Cette chronique rapporte quelques aspects de la biodiversité observée lors d’une mini-balade sur un espace naturel accessible au grand public ; il ne s’agit que d’un instantané très partiel pour une date donnée avec des informations complémentaires sur le site. Vous pouvez retrouver l’ensemble de ces chroniques-balades à la lettre Z, rubrique Zoom-balade

07/01/2020 ; 13H-15H  La vaste plaine de Limagne nord est devenue au fil des décennies un « désert » cultivé (du point de vue de la biodiversité) voué à outrance à l’agriculture intensive et à tous ses excès ; plus grand chose ne dépasse hormis les pieds de maïs en été et la nature y a été domptée, écrasée, aspergée de pesticides et réduite au strict minimum, sauf les mauvaises herbes devenues résistantes aux herbicides (voir la chronique sur ce sujet). Dans ce contexte, une association locale, les Haies du Puy-de-Dôme, a lancé un programme de replantation de haies à l’occasion des remembrements ravageurs qui achevaient de détruire le peu qui restait ; la Mission Haies animée par Sylvie Monier, infatigable défenseure des arbres et des haies, a accompagné ce travail qui a abouti à la plantation de plus de 80 km de haies sur onze communes de Limagne Nord. Ces haies ont désormais plus de trente ans « d’âge » et elles représentent de formidables oasis linéaires pour la biodiversité locale très mal en point. Cette zoom-balade se propose donc de découvrir sur une des communes concernées, Saint-Laure, deux longues haies plantées au cœur de la plaine cultivée, en hiver. 

Table rase

Le tassement des sols par les engins agricoles

Pour apprécier l’intérêt de ces nouvelles haies plantées, il faut d’abord goûter aux délices glaçants du paysage dominant. A perte de vue, d’immenses champs labourés ou emblavés de céréales, quelques bandes herbeuses étroites le long des chemins qui quadrillent la plaine, des fossés « anti-chars » tondus à ras … Pas d’arbres ni arbustes ou si peu : quelques silhouettes de vieux noyers se dessinent à l’horizon mais on peut les compter sur les doigts de la main.

Quelques très rares noyers en dehors des haies plantées

L’uniformité règne en maître absolu à part les variations de couleurs des damiers des champs : même l’herbe des accotements est uniforme avec une seule espèce dominante, du chiendent. Nous sommes en hiver : c’est la trêve saisonnière des pesticides qui ne transparaissent pas directement sauf sur certaines parcelles toutes jaunies par l’épandage de glyphosate pour éliminer les cultures intermédiaires. Par contre, partout, on lit les stigmates des sols malmenés, labourés profondément, retournés, piétinés par les gros engins au point que l’eau y stagne ; aussi des traces de l’infernal déversement d’intrants engraissants … Du coup, une parcelle en engrais vert (moutarde blanche) devient dans ce contexte un coin paradisiaque ou encore cette vigne de quelques rangs, rescapée improbable d’un massacre qui se poursuit d’ailleurs comme en atteste ce tas de souches récemment arrachées et entassées. Un tas de déchets brûle lentement complétant cette impression nauséeuse de paysage dépotoir. Pas beaucoup de place pour la biodiversité dans un tel paysage (voir la chronique sur les papillons de nuit) !

Et là-bas, au loin, barrant la ligne d’horizon, une ligne d’arbres apparaît : un mirage sans doute ? Non, voici l’une des haies nouvelles de la commune qui se rapproche : une bouffée d’oxygène dans ce paysage oppressant par sa vacuité biologique. 

Brise-vent 

Long ruban ourlé de vert des deux côtés qui s’enfuit à l’horizon, cette haie apporte enfin une ligne de force et d’intérêt pour l’œil du naturaliste. Côté chemin, une bande herbeuse de plusieurs mètres de large offre déjà un refuge minimal, un peu à l’écart direct des aspersions de pesticides et d’engrais (mais pas des « embruns »). Côté cultures : une étroite bande herbeuse grignotée consciencieusement par la charrue n’offre qu’une protection minimale : juste tolérée mais pas trop ! 

Dès les premiers pas le long de cette haie, je suis frappé par sa « maturité » ; j’en avais visité il y a plus de dix ans et là je découvre que le temps a fait son œuvre : les plants sont devenus des arbres, de vrais arbres de jet ou de grands arbustes très touffus ; et d’ailleurs certains arbres ont déjà été récoltés comme en attestent les nombreuses souches de robinier (un arbre qui grandit très vite) coupées à ras mais rejetant déjà de toutes leurs forces (voir ci-dessous).

Une plaquette diffusée par l’association nous apporte quelques informations à ce sujet :

Le plus ! Les haies produisent du bois : La productivité des haies plantées depuis 30 ans en Limagne est de 50 mètres cubes de plaquette par km (« copeaux de bois » pour le chauffage), soit l’équivalent énergétique de 4000 litres de fioul. 

Souche de robinier exploité et qui a aussitôt donné des rejets !

La diversité est bien au rendez-vous même s’il s’agit pour la plupart d’espèces non autochtones (voir le dernier paragraphe) : tilleul, érable champêtre, frêne élevé, aulne à feuilles en cœur, charme commun, robinier faux-acacia, noyer commun, viorne obier, noisetiers, groseilliers, … L’ensemble forme bien un brise-vent bénéfique pour les cultures dans cette plaine ouverte aux vents desséchants, même si sa garniture à la base, souvent clairsemée, doit en limiter l’effet. Citons la plaquette déjà mentionnée : 

Une haie protège sur 15 à 20 fois sa hauteur ; cet effet brise-vent limite l’évapotranspiration des pantes (rejet de vapeur d’eau permanent pour permettre la circulation de la sève dans la plante) et donc leur dessèchement ; des études montrent qu’en années sèches le rendement des cultures est augmenté de 5 à 30%. Une haie de 3m de haut (ce qui doit être le cas de celle-ci environ) protège la parcelle du vent sur 50m et sur 30m du gel ! L’effet brise-vent des haies est également efficace pour lutter contre la verse des cultures. 

Un écran en travers de la pente

Elles ralentissent aussi l’érosion des sols nus par le vent (arrachement des fines particules) et l’écoulement par ruissellement dans le sens de la pente : celle-ci orientée est-ouest coupe justement la pente légère orientée nord-sud et s’oppose aux vents de sud particulièrement forts et nocifs en été dans la plaine de Limagne (effet de foehn). Bel exemple de services écosystémiques rendus par une structure semi-naturelle. D’ailleurs, ces haies ont été mises en place autant pour la biodiversité que pour l’agriculture : l’un avec l’autre et pas l’un contre l’autre … à condition que tout le monde jour le jeu vraiment. 

Haie vivante

A peine ai-je entamé de longer la haie, qu’aussitôt je cherche du regard des traces de vie répondant à une interrogation qui me taraude : « est-ce que ces haies artificielles dans cet environnement défavorable réussissent quand même à devenir des refuges de biodiversité a minima ? ». Au pied d’un noyer planté, quelques coquilles d’escargots me renvoient un premier signal favorable : je me mets à quatre pattes et je gratte sous les feuilles mortes autour sur un petit mètre carré d’où j’extrais cinq coquilles d’escargot de Bourgogne et six d’escargots des haies ou des bois (Cepaea sp.). Me voilà rassuré : il y a au moins de quoi amorcer une bonne vieille chaîne alimentaire pour des oiseaux ou des petits mammifères. Des coquilles de noix rongées ainsi que des noyaux de merises complètent le tableau : mulots sans doute ? 

L’œil aux aguets, je note ainsi les preuves ténues qui s’accumulent : n’oublions pas que nous sommes en plein hiver ! Là, en lisière, de la terre creusée : le passage d’un renard ? Ici, un jeune robinier écorcé à mi hauteur indique qu’il a été utilisé comme borne de marquage par un chevreuil. Comme il fait très beau, quelques grosses mouches se chauffent au soleil sur les troncs ; sur des fruits de viorne obier, un délicat « moucheron » s’est suspendu. De place en place, je note quelques passereaux qui se lèvent à mon passage : pinsons des arbres, chardonnerets, bruants jaunes, corneilles noires, mésanges bleues, … Un nid de branchages perché dans des grands acacias : au téléobjectif, j’observe juste à côté de la ficelle plastique bleue accrochée dans les branches, sans doute envolée de ce nid de corneille ; une fâcheuse habitude qu’ont pris ces oiseaux pour bâtir leur nid car les jeunes ont de forts risques de se faire piéger (voir la chronique sur ce sujet). Un délicat petit nid d’herbes fines et de radicelles me ravit : fauvette grisette ou bruant ?

Sous des écorces mortes décollées, des cocons d’araignées et un petit thomise hibernant. Tout ceci nous confirme un autre rôle clé de la haie champêtre pour l’agriculture comme le rappelle la plaquette déjà citée : 

Favoriser aussi les axillaires des cultures. La haie fournit nourriture, abri, site de reproduction et corridor à de nombreuses espèces, notamment des prédateurs des ravageurs des cultures. Elle contribue ainsi efficacement à la lutte auxiliaire. Plus on est près d’une haie, plus le nombre et la diversité des auxiliaires des cultures sont importants. 

Information validée ici (voir l’exemple des mésanges dans les vergers ou celui des carabes remplaçant les herbicides) ! Quant à l’effet corridor, il suffit de porter le regard au loin pour en comprendre la signification  en imaginant que vous soyez un animal plutôt forestier qui veut traverser cette plaine « désertique » et ouverte !

Ressources 

Pour abriter un minimum de faune, il faut des abris certes mais surtout de la nourriture. Ici, deux détails importants retiennent mon attention dans ce sens. Dans les arbustes plantés figurent des viornes obiers devenues imposantes et qui portent leurs chargements de baies : merles et grives les consomment en fin d’hiver quand elles sont bien mûres ; sinon, les bouvreuils apprécient beaucoup les grosses graines à l’intérieur tout comme mulots et campagnols une fois qu’elles tombent au sol. Les fruits secs ne manquent pas non plus : ceux des frênes sont déjà tous tombés, sans doute arrachés par les coups de vent mais ils restent des érables champêtres couverts de samares ainsi que les gousses des robiniers avec leurs graines.

Ponctuellement, quelques arbrisseaux sauvages ont commencé à s’installer, apportés par les déjections des oiseaux : de rares lierres qui commencent à escalader les troncs, des églantiers et des ronces. Leur développement ouvre la porte à de nouveaux sites de nid et va compenser l’absence de garniture à la base de ces haies artificielles. de plus, chacun apporte avec lui son lot d’interactions favorables à la biodiversité comme l’églantier avec ses fruits consommés par les oiseaux ou ses galles (bédégars) riches en biodiversité (voir la chronique).

Un autre élément clé apparaît çà et là et c’est une bonne surprise : du bois mort ! Un élément essentiel dans l’écosystème haie et trop souvent absent quand on les entretient de manière trop aseptisée. Quelques arbres morts sur pied n’ont pas été coupés et c’est tant mieux : sous l’écorce détachée, on voit des galeries de scolytes et je trouve un minuscule coléoptère rouge orangé hibernant ; sur un vieux tronc de sorbier des trous creusés par un pic confirment qu’il y a de la nourriture.

Au delà du bois mort, il y a aussi tous les microhabitats (voir la chronique sur cette notion) générés par la taille des arbres : branches fourchues, petites cavités, replis d’écorce, … autant d’imperfections essentielles pour fournir des abris et des milieux de vie. J’observe même des érables aux troncs soudés comme ceux que l’on trouve dans les vieilles haies des bocages anciens !

Rudéralité 

Côte flore sauvage, çà reste encore bien pauvre (mais on est en hiver !) : la dominance du chiendent et des orties ainsi que de grosses colonies de cerfeuil sauvage indiquent clairement la surcharge en nutriments dont l’azote ; cette flore rudérale pauvre en espèces empêche largement l’installation d’autres espèces sans compter que les milieux sources potentiels de graines se trouvent très éloignés. L’enrichissement ne se fera que très lentement et que si le maillage se referme. Une colonie sèche de sureaux hièbles, une autre rudérale, offre quand même un intérêt tant pour les ombelles fleuries qui attirent nombre de pollinisateurs que pour les fruits charnus qui suivent. Des feuilles d’alliaire pourront servir de nourriture pour les chenilles de l’aurore, ce papillon printanier qui se maintient quand même en Limagne à la faveur de ces haies (voir la chronique sur cette espèce).  

Du côté des champs cultivés, la bande herbeuse moins traitée permet l’installation de quelques adventices (« mauvaises herbes ») en nombre comme le lamier pourpre ou la véronique de Perse. Leurs floraisons printanières (une véronique est déjà fleurie !) vont attirer et fournir pollen en nectar tôt au printemps aux reines de bourdons émergeant de l’hibernation ou aux abeilles solitaires précoces. 

L’abondance des lichens corticoles (sur les écorces) saute aux yeux mais c’est une image un peu trompeuse car, en fait, il y a peu d’espèces et celles qui dominent sont elles aussi des espèces très communes et qui recherchent les sites pollués par les poussières nutritives.

Erreurs de jeunesse 

Il ne faut pas faire preuve non plus d’angélisme : ce ne sont pas des haies comme celles que l’on trouve dans les bocages anciens loin s’en faut ! Au delà du contexte environnemental global hyper défavorable et qui exerce une pression considérable sur ces milieux linéaires cernés de tous côtés, des erreurs techniques ont été commises lors de la mise en place ; mais, soyons clairs, il ne s’agit pas de juger du tout car, à l’époque de leur création, c’était un exploit et on manquait de recul ; par contre, on peut envisager des solutions maintenant pour compenser ces défauts. Il y a d’abord la plantation sur un rang moins favorable à l’installation de la flore au pied de la haie : il faudrait regarnir la base au moins côté chemins.

La plantation d’arbustes bas a introduit des vides dans la continuité de la haie ; il vaut mieux les planter en avant de la haie. La plantation sur deux rangs offre plus de possibilité de recolonisation par la flore sauvage.

Le plastique noir utilisé comme paillage a survécu largement et empêche la reconquête des plantes herbacées (sans parler de la source potentielle de pollution chimique) : il faudrait arracher la plus grande partie et la récupérer. Désormais, on prône l’usage de paillages naturels (paille ou bois broyé. On a introduit le « loup dans la bergerie » en plantant des robiniers, arbre invasif et très conquérant : ses rejets (drageons) colonisent les bords et doivent rendre l’entretien bien plus compliqué ; d’un autre côté, au printemps, ses floraisons doivent profiter largement aux abeilles !

La majorité des essences introduites sont non autochtones ou avec des cultivars, sources de pollution génétique vis-à-vis des espèces locales : depuis 2012, la Mission Haies travaille à corriger ce problème en partenariat avec une pépinière régionale qui récolte des graines champêtres locales et propose donc des plats locaux. Une dernière suggestion : améliorer les « pieds de haies » (voir la chronique sur ce thème), i.e. créer localement des irrégularités (talus de terre, amas de bois mort, tas de pierres, …) qui enrichissent le potentiel d’installation d’une biodiversité plus riche ; pourquoi, par exemple, ne pas recycler ces tas de souches en les installant au pied de ces haies de ci de là, au lieu de les brûler ? Quelques rares grosses pierres trouvées au fil de ces deux haies confirment cette idée : elles sont couvertes de plusieurs espèces de mousses et des galeries en dessous attestent de leur intérêt.

Donc, ça bouge dans le bon sens et toutes ces imperfections, faciles à repérer après coup, ne doivent pas cacher l’immense réussite que représentent ces kilomètres de haies reconstituées à contre-courant de la grande tendance destructrice ; et plus ces haies vieillissent et plus elles se bonifient comme avec l’exemple du bois mort ou de l’installation d’arbustes sauvages comme ronces et églantiers. Sans elles, ces zones seraient de parfaits déserts biologiques comme tout autour et, en plus, elles apportent leurs services à l’agriculture ! Bref, une zoom-balade qui redonne un peu d’espoir ! 

Accès : commune de Saint-Laure entre Riom et Maringues ; le circuit informel que j’ai composé pour ma balade suit deux des grandes haies plantées (flèches sur le plan) et recoupe des circuits locaux de balades. 

Bibliographie

Site Les Haies du Puy-de-Dôme : http://haiesdupuydedome.fr

Site Mission Haies : https://missionhaies.wixsite.com/mission-haies

Plaquette d’information (pdf sur le site Les Haies) : Planter une haie et des arbres champêtres en zone céréalière.