Chemin creux étroit typique du site

09/11/2022 Nous avons consacré une première chronique au chemin Fais’Art, sur la commune de Chapdes-Beaufort (63), centrée sur les sculptures monumentales qui le jalonnent. Nous avons alors souligné la remarquable intégration de ces œuvres en pierre volcanique, installées en des lieux bien choisis et vite colonisées par une armée de mousses et lichens qui leur offrent une belle parure : elles deviennent des éléments naturels qui se fondent avec les arbres omniprésents et les blocs de basalte « indigènes » puisque le site se trouve sur une ancienne coulée de lave. Nous allons ici proposer une découverte du versant naturel du site, en parallèle des sculptures, centrée sur ces deux éléments : les arbres et les pierres qui entrent bien en résonance avec les « pierres qui marchent » et restent visibles toute l’année. 

Sur le versant nord, hêtres et houx

Pour découvrir les richesses naturelles de ce site, nous proposons un « circuit » concentré sur la zone où se trouvent les sculptures avec des aller et retours par le même chemin pour visiter les différents groupes de sculptures dispersé en trois ensembles ; nous avons ajouté au circuit classique une boucle qui contourne le versant nord de la butte et offre des paysages de forêt « ancienne ». A chacun de picorer son propre chemin pour savourer ce site de haute qualité environnementale. 

Le chemin qui descend du lavoir, passe devant l’anneau de pouvoir et rejoint la clairière des colonnes dressées

NB : Pour se repérer, nous avons repris les « noms » attribués aux œuvres dans la première chronique. Ci-dessous, un plan du circuit.

Volcanique 

Paysage bocager des Combrailles ; au loin la chaîne des Puys

Nous sommes ici entre 800 et 900 m d’altitude sur le plateau des Combrailles (voir la chronique) à portée de projection volcanique de la chaîne des Puys. Le puy de Beaufort et son proche voisin, le puy de Montcognol correspondent à deux pointements d’une ancienne coulée de lave basaltique, antérieure au volcanisme principal de la chaîne des Puys. elle s’inscrit dans un épisode qu’on appelle le volcanisme de la Sioule : voir à ce propos la chronique sur le site de Sauterre et sa carrière de basalte non loin d’ici.

Affleurement au pied de la Vierge de Beaufort : énormes blocs de basalte gris foncé

La forêt a depuis longtemps repris ses droits sur cette coulée ancienne. Des blocs affleurent ponctuellement à la faveur de pentes plus raides comme autour de la vierge de Beaufort ou sur le versant nord ; sur les chemins, nos pieds sentent en permanence des cailloux irréguliers qui rendent la marche un peu difficile : mieux vaut être bien chaussé. 

L’entrée du « château » aménagée dans l’ancienne muraille moussue ; elle mène à la clairière avec la « table des sacrifices »

Cette profusion de blocs naturellement disjoints de roche dure a été largement exploitée par les hommes qui occupent ce site depuis au moins le Moyen-âge comme en attestent les ruines de l’ancien château féodal avec les restes bien conservés des murs d’enceinte ; l’un d’eux a d’ailleurs été réhabilité en « porche d’accès » aux sculptures. Ces murs anciens, très ombragés sous l’épais couvert forestier qui a depuis reconquis la butte, hébergent une riche flore de mousses et lichens dont de grandes plaques de peltigères sombres. 

Une murette massive « agricole » en bordure du site

Par ailleurs, les ruraux ont épierré les champs cultivés et construit un vaste réseau de murettes ou de murs servant à délimiter les parcelles. Les plus belles se trouvent le long du chemin qui conduit au cercle des sièges. L’œil y est tout de suite happé par les parures bigarrées de lichens en grands taches : la diversité y est remarquable avec des dizaines d’espèces différentes formant des mosaïques micro-paysagères. Ce sont ces mêmes lichens qui ont rapidement colonisé les sculptures, surtout celles réalisées avec la pierre locale (voir la première chronique).

La grand murette qui borde le chemin d’accès au cercle des sièges
Ailleurs, mousses et lierre recouvrent entièrement les blocs

Montagnard

Un sol épais s’est développé au fil du temps, recouvrant la surface chaotique de blocs de basalte. Le paysage actuel est dominé par la forêt d’une part qui occupe pentes et zones très rocheuses et un superbe bocage de prairies d’élevage avec un réseau encore bien conservé de haies à base de grands frênes et de chênes. Régulièrement au cours de la balade, quelques trouées nous ouvrent ainsi des fenêtres vers ce paysage verdoyant qui occupe aussi la partie centrale autour du parking d’accès.

La position à l’ouest de la chaîne des Puys explique le climat local assez arrosé ; pour autant, la nature rocheuse fragmentée du sous-sol ne favorise pas la stagnation de l’eau qui s’infiltre profondément jusqu’au socle granitique sous-jacent. On trouve quelques petites zones humides comme dans la clairière des colonnes dressées et en amont avec le lavoir aux cages qui draine des sources. 

Le sol brun et riche en éléments minéraux favorise un sous-bois riche en espèces. La diversité des arbustes y est frappante : viorne lantane, viorne obier, chèvrefeuille camérisier, groseillier des Alpes, jeunes érables, cornouiller sanguin, nerprun cathartique, troène, fusain, … La strate herbacée n’est pas en reste : lamier jaune, mercuriale vivace, aspérule odorante, compagnon rouge, épiaire des Alpes, pulmonaires, parisette, sceaux de Salomon, … à découvrir surtout au printemps avec les floraisons avant la fermeture des canopées. Quelques belles colonies de petite pervenche pourraient être des vestiges de l’ancienne occupation humaine des lieux, du temps où cette plante était cultivée près des habitations comme médicinale (voir la chronique).Les fougères abondent aussi : fougère mâle, polypode et fougère femelle dans les sites plus humides.

Colonie de petite pervenche : vestige archéobotanique ?

L’altitude place le site à la base de l’étage montagnard, surtout sur les versants nord plus frais. L’abondance du hêtre (voir ci-dessous) confirme bien cette tendance ainsi que quelques espèces de flore montagnarde très ponctuelles : l’actée en épi, le bois-gentil (un arbrisseau très rare sur le site) ou la gagée jaune sur la pente au-dessus du grand « anneau de pouvoir ». 

Hêtres 

On ne pouvait imaginer meilleur écrin pour les sculptures que la présence de hêtres séculaires de fort belle venue ; on les croise au bord des chemins creux où on les repère de loin à leur écorce lisse et maculée d’innombrables lichens crustacés (terme officiel pour désigner les lichens incrustés) blancs à vert clair : une belle peau à caresser sans retenue. Peut-être aiment-ils être ainsi admirés ? 

Juste en dessous de la grande spirale, dans le vallon creux qui la borde, se tient un hêtre somptueux qui écrase de sa stature la sculpture de la « grande oreille ». Un tapis de feuilles mortes cuivrées recouvre le sol. Sa base est remarquable avec ses contreforts déployés en éventail qui correspondent au départ des grandes racines charpentières et sont recouverts de mousse verte ; une manière de bien s’ancrer au pied de la pente et d’assurer sa stabilité. D’autres hêtres du même style se trouve sur le chemin de ronde du versant nord.

Le long des chemins qui grimpent vers la vierge de Beaufort, un hêtre dévoile une partie de son appareil racinaire tentaculaire ; il le fait bien malgré lui car en fait cette lise à nu résulte d’un passage latéral creusé par les visiteurs impatients qui cherchent toujours des raccourcis mais engendrent ainsi de l’érosion et du tassement ; une barrière informelle incite à ne plus utiliser ce raccourci : pensons aux arbres qui souffrent en silence et poursuivons sur le chemin principal. En redescendant, sur un talus abrupt, un autre hêtre se retrouve un peu déchaussé : une petite fenêtre sur les ténèbres du monde des racines, un univers insoupçonné qui s’étend sur un volume et une surface au moins équivalents à la canopée étalée. On voit aussi comment les racines savent se faufiler entre les blocs disjoints et s’étaler sur les côtés, souvent sur des dizaines de mètres.  

Houx

Haie avec rideau de houx taillés (vers la petite muraille)

Le houx (voir les quatre chroniques sur cette essence chargée d’histoire) nous accompagne tout au long de la balade que ce soit dans les haies où il peut former des rideaux épais de plusieurs mètres de hauteur ou en sous-bois aux côtés des hêtres. Cette abondance traduit des conditions hygrométriques élevées typiques d’un climat de type océanique, i.e. tourné vers l’ouest et l’arrivée des pluies. Au-delà de son abondance relative, le houx attire ici le regard par la prestance de certains individus, de vrais arbres : le chemin qui mène au cercle des sièges en héberge ainsi une série de spécimens aux troncs bien développés. L’écorce très lisse est marbrée d’une mosaïque de lichens crustacés.

Ces arbres ont clairement subi des tailles répétées dans cette haie de bordure : ils portent de multiples cicatrices bien refermées La proximité des troncs induit des frictions et la formation de figures d’entretoises (voir la chronique) toujours aussi surprenantes et cocasses. On a oublié que le bois du houx était recherché autrefois pour la facilité avec laquelle on pouvait le tourner, le sculpter et le teinter pour faire divers objets (fouets, cravaches, cannes, instruments de dessin, …) ou en marqueterie. A partir de l’écorce verte, on préparait une sorte de glu pour capturer merles et grives, les mêmes qui adorent le houx pour ses fruits charnus nutritifs. 

Dans les haies où il est taillé latéralement, il tend à développer un feuillage très dense et épineux excellent brise-vent et abri providentiel pour les nids d’oiseaux et divers petits mammifères. Ainsi, dans la haie qui longe la petite muraille au sud-est, j’ai trouvé dans ces houx, il y a une vingtaine d’années, des nids de muscardin, un adorable petit rongeur arboricole amateur de noisettes, l’autre élément dominant de ces haies. 

Noisetiers 

Grosse cépée en bordure du tumulus aux oreilles dressées

Justement, les noisetiers prospèrent sur les éboulis chaotiques au sol peu profond qui parsèment le site comme sur la pente de l’anneau de pouvoir et des cages du lavoir. Il colonise en effet très vite les zones rocheuses dénudées grâce à la collaboration active des oiseaux amateurs de noisettes comme geais, corneilles ou les petits rongeurs dont mulots et écureuils qui les transportent pour les stocker et en oublient toujours un peu (voir la chronique). On le privilégiait aussi dans les haies du fait de sa capacité à rejeter et à fournir des tiges utilisables comme tuteurs ou divers bâtons.

Vieille cépée ; derrière on devine la sculpture de « Sauron »

Naturellement, le noisetier se comporte en arbuste à troncs multiples et forment des touffes ou cépées qui rejettent sans cesse de nouvelles tiges. Mais très souvent, l’homme intervient en le taillant régulièrement : autrefois, on l’exploitait intensément comme bois de chauffage ou pour faire du charbon de bois dans de grandes marmites (voir la chronique) ; on trouve des restes de ces marmites de charbonniers dans la proche vallée de la Sioule et deux villages du secteur portent le nom de Charbonnières (les Vieilles et les Varennes). Depuis l’abandon de ces pratiques, les cépées de noisetiers se sont étoffées avec des troncs atteignant des diamètres importants. Un bel exemple se trouve juste à côté du tumulus aux oreilles dressées en contrebas de la spirale. 

Il plie mais ne rompt point (versant nord)

Même en vieillissant, les troncs conservent une certaine souplesse car le noisetier reste fondamentalement un arbuste au bois tendre. De ce fait, les troncs périphériques tendent souvent à s’écarter et à se ployer, parfois sous le poids d’un manchon de lierre qui l’escalade.

Lierres 

Avec les houx, les lierres s’imposent ici par leur feuillage persistant qu’on appréciera le mieux en hiver. Partout en sous-bois et sur les grands arbres des haies, ils montent à l’assaut des troncs, développant leurs incroyables tiges-lianes à crampons (voir les cinq chroniques consacrées au lierre : fleurs, fruits, interactions, tiges). Ici, ils atteignent des tailles remarquables avec des figures de croisements de tiges soudées en tous sens formant de véritables treillis. La richesse du sol le favorise grandement. Rappelons que contrairement à une croyance tenace, le lierre ne se comporte pas ne parasite des arbres qu’il escalade ; son système racinaire explore des couches du sol différentes de celles des racines des arbres utilisés comme support. Il apporte via la chute échelonnée de ses feuilles qui persistent quelques années et se renouvellent un supplément nutritif décisif pour la croissance des arbres.

Erables et tilleuls 

Au long des chemins et des haies, deux essences, habituellement peu communes, reviennent régulièrement avec des spécimens étonnants. Pour les repérer, il faudra bien observer les écorces notamment en hiver quand les feuilles sont tombées. 

L’érable champêtre semble s’éclater ici au vu des très beaux spécimens dans les haies bordant le site au pied des murettes de pierres : on n’a peu souvent l’occasion de voir de tels spécimens aux troncs puissants. Comme les houx, il s’agit d’arbres sélectionnés et entretenus par les ruraux pour la qualité de leur bois dur aux usages multiples dont les manches d’outils. Un tronc fraîchement coupé, sur le versant nord, montre le grain très fin et rosâtre de ce « bois de poule » comme on le surnommait. 

On distingue assez facilement les érables champêtres à leur écorce brun clair très fendillée en petites écailles rectangulaires. Elle semble ici tout particulièrement plaire à un lichen très spectaculaire : le lichen pulmonaire (Lobaria pulmonaria). Ses grands thalles (voir la chronique sur les lichens) en forme de feuilles de salade découpées en lobes nombreux s’accrochent aux troncs et déploient des surfaces alvéolées réticulées délimitées par des crêtes. Vert vif par temps très humide, même en plein hiver, il devient vert grisâtre à l’état sec. La ressemblance avec un poumon lui vaut ce surnom et de nombreux usages médicinaux anciens basés sur la théorie des signatures. Cette espèce étonnante, surtout montagnarde, signe une atmosphère protégée humide, l’absence de pollution de l’air et des forêts anciennes peu exploitées. Sur le site, il est notamment bien représenté sur des érables le long du sentier qui passe derrière le grand Cerbère près du cercle des sièges : surtout, ne pas récolter ni décoller cette espèce fragile en fort déclin. 

Gros tilleul double au bord du chemin du versant nord
Sur cette grosse cépée ancienne, un tronc s’est couché et a émis des réitérations verticales (« comme une harpe »)

Plus rares encore sont les grands tilleuls présents soit sous forme de très vieux individus au moins centenaires ou de touffes recépées avec de nombreux rejets. Ici, les tilleuls peuvent être aussi bien spontanés car ces essences aiment les ambiances un peu montagnardes de ravins rocheux que plantés très anciennement ou échappés des hameaux proches. Leur écorce gris foncé très fibreuse est fissurée en long très grossièrement. 

Têtards 

Frêne têtard ancien et murette de pierre : deux témoins de l’histoire agricole ; noter aussi au fond ce « tumulus » ou motte

Des arbres taillés en têtards et trognes (voir la chronique sur cette pratique), i.e. régulièrement étêtés et retaillés pour fournir notamment du bois de chauffage, nous rappellent que des générations de ruraux ont patiemment façonné ces paysages bocagers. 

Superbes vieux hêtres têtards : de vénérables anciens sur le versant nord

Ici, cette pratique touche surtout les frênes omniprésents dans les haies et les pâtures ; les branches feuillées coupées avaient l’avantage de pouvoir être utilisées comme complément de fourrage en fin d’été. Certains érables champêtres ont aussi été taillés ainsi car le bois compact et dense est un excellent combustible. Plus exceptionnels à cette altitude sont ces quelques hêtres têtards rencontrés sur le versant nord : on appréciera la différence avec leurs congénères non taillés vus en début de chronique.

NB Pour découvrir ce site avec des enfants ou petits-enfants encore jeunes, on peut se faire accompagner d’un âne loué à la ferme de la Marinette basée à Pranot dans le village de Chapdes-Beaufort et suivre le sentier balisé avec comme effigie une jolie tête d’âne. 

Et si on s’évadait comme R. Stevenson ?