29/10/2020 Demain, nous replongeons dans le confinement et le dispositif « 1h/1km », punition pour nous les marcheurs et naturalistes, addicts assumés à la nature. Le premier confinement de mars/avril/mai m’a imposé le fameux syndrome du « c’est quand t’es privé de quelque chose en apparence banal que tu en mesures la valeur incommensurable » et fait prendre conscience de l’importance de la marche dans la nature. La lecture d’écrivains marcheurs tels que S. Tesson, D. Le Breton et P. Dessaint m’a ouvert les yeux sur cette richesse que je pratiquais un peu mais de manière distante et surtout sans en saisir la valeur et la richesse (voir la chronique sur les vertus de la marche). Et là, tout à coup, le besoin de parcourir les espaces autour de chez moi s’est installé de manière durable et ne me quitte plus depuis la fin du premier confinement.  

Donc, à la veille d’une plongée d’un mois minimum dans ce nouveau confinement, j’ai parcouru cet après-midi une petite douzaine de kilomètres dans les Combrailles (voir la chronique sur cette région auvergnate), sur la commune de Saint Hilaire la Croix, à moins de dix kilomètres de chez moi, histoire de savourer à fond ces dernières gorgées de liberté totale. Et au fur et à mesure que j’avançais, en dépit d’une météo maussade et grise, j’ai ressenti une profonde reconnaissance pour cette nature qui défilait sous mes pas et happait tous mes sens. Alors j’ai eu envie de dire merci à tous ces êtres vivants, nos frères les non-humains, et à tous les éléments de cette nature, merci pour l’immense joie que vous nous procurez.

Merci à l’automne qui nous sert sa palette de couleurs dans les feuillages des arbres et arbustes :  le rouge nuancé des cornouillers sanguins, le jaune d’or des érables champêtres, le jaune pâle de ce tremble au pied du barrage de la Sep, le brun roux des fougères aigles.

Même des herbacées comme ces lycopes ou chanvres d’eau à l’Etang des Teignières arborent une teinte improbable pourpre violacé foncé ! 

Merci à ce sanglier qui m’a coupé le chemin à quelques mètres devant moi ; heureusement, la meute de chiens à ses trousses bien loin derrière a perdu sa trace. 

Merci à toutes ces trognes (voir la chronique sur ce thème) croisées au long des chemins et leurs trésors de « micro-habitats » (voir la chronique sur cette notion) pour la biodiversité avec des cavités en tout genre. Promesses d’une faune d’insectes amateurs de bois mort (saproxylique) très riche (voir l’exemple du lucane)

Merci aux houx si généreux cette année et chargés de fruits, tout comme les aubépines, les églantiers, … Un automne exceptionnel  promesse de belles ressources pour merles et grives qui auront de quoi se nourrir tout l’hiver. 

Merci à vieux lierres dans le vallon de Fénerol aux allures tellement humaines 

Merci à cet incroyable vieux hêtre demi-mort au tronc couvert sur plusieurs mètres de hauteur de colonies de mucidules visqueuses vaporeuses : une scène comme je n’en avais jamais vu et éphémère vu la fragilité extrême de ces champignons.

Merci aussi à ces polypores accrochés à un vieux bouleau cassé avec les troncs morts au sol toujours emballés dans leur écorce imputrescible qui forme un manchon rigide. 

Merci aux anciens qui nous ont légué ce lavoir à Fénerol, cette fontaine des Brégnands à Monteipdon, ces vieilles bâtisses avec des pignons à redents (voir la zoom balade de Château Rocher)

Merci au petit étang des Teignières presque à sec et qui m’a permis de parcourir ses vasières avec des dizaines de grosses anodontes (voir la chronique sur ces surprenantes moules d’eau douce) et un tapis de corrigiole, une modeste herbacée aux fleurs minuscules, qui répand une odeur surprenante … d’eau de Javel ! 

Merci à la belle mare du village des Mazières : même avec son niveau très bas, elle fait chaud au cœur tant ce genre de milieu devient rare dans nos campagnes. 

Merci à cette haute pinède moussue au sous-bois parsemée de grosses touffes de bruyère cendrée passées composant un paysage de jardin japonais : elle m’est apparue brusquement au détour d’un virage en remontant le vallon de Monteipdon.  

Pinède de pins sylvestres avec son jardin de bruyères !

Merci à la pluie du matin qui a déposé ces gouttes-perles sur les feuilles mortes et  rempli les flaques d’eau sur lesquelles flottent les feuilles ; une rosette de molène est devenue un tapis de microperles à cause de ses poils ramifiés .

Merci aux nuages qui n’ont cessé de défiler dans ce ciel menaçant mais tellement grandiose

Merci aux lichens en pleine reviviscence avec ce temps humide (voir la chronique sur ces êtres d’exception) et qui apportent leurs parures aux couleurs si étranges : le gris bleuté d’une peltigère, le jaune soufre de la psilolèche sulfureuse qui « peint » les rochers ombragés sur le talus au-dessus du barrage ; les touffes chevelues sur cette croix du hameau des Parots.

Et que dire des formes étranges de ces cladonies réunies sur quelques mètres carrés de talus le long du plan d’eau de la Sep. Même ce toit de fibrociment aux Mazières devient beau avec sa couverture de lichens. 

Merci aux Combrailles qui nous offrent à la faveur dune remontée sur le plateau des vues superbes sur ses collines moutonnantes de prairies, de bois et de bocages.

Merci aux génisses charolaises toujours mi- inquiètes, mi-intriguées devant ce curieux personnage avec un sac à dos et un appareil photo et qui en plus leur tire le portrait ! 

Merci à tous ceux que j’ai entendus sans les voir comme ces krukrukru d’un pic noir en vol dans la vallon de Fénerol ou les cris roulés des alouettes des champs dans un grand labour vers les Mazières. 

Merci donc à tous  car vous m’avez apporté une moisson d’images dont une partie est captée dans la photothèque, une autre consignée sur le carnet de naturaliste et la majeure partie gravée sur mon disque dur cérébral. Je en vous dis pas au revoir car je suis un hyper-privilégié : je conserve la possibilité même pendant le confinement de sortir dans mon jardin et un peu dans la nature qui m’attend dans un rayon de 1km. Et même dans ce petit rayon, je sais que je ne vais pas cesser d’engranger de nouvelles images, de nouveaux sons, de nouvelles odeurs, … 

Evidemment je pense aussi aux humains à tous ceux qui souffrent directement de la maladie ou indirectement d’être confinés et tout autant aux soignants que l’on a bien applaudi au printemps mais largement oubliés depuis en faisant un peu tout et n’importe quoi en dépit des avertissements répétés. 

Tous ces instantanés vont m’accompagner pour longtemps comme les milliers d’autres des balades précédentes qui composent cette délicieuse sensation d’être un vivant parmi d’innombrables autres vivants non-humains.