Pendant longtemps, y compris au sein de la communauté scientifique, on a eu tendance à réduire les nids des oiseaux à une fonction basique, minimaliste : servir de réceptacle pour pondre les œufs et élever les jeunes. Les études portant sur les fonctions des nids sont restées longtemps très partielles et rares comme le soulignait M. Hansell, auteur d’un ouvrage de synthèse paru en 2000 sur les nids d’oiseaux et les comportements associés à leur construction (1).

Depuis deux décennies, de nombreuses études ont exploré l’architecture et les fonctions des nids d’oiseaux avec la prise de conscience qu’il s’agit en fait de structures sophistiquées, exigeant des capacités cognitives très élaborées pour leur construction. Ainsi, la bibliographie sur l’architecture et les fonctions des nids s’est considérablement enrichie depuis la parution de l’ouvrage de référence cité ci-dessus. Une synthèse publiée en 2014 (2) fait le point sur toutes les nouvelles connaissances à ce propos et dégage quatre grandes fonctions pour les nids des oiseaux : éviter la prédation ; servir de signal sexuel ; composer avec les parasites ; s’adapter à l’environnement. Nous allons traiter ces quatre fonctions en quatre chroniques vu la richesse du sujet.

Cette première chronique va donc explorer les traits des nids et de leur construction qui minimisent les risques de prédation.

Sélection naturelle

La période de ponte et d’élevage des jeunes représente une étape critique pour la survie des oiseaux nicheurs car ils se retrouvent liés à l’emplacement du nid tout en s’exposant beaucoup. Ils sont alors très exposés aux risques de prédation pour eux-mêmes et pour leur descendance. Pas étonnant donc que la prédation exerce une pression sélective considérable : la sélection naturelle favorise les individus capables de développer des modes de défense anti-prédateurs efficaces y compris dans la conception et la construction du nid.

La pression de sélection naturelle s’exerce non seulement sur la structure du nid mais aussi sur le comportement des oiseaux eux-mêmes pendant la période de construction lors de la collecte et du choix des matériaux puis des allées et venues pour les transporter.

Le suivi non-stop de nids avec les technologies nouvelles a permis de mieux évaluer cette pression et d’identifier les prédateurs et leurs techniques de chasse par rapport aux nids.

Choix du site de nid

L’emplacement du nid est déterminant par rapport aux risques encourus. Un exemple illustre bien cette importance : le bruant lapon de McCown, une espèce nichant au sol dans les montagnes du centre des USA. Les nids ont beaucoup plus de risques d’être détruits s’ils se trouvent près d’un buisson que ceux en situation très ouverte et exposée ; ce risque accru viendrait des spermophiles (écureuils terrestres prédateurs de nids) qui préfèrent être à couvert quand ils chassent. Pas étonnant donc que le choix du site de nid s’effectue souvent en fonction de ce risque de prédation comme le montrent les études de terrain ci-dessous.

Les pouillots bruns (Asie orientale) choisissent des sites plus sûrs qui sont plus éloignés du sol et dans des buissons plus isolés quand les tamias de Sibérie, petits écureuils terrestres prédateurs, sont abondants ; et ce, en dépit du fait que de tels emplacements soient bien plus exposés aux vents froids dominants dans ces régions.

En Amérique du nord, les grives fauves qui nichent au sol choisissent des sites de nid avec de bas niveaux d’activité prédatrices d’un autre rongeur local, la souris à pattes blanches. Une autre espèce, la grive des bois, vivant dans les mêmes milieux mais qui niche dans des buissons, se montre nettement plus indépendante de la présence de souris (terrestres) dans son environnement.

Des études expérimentales confirment ces données de terrain. Près de nids de troglodyte à nuque rousse (Mexique), on a installé des nids de guêpes locales connues pour leur agressivité et souvent associées avec certaines espèces de fourmis ou d’oiseaux (cassiques) qui bénéficient de leur protection. Les nids de troglodytes doublés de nid de guêpes connaissent des taux de prédation moindres de la part de singes capucins à face blanche que les nids témoins sans intervention ; or, on sait que ces singes évitent soigneusement les guêpes.

Mésangeai imitateur, un petit corvidé (Cliché Htm ; C.C. 4.0.)

Dans la taïga suédoise vit un petit corvidé, le mésangeai imitateur dont les prédateurs principaux des nids sont d’autres corvidés locaux plus grands : le geai des chênes, le grand corbeau et la corneille noire. L’expérience a consisté à diffuser régulièrement sur les territoires de mésangeai en période de nidification des cris de ces prédateurs. Face à ce risque accru de prédation de nid simulé, les mésangeais choisissent des sites de nid avec plus de couvert protecteur et réduisent la taille de leurs pontes et nichées !

En Amérique du nord, une expérience du même type a été réalisée sur des territoires de paruline verdâtre, un passereau ressemblant à nos fauvettes : ces oiseaux réagissent en nichant très près du sol au lieu de nicher comme classiquement dans les arbres ou buissons.

Donc, on voit que l’abondance locale de prédateurs potentiels pour les nids induit des changements au niveau de la sélection des sites de nid : les oiseaux adoptent alors des sites plus sûrs. La pression de sélection par rapport aux risques de prédation est telle que les oiseaux peuvent même alors adopter des sites moins favorables par ailleurs (par exemple en termes d’abri aux intempéries) pourvu qu’ils assurent plus de sécurité, voire abaisser leur potentiel reproducteur !

Le nid des autres comme protection

Certains oiseaux vulnérables choisissent de s’installer au plus près des nids d’espèces agressives ou même de prédateurs potentiels agressifs. On parle d’association protectrice dans laquelle l’espèce protectrice hausse le niveau des défenses anti prédateurs généralistes pour l’espèce protégée.

Dans le nord de l’Espagne, des couples solitaires de craves à bec rouge (corvidé de taille moyenne) peuvent s’installer au cœur de colonies de faucons crécerellettes (petit faucon proche du crécerelle) sur des édifices. Au moins 27 prédateurs potentiels peuvent s’attaquer et aux craves et aux crécerellettes dont le grand-duc. Les crécerellettes réagissent collectivement très vivement à ce dernier et le houspillent jusqu’à l’éloigner. Les craves choisissent visiblement les bâtiments avec des colonies de faucons et leur succès reproducteur est alors nettement supérieur à celui de couples isolés du fait d’une baisse des échecs de nids. Comme le faucon crécerellette ne prédate jamais les craves (pas même les poussins au nid), il s’agit donc bien là d’une association protectrice bénéfique pour le crave, soit donc une forme de commensalisme.

Par contre, une étude italienne a montré un effet négatif inattendu pour des colonies de crécerellettes associées à des colonies de choucas des tours (chronique), un petit corvidé, sur des grands bâtiments. L’association conduit chez les deux espèces à une baisse de vigilance vis-à-vis des prédateurs potentiels qu’ils partagent : donc moins de dépenses énergétiques a priori. Mais si les crécerellettes diminuent effectivement leurs efforts de défenses anti-prédateurs, les choucas, eux, accroissent l’émission de cris d’alarme. Si bien qu’au final, seuls les faucons bénéficient de moindres dépenses énergétiques. Onc une association protectrice réciproque aux bénéfices dissymétriques.

Bernache à cou roux (Gravure Lord Lilford ; C.C. 4.0.)

L’association protectrice devient plus délicate quand elle se fait avec un protecteur qui peut être un prédateur potentiel. En Sibérie arctique, on observe une association protectrice entre les colonies nicheuses de bernache à cou roux (des petites oies qui nichent au sol) et une aire de faucon pèlerin, un super prédateur de d’oiseaux. Le risque de prédation ou de harcèlement par le faucon pèlerin augmente avec l’éloignement par rapport à son aire ; mais, si les bernaches s’installent très près, elles vont aussi souffrir d’attaques : la distance optimale d’installation des bernaches se situe entre 40 à 50m de l’aire du faucon. Ceci s’explique par un comportement général des rapaces et faucons qui ne chassent pas dans les environs immédiats du nid mais qu’à partir d’une certaine distance.

La protection fournie par un prédateur dépend aussi de la disponibilité en proies pour lui-même. Ceci a été étudié chez la chouette de l’Oural, grande espèce prédatrice des taïgas scandinaves : divers oiseaux nichant au sol s’installent non loin des nids de ces chouettes pour bénéficier de leur protection. Mais ceci ne fonctionne bien que les années où les chouettes disposent de beaucoup de proies du type rongeurs et qu’elles ne cherchent pas alors d’autres proies. D’autre part, des mammifères de taille moyenne, prédatés aussi par la chouette, comme des petits mustélidés, viennent de même se réfugier près des nids des chouettes : ils en profitent pour prédater les oiseaux installés au sol !

Espacement des nids

La pression de prédation doit logiquement s’accroitre quand la densité des nids augmente. Une étude remarquable sur la grive litorne en Norvège confirme cette hypothèse. Cette grive (qui niche aussi en France) se reproduit soit en couples isolés, soit en petites colonies. L’espacement des nids varie selon les années et notamment selon la densité annuelle de petits rongeurs qui connaissent des fluctuations cycliques très marquées. Les années de forte abondance de rongeurs, les litornes nichent en colonies nombreuses ; par contre, les années où les populations de rongeurs s’effondrent, elles nichent en couples isolés espacés.

Comment expliquer cette relation avec les densités de rongeurs qui, ici, ne prédatent pas les litornes ? Les rongeurs de leur côté subissent une forte prédation de la part de petits mustélidés dont les hermines. Mais lors des années sans rongeurs, ceux-ci se rabattent alors sur les nids des litornes, faciles d’accès pour eux. Or, quand elles sont en colonies, les litornes pratiquent une défense collective avec une arme surprenante : elles projettent leurs excréments sur les assaillants ! Ceci fonctionne très bien avec des rapaces qui fuient mais n’a aucun effet sur les mustélidés. Donc, en période sans rongeurs, vivre en colonies devient contre-productif et même calamiteux pour le succès reproducteur de ces oiseaux. Tout ceci signifie que les litornes semblent capables dès leur installation d’apprécier la densité des rongeurs comme indicateur de risque de prédation et d’anticiper les problèmes en modifiant leur comportement social.

Hauteur des nids

La hauteur du nid par rapport au sol influe évidemment sur les risques de prédation notamment dans les milieux boisés et sur leurs bordures.

Pour tester de telles relations, on utilise souvent la technique des nids artificiels installés en des endroits choisis et dans lesquels on place des œufs « appâts » (œufs de caille d’élevage par exemple) et/ou des œufs factices ; on suit le devenir de ces nids que l’on peut même installer sous la surveillance de pièges photo afin de connaître l’identité des visiteurs éventuels. Une telle étude expérimentale aux U.S.A. a montré qu’en forêt les nids placés en hauteur étaient prédatés plus souvent que ceux au sol ; ces derniers sont à risque surtout par rapport à des mammifères tandis que ceux en hauteur le sont tant par des oiseaux prédateurs, représentés par de nombreuses espèces, que par des mammifères capables aussi de grimper.

Sur les îles Hawaï, une espèce endémique, le monarque d’Ohau (passereau) subit une forte prédation sur les nids de la part de rats noirs introduits récemment. Entre 1996 et 2011, les scientifiques ont observé que la hauteur des nids avait augmenté de 50% avec une baisse corrélative des taux de prédation de ces nids. A l’inverse, en Europe, les nids des mésanges à longue queue, sortes de bourses faites de mousses et de lichens et accrochées dans les arbres, sont plus prédatés par les pies et les geais quand ils sont plus hauts. Donc, les oiseaux varient la hauteur d’emplacement de leurs nids en réponse au contexte local de prédation : si les prédateurs dominants sont des mammifères, les nids au sol seront défavorisés versus en hauteur pour des prédateurs aviens.

Nid de mésange à longue queue (Gravure TA Landsborough ; D. P.)

Les oiseaux sont aussi capables d’apprendre d’expériences malheureuses comme l’a montré une étude suédoise portant sur le garrot à œil d’or. Ce canard nordique niche dans des cavités d’arbres en hauteur (voir le canard mandarin) et adopte volontiers des nichoirs. Or, ces nids subissent une forte prédation de la part de la martre des pins, un mustélidé arboricole. Sur la population suivie, les chercheurs ont montré que les femelles ayant vécu une année un épisode de prédation de leur nichée avaient deux fois plus de chances de s’installer dans un nouveau nichoir éloigné (dans un rayon moyen de 750m) alors que les femelles non prédatées tendent à revenir dans le même nichoir. Le suivi a révélé qu’un nichoir qui avait été prédaté une année avait beaucoup plus de chances d’être re-prédaté l’année suivante de même que les nichoirs proches.

Les poussins du garrot se jettent dans le vide pour quitter le nid en hauteur et rejoignent le bord de l’eau (nidifuges) (Cliché B. Nyman ; C.C. 2.0.)

Camouflage

Une fois pondus, les œufs apportent une tache colorée au fond du nid qui risque d’attirer encore plus l’attention de prédateurs. D’où l’importance du choix des matériaux au fond du nid par rapport à la couleur des œufs.

La caille japonaise originaire d’Asie orientale est connue comme l’ancêtre des cailles d’élevage dont on consomme les œufs. Les motifs colorés et la couleur de fond des œufs varient d’une femelle à l’autre mais pas pour une femelle donnée : la variation porte surtout sur le degré de maculation (taches foncées) des coquilles. Ces oiseaux nichent au sol en grattant une coupe dans laquelle ils déposent leurs œufs. Dans une étude expérimentale en volière, on leur propose quatre types de substrats de couleurs différentes pour installer leurs nids. Systématiquement, les cailles adoptent le substrat qui se rapproche le plus de la coloration de leurs œufs mais de manière différente selon le degré de maculation des œufs. Les femelles aux œufs très tachés de noir choisissent le substrat qui se rapproche le plus de l’aspect maculé des œufs. Par contre, celles aux œufs peu tachés sélectionnent des substrats proches de la couleur de fond des œufs : soit deux formes de camouflage différentes ! Tout suggère que les cailles « connaissent » la coloration de leurs œufs et cherchent le site qui collera le mieux avec leur cas individuel !

Une autre solution pour éviter la visibilité des œufs consiste à les recouvrir de matériaux chaque fois que l’adulte qui couve quitte le nid pendant la période d’incubation. C’est ce que font les canes colvert quand elles quittent leur nid en rabattant sur les œufs une partie du duvet qui tapisse le nid. Des nids aux pontes expérimentalement laissées découvertes sont plus victimes de prédation que des pontes couvertes. De plus, ce comportement assure une isolation des œufs pendant l’absence du couveur. On retrouve ce comportement chez les grèbes qui bâtissent des nids flottants faits de matériaux végétaux pourris. Dès qu’un parent quitte le nid, même en urgence, avant de partir, il rabat des matériaux sur les œufs qui, là aussi, subissent ainsi moins de prédation. Par contre, dans leur cas, on observe que les œufs se refroidissent quand même vu la nature humide des matériaux.

Jouer sur la taille

Le risque de prédation influence aussi la conception des nids construits au-dessus du sol, et notamment la taille du nid.

En Bulgarie, une étude a exploré le devenir des nids d’une fauvette, l’hypolaïs pâle, en fonction de leur conception : elle bâtit ses nids dans des buissons ou des arbres, à une hauteur entre 0,45m et 7,5m. Les nids non prédatés étaient significativement plus petits et plus denses (donc plus résistants) que ceux prédatés. La taille des nids était d’autant moindre qu’ils avaient été construits tardivement dans la saison mais augmentait d’autant que le nid était en hauteur. Et pourtant, la taille des nichées élevées est moindre dans les petits nids !

Mais en pratique, il est très difficile de faire la part de l’impact de la taille des nids et celle de divers autres facteurs agissant en même temps (choix du site, taille des nichées, …). Sous les tropiques, la prédation des nids est particulièrement élevée. On a expérimentalement testé deux facteurs : la taille et l’emplacement des nids. La prédation augmente avec la taille des nids mais pas avec leur emplacement : la taille serait donc bien un facteur déterminant.

Diverses études ont porté sur le merle noir, passereau très commun en Europe. Expérimentalement, on a agrandi des nids de merle noir en activité : ces nids étaient alors plus prédatés que ceux non modifiés ou que ceux dont on avait au contraire réduit la taille. Une autre étude a analysé l’influence de quatre facteurs simultanés et démontré que la prédation était plus forte sur les nids plus en hauteur (prédation avienne) et avec des diamètres plus grands que la moyenne. Ailleurs, on a observé que le taux d’échec des nids dépendait de leur détectabilité et dans une moindre mesure de leur hauteur ; par contre, les comportements des parents, la taille des pontes ou les caractéristiques autres du nid n’influent pas. Donc, on voit que rien n’est simple et que plusieurs facteurs peuvent interférer quant aux risques de prédation.

Tous ces exemples (et bien d’autres) nous montrent combien le risque de prédation sur les œufs, les jeunes ou les adultes couveurs influence à la fois le choix du site et la conception du nid. Ceci ne résulte pas forcément que de processus adaptatifs acquis sur le long terme sous la pression de la sélection naturelle mais aussi peut-être de la capacité des oiseaux à s’adapter au cours de leurs vies individuelles (voir l’exemple des garrots). Si cet aspect n’a guère été étudié, c’est que, implicitement, on a trop considéré que la construction du nid était purement instinctive, automatisée. On sait maintenant que le psychisme des oiseaux s’avère bien plus développé qu’on ne le laisse penser.

Rendez-vous pour la seconde chronique consacrée aux nids, objets sexuels.

Retrouvez toutes les chroniques sur les nids d’oiseaux (dont ces quatre épisodes) ici

Bibliographie

1)Bird nests and construction behaviour. Review. M. Hansell. Ed. Cambridge U.P. 2000

2) The design and function of birds’ nests Mark C. Mainwaring et al. Ecology and Evolution 2014; 20(4): 3909– 3928

 3)Nest predation research: recent findings and future perspectives. Review J. D. Ibanez-Alamo et al. J Ornithol (2015) 156 (Suppl 1):S247–S262