23/08/2023 Les Cynips : vous les connaissez forcément … enfin, vous avez plutôt à coup sûr déjà vu et été interpellé par une de leurs productions indirectes, des galles aux formes et couleurs des plus variées, notamment sur les chênes ou sur les rosiers/églantiers avec les célèbres bédégars. Nous avons déjà consacré une chronique de présentation des galles, ces interactions très étroites entre un insecte consommateur et un organe d’une plante. Nous vous conseillons de d’abord la (re)lire car nous ne reviendrons pas ici sur les fondements de cette interaction.

Image H.Adler 1894

Nous allons ici découvrir la diversité des Cynipidés, une petite famille (3000 espèces « seulement » dans le monde) de guêpes minuscules, entièrement gallicole (créant et se développant dans des galles), au sein de laquelle ont évolué des systèmes de reproduction complexes et originaux.

 Mini guêpes

En tant qu’hyménoptères, groupe d’insectes à métamorphoses complètes, le cycle de vie des Cynipidés comporte classiquement quatre stades successifs : l’adulte ; l’œuf ; la larve en forme d’asticot comme celle des abeilles et la nymphe, stade immobile d’où sort un adulte.

Les adultes sont de toute petites guêpes de quelques millimètres de long, de teinte terne brun ou noir à jaunâtre ou brun rougeâtre, pas faciles à observer. Elles arborent la taille de guêpe , typique du sous-groupe des Apocrites mais n’ont pas de dard

Les Cynips se distinguent des autres Apocrites par quelques caractères discrets, observables à la loupe : un abdomen court et globuleux ; un thorax épais d’aspect bosselé ; deux paires d’ailes transparentes avec une nervation très simplifiée ; des antennes droites avec 2 ou 3 segments … On pense que ces guêpes ne se nourrissent pas (ou à la rigueur de quelques liquides sucrés ?). Pourtant, elles possèdent une paire de mandibules fortes ; mais celles-ci ne leur servent qu’au moment de l’éclosion (voir ci-dessous).

Image J. T. C. Ratzeburg 1801-1871 ; Domaine Public

Asticot et pupe

La femelle prête à pondre présente un gros abdomen rempli d’œufs (jusqu’à mille par individu !). Sur le site choisi (voir ci-dessous), elle déploie son organe de ponte long et fin (ovipositeur : ne pas confondre avec un dard), enroulé dans son abdomen et fait glisser les œufs un par un au long de ce fin conduit. Les œufs minuscules se signalent par une sorte de longue queue qui les prolonge, mesurant jusqu’à six fois la taille de l’œuf.

L’œuf éclot et donne naissance à une larve courte et trapue dont le corps a la forme d’un C au repos. Ce mini-asticot blanc à peau lisse sans poils, dépourvu de pattes se montre très indolent, se tordant à peine quand on l’extrait de la galle dans laquelle il se développe. Sa seule activité consiste à se nourrir à l’aide de sa paire de fortes mandibules (voir ci-dessous). La partie moyenne de son tube digestif est déconnectée de la partie arrière terminale si bien que les excréments issus de la digestion s’accumulent dans la première pendant toute la durée du développement avec plusieurs mues de croissance.

A noter que le mot Cynips a été construit par Linné avec les racines cyn pour chien et ips pour « ver à bois » ; Ips désigne aussi un genre de scolytes, des coléoptères dont les larves vermiformes creusent des galeries.

Arrivée à la taille finale, après cinq mues de croissance, la larve se transforme en pupe, une nymphe immobile, toujours à l’intérieur de sa galle. Pendant cette métamorphose, le tube digestif se reconfigure et les deux parties séparées se reconnectent : la larve défèque alors tout ce qu’elle avait stocké. Ceci permet de conserver propre et non encombré l’intérieur de la galle où elle vit, contrairement à ce qui se passe par exemple chez les larves de mineuses.

Les larves ou nymphes hibernent dans les galles tombées avec les feuilles

Peu de temps après la nymphose, la pupe s’ouvre et libère un adulte. C’est là que ses mandibules fortes interviennent : il découpe un trou de sortie dans la paroi souvent épaisse et dure de la galle pour s’échapper.

Végétariens

On ne réalise pas forcément en voyant une galle, intacte vue de l’extérieur, qu’elle est le siège d’une intense consommation de l’intérieur. Comme nous l’avons vu dans la chronique sur les galles, ces excroissances provoquées par la ponte de l’insecte gallicole (par l’œuf puis la larve via sa salive et/ou au moment de l’oviposition par la femelle) constituent en fait un moyen génial de nourrir les larves tout en les mettant à l’abri (relatif !) des prédateurs et du dessèchement. Les larves des insectes gallicoles comme les Cynips sont donc des herbivores à part entière dans le sens où ils se nourrissent directement de parties de végétaux, au même titre que des chenilles ; simplement, ils ont « inventé » un processus qui impose au végétal de fabriquer un abri/ressource alimentaire (galle ou cécidie) où se loge la larve.

Les cynips peuvent générer des galles sur pratiquement tous les organes des plantes à fleurs : racines, tiges, écorce, fleurs, fruits, bourgeons et surtout feuilles. La plupart des espèces se spécialisent sur un organe spécifique (ou deux dans le cas des cycles complexes : voir ci-dessous) d’une espèce de plante particulière ou d’espèces très proches du même genre : par exemple sur une espèce de chêne ou plusieurs du même genre (Quercus).

Au sein de la famille, on distingue plusieurs tribus correspondant à des lignées divergentes, chacune plus ou moins spécialisée sur un groupe restreint de végétaux :

  • Cynips de plantes herbacées (Aylacini) (et aussi des arbrisseaux comme les ronces) ; plus de cent espèces
  • Cynips des églantiers et rosiers (Diplolepidini) avec le genre Diplolepis responsable des bédégars des rosiers ; nous les avons détaillés dans une autre chronique ; 50 espèces
  • Cynips des érables (Pediaspidini) ; 3 espèces dont une responsable de la galle-cerise du sycomore
  • Cynips des chênes (Cynipini) ; plus de 1000 espèces ; nous découvrirons en détail certaines espèces dans des chroniques à venir.

Il faut ajouter un dernier groupe à part, les Cynips inquilins (Synergini ; 160 espèces). Ce nom/adjectif peu connu vient du latin inquilinus qui signifie locataire. Cette tribu regroupe des espèces incapables de créer par elles-mêmes des galles mais qui s’installent dans celles d’autres cynips. Les larves modifient les galles « squattées » en les déformant ; elles y vivent dans des chambres imitant les galles internes des vrais gallicoles (voir ci-dessous). Cette tribu a évolué (sans doute en plusieurs lignées indépendantes) à partir de la première tribu ci-dessus (Aylacini). Nous ne les évoquerons plus par la suite même si leur mode de fonctionnement mérite le détour !

Induction

Presque systématiquement, les œufs sont pondus sur de jeunes organes contenant des massifs de cellules indifférenciées en pleine multiplication (méristèmes) qui assurent la croissance et le développement de la partie du végétal concernée. Ainsi, très souvent, les très jeunes feuilles encore repliées dans les bourgeons sont ciblées.

L’œuf peut être déposé en surface de l’organe cible ; en dessous, les cellules du végétal se rompent ce qui génère un petit creux : la larve éclose rampe dans ce creux. Les cellules autour de cet espace se multiplient et forment un coussinet qui se transforme en galle. Mais, le plus souvent, l’œuf est inséré avec grande précision dans une cellule de l’organe grâce à l’ovipositeur très fin. La femelle choisit positionne de l’œuf de manière à permettre le déploiement de la future galle.

Si la larve ne se nourrit pas, la galle ne se formera pas plus loin : ceci suggère que sa salive doit stimuler et orienter la croissance de la galle. Le développement de cette dernière détourne évidemment des ressources nutritives de la plante : elle fonctionne commun puits pour la plante.

Galle double

La galle engendrée varie considérablement en forme, taille, ornementations et couleurs avec, souvent, des espèces de Cynips très apparentées qui provoquent des galles très différentes. Cette extrême différenciation rend d’ailleurs possible l’identification des espèces d’après leurs seules galles alors que les adultes sont très difficiles à distinguer. Néanmoins, il peut y avoir des galles anormales du fait de leur position ou d’aléas pendant leur croissance qui peuvent induire en erreur mais avec les Cynips, en général, la discrimination reste envisageable.

Malgré cette variabilité externe, la structure interne reste assez constante d’une tribu à l’autre. Chaque larve vit dans une chambre entourée de couches cellulaires successives, soit de l’intérieur vers l’extérieur :

  • une première couche nutritive, formée de cellules agrandies et riches en nutriments. La larve, à l’aide de ses mandibules fortes, déchire ces cellules et en liquéfie le contenu avec sa salive avant d’aspirer le liquide
  • juste derrière, une couche de cellules de stockage, riches en vacuoles et en amidon : elles remplacent les cellules nutritives en avant au fur et à mesure de leur consommation
  • une coque dure ligneuse avec des cellules aux parois renforcées qui délimite ce qu’on appelle la galle interne ; parfois, cette coque est absente (voir la galle en bouton de guêtre du chêne)
  • une « écorce » (cortex) de cellules indifférenciées et vascularisées en connexion avec le reste de l’organe
  • enfin un épiderme qui peut porter des poils ; il délimite la galle externe dans laquelle est emboitée la galle interne.

La taille de la galle interne reste remarquablement constante à travers les différentes espèces (2,6mm en moyenne) ; les variations se font via la galle externe.

En général, il y a une larve par galle ; s’il y en a plusieurs, chacune possède sa propre galle interne tandis qu’une « grosse » galle externe les englobe comme dans les célèbres bédégars des rosiers/églantiers.

Quand toutes les couches sont bien formées, la galle atteint sa maturité et cesse sa croissance ; de ce fait, elle cesse aussi d’être un puits de ressources pour la plante. La larve s’arrête alors de grandir rapidement et entreprend de dévorer intégralement les deux couches internes (nutritive et stockage). Ainsi, elle se délimite de l’espace à l’intérieur de la coque ligneuse pour entreprendre sa métamorphose en nymphe.

Galle du coquelicot

Les cycles de reproduction des cynips s’avèrent souvent d’une extrême complexité avec alternance sur une saison de reproduction de générations différentes avec un mode de reproduction différent et/ou des galles différentes. Nous allons découvrir les grands types de cycles à partir d’exemples pris dans les différentes tribus en progressant depuis des cycles relativement simples et classiques vers des cycles de plus en plus complexes.

Le cynips Aylax papaveris (tribu des Aylacini : voir ci-dessus) exploite les capsules fructifères des grands coquelicots et des coquelicots douteux. On les repère facilement à l’aspect déformé et élargi des capsules après la chute des pétales. Les galles se trouvent en fait à l’intérieur de la capsule : chacune d’elles grandit sur une des nombreuses cloisons internes verticales de la capsule. Les renflements induits s’ajoutent et déforment la capsule toute entière qui grossit anormalement.

En début d’été, alors que les capsules de coquelicots sont en plein développement (encore vertes), les adultes émergent avec autant de mâles que de femelles. Ils sortent et s’accouplent ; puis les femelles pondent dans les ovules (futures graines) en développement, accrochées aux cloisons, en piquant à travers les parois des capsules.

Les tissus de l’ovule injecté et la cloison associée s’agrandissent et enveloppent la jeune larve, formant une galle interne typique enveloppée par la cloison qui sert de galle externe. Ces galles atteignent leur taille maximale en milieu d’été et la larve achève sa croissance en début d’automne (voir ci-dessus) dans la capsule qui, entre temps, a séché. Elles passent l’hiver dans leurs galles, se nymphosent au printemps (donc toujours dans les capsules restées sur les pieds secs) et les adultes émergent en début d’été.

On a donc là un cycle très classique bisexué, basique pourrait-on dire.

Galle du lierre terrestre

Le cynips du lierre terrestre (Liposthenes glechomae) appartient à la même tribu que celui des capsules du coquelicot ci-dessus. Les cycles de cette tribu sont globalement assez simples mais commencent à montrer des signes d’évolution vers plus de complexité comme va l’illustrer cette nouvelle espèce.

Ce cynips provoque la formation de grosses galles en forme de boules rondes sur les feuilles et parfois sur les tiges ; elles déforment les feuilles qu’elles semblent traverser de part en part.  Souvent, plusieurs galles proches sur la même feuille tendent à se réunir mais chaque galle ne renferme qu’une chambre et une larve. La galle externe se forme à partir des tissus chlorophylliens de la feuille (parenchyme palissadique) d’où sa teinte verte ; mais, en plein soleil, elle finit par virer souvent au rouge, moyen de protection contre les rayons. L’épiderme externe développe des poils qui hérissent la surface de cette jolie galle.

En mai, des femelles émergent des galles de l’année précédente. Elles se mettent aussitôt à pondre sans s’accoupler tout simplement parce que les mâles sont très rares ou absents ! Ce mode de reproduction asexuée, bien connu chez les pucerons, s’appelle la parthénogénèse (partheno = vierge) ; comme les œufs qu’elles produisent ne vont donner que des femelles à leur tour, on qualifie cette parthénogénèse de thélytoque (d’un mot grec ancien thelutokos = qui engendre des filles).

Les galles mûrissent en milieu d’été alors que la larve est encore petite. Ele se met alors à manger rapidement sa galle de l’intérieur si bien qu’en fin d’été elle a atteint sa taille maximale. Elle hiberne dans sa galle et s’y nymphose au printemps. La nymphe donnera une femelle en mai.

Ainsi, on passe ici à un cycle presque entièrement unisexué via la parthénogénèse. Presque car malgré tout il pourrait y avoir quelques mâles et alors il y aura accouplement et réinjection d’un processus sexué.

Dans la même tribu, le cynips de la galle-varice des tiges de ronces (Diastrophus rubi) possède un cycle du même type mais les mâles sont seulement rares. On a donc un cycle un peu bisexué en train d’évoluer vers le cycle unisexué à base de femelles.

Bédégars sur églantier

Dans la tribu des Cynips des rosiers (Diplolepidini), on trouve aussi de tels cycles avec l’exemple des bédégars (D. rosae) (chronique).mais dans certaines populations, quand on va vers le nord, les mâles apparaissent plus souvent

Galle-cerise du sycomore

Avec la tribu des Cynips des érables (Piedaspidini), nous allons franchir un cran supplémentaire : ça se complique vraiment. Accrochez-vous !

Le cycle du cynips du sycomore alterne en effet entre deux générations par an : une sexuée et une asexuée. On parle d’hétérogonie.

Au printemps, les galles de la génération sexuée apparaissent sur les feuilles ou sur les fruits (samares) des érables sycomores sous forme de petites boules rondes creuses à parois minces. Elles donnent soit des mâles soit des femelles qui s’accouplent ; les femelles pondent ensuite des œufs fécondés.

Ces nouveaux œufs sont pondus cette fois sur des racines du même arbre s souterraines. Les larves de cette seconde génération se développent dans de grosses galles rondes ligneuses souterraines pendant trois ans. Au printemps de la troisième année naissent de nouveaux adultes tous femelles. C’est la génération asexuée. Ces femelles vont pondre des œufs non fécondés au printemps suivant sur les feuilles, à l’origine de la génération sexuée suivante.

Certaines pondent des œufs qui ne donneront naissance, après développement dans la galle-cerise, qu’à des mâles : on qualifie ces femelles d’androphores (porteuses de futurs mâles). Il s’agit là aussi d’une forme de parthénogénèse qualifiée d’arrhénotoque (de arrenotokos, qui engendre des mâles) ! On connaît bien ce processus chez les abeilles domestiques : les mâles ou faux-bourdons proviennent ainsi d’œufs produits par la reine mais non fécondés.

Les autres femelles, dites gynéphores, pondent des œufs qui, après développement de la larve dans la galle-cerise, ne donneront que des femelles par parthénogénèse thélytoque (voir ci-dessus).

Ainsi, la première génération sexuée est produite au printemps et grandit vite sur les jeunes feuilles tendres et riches en pleine croissance. Elle a moins de risques de subir les attaques des parasites et exploite cette ressource passagère. La seconde génération asexuée sur les racines se développe bien plus lentement mais est protégée par des galles dures des prédateurs et des froids hivernaux.

On retrouve de tels cycles doubles chez les cynips des chênes avec là encore des variantes et encore un peu plus de complexification. Nous les évoquerons lors des chroniques consacrées à certaines espèces de Cynips des chênes, la tribu qui connaît la diversification la plus poussée.

Galles d’un cynips du chêne (Neuroterus quercusbaccarum)

Bibliographie

Plant Galls Margaret Redfern. Ed. Harper Collins. 2011 Comme tous les ouvrages richement illustrés de cette remarquable collection « so british », c’est une mine d’or pour découvrir la folle diversité de l’univers des galles (en anglais … of course !).