Arnica montana

19/10/2023 Derrière ce titre intrigant se cache une pépite de biodiversité : la microferme (4 ha) de Sylvain Pouvaret, sur la commune de Lapeyrouse (63), dans la région auvergnate des Combrailles . Elle fait partie des fermes paysannes du réseau associatif Paysans de Nature qui en regroupe des centaines à travers le pays autour d’une idée centrale : « Réconcilier l’agriculture et la vie sauvage ». Nous avons présenté cette association dans une chronique antérieure et nous en profitons pour (re)conseiller la lecture du livre qui présente quelques fermes du réseau. J’avais très envie de découvrir de visu un exemple de ferme Paysans de nature :  celle du Soleil des p’tis bleus étant en Auvergne, je m’y suis rendu en ce début d’automne.

Copie d’écran du site Paysans de nature

Passionné de nature et écologue botaniste de formation, Sylvain a travaillé pendant quatorze ans au Conservatoire d’Espaces Naturels d’Auvergne  ; il vient donc de se lancer depuis un an dans un projet paysan pour le moins original : cultiver l’arnica des montagnes, plante médicinale connue et appréciée de tous, une arnica 100% d’origine auvergnate, tout en préservant la biodiversité sur sa ferme.

Nous allons découvrir sa ferme selon les deux grands axes contenus dans le « titre » Paysans de nature : le volet nature (vie sauvage, biodiversité) et le volet paysan avec la culture de l’arnica.

Trognes vénérables

Les terres de la ferme ne sont qu’à deux cents mètres de la maison de Sylvain : un point essentiel pour lui soucieux de travailler avec une empreinte carbone minimaliste.

A peine entrés dans la première grande parcelle qui occupe la pente d’un vallon, Sylvain me montre sur le côté un « gros » arbre encore tout feuillé et assez banal d’apparence de loin : « c’est lui ! ». Lui, c’est un tilleul à grandes feuilles, taillé en têtard, une trogne  : un arbre incroyable, insensé, inouï, … Les qualificatifs manquent dès que l’on se trouve face à lui ! Sylvain l’a naturellement choisi comme icone symbolique de sa ferme et s’affiche sur sa page de présentation, fièrement perché sur « son » tilleul.

Extrait de la page Facebook

Son gigantesque tronc ou plutôt ses troncs multiples soudés ensemble ont chacun élaboré d’énormes branches-troncs verticales selon le processus typique de la réitération : des arbres jeunes perchés sur un arbre très vieux !  En croissant, il a avalé à sa base de gros rochers. Le centre est en grande partie creux, processus classique de la « carie » des trognes (chronique) mais pour autant il se porte comme un charme … euh, un tilleul qu’il est.

Un monument naturel né de l’interaction entre l’Humain et un arbre, un individu qui doit probablement avoir 400 ou 500 ans ! Il vient de recevoir le label Arbre remarquable décerné par l’association A.R.B.R.E.S.

Le second tilleul avec une partie tombée à droite

Mais il n’est pas le seul sur ce terrain. Sylvain m’entraîne vers son confrère un peu plus loin : il était encore plus gros que le précédent mais un coup de vent l’a écartelé et a fait tomber un bon tiers du tronc basal. C’est le lot de ces arbres dès lors qu’ils ne sont plus taillés régulièrement : sous le poids considérable des troncs réitérés dressés à la verticale, ils risquent de s’effondrer. Un troisième au fond du terrain a subi le même sort.

Sur la ferme, on trouve par ailleurs des dizaines de vieux frênes taillés eux aussi en têtards mais plus en hauteur. Au moins un ou deux sont morts récemment sur pied ou en train de mourir, victimes des coups de boutoir à répétition des épisodes caniculaires et de sécheresse extrême . Une grosse inquiétude et interrogation quant à l’avenir pour Sylvain…

Enfin, des lierres magnifiques imposent leurs troncs-lianes noueux sur ceux des grands vieux arbres et ajoutent une troisième dimension apportant nourriture, abri, refuge et fraîcheur.

Bois mort haut de gamme

Un autre trait naturel interpelle le visiteur naturaliste : l’abondance du bois mort, un super gage d’une très riche biodiversité associée via la faune saproxylique (les insectes qui se nourrissent et se reproduisent dans le bois mort et ses annexes) ou les champignons décomposeurs. Et Sylvain veille scrupuleusement à maintenir en place cette manne écologique.

Ainsi, il a dû abattre un gros peuplier dépérissant qui menaçait de s’écraser … droit sur « son » tilleul : il a pour autant laissé le tronc finir sa longue seconde vie, un abri inespéré en plus pour les petits mammifères ou les amphibiens. Le second tilleul a une partie de son tronc encore debout mais complètement vermoulue : à sa base un gros polypore indique qu’il est en cours de décomposition interne et il hébergera lui-même diverses espèces de petits coléoptères saproxyliques ! Dans une haie, c’est un très vieil érable champêtre (presque remarquable lui aussi !) qui offre à la vue une large cavité née du décrochage ancien d’une très grosse branche latérale en fourche  : les lèvres de la plaie béante ont cicatrisé et l’érable poursuit sa longue vie.

D’énormes cépées de noisetiers jalonnent certaines haies : chacune renferme des dizaines de gros brins morts ou en cours de dépérissement naturel pour cette essence au bois à courte longévité (relative !).

Sylvain me montre un très vieux frêne têtard, recouvert de lierre, encore en vie malgré tout : le tronc central est complètement creux et rempli de terreau issu de la décomposition in situ du bois mort. Récemment, Sylvain a fait venir un expert entomologiste, Benjamin Calmont de la Société d’Histoire Naturelle Alcide d’Orbigny, qui a échantillonné ce terreau et le reste du bois mort de la ferme. Benjamin, pourtant très aguerri, a été complètement bluffé par l’extrême richesse en biodiversité saproxylique de ce bois mort. Il y a trouvé, entre autres, une espèce très rare, iconique du bois mort, le taupin violacé (Limoniscus violaceus), inconnue jusque-là dans le département 63 ! Ce taupin a des exigences microclimatiques très strictes et ses larves vivent dans le terreau accumulé à l’intérieur des vieux troncs. Il est considéré comme indicateur des forêts très anciennes : ce détail en dit long sur l’exceptionnelle qualité écologique des parcelles de la ferme qui ne sont pas forestières mais bocagères !

Taupin violacé (cliché U. Schmidt ; C.C. 2.0.)

Très vieux bocage

Effectivement, le paysage de la ferme correspond à un très vieux bocage comme on n’en voit plus beaucoup : on aurait envie de le qualifier lui aussi de vénérable. Que des petites parcelles toutes en prairies, ceintes de haies de vieux arbres de haut jet ou têtards : 1,3 kilomètres de haies pour 4 hectares ! En fait, il s’agit d’une tache résiduelle car tout autour certes le paysage est encore bocager mais radicalement différent : des haies sur-taillées très basses, faméliques, avec quelques grands arbres très espacés dont beaucoup sont en cours de dépérissement. Il paraît d’ailleurs qu’une part de cette mortalité provient des coups de charrues de plus en plus puissantes et profondes utilisées pour convertir les prairies naturelles en prairies artificielles ou en cultures fourragères. Et ne parlons pas du paysage vers le nord, sur le plateau, où plus rien ne reste de ce bocage avec un paysage d’agriculture intensive extrême.

Des prairies naturelles occupent ses parcelles ; l’agriculteur précédent ne les exploitait que de manière très extensive si bien d’ailleurs qu’elles sont en cours de colonisation par des ronciers et la fougère aigle, ce qui ne dérange pas Sylvain, puisque cela contribue à diversifier le milieu.

Le relief assez marqué (altitude 500-600m) avec des petits affleurements rocheux granitiques superficiels génère une mosaïque subtile de milieux herbacés avec des zones de pelouses alternant avec des prairies plus hautes, sous des orientations variées du fait du vallon un peu encaissé. En bas de pente, le sol dépasse le mètre de profondeur selon l’agriculteur antérieur et les parcelles jouxtent là une aulnaie-saulaie de belle venue, là une friche devenue bosquet, … autant d’effets de lisières protecteurs et bénéfiques.

Ce vieux bocage dans un vallon apporte un autre bonus considérable tant pour la biodiversité que pour l’activité agricole de Sylvain : un sol bien pourvu en eau avec, en plus, des sources en haut du vallon qui alimentent une superbe mare envasée où les sangliers viennent se « bauger ». Le contraste est saisissant entre la ferme de Sylvain, toute verdoyante en cette fin d’octobre marquée du sceau d’une sécheresse continue, et le bocage alentours aux prés pelés, désespérément secs et tondus à ras par le surpâturage.

On sait l’importance des grands arbres tant comme barrière susceptible de ralentir l’écoulement de l’eau que comme pompes hydrauliques capable de faire remonter l’eau de la nappe en période sèche . Finalement, Sylvain dispose là d’une ferme déjà en agroforesterie d’une qualité inestimable et difficilement égalable s’il fallait la mettre en place.

Comme la culture n’occupera qu’un petite partie de ces parcelles, Sylvain souhaite laisser toute sa place à la vie sauvage, de les gérer en libre évolution, c’est-à-dire en plein accord avec la charte et la philosophie de Paysans de nature.

En parallèle de son activité agricole , Sylvain envisage aussi de développer de l’initiation à l’environnement pour le grand public et les scolaires autour des vieux arbres et du paysage bocager. Il a déjà commencé à nouer un partenariat en ce sens avec l’école primaire de sa commune. Ceci rentre aussi pleinement dans les préconisations de Paysans de nature.

Arnica ?

Cette présentation initiale pourrait nous porter à croire que nous sommes là sur un terrain en réserve naturelle ! Rappelons donc qu’il s’agit bel et bien d’une ferme paysanne qui préserve et favorise la biodiversité . Dans ce paysage idyllique (pour un naturaliste !), Sylvain est en train et va déployer une seule activité agricole : cultiver l’arnica des montagnes.

Un tel choix a de quoi interloquer : l’arnica ? Chacun sait qu’il s’agit d’une plante médicinale aux propriétés avérées innombrables et réputée, entre autres, pour ses vertus « anti-coups » (anti-inflammatoire et antalgique), la « panacée des chutes » d’autrefois, … d’où l’image des « p’tits bleus » ! Quant au soleil, il fait allusion à la structure des capitules de cette astéracée (ou composée) du même type que celles des tournesols et d’un jaune orangé particulièrement lumineux et fascinant.

Or, la demande pour cette plante médicinale, devenue très « tendance », explose et, jusqu’à récemment, la production de produits dérivés de l’arnica reposait essentiellement sur la cueillette dans ses milieux naturels, les prairies, landes et sous-bois acides en moyenne montagne surtout. Mais l’espèce connaît un net déclin qui est en train de s’accélérer sous l’effet de la crise climatique en cours car elle est très sensible à la sécheresse ; à cela s’ajoute la mise en culture des landes et prairies, l’utilisation abusive des engrais azotés qui l’élimine et la sur-cueillette.

Ainsi, en France, une grande partie de la cueillette avait lieu dans les Vosges où au cours des trois dernières années la récolte a été quasi nulle. Ainsi, la pression de cueillette, entretenue et amplifiée par la demande croissante et la hausse accélérée des prix de vente se reporte désormais vers d’autres massifs montagneux, faisant craindre le pire pour l’avenir de ces populations fragilisées.

Scène de cueillette dans le Markstein (Vosges) (cliché Abalg ; C.C. 3.0.)

En plus, la belle arnica s’avère difficile à cultiver du fait de ses exigences écologiques. Qu’importe, Sylvain s’est lancé ce défi de la cultiver à basse altitude afin de desserrer la pression de la cueillette en milieu naturel et, « pérenniser ce bien commun à l’échelle nationale ».

De la graine à la teinture

Sylvain se propose donc (et a déjà bien commencé !) de « vendre l’arnica sous toutes ses formes : graines, jeunes plants, plants d’un an ou plus, produits cosmétiques ».

Il existe des cultivars artificiels d’arnica dédiés à la culture mais Sylvain a choisi de n’utiliser que des graines issues de plantes sauvages des Monts d’auvergne tout proches. Il ne pratique cette récolte de manière raisonnée que dans des populations comportant au moins plusieurs milliers de plantes et ne prélève que 20% des capitules fructifiés. En multipliant les sites de prélèvements, il introduit ainsi une très forte diversité génétique et sélectionne ensuite les plants les plus résistants à la sécheresse et aux fortes chaleurs, le problème-clé pour cette culture.

D’ores et déjà, il a mis en service une micropépinière qui fournit particuliers et producteurs de PPAM (plantes à parfum aromatiques et médicinales). Mais, compte tenu de son mode de sélection des graines évoqué ci-dessus, il pourra à terme fournir les gestionnaires d’espaces naturels en plants pour renforcer les populations naturelles déclinantes.

Cette année, il a commencé la mise en culture sur une parcelle de manière « naturelle » : sur sol vivant avec du paillage de prairie (herbe coupée) auquel du broyat de branches sera ajouté. Pour créer un microclimat encore plus favorable et tamponner les effets des canicules et sécheresses extrêmes, il va installer des sureaux au milieu des rangs pour apporter un peu d’ombrage. Une seconde parcelle sera mise en service l’an prochain pour recevoir 25 000 plants : 20 000 destinés à la production de produits dérivés et 5000 comme plants mères pour la production de graines.

Son projet nécessite une irrigation estivale au goutte à goutte vu les besoins de cette plante. Cet hiver, il est prévu le creusement d’une grande mare juste en contrebas de la source-mare en haut du site (voir ci-dessus) qui l’alimentera : il sera aménagé pour favoriser la biodiversité et le trop-plein repartira en contrebas selon le circuit naturel.

D’ici 2025, il prévoit l’aménagement d’un laboratoire de transformation pour fabriquer des macérats huileux, des baumes, crèmes et gels à base de fleurs d’arnica toutes récoltées sur place.

Tout ceci sur un modèle 100% décarboné : travail manuel uniquement ; aucun engin à moteur !

Du bleu à l’horizon

Au cours de ma visite, j’ai pu apprécier le bouillonnement interne de Sylvain qui, fort de ses compétences professionnelles passées et de son sens aigu de l’observation, innove sans cesse : il doit tout inventer pour adapter sa culture au contexte local tout en composant avec les aléas climatiques de plus en plus imprévisibles. Il faut parfois mettre à distance la biodiversité locale comme en installant une clôture électrique autour de la culture pour éviter l’intrusion des sangliers nombreux dans les environs : ils seraient tentés de retourner allègrement les rangs paillés ! Il s’attend à avoir des soucis avec les limaces favorisées par le paillage et qui boulottent très volontiers les arnicas aux feuilles tendres.

Sylvain utilise beaucoup les résultats d’études scientifiques sur l’arnica dans son milieu naturel. Ainsi, récemment, en lisant une thèse sur l’arnica, il a découvert l’importance de l’herbe autour des plantes comme protection contre la chaleur. Ceci lui a donné l’idée d’installer ses plants sur des rangs larges de 60cm avec des bandes herbeuses intercalées qui apporteront cette protection.

Pour développer son activité, le bouillonnement et l’énergie déployée ne suffisent pas : il faut aussi financer les travaux de mise en service des différentes structures mentionnées ci-dessus dont la mare d’irrigation. Aussi, Sylvain vient de lancer sur la plateforme en ligne Miimosa, spécialisée en crowfunding agricole, un financement participatif afin de donner un coup de boost à son projet. Vous pouvez donc contribuer à la réalisation de ce projet qui se situe à la charnière entre préservation de la biodiversité et activité agricole en suivant ce lien. Divers cadeaux sont prévus selon l’apport financier. Ne tardez pas : il reste 26 jours et encore 3500 euros à collecter pour atteindre l’objectif.

Premières floraisons !

Par ailleurs, C. Noiseux, animateur de l’émission H2O sur France Bleu Pays d’auvergne a récemment réalisé un reportage sur la ferme de Sylvain : vous pouvez écouter le podcast intégral de ce reportage en cliquant sur ce lien.

Bibliographie

Réseau Paysans de Nature

Association A.R.B.R.E.S.

Page Facebook de la ferme