenu de cette chronique.

Tant pour l’incubation que pour l’élevage des jeunes nidicoles (entièrement nus au début et incomplètement développés), les températures requises sont presque toujours nettement supérieures aux températures ambiantes, notamment en climat tempéré. De ce fait, le choix du site s’avère crucial.

Sur les sites côtiers battus par les vents, les goélands bruns nichent à même le sol dans des sites très ouverts. Les couples qui s’installent près de haute végétation herbacée et qui se trouvent mieux abrités des vents froids élèvent des poussins (semi-nidifuges) qui grandissent plus vite que ceux élevés dans des nids plus exposés. De même, les femelles eiders à duvet qui installent leurs nids dans des sites bien abrités bénéficient de températures plus tamponnées et ont des pontes plus importantes que celles aux nids très exposés. Sur des nids exposés, si on ajoute un abri contre le vent, les femelles perdent moins de poids au cours de l’incubation.

Dans les déserts chauds, inversement, les oiseaux sélectionnent des sites plus frais pour nicher. Ainsi, les ammomanes du désert, alouettes sahariennes, tendent à nicher près d’une grosse pierre ou d’un buisson et du côté nord qui procure de l’ombrage en plein midi.

Si les oiseaux sélectionnent donc des sites au microclimat optimal, à structure souvent particulière, ils se trouvent confrontés au problème que ceux-ci peuvent incidemment être plus repérables par les prédateurs : d’où des compromis ! C’est le cas pour le sirli du désert, grande alouette des déserts sahariens et hôte des vastes étendues sablo-graveleuses. En début de saison de reproduction, les nids sont installés dans des zones de graviers loin de toute végétation tant que les températures ne sont pas encore excessives : là, elles sont plus à l’abri des prédateurs, l’alouette comptant sur son mimétisme ; puis, la saison avançant, avec les températures en hausse, elles choisissent des sites près de buissons, un peu ombragés mais plus à risque.

Même les oiseaux cavernicoles ajustent leurs choix de cavités. Dans le sud-est chaud et aride des USA, le pic des saguaros creuse des cavités dans les cactus géants (saguaros) où il niche et se réfugie pour passer la nuit. En période de reproduction, il creuse des cavités tournées vers le nord ce qui réduit les pertes en eau durant les mois d’été chauds ; par contre, en hiver, pour dormir, il sélectionne des cavités tournées vers le sud pour économiser de l’énergie durant les mois froids.

Pic des saguaros devant sa loge creusée dans un saguaro géant (Cliché Iwolf artist ; C.C. 2.0)

Une étude a comparé la position des sites de nid sur des espèces qui nichent au sol et à grande aire de répartition dont les pipits rousseline et des arbres et l’alouette lulu : on constate que, pour chaque espèce, les populations des basses latitudes (sud) tendent à sélectionner des sites tournés vers le Nord, celles des latitudes moyennes vers l’Est et vers le Sud pour les hautes latitudes. Le choix de l’Est pour les latitudes moyennes est un compromis pour bénéficier à la fois de la chaleur tôt le matin et de l’ombre l’après-midi.

Choix des matériaux

La construction d’un nid repose sur deux grands types de matériaux : ceux qui forment la structure et ceux du revêtement intérieur. Les premiers donnent la forme au nid et servent de support alors que les seconds créent un microclimat interne. Néanmoins, la structure participe aussi à la thermorégulation en bloquant par exemple les courants d’air.

Colonie de républicains installée sur un acacia dans le désert de Namibie (clichés Roland Guillot)

Le républicain social, un passereau d’Afrique du Sud qui ressemble à notre moineau, est un cas d’école quant au rôle de ces matériaux de structure. Cet oiseau niche en colonies de centaines d’individus qui élaborent un gigantesque nid collectif pouvant atteindre 7m de long sur 4m de haut et peser une tonne, fait d’herbes sèches et formant un toit qui recouvre de nombreuses chambres, les nids individuels. Ce nid énorme atténue l’impact des basses températures et réduit ainsi les dépenses énergétiques des colocataires. Mais les bénéfices des nids individuels dépendent de la structure globale du nid collectif et notamment du toit ; la position du nid individuel au sein de l’édifice importe aussi : les couples de bonne qualité tendent à occuper prioritairement les nids les mieux isolés. La sociabilité a ses limites !

Beaucoup d’oiseaux récoltent des plumes pour tapisser l’intérieur. Sur les divers matériaux testés en laboratoire, elles ont le meilleur pouvoir isolant, les herbes sèches venant en dernière position. Le rôle thermorégulateur de ce revêtement de plumes a été très étudié chez l’hirondelle bicolore, nicheur répandu aux USA et au Canada. Elle installe son nid dans des cavités d’arbres et adopte volontiers les nichoirs ce qui facilite son étude.

Si expérimentalement on ajoute des plumes dans un nid occupé, les jeunes grandissent plus et plus vite, du fait du bénéfice thermique apporté. Les nids avec le plus de plumes et avec la cuvette interne la plus profonde se refroidissent moins vite. Les plumes bénéficient aux jeunes en les maintenant au chaud et de manière indirecte en favorisant leur développement ; par ailleurs, cet ajout ne change rien à l’exposition des jeunes à des parasites de nid (épisode 4).

Expérimentalement, si on refroidit le nid, la femelle qui couve les œufs diminue son activité ce qui allonge le temps d’incubation et donne des jeunes moins gros et au système immunitaire affaibli. Inversement, des nids chauffés donnent des jeunes plus gros car les femelles les ravitaillent plus, ayant moins dépensé à les réchauffer.

Printemps/été

Mais les oiseaux doivent s’adapter, sur une saison de reproduction, aux conditions éventuellement changeantes entre début et fin de saison : particulièrement sous nos climats tempérés, où la météorologie du printemps diffère nettement de celle du début de l’été.

Cet aspect a été très étudié chez la mésange bleue. On a observé que temps passé à bâtir le nid (dans des cavités) diminuait avec l’avancée dans la saison de reproduction. On a invoqué la nécessité de bâtir très vite les nids plus tardifs du fait de l’urgence à rester synchrone avec la disponibilité de la ressource majeure de nourriture des jeunes : les chenilles mangeuses de feuilles d’arbres de la phalène brumeuse. Mais la composition du nid évolue en cours de saison : si la masse de la base du nid (la structure) ne change pas, celle du revêtement intérieur diminue. Les quantités de matériaux animaux et végétaux incorporés diminuent avec l’accroissement moyen des températures au cours du printemps. Les mésanges se montrent donc capables d’apprécier l’évolution des températures et d’adapter le revêtement interne. 

Un autre exemple intéressant est celui de la mésange à longue queue. En dépit de son nom, celle-ci n’est pas du tout apparentée aux mésanges bleue ou charbonnière (famille des Paridés). D’ailleurs, elle n’est pas du tout cavernicole mais construit, dans des arbres ou arbustes, de remarquables nids en forme de bourses faits de mousses, de toiles d’araignées et de poils, recouverts de milliers de fragments de lichens qui le rendent mimétique. L’intérieur est tapissé de petites plumes : en moyenne 1500 par nid (record de 2680 dans un seul nid !).

La masse de plumes ajoutées dans le nid diminue en cours de saison mais sans que cela n’abaisse le pouvoir isolant du nid vu que les températures externes augmentent. Si on ajoute des plumes en début de construction, alors les parents en collectent moins : cela signifie bien que ces oiseaux ajustent volontairement les quantités de plumes récoltées. Si on sème dans leur environnement de telles plumes, elles n’en récoltent pas plus pour autant ce qui montre que la disponibilité en plumes n’est pas un facteur limitant. Les mésanges bleues procèdent de même.

Variations selon la latitude

Dans une étude européenne, on a comparé l’usage des plumes comme revêtement interne chez différentes espèces : celles qui nichent plus tôt (et donc à des températures ambiantes plus basses) ajoutent plus de plumes que celles qui nichent plus tard. De même, dans la partie la plus nordique de son aire de répartition, la bergeronnette citrine intègre des plumes dans son nid alors qu’elle ne le fait pas dans la moitié sud.

De même on a comparé au Canada des espèces réparties sur l’ensemble du pays : le merle migrateur par exemple construit des nids plus lourds avec des parois plus épaisses dans la partie nord du pays. Les merles noirs de Grande-Bretagne, sous un climat plus frais, bâtissent des nids aux parois plus épaisses (et donc mieux isolés) que ceux des merles vivant en Europe occidentale au climat plus doux.

Chez les mésanges bleues et charbonnières, cavernicoles déjà évoquées plusieurs fois, la masse du revêtement interne et ses capacités isolantes diminuent avec les températures croissantes du printemps quand on va du nord au sud de la Grande-Bretagne. Mais la masse de la structure de base (dans la cavité) ne change pas. Il y a donc bien un choix délibéré des mésanges à abaisser la part de la partie la plus isolante quand les températures sont moins froides.

Toutes ces études confirment donc la capacité permanente d’ajustement des oiseaux nidicoles pour créer un microclimat interne favorable dans le nid, que ce soit des nids ouverts ou dans des cavités. Or, on sait que ce microclimat a des répercussions majeures sur la condition physique des parents (économie d’énergie allouée à l’incubation) et surtout des jeunes poussins très fragiles. Dans ce contexte, le revêtement interne à base de matériaux spécifiques semble être la meilleure variable d’ajustement ; sans oublier que certains des éléments ainsi ajoutés peuvent par ailleurs servir de signaux sexuels (épisode 3).

Rendez-vous pour la quatrième et dernière chronique de la série consacrée au problème des parasites des nids.

Retrouvez toutes les chroniques sur les nids d’oiseaux (dont ces quatre épisodes) ici

Bibliographie

1)Bird nests and construction behaviour. Review. M. Hansell. Ed. Cambridge U.P. 2000

2) The design and function of birds’ nests Mark C. Mainwaring et al. Ecology and Evolution 2014; 20(4): 3909– 3928

 3)Nest predation research: recent findings and future perspectives. Review J. D. Ibanez-Alamo et al. J Ornithol (2015) 156 (Suppl 1):S247–S262