Helminthotheca echioides

07/11/2023 Dans l’univers foisonnant des composées (Astéracées), le néophyte a bien du mal à s’y retrouver tant les espèces sont nombreuses et souvent fort ressemblantes. La difficulté atteint son paroxysme au sein du groupe informel des composées à capitules jaunes, de loin les plus nombreuses.

Pourtant, quelques espèces se détachent par des caractères originaux bien tranchés qui les rendent identifiables assez facilement, voire au premier coup d’œil. La picride fausse-vipérine est de celles-là et ne manque pas de traits uniques et originaux ; en plus, il s’agit d’une espèce devenue très commune et donc très facile à observer.

Originale

Première étape pour identifier la picride : l’assigner à une des douze tribus (sous-groupes : voir l’exemple des Carduées) de la famille, représentées en France. Et là, deux critères clés permettent de la situer très vite.

D’une part, ses tiges cassées exsudent un « lait » (latex) blanchâtre comme les laitues, les laiterons ou les pissenlits : rien que ce trait suffit à la placer dans une tribu particulière, celle des chicorées (Cichorieae).

D’autre part, et de manière bien plus évidente, ses capitules confirment cette appartenance : ces têtes florales faites de nombreuses fleurs très serrées (fleurons) sont en effet composées uniquement de fleurs en languette dites ligulées. L’exemple de référence souvent cité est celui des pissenlits . C’est pourquoi on parle aussi de liguliflore.

Avec cette assignation, nous avons fait un grand pas en avant, laissant derrière nous plusieurs grandes tribus dont les Carduées . Pour autant, il nous reste à choisir entre … 31 genres au sein des Cichoriées pour l’identifier correctement. Citons en quelques-uns pour mieux nous situer : chicorées (bleues) ; crépides ; épervières ; porcelles  ; laitues ; lapsanes ; piloselles ; prénanthe (fleurs violettes) ; salsifis ; pissenlits ; laiterons  ; …

Là, un critère unique et remarquable va nous conduire directement à notre plante, sans hésiter, seule espèce de son genre (Helminthotheca) en France : chaque capitule floral jaune est entouré d’un cercle de cinq petites feuilles (bractées) dressées, typiquement en forme de cœur renversé et qi cachent la base du capitule.

Langue de bœuf

Mais même non fleurie, la picride reste identifiable grâce à caractère aussi bien tactile que visuel : son aspect et son toucher, hérissés et rugueux très prononcés. D’une part, les tiges sont couvertes densément de soies dures transparentes très denses qui les rendent presque piquantes au toucher.

D’autre part, une partie des feuilles portent à leur surface de gros tubercules ou pustules blanchâtres, très bombés, porteurs chacun d’une soie raide : ceci est très net sur les feuilles qui composent la rosette basale quand elle passe l’hiver. En plus, les poils peuvent être simples, bi ou trifurqués et donc crochus. Bilan : les feuilles sont encore plus piquantes et rugueuses au toucher d’où le surnom bien choisi de langue de bœuf, repris en anglais sous les noms de oxtongue ou langdebeef. Les anglais ajoutent même au premier le qualificatif de bristly qui signifie hérissé ou à poil dur.

Cette consistance bien affirmée lui vaut d’être honnie par les éleveurs quand elle pousse en grand nombre (voir ci-dessous) dans les cultures de fourrage (luzernières notamment) car même sèche elle peut rebuter le bétail. Ces poils crochus saillants forment une double barrière anti-herbivores : les petits insectes (pucerons par exemple) s’empêtrent dans cette forêt de crochets (à leur échelle) ; les grands animaux eux seront rebutés au niveau de leur langue ! 

Ce caractère, dont les poils tuberculeux spectaculaires, est cependant partagé par d’autres plantes dont la vipérine commune ce qui explique l’épithète latin du nom d’espèce echioïdes (Echium étant le nom de genre des vipérines) repris dans un des deux noms vernaculaires (voir le titre). Mais cette dernière a des feuilles basales très allongées et étroites et bien plus velues et elle fleurit bleu avec des fleurs complètement différentes (famille des Borraginacées).

On pourrait aussi la confondre avec une autre astéracée qui forme des rosettes : la porcelle enracinée. Celle-ci a aussi des feuilles avec des tubercules nombreux (mais moins marqués et non blanchâtres) surmontés de poils ramifiés et ses feuilles sont fortement sinuées dentées.

Voyante

La picride fausse-vipérine ne passe pas inaperçue à la belle saison (de juin à octobre) quand elle est en fleurs et au summum de son développement. C’est une plante robuste, très ramifiée de manière irrégulière qui forme de grosses touffes dressées. De plus, elle croît souvent en grandes colonies pouvant compter des milliers de pieds (voir l’habitat) ou, a minima, en petits groupes.

D’un vert foncé, la plante adulte dépasse souvent le mètre de hauteur (jusqu’à 1,50m) et ses tiges portent jusqu’en haut de nombreuses feuilles assez grandes. Entières, ovales, avec des bords sinueux à parfois un dentés, elles se raccordent, dans la partie supérieure des tiges, en les embrassant par deux oreillettes qui dessinent là aussi (un peu) un cœur.

Comme cette plante se comporte en annuelle ou bisannuelle (voire trisannuelle), elle émerge d’abord sous forme d’une rosette étalée de grandes feuilles pouvant atteindre 25cm de long, et portées par un pétiole large. Ce sont elles qui portent les tubercules blanchâtres les plus voyants. Dans les populations très denses, ou au milieu d’une végétation herbacée, les feuilles des rosettes tendent à se redresser. Puis, rapidement au printemps, la rosette élabore des tiges dressées qui vont rapidement se ramifier pour aboutir à la « boule » hérissée et touffue typique de l’espèce.

On notera souvent la présence d’une teinte rougeâtre vineuse soit sur les pétioles et les nervures principales très marquées des feuilles des rosettes, soit parfois sur les tiges. En fin de saison, quand la plante commence à décliner avant de sécher sur pied, les feuilles des tiges peuvent virer au rouge du plus bel effet.

Jaune d’or

La picride fausse-vipérine se montre très prodigue en fleurs ou plutôt en capitules de fleurs : chaque touffe en porte des dizaines d’un beau jaune d’or lumineux. Bien que portés par des pédicelles de taille inégale, les capitules se retrouvent plus ou moins à la même hauteur et s’organisent ainsi en un corymbe irrégulier. A cet égard, l’autre nom vernaculaire d’helminthie en ombelle a de quoi surprendre car comme la plante est très ramifiée irrégulièrement, cette structure d’inflorescence ne saute guère aux yeux et on a plutôt l’impression d’un « fouillis inorganisé » ; en tout cas, on est très loin d’une ombelle !

Chaque capitule comporte des dizaines de fleurons en languettes (ligules) très serrés, dentées au bout, comme dans un capitule de pissenlit. Les languettes périphériques portent des rayures rouges sur leur face inférieure.

Portés sur un « plateau » (réceptacle), les fleurons sont enserrés par un double cercle de petites feuilles vertes (bractées formant un involucre) de 1 à 2cm de long : d’abord un premier cercle de douze bractées étroites et allongées en pointe, portant une sorte d’appendice en corne près du sommet ; puis, vers l’extérieur, un second cercle de cinq bractées en cœur, celui que nous avons décrit ci-dessus comme critère clé d’identification. Dans les capitules en bouton, les cornes des bractées forment une « haie » défensive dissuasive.

Les bractées en cœur portent, comme les feuilles, des soies raides leur donnant une consistance un peu épineuse qui se renforce en séchant. Ainsi, quand la plante sèche en fin de cycle, les capitules deviennent-ils un peu « accrocheurs », notamment sur les vêtements. Il se peut donc que cet involucre secondaire, outre une fonction de protection envers les herbivores, facilite la dispersion par les animaux (epizoochorie). Cette particularité, en tout cas, doit favoriser la picride quand elle pousse dans les cultures comme les luzernières (voir ci-dessous) car les capitules secs vont s’accrocher facilement aux machines agricoles.

Comme toutes les astéracées liguliflores (voir ci-dessus), la picride représente une riche source de nectar et de pollen d’autant plus que ses grands capitules (2-2,5cm de diamètre), nombreux, qui s’épanouissent en plein été offrent aux visiteurs une « surface de butinage » très intéressante. Ils sont visités par de nombreux pollinisateurs : surtout des abeilles solitaires mais aussi des bourdons, des petits coléoptères, des mouches (syrphes), …

Helminthie

Chaque fleuron fécondé donne un fruit sec classique des Astéracées : un akène (une seule graine) surmonté d’un pappus, un appendice dressé porteur au sommet d’une aigrette de soies plumeuses disposées sur deux rangs, issu de la transformation du calice de chaque fleuron.

Ces akènes brun jaunâtres, un peu courbés et aplatis, sont fortement striés ridés en travers. Ces ornementations, du plus bel effet sous la loupe, ont attiré l’attention des Anciens : ils y ont vu la « signature des vers » car ces fruits leur rappelaient l’aspect de certains vers intestinaux, connus scientifiquement sous le terme d’helminthes (d’un mot grec signifiant ver). D’où l’autre nom mystérieux d’helminthie, « plante aux vers » et le nom latin de genre Helminthotheca. Évidemment, cela a valu à l’helminthie d’être considérée comme une plante vermifuge (théorie des signatures), idée sans doute renforcée par l’amertume des feuilles. Ce caractère amer explique son autre nom de picride, nom dérivé du grec pikros, amer ; elle a longtemps été classée dans le genre Picris aux côtés d’une autre espèce très commune la picride fausse-épervière, bien différente.

L’aigrette plumeuse permet la dispersion par le vent (anémochorie), comme pour les fruits des pissenlits ou des salsifis . Compte tenu de la taille assez importante des akènes, cette dispersion se fait plutôt à courte distance.

Mais, si on observe attentivement un capitule fructifié bien mûr, on découvre qu’il y a en fait deux types de fruits : les trois à cinq les plus externes sont plus grands avec un pappus formé d’une « tige » (bec) très courte alors que les internes ont un long bec grêle et fin qui porte haut l’aigrette de soies. On parle d’hétérocarpie, un trait répandu chez diverses Astéracées. Ainsi, les fruits externes ont toutes les chances de voyager à très courte distance versus à plus longue distance pour les internes : ceci augmente donc les chances de dispersion différenciée des fruits autour de la plante mère.

Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, les capitules accrocheurs, remplis d’akènes non encore libérés, doivent voyager à bien plus grande distance en étant transportés par les machines agricoles : ceci explique, entre autres, le succès de cette espèce en expansion dans les cultures (voir ci-dessous).

Anthropophile

L’helminthie aime la chaleur et les sols argilo-calcaires lourds en pleine lumière. Son cycle de vie annuel/bisannuel la cantonne dans des milieux herbacés ouverts où elle peut développer ses rosettes. Le sol retourné ou perturbé facilite la germination de ses graines.

Son habitat type est la friche herbacée au sol enrichi en nutriments. De ce fait, elle se comporte en plante anthropophile qui colonise très facilement les milieux perturbés par les activités humaines (enrichissement et perturbations du sol et de la végétation) : terrains vagues, jachères, prairies, talus, bords des chemins, anciennes carrières, …

Au cours du dernier siècle, elle s’est rapidement adaptée aux grandes cultures où elle se montre parfois très concurrentielle ; elle y prospère en adoptant dans ce cas un cycle annuel, via la richesse du milieu qui permet une croissance très rapide des rosettes initiales. Mais, elle a su aussi coloniser les cultures pérennes dont les luzernières ou champs de trèfle où elle devient alors pluriannuelle.

Son goût pour la chaleur a facilité son installation en milieu urbain à la faveur des chantiers et délaissés et jusque dans les rues au pied des murs ou dans les cimetières. En Angleterre, on la surnomme localement l’herbe de Milton-Keynes, du nom d’une ville nouvelle où elle est devenue très abondante.

D’origine méditerranéenne, elle a aussi largement profité de changement climatique, et donc considérablement étendu son aire de répartition depuis deux siècles. En France, où elle reste plus commune dans la moitié sud, elle est remontée au moins jusqu’en région parisienne.

En Auvergne, sa progression a été documentée : apparue pour la première fois vers 1867 près de Clermont-Ferrand, elle s’est progressivement répandue dans la Limagne marno-calcaire, plaine de grandes cultures ; dans le Cantal, elle est mentionnée pour la première fois en 1913. D’abord sous forme de petites colonies éphémères, elle s’est progressivement fixée ; depuis les années 1950 où elle s’est vraiment « sédentarisée » et intégrée complètement dans la flore locale comme plante commune à très commune.

Parmi les hypothèses pour expliquer cette progression, on invoque les semences de plantes fourragères récoltées en région méditerranéenne, contaminées avec des graines d’helminthie (et de bien d’autres espèces).

A noter qu’en région méditerranéenne, on l’a consommée cuite comme légume pour sa haute valeur nutritive, confirmée par les études chimiques. Ceci a aussi pu contribuer à la rapprocher encore plus des humains qui devaient la favoriser, voire peut-être la cultiver en mode plante sauvage.