Cette chronique concerne l’une des fermes auvergnate gérée par le mouvement Terre de Liens dont les objectifs sont d’enrayer la disparition des terres agricoles, alléger le parcours des agriculteurs qui cherchent à s’installer, et développer l’agriculture biologique et paysanne.

15/07/2020. 7H 45. En dépit d’une météo grise et basse avec même une belle averse orageuse sur la route, Jean-Jacques Lallemant et moi attaquons un « micro-bioblitz » sur la ferme des Préaux. Bioblitz ? Ce terme, originaire des USA, désigne une activité ludique et pédagogique consistant à identifier, avec du public, sur une très courte période (12 ou 24H normalement) et sur un terrain défini, un maximum d’espèces vivantes afin d’éveiller l’attention du public envers la biodiversité de l’environnement proche. Ce terme a été inventé sur la base de deux racines : bio pour vivant et blitz, terme allemand de sinistre mémoire pour une intervention éclair (voir la chronique Bioblitz sur un carré végétal). Bon, pour nous deux ce sera une version nettement édulcorée faute de public nous accompagnant et limité à la matinée mais avec l’objectif de « ratisser » les parcelles cadastrales n°9, 10, 11, 12, 13, 14 et 17… soit pas loin de 20ha de prairies et d’y chercher un maximum d’espèces aussi bien végétales qu’animales afin d’avoir une vue globale sur la biodiversité de cette ferme Terre de Liens (voir les autres chroniques sur la ferme des Préaux) ; cette visite s’inscrit dans le cadre du partenariat mis en place entre Terre de Liens Auvergne et la Ligue pour la Protection des Oiseaux et nous intervenons en tant que membres bénévoles des deux associations. Pour zoom-nature, ce sera aussi l’occasion de faire prendre conscience aux novices de la richesse de la biodiversité de ces fermes gérées en agriculture biologique. 

Steppe bourbonnaise

La sécheresse a commencé, dans cette partie de l’Allier, sur ces sols granitiques sableux ou rocheux très filtrants, à imposer sa griffe sur la végétation. Les prés maigres parcourus par le troupeau de moutons de la ferme ont pris leur parure estivale de « paillasson » avec à perte de vue des tapis d’une herbe sèche couchée, formant des nappes ondulantes du plus bel effet, une vulpie. On se croirait dans les steppes d’Europe centrale. Si la maigreur de l’herbe ne doit pas forcément enchanter l’éleveur, pour le naturaliste elle est le gage d’un milieu « pauvre en nutriments » (oligotrophe), un milieu qui se fait de plus en plus rare à l’ère des intrants à tout va et qui héberge a priori une biodiversité plus ou moins spécifique en très fort déclin. 

Dès nos premiers pas dans ces prés prometteurs à l’herbe trempée par l’averse, de petits papillons nocturnes brunâtres se lèvent d’un vol maladroit et se reposent juste un peu plus loin. A chaque pas, chacun de nous en lève au moins deux : autant dire qu’il doit y en avoir des milliers. Reste à identifier la bête certes nombreuse mais très fuyante : avec patience, nous finissons par en photographier une posée puis à la capturer pour la cadrer mieux dans un bocal … avant de la libérer. Jean-Jacques la connaît déjà : la clédéobie étroite ; ça ne s’invente pas ! Les chenilles de cette pyrale (ailes triangulaires posées à plat au repos) vivent sur les mousses au sol, au pied des touffes d’herbe. 

Papillons 

Pré fleuri d’achillées millefeuilles

Les premiers prés restent peu fleuris : quelques pieds de lotier corniculé ou des centaurées jacées ça et là. Puis nous passons à des prés plus fleuris avec des achillées millefeuilles en masses, favorables aux papillons butineurs. Sur quelques mètres, nous trouvons d’abord deux adorables arlequinettes jaunes (un nom délicieux !) avec leurs gros yeux inquisiteurs puis deux colliers blancs pas faciles à voir car ressemblant irrésistiblement à des fientes d’oiseaux. Bien que butinant en plein jour, ce sont deux espèces de papillons de nuit (Hétérocères) de la famille des noctuelles, une famille pléthorique en nombre d’espèces.

Plus loin, Jean-Jacques réussit à dénicher une pépite cachée sous une touffe de serpolet : un sphinx d’un rouge vineux aux étonnantes antennes et pattes blanc pur. Bien engourdi ou fraîchement « éclos », il se laisse tirer le portrait sans broncher : il s’agit d’une espèce que l’on a très peu l’occasion de voir car strictement nocturne, le petit sphinx de la vigne. Ses chenilles se nourrissent sur des épilobes et des gaillets : ces derniers abondent ici avec le gaillet jaune omniprésent et aussi le gaillet blanc. La biodiversité animale repose sur la biodiversité végétale ! 

Les papillons de jour ne sont pas en reste mais peu actifs vu la météo très couverte avec même des passages menaçants et une averse. Les demi-deuils, myrtils et fadets adeptes des milieux herbacés sont là : leurs chenilles vivent sur les graminées, donc pas de problème. Des azurés, ailes repliées, se reposent sur des herbes sèches : eux dépendent des légumineuses comme le lotier ou la bugrane arrête-bœufs présents sur le site. Une mélittée endormie elle aussi montre des points noirs sous ses ailes : la mélittée du plantain, typique des prés secs (voir la chronique sur les chenilles de cette espèce).

Un hespéride noir et blanc se pose sur une plante sèche et, chose rare pour ces espèces souvent nerveuses, se laisse photographier : un beau motif en échiquier orne le dessous des ailes. Problème pour des naturalistes amateurs en matière de papillons: il en existe plusieurs espèces très proches et difficiles à distinguer ; nous penchons pour l’hespérie des potentilles. L’observation postée sur le site collaboratif Faune-Auvergne sera soumise aux fourches caudines des experts qui veillent et valident ou infirment les identifications (voir ci-dessous). 

Hespérie à identifier

Oiseaux

La météo très couverte et la saison déjà bien avancée ne se montrent guère propices à l’écoute de chants. Nous arriverons quand même à une liste de 29 espèces contactées, ce qui reste malgré tout assez modeste. Enfin, quand je dis nous, c’est surtout Jean-Jacques, dit « Oreille-de-Lynx », hyper attentif au moindre cri qui note ! 

Mâle de pie-grièche écorcheur

A plusieurs reprises, nous levons des alouettes lulus dans les prés secs : il doit y avoir des familles dans le lot. De même au fil des haies, les cris des pie-grièches écorcheurs se manifestent par leurs cris rêches : un site idéal pour elles avec, entre autres, tous ces criquets et sauterelles à chasser et tous ces postes d’affût que sont les buissons épineux entre autres. Plus surprenant : des cris de guêpiers d’Europe répétés vers l’extrémité de la ferme : nicheraient-ils ici ? 

Habitat typique de la pie-grièche écorcheur : des prés ouverts, terrains de chasse et des buissons épineux, postes d’affût et sites de nid

Une salve de cris secs pikpikpikpikpik mais assez doux : et J.Jacques reconnaît derechef le pic mar, une espèce proche d’aspect du pic épeiche (présent aussi) mais avec une écologie sensiblement différente. Il s’agit d’une espèce en nette expansion récente qui a besoin de beaucoup de bois mort : ici, il est gâté avec la partie boisée riche en chablis ou arbres cassés, les haies riches en trognes et la mortalité des frênes touchés par les sécheresses à répétition. 

Les vieux arbres avec des descentes de cimes fournissent beaucoup de petit bois mort apprécié du pic mar

Dans un grand pré, deux huppes se posent. Elles aussi trouvent ici un environnement idéal : de l’herbe rase où chercheur leur nourriture et des crottes de moutons (biologiques de surcroît) qui hébergent leur lot de scarabées coprophages (« mangeurs d’excréments »). En conventionnel, l’usage de produits vétérinaires contre les vers intestinaux du bétail « stérilise » souvent ces crottes ou bouses, les rendant impropres à toute colonisation par des insectes. Ce sont ces petits détails qui font la différence au niveau de la biodiversité même très ordinaire. 

Flore 

Button granitique typique de ce site

Nous avons ci-dessus parlé de plantes nourricières d’insectes : alors, qu’en est-il de la flore ? Le pic des floraisons est passé : la saison optimale pour ces prés-pelouses très secs se situe en avril-mai, notamment pour les buttons rocheux remarquables qui parsèment les parcelles de cette ferme : nous avions prévus une prospection botanique à cette époque … sauf que la Covid est passée par là. Dommage car cette année avec la pluviosité du printemps ça devait être riche.

La teinte rougeâtre de ce button provient des tapis de petite oseille

Je me rabats sur des plantes sèches encore identifiables : la cotonnière naine ; le trèfle strié ; le scléranthe vivace en train de sécher ; la petite oseille en tapis rougeâtres complètement passés ; la canche caryophyllée, une adorable petite graminée aux panicules vaporeuses ; le petit œillet prolifère encore en fleurs ; un pied déjà fleuri de petit boucage, une ombellifère estivale (voir la chronique sur cette espèce) ; les pompons rose tendre des trèfles des champs. Une rosette broutée retient notre attention : des feuilles dures bleutées étroites plaquées au sol : l’armérie faux-plantain, une espèce très rare en dehors des sables du val d’Allier dans le Bourbonnais. Nous « épluchons » des massifs d’euphorbe petit-cyprès encore verts à la recherche, en vain, de chenilles du sphinx de l’euphorbe. De petites touffes de thym serpolet bien fleuries ornent les pentes des buttons. 

Dans les parties non rocheuses avec un sol plus profond, outre les achillées déjà mentionnées, dépassent les hautes silhouettes des cirses lancéolés qui commencent à fleurir : une aubaine pour les insectes butineurs quand l’offre devient rare. Quelques pieds de cirse à capitules laineux (voir la chronique sur ce beau chardon) arborent leurs « pelotes d’épingles laineuses ». Le chardon Roland ou panicaut abonde localement lui aussi. Nous notons aussi des cirses des champs albinos ! Tous ces chardons témoignent de la pression sélective exercée par les moutons qui évitent ces plantes bien armées et peu appétentes. Les molènes floconneuses échappent aussi en partie à leur dent à cause de leur revêtement de poils irritants cassants comme du verre (voir la chronique sur les poils des molènes). 

La mare centrale qui nous avait tant accroché cet hiver a baissé de moitié. Sur la grève vaseuse découverte, la glycérie flottante a été broutée et on voit pointer quelques plantes typiques du cortège classique de ce milieu : jonc des crapauds, gnaphale des marais, lycope, gaillet palustre, chénopode à graines nombreuses, bident trifolié, …

Vénérables 

Lors de la visite en février, j’avais été happé littéralement par la majesté et l’esthétique incroyable d’une foule de vieux arbres, chênes et frênes essentiellement, qui jalonnent les haies des parcelles ; j’y avais consacré deux chroniques : une sur les arbres remarquables et une sur une trogne de frêne exceptionnelle. Ils sont évidemment toujours là habillés de leur feuillage, ce qui les rend malgré tout un peu moins impressionnants en gommant les détails de leur ramure et de leur tronc. Nous retrouvons le frêne remarquable toujours aussi beau mais il ne fait pas bon rester à coté : des frelons vont et viennent et doivent y avoir élu domicile. Nous en trouverons ainsi sur deux autres trognes. Il s’agit de frelons européens, de redoutables prédateurs très actifs. L’un d’eux se promène au ras des herbes et semble les heurter comme pour effrayer des insectes. Sur un épi de crételle, l’un d’eux est attablé en train de dévorer à toute vitesse un criquet : on voit les pattes tomber une à une tandis que les mâchoires déchiquètent le corps ! Impressionnante machine à tuer ! 

Abrités sous un vieux chêne pour échapper à une averse, nous tombons sur une belle chenille vert tendre avec un collier jaune et de belles lignes jaunes longitudinales. Très active et remuante, on note à l’arrière une paire de fausses pattes en forme de « béquilles à ventouses » soulignées d’un petit trait rouge. Cette chenille se nourrit sur les chênes, les hêtres, les bouleaux et va donner un papillon nocturne tout vert, juste marqué de deux rayures pâles en travers, la halias du hêtre. Sur le tronc du vieux chêne, des peaux de chenilles agglutinées signent sans doute la présence de la processionnaire du chêne, une espèce défoliante qui ne forme pas de nids collectifs comme sa cousine du pin. 

D’innombrables cavités et autres micro-milieux jalonnent les troncs et les branches de ces vieux arbres : un potentiel considérable pour les insectes du bois mort (saproxyliques). Mais, il faudrait entreprendre des recherches ciblées avec du matériel spécifique pour les détecter : un travail de spécialiste qui mériterait d’être entrepris car on devrait avoir de belles surprises avec une telle galerie de trognes ! 

Erreur humaine 

A la lecture de cette chronique, le novice croira sans doute que les deux naturalistes aguerris par des décennies d’expérience (ne disons pas le nombre de décennies !) que nous sommes « savent tout » et « ne se trompent jamais». Pas si simple ! Deux exemples au cours de cette sortie en témoignent. 

Sur une molène floconneuse complètement dépouillée dont il ne reste plus que l’inflorescence, Jean-Jacques trouve une grosse chenille très bigarrée de jaune et de bleu pâle avec des points noirs. De concert, nous disons : chenille de la brèche des molènes ou cucculie des molènes (Cucculia verbasci) et nous postons ainsi cette observation sur le site Faune-Auvergne. Dès le lendemain, un des experts qui surveille le site dans l’ombre, D. Perrocheau, nous alerte : erreur ! Voici son verdict : «  Ce n’est pas Cucullia verbasci ici. Ses chenilles ont des marques noires à la base de chaque anneau (vers la suture). Ici, les dessins des anneaux sont ceux d’une chenille de Cucullia lychnitis dans sa forme la plus typique. Ce n’est pas la seule Cucullia à utiliser divers Molènes comme plante hôte. » On en apprend tous les jours même avec une longue expérience ! 

Sur un cirse, dans une toile, se tient une araignée jaunâtre qui a capturé, chose curieuse d’ailleurs, une punaise verte normalement très répulsive. Après examen de la photo, j’avance comme identification le théridion ovoïde (Enoplognatha ovata), une araignée commune et nous la postons sous ce nom. Là encore, le lendemain, rappel à l’ordre par une autre experte du site Faune Auvergne, Pascale Walvarens qui nous dit : « il existe 2 espèces possibles d’Enoplognatha non discernables à vue Enoplognatha latimana et E. ovata ». On parle d’espèces jumelles nécessitant alors la capture de l’animal et sa dissection pour trancher ! Donc elle sera répertoriée sous une appellation « double » E. latimana/ovata pour ne pas perdre quand même l’observation ! 

Enoplognatha latimana/ovata attablée sur une punaise verte

Ces deux exemples montrent combien l’inventaire de la biodiversité requiert de nombreuses compétences très pointues et que les sciences participatives n’ont de valeur que si un travail considérable de vérifications, invisible de l’extérieur, est en permanence effectué ! 

Cela dit, pour restaurer un peu notre image de routards de la biodiversité, nous ne nous trompons pas toujours heureusement ! Ainsi, ces punaises accouplées sur des pieds de sisymbre sont bien des punaises ornées, reconnaissables au dessin clair en forme de Y sur le bouclier triangulaire central (scutellum). 

Ce micro-bioblitz souligne en tout cas la qualité de cette ferme quant à la biodiversité présente même si, ici, nous n’en avons soulevé qu’un petit coin du voile immense ! Nous n’avons pas du tout par exemple exploré la partie boisée et rocheuse qui surplombe le ruisseau en bout de propriété. A faire dans l’été ! Nous consacrons deux autres chroniques à cette biodiversité : une sur les orthoptères (criquets et sauterelles) de la ferme et une sur une espèce surprenante découverte ce printemps par J.J. Lallemant, le dectique verrucivore. 

G. Guillot. Zoom-nature. 

Bibliographie 

site Terre de Liens

Pour en savoir plus sur les inventaires de biodiversité et les plates-formes de sciences participatives comme Faune-Auvergne, vous pouvez lire trois chroniques de Zoom-nature :

Passion biodiversité 

Sciences participatives : un outil de prédiction 

Pour une collecte plus efficace des observations