Humulus lupulus

Jeunes pousses serpentiformes du houblon

19/01/2022 Tout un chacun a forcément entendu parler a minima du houblon comme plante servant à fabriquer la bière. Mais beaucoup ne connaissent pas cette plante (sauf peut-être en Alsace où se trouve 95% de la production française) et bien moins savent qu’on la trouve assez communément à l’état sauvage et qu’elle est une liane. Nous allons donc ici nous intéresser au houblon sauvage : aussi, nous laisserons complètement de côté tout ce qui touche à son usage pour la fabrication de la bière et ses liens historiques avec l’Homme dans ce contexte ; de même, nous n’explorerons pas les propriétés médicinales de cette plante tant il y a à dire. Outre son écologie, son mode de vie et ses caractéristiques, nous n’aborderons côté liens avec l’Homme que les usages autres que les deux cités ci-dessus et nous commencerons par explorer l’histoire de ses noms. 

Tiges et feuilles du houblon sauvage

Hop ! 

Le titre de cette chronique peut sembler quelque peu primesautier mais fait allusion en fait au nom anglais du houblon : hop. Ce mot dérive d’un vieux nom saxon, hoppan pour grimper, ce qui traduit bien son statut de liane exubérante. On retrouve cette racine dans son nom flamand hoppe. Hop en français a une tout autre origine : il vient du verbe houper, appeler quelqu’un par un houp ! 

L’élégance aérienne du houblon

Houblon, quant à lui, remonte au tout début du 15ème siècle sous la forme houbelon sous l’influence des Pays-Bas et de la Flandre alors centre de gravité de la brasserie via la racine hoppe citée ci-dessus. Auparavant, en francique, on le nommait humilo ou humulo. On rejoint ici le nom latin de genre Humulus qui dériverait d’un vieux mot slave désignant la plante ; certains auteurs ont avancé que Humulus dérivait de humus car le houblon aime les terres riches et fraîches mais cette étymologie semble complètement fantaisiste et non attestée. 

Houblon qui « étouffe » un sureau noir !

Le nom latin d’espèce, lupulus viendrait du nom italien de la plante, luppola. Pline aurait comparé cette liane qui enveloppe les buissons de sa végétation exubérante à un loup (lupus) qui étrangle les moutons et on trouve dans des textes romains la locution Lupulus salictarius, i.e. « le loup des saules » (salix = saule) ; la référence aux saules n’est pas anodine car le houblon affectionne effectivement les lieux humides. On l’a aussi surnommé salsepareille indigène en référence à la salsepareille, liane ligneuse sempervirente du Midi à fruits rouges charnus (et accessoirement plante favorite des Schtroumpfs !). 

Liane serpent 

Les jeunes pousses s’allongent très vite tout en explorant l’espace à la recherche d’un support

Plutôt qu’un loup, le houblon évoque bien plus un serpent ou plutôt un grouillement de serpents avec ses innombrables tiges entremêlées et enroulées les unes autour des autres. Il fait partie des lianes volubiles, i.e. celles qui enroulent leurs tiges autour de supports à l’instar d’autres lianes indigènes telles que la bryone (voir la chronique), le tamier (voir la chronique) ou le liseron des haies (voir la chronique).

Il les surpasse nettement par la taille et la solidité de ses tiges qui peuvent atteindre jusqu’à six mètres de long. Bien qu’elles meurent chaque automne et repoussent chaque printemps, soit un comportement de tiges herbacées annuelles, elles renferment un peu de tissus ligneux et fibreux qui les rendent très résistantes ; de ce fait, même une fois sèches en hiver, elles persistent longtemps et finissent par s’accumuler en enchevêtrements inextricables … qui servent de support aux nouvelles tiges de l’année suivante.

Au toucher, elles sont très rêches et rugueuses et il faut veiller à ne pas tirer dessus à pleines mains car elles écorchent facilement la peau : cette rugosité provient de la présence de poils durs, répartis sur les six côtes longitudinales de la tige, et en forme de double pointe. Ils renforcent la capacité d’accrochage des tiges à leur support autour desquelles elles s’enroulent dans le sens des aiguilles d’une montre. 

Chaque printemps, de nouvelles tiges émergent depuis la souche vivace : une grosse racine profonde, grosse, charnue et ligneuse qui s’étale en tous sens et donne ainsi naissance au fil du temps à des colonies individuelles étalées. En culture, un pied de houblon peut ainsi vivre une trentaine d’années. La puissance de la souche permet au houblon de refabriquer ainsi chaque année des centaines de mètres de tiges pour une grande colonie et tout ça juste pour une saison !

Fragment de racine très ligneuse

La sortie des jeunes pousses donne lieu à des scènes superbes car elles se dressent telles des serpents et décrivent des courbes à la recherche d’un support sur lequel s’enrouler. Les jeunes feuilles des bourgeons (prophylles) sont très voyantes et forment comme une tête allongée qui renforcent l’illusion d’un serpent.

Souvent, elles tendent à s’enrouler à entre elles ce qui leur donne un peu plus de rigidité tout en continuant individuellement de s’allonger et de chercher un vrai support. On comprend mieux ainsi comment se forment ces draperies de houblon sauvage dans les sites favorables : infranchissables et luxuriantes. A noter que les tiges prennent souvent une teinte violacée pourpre en cours de saison surtout en pleine lumière. Le port serpentiforme lui a valu le surnom populaire très imagé de couleuvrée septentrionale mais ce vocable a été appliqué à d’autres lianes comme la bryone par exemple. 

Feuilles de vigne 

Parmi les surnoms populaires, on trouve aussi celui de vigne du Nord ; l’image de la vigne souvent retenue pour désigner des lianes (par exemple vigne noire pour le tamier) lui convient tout particulièrement à cause de la forte ressemblance de ses feuilles avec celles de la vigne. Espacées par paires opposées au long des tiges, elles sont portées sur un long pétiole velu et rugueux. Le limbe grand (10-5cm), en cœur à sa base, est découpé à trois à cinq lobes pointus peu profonds et dentés ; dans le haut de la plante, quand on se rapproche des inflorescences et surtout chez les pieds femelles (voir ci-dessous), les feuilles tendent à devenir simples.

Elles possèdent par ailleurs deux caractères originaux frappants. Entre les deux pétioles insérés face à face et qui forment un coude redressé à leur base, on trouve deux stipules (voir la chronique sur ces organes foliaires) membraneuses, d’abord vertes puis brunes striées et un peu coriaces persistantes ; elles sont soudées l’une à l’autre et ainsi encerclent la tige. La position inhabituelle décalée par rapport à la base du pétiole est qualifiée de intra-pétiolaire.

Sur les feuilles et les pétioles, on retrouve les poils en forme de T notés sur les tiges qui leur confèrent un toucher rugueux peu agréable. De plus, les feuilles renferment dans leurs tissus des amas de cristaux de carbonate de calcium (« calcaire ») ou cystolithes qui renforcent ce toucher rugueux. Ces poils et cristaux doivent protéger les feuilles des attaques des herbivores. Ce caractère se retrouve chez un proche parent du houblon : le cannabis ; ils appartiennent à la famille des Cannabacées en compagnie notamment des micocouliers (Celtis), des arbres du Midi aux feuilles elles aussi rugueuses. 

Mâle/femelle 

La floraison estivale (juin à septembre) du houblon ne passe pas inaperçue à double titre : par son abondance à la hauteur de l’exubérance de la liane et par le fait qu’il y a des pieds mâles et des pieds femelles avec des fleurs très différentes (plante dioïque). 

Les pieds mâles se couvrent de grappes ou panicules très ramifiées qui émergent aux aisselles des feuilles et portent des myriades de petites fleurs mâles sans pédoncule (sessiles) à cinq pièces vert jaune (tépales) disposées en étoile et cinq étamines chacune. Les abeilles les visitent volontiers pour récolter l’abondant pollen produit mais la pollinisation semble surtout assurée par le vent (anémophilie : voir la chronique). 

Les inflorescences femelles, quant à elles, sont en forme de cônes pendants, longs de 1 à 3cm, ovales, jaune verdâtre, portés sur un pédoncule ; on parle effectivement de cônes pour les nommer même s’ils n’ont rien à voir avec ceux des conifères. La prolificité du houblon est exceptionnelle : un pied peut se couvrir de milliers de cônes composés chacun de dizaines de fleurs. Chaque cône est composé de bractées (voir la chronique sur ces organes) en écailles herbacées jaunes à verdâtres (ou parfois teintées de pourpre) qui sous-tendent les fleurs groupées par deux ; de celles-ci, on voit surtout dépasser les longs stigmates filiformes très visibles au stade jeune ; ce sont les antennes chargées de capter le pollen transporté par le vent. A noter que le micocoulier cité ci-dessus possède lui aussi de tels stigmates très visibles. L’ovaire de ces fleurs donne un fruit sec (akène) ovale, un peu aplati. A maturité, tout le cône, bractées et fruits, se couvre d’une belle poussière dorée émise par d’innombrables glandes jaunes (plus de 10 000 par cône !) : le lupulin, la substance magique du houblon, aux propriétés officinales exploitées pour la fabrication de la bière entre autres. Les cônes sèchent et brunissent sur place et commencent à se désagréger en début d’automne : les fruits secs enveloppés des bractées et des restes de la fleur sont transportés par le vent (anémochorie). 

Hygrophile 

Habitat typique : des grandes draperies sur les arbres le long d’une rivière

Le houblon sauvage est assez commun dans toute la France jusqu’à 1200m d’altitude environ principalement les grandes vallées. En effet, il recherche les sols argileux ou alluvionnaires humides à mouillés y compris ceux inondés régulièrement ; il se cantonne dans les sites plutôt en situation de mi-ombre. Par ailleurs, sa vitalité exubérante ne peut se réaliser qu’avec de riches réserves nutritives (dont des nitrates) dans ces sols ; ceci est très souvent le cas dans les vallées à cause des dépôts de sédiments lors des crues qui enrichissent les sols. Il bénéficie globalement de l’enrichissement général des sols via les activités humaines (eutrophisation) : ainsi, en Ile-de-France, il est en expansion dans les vallées.

Il fréquente les forêts alluviales humides ou ripisylves (voir la chronique sur ces forêts), les aulnaies des bords des cours d’eau, les peupleraies à grandes herbes, les saulaies des vallées ; on le trouve de plus en plus aux abords des villes dans les bois très enrichis (rudéralisés) ; il est bien présent dans les régions bocagères le long des fossés notamment. Dans ces milieux, il forme souvent des peuplements impressionnants en escaladant la végétation y compris les arbres. A noter qu’une espèce voisine très proche et de plus en plus cultivée comme décorative, le houblon du Japon, commence à se naturaliser dans les ripisylves du sud de la France ; ses feuilles sont plus découpées en moyenne avec 7 segments au lieu de 3 à 5. 

Il peut être parasité par la cuscute d’Europe (voir la chronique sur ces plantes parasites), laquelle parasite aussi les orties ; ceci n’est pas surprenant car la famille des orties (Urticacées) est proche parente des Cannabacées au sein des Rosales. Cette parenté se retrouve confirmée au niveau des espèces de papillons dont les chenilles consomment le houblon comme les orties : ainsi, on peut observer les chenilles du vulcain ou du robert-le diable sur le houblon ; diverses chenilles de papillons nocturnes s’attaquent aussi au houblon (des noctuelles essentiellement). Les draperies très touffues servent souvent d’abri pour la construction du nid de divers passereaux des ripisylves. 

Usages divers 

Outre l’usage pour parfumer la bière et les usages médicinaux que nous n’aborderons pas ici, le houblon sauvage a fait l’objet de nombreux usages dont certains inattendus. 

Les jeunes pousses printanières (voir ci-dessus) peuvent être consommées crues (en salade) ou cuites comme des asperges sauvages ; cette pratique est connue envers pratiquement toutes les lianes sauvages qui émettent au printemps de longues pousses : voir les exemples du tamier, ou de la clématite ou de la bryone. Cette consommation est attestée dès la Rome antique où Pline le mentionne (voir le premier paragraphe) comme légume sauvage d’agrément. 

Ses tiges riches en fibres ont été utilisées pour fabriquer des paniers, des papiers, des cordages ou des tissus grossiers ; on l’a aussi combiné avec le jute pour fabrique la toile connue sous le nom de hessian. Des essais ont été conduits pour tenter une exploitation industrielle de ces fibres mais les tiges ne sont pas assez riches en fibres pour être vraiment exploitables : n’oublions pas que le houblon reste une liane herbacée contrairement par exemple à la clématite vigne-sauvage (voir la chronique). On pensait que sa proximité avec le chanvre (cannabis) en faisait un bon candidat pour être une plante textile. On notera de nouveau la proximité avec les Orties qui elles aussi sont riches en fibres exploitables. De nos jours, certains jardiniers récoltent les draperies de tiges sèches pour faire des décorations. La forte odeur des inflorescences femelles a conduit à s’en servir pour remplir les ruches vides et éloigner les insectes non désirés. 

Avant de quitter le houblon, parcourons quelques croyances et mythes associés à cette liane qui, forcément, n’a pas manqué d’inspirer l’imagination populaire. Comme d’autres lianes, on l’associa au diable : « il grimpe aux arbres comme cent démons ». En Grande-Bretagne, le houblon était en général symbole de bonne fortune : rêver d’un grand jardin plein de houblon était signe de richesse ou bien sentir du houblon séché en rêve indiquait l’imminence d’un héritage ! Pour avoir de la chance et assurer la prospérité d’un foyer, il fallait installer une guirlande de houblon en cônes sur la cheminée. Les courtisans de la cour élisabéthaine portaient souvent sur eux de telles guirlandes car en langage des fleurs le houblon est signe d’espoir. Enfin, une dernière légende prétend que le chant du rossignol ne peut être entendu que quand le houblon pousse.